Jo le flingueur

Le nouveau buteur carolo en aparté.

Une cure de bonne humeur, d’optimisme et de convivialité à 15 mètres du Stade du Pays de Charleroi. Bienvenue dans l’appartement de Joseph Akpala (21 ans), la nouvelle coqueluche du Sporting. L’attaquant nigérian n’a qu’à prendre l’ascenseur et traverser la rue pour être dans une des tribunes.  » Qu’est-ce que tu veux boire ? Tiens, prends une banane  » : sympa, le Jo ! Et ça plane pour lui. En deux week-ends, il vient d’offrir, sur un plateau, la victoire aux Zèbres : en inscrivant le seul but du match à domicile contre Malines, dans les dernières secondes ; puis en signant un superbe hat-trick à Saint-Trond. Pour ses deux premiers matches disputés cette saison, c’était banco ! Enfin la grande éclosion pour ce joueur arrivé en janvier 2006 et présenté à l’époque, par la direction, comme un futur tout gros crack de notre championnat ? Interview découverte du nouveau buteur maison.

Tu parles drôlement bien français pour un gars arrivé en Belgique il y a moins de deux ans !

Joseph Akpala : Je suis le premier surpris. Mais j’ai débarqué dans des conditions idéales pour apprendre le français. Je ne connaissais pas un mot quand je suis arrivé et je ne savais donc communiquer avec personne. J’avais un but en tête : pouvoir discuter au plus vite avec tous les joueurs du noyau. Je n’avais pas 36 solutions si je voulais m’intégrer au plus vite. Je me suis inscrit à des cours, ça a duré quatre mois et j’ai très vite progressé.

Tes progrès sont aussi frappants que ceux de Nicolas Frutos.

Oui, mais c’était plus cool pour lui, hein ! Passer de l’espagnol ou de l’italien au français est plus facile que passer de l’anglais au français.

Il faut seulement espérer que tu seras moins souvent blessé que Frutos !

Je n’ai eu qu’une blessure sérieuse depuis que je joue au foot. C’était contre Anderlecht, au premier tour de la saison passée. A la septième journée, fin septembre. J’ai essayé de piquer le ballon à Anthony Vanden Borre, je ne l’ai pas eu mais je me suis fait drôlement mal. Les adducteurs étaient déchirés et ça m’a coûté quatre mois à l’infirmerie. Ce fut mon premier moment difficile en Belgique mais j’ai beaucoup appris pendant cette période sans football. J’ai commencé à travailler spécifiquement mes adducteurs et d’autres parties fragiles de mon corps. Et je suis aussi devenu plus fort dans ma tête. It helped me a lot.

Venons-en à ton hat-trick à Saint-Trond : ton jour de gloire ?

Pour moi, c’est du passé. Je me suis directement concentré sur le match suivant.

Allez, allez…

Evidemment, ça restera une soirée inoubliable. Mon premier hat-trick en Europe. J’en avais déjà réussi deux en championnat du Nigeria : dans deux matches consécutifs.

En plus, c’était le hat-trick parfait : un but du pied gauche, un du pied droit, un de la tête.

C’était la première fois que je marquais de trois façons différentes dans le même match.

Qu’est-ce qui était le plus beau : ce hat-trick ou ton tout premier but en Belgique, contre Anderlecht, en avril 2006 ?

Anderlecht, c’était aussi un moment très fort, évidemment. Personne ne me connaissait en Belgique, je n’avais encore joué que deux ou trois bribes de match. Il restait 10 minutes, nous étions menés 0-1, Jacky Mathijssen m’a lancé et j’ai égalisé. C’était la folie dans le stade, on me découvrait. Anderlecht, c’était très fort. Saint-Trond aussi. Mais je ne pourrai pas oublier non plus mon but contre Malines, lors de la troisième journée de ce championnat. Le Sporting avait mal commencé : un nul contre Roulers, une défaite à Westerlo. Moi, je n’avais pas joué une seule minute de ces deux matches. Contre Malines, j’ai tout débloqué à quelques secondes de la fin.

Bref, tu as offert au Sporting ses deux premières victoires de la saison.

Je n’étais pas seul, il fallait quelqu’un pour me donner des ballons de but. Mais c’est clair qu’il fallait encore être là pour les mettre au fond.

La journée du match contre Anderlecht avait été très spéciale pour toi, non ?

Complètement. Je ne devais pas faire partie du groupe. Le matin du match, Thierry Siquet m’a appelé pour m’informer que j’étais finalement repris, à cause de la blessure d’Orlando. Dans un premier temps, j’ai été choqué, je ne savais pas trop ce qui m’arrivait. Et au bout du compte, j’offre un point au Sporting : le rêve.

 » Je vise le titre de meilleur buteur du championnat  »

Charleroi a-t-il enfin trouvé son buteur ? Depuis le départ de François Sterchele, plus aucun attaquant n’a crevé l’écran.

C’est normal d’attendre beaucoup des attaquants, mais quand les défenseurs et les médians sont capables de marquer, c’est aussi une arme intéressante. Le Sporting l’a prouvé la saison dernière.

Cette équipe n’aurait-elle pas terminé plus haut que la cinquième place si elle avait eu un vrai buteur ?

Je n’en suis pas sûr. Les attaquants faisaient de leur mieux mais ça ne voulait pas rentrer. D’autres joueurs ont pris le relais et ça s’est très bien passé.

Tu peux devenir le nouveau Sterchele du Sporting ?

I am Joseph Akpala, sorry ! Je veux me faire un nom dans ce club, je n’ai pas du tout envie qu’on me compare à d’autres joueurs. Si, dans quelques mois ou quelques années, quelqu’un veut se comparer à moi, pas de problème. Mais moi, je ne me compare à personne.

Je pose ma question autrement : tu peux devenir le nouveau buteur attitré du Sporting ?

Tout à fait.

Il y a juste un an, on avait dit que tu avais tout pour remplacer Cyril Théréau quand il venait de partir à Bucarest.

C’est vrai qu’on comptait sur moi. Tout a très bien commencé : j’ai directement marqué à Beveren. Puis, il y a eu le match contre Anderlecht et cette blessure qui a tout retardé.

Tu as déclaré que tu voulais devenir le meilleur buteur du championnat.

Je confirme. C’est une de mes ambitions. Je suis prêt à relever le défi.

Tu peux faire ce que ton compatriote Patrick Ogunsoto a réussi la saison dernière avec Westerlo ?

Certainement. Ogunsoto a marqué les esprits dès sa première année en Belgique et j’ai envie de me faire très vite un nom, comme lui.

Tu penses encore au jour où Charleroi t’a repéré lors d’un stage de l’équipe nigériane au Portugal ?

Bien sûr. Mais à ce moment-là, je ne pensais pas du tout à une expérience en Europe. Je me concentrais à fond sur la Coupe d’Afrique des Nations, je bossais pour être repris dans le noyau. Nous avons joué un match amical contre une équipe portugaise de D2 : c’était mon premier affrontement avec une équipe européenne, donc un football complètement différent de ce que j’avais toujours connu en Afrique. Mais ce jour-là, j’ai été très bon. Fantastique, même. J’ai marqué un but. Dans la tribune, il y avait des scouts européens qui s’étaient déplacés pour voir d’autres joueurs. Raymond Mommens, lui, était venu pour moi. Il m’a parlé de Charleroi mais il y avait d’autres clubs sur le coup : La Gantoise, une équipe allemande, Valladolid, l’Etoile du Sahel qui me proposait carrément de signer le jour même. Après notre deuxième match de préparation, Mommens est à nouveau venu me parler. Je ne savais pas ce que je devais faire, j’avais tellement peur de faire un mauvais choix. J’en ai discuté avec Daniel Amokachi et le coach national, Augustine Eguavoen, qui avait joué à La Gantoise. Ils m’ont conseillé de venir en Belgique, ils m’ont persuadé que c’était un bon choix pour une première expérience à l’étranger. Ils m’ont expliqué que je ne devais pas essayer de passer directement de l’école primaire à l’université, donc que je ne devais pas viser trop haut. Alors, je suis venu à Charleroi pour un test. J’avais fait mon planning : si le Sporting ne me retenait pas, je faisais ma valise et je partais pour un essai à Gand. J’ai joué un match avec la Réserve contre Genk : a fantastic game. J’ai marqué, le Sporting m’a directement proposé un contrat et j’ai signé. J’estimais que ça ne servait plus à rien d’aller voir ailleurs.

Avant de signer, tu n’avais pas parlé de Charleroi avec Victor Ikpeba ?

Non, je ne savais même pas qu’il était passé par Charleroi. Je l’ai appris en arrivant ici. Ikpeba, je l’avais rencontré une fois dans le passé. Il m’avait dit qu’il m’avait trouvé un club en France, je pense qu’il parlait de Monaco. Il voulait devenir mon agent mais les choses n’étaient pas allées plus loin.

 » Quand je dis que je n’ai jamais fait de musculation, personne ne me croit « .

D’où te vient cette musculature ? C’est impressionnant !

It’s quite funny ! Dans le vestiaire, mes coéquipiers me regardent parfois comme une bête rare. Moi, je trouve que mon corps n’a rien de spécial. Je n’ai jamais fait de musculation au Nigeria. Quand je le dis à mes coéquipiers, ils ne me croient pas, mais c’est comme ça. C’est à Charleroi que je suis allé pour la première fois dans une salle de fitness. J’étais avec Nas Kraouche : il a dû tout m’expliquer parce que je ne savais pas du tout ce que je devais faire avec tous ces appareils. Ces muscles, c’est génétique. Un de mes frères est encore plus baraqué que moi.

Cette musculature te rend plus fragile que les autres joueurs, non ?

Je l’ai lu dans les journaux mais je ne suis pas d’accord. Je n’ai jamais été blessé au Nigeria et je ne suis pas un habitué de l’infirmerie à Charleroi.

As-tu lu ce que Thierry Siquet a dit de toi dans Sport/Foot Magazine en tout début de saison ? Il estime notamment que tu es trop sensible à tout ce qui se passe autour de toi, sur le terrain et en dehors. Que tu dois devenir un homme. Que tu deviendras un grand joueur quand tu seras un homme. Et que tu deviendras un vrai buteur quand tu auras éliminé tes manquements.

Je n’ai pas l’impression d’être spécialement sensible à tout ce qui se passe autour de moi, mais si ça vient d’un joueur qui a joué des centaines de matches en D1, il doit y avoir du vrai là-dedans.

Siquet dit aussi que tu es une bombe sur les 10 premiers mètres mais que tu te fais ensuite rattraper par des gars beaucoup moins rapides.

Je n’en suis pas convaincu, mais qu’est-ce que je peux répondre d’autre ? Siquet a un regard extérieur sur moi, il repère donc des choses que je ne vois pas nécessairement. J’en conclus qu’il me reste beaucoup de travail pour être au top. Un proverbe nigérian dit que quand on a bien commencé quelque chose, il faut s’appliquer pour bien la terminer. Je dois l’appliquer dans mes sprints.

On t’a décrit comme une future grande star dès ton arrivée à Charleroi : cela ne t’a-t-il pas mis trop de pression ?

Non, je laisse les gens parler et je bosse. Je ne me laisse pas influencer. Je sais seulement que pour le moment, je n’ai encore rien d’une vedette. On fera le point plus tard.

Au Nigeria, on t’a même dépeint comme le futur Obafemi Martins !

Je sais. Les gens disent ce qu’ils veulent. Moi, je répète que je ne veux être comparé à personne. Je suis Joseph Akpala, un footballeur africain qui veut percer en Europe, point à la ligne.

Où en es-tu avec l’équipe nationale ?

Quand Charleroi est venu me visionner en stage au Portugal, en fin d’année 2005, j’espérais être repris pour la Coupe d’Afrique mais je ne me faisais quand même pas trop d’illusions. J’estimais que j’avais 60 à 70 % de chances de faire partie du groupe. J’ai sauté au dernier moment. Depuis lors, je n’ai plus joué avec le Nigeria. On m’a convoqué tout récemment pour un match amical contre la Macédoine mais l’invitation est arrivée très tard et je n’y suis pas allé. Je ne fais pas une obsession de l’équipe nationale, je sais que mon heure viendra tôt ou tard. Je ne m’emballe pas : si je suis très bon en Belgique, je serai rappelé.

La CAN 2008 approche : c’est ton prochain défi ?

Evidemment, j’ai envie d’y aller. Mais j’ai d’autres objectifs. Les Jeux de Pékin me font rêver. Si je participe à un de ces deux tournois, ce sera magnifique.

Tu as été entraîné par le Belge Maurice Cooreman au Nigeria, non ?

Ah, Maurice… Un très chouette gars. Mentalement, il m’a fait progresser à fond. Pour motiver les joueurs, c’était le top. Il nous répétait tous les jours qu’il n’y avait pas de temps à perdre, qu’une carrière de footballeur n’est pas éternelle, qu’il faut se donner à 200 % lors de chaque entraînement si on ne veut pas passer à côté de quelque chose de grand. Quand j’ai quitté le Nigeria, j’étais le meilleur buteur du championnat : Cooreman y était pour beaucoup.

Quelle réputation a-t-il au Nigeria ?

Une excellente réputation. Il y a travaillé dans plusieurs grands clubs. Quand j’étais gosse, j’étais ramasseur de balles et je l’observais sur son banc. J’étais impressionné par tout ce qu’il réussissait au Nigeria. Le jour où il est devenu mon coach, j’ai dû me pincer pour y croire.

Sais-tu quelle réputation il a en Belgique ?

Non.

Il a été accusé de traite de footballeurs et suspendu par la Fédération pour avoir truqué des matches !

Ah bon ? Ah bon ? Maurice ? Là, je tombe de haut…

N’as-tu pas un oncle médecin à Londres ?

Tout à fait. Il a fait énormément pour moi. Nous n’étions pas très riches à la maison. Mon père était ingénieur dans une usine de produits d’entretien mais après avoir été mis à la retraite, il a encore dû travailler et s’est reconverti comme taximan. Mon oncle m’envoyait régulièrement des équipements de foot : des godasses, des chaussettes, des maillots, etc. Un jour, il a envoyé un mail à Anderlecht pour leur proposer de me prendre en test. J’avais 16 ans. Il n’a jamais eu de réponse.

par pierre danvoye – photos; reporters/ hamers

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