Jo fait le boulot

L’ex-meilleur tueur de D1 dit pourquoi il bute peu et décortique le Bruges nouveau.

Joseph Akpala (25 ans) est le frère sourire du Club Bruges. Les vagues dans le vestiaire ou les bouderies sur le banc, ce n’est pas pour lui. Qu’il joue ou pas, que l’équipe triomphe ou se plante, le musclé Nigérian garde la positive attitude. Cette saison, son temps de jeu est assez réduit en championnat. Et son bilan en buts n’est forcément pas extraordinaire. C’est plus l’Europa League qui lui a jusqu’à présent permis de rappeler qu’il fut autrefois meilleur buteur de D1 avec Charleroi. Jo commente sa drôle d’année et le parcours chahuté de son équipe.

On a de nouveau l’impression que Bruges peut jouer le titre : tu le penses aussi ?

Joseph Akpala : Bien sûr. Il y a eu une série pénible de quatre défaites consécutives, mais pour le reste, je vois beaucoup de bonnes choses ici. En début de championnat, nous avons fait plusieurs très bons matches. Et depuis quelques semaines, les victoires s’enchaînent. Nous ne nous mettons de toute façon pas une grosse pression. Si le Club peut être champion, great ! Mais ce n’était l’objectif de personne quand la saison a commencé. Le but, c’est une qualification européenne. Et nous sommes sur la bonne voie.

Personne n’a paniqué au moment où vous perdiez tous vos matches ?

Non. Tout le monde a toujours gardé les yeux en face des trous. Les résultats étaient mauvais mais le fonds de jeu restait intéressant. Bien souvent, il n’y avait que le score qui était décevant. Il fallait simplement trouver un truc pour sortir de la spirale négative parce que l’écart avec les équipes de tête s’agrandissait dangereusement. La direction a viré Adrie Koster, voilà…

Où était le vrai problème ?

Nous pensions bien souvent que le match était fini alors qu’il ne l’était pas. Et plus d’une fois, nous avons oublié de défendre en bloc. Nous menions avec deux ou trois buts d’écart mais nous en voulions toujours plus. Marquer, marquer, encore marquer !

 » Heureusement qu’il y avait l’Europa League pour nous empêcher de gamberger « 

Qui décidait de continuer à jouer vers l’avant alors qu’il fallait protéger le résultat ? Koster ? Les joueurs ?

Tout le monde. C’était vraiment un gros problème collectif. Nous étions capables d’attaquer en équipe mais pas de défendre tous ensemble. En fonction de l’évolution du score, il y a des moments dans un match où tu dois faire un switch, changer ton approche. Mais pour cela, il est aussi nécessaire de se parler. Et de se comprendre. Chez nous, ça ne marchait pas.

Dans tous les matches que vous avez perdus in extremis, lequel a été le plus pénible ?

Bizarrement, nous n’avons pas été trop touchés dans les têtes. Parce qu’il y avait l’Europa League et donc un match tous les trois ou quatre jours. Nous n’avions pas le temps de ruminer les fins de rencontres un peu folles, il fallait directement se concentrer sur le rendez-vous suivant. Heureusement… Si nous avions eu le temps de gamberger, certains auraient été très mal en constatant que le Club était à la traîne alors qu’il aurait dû se retrouver en tête avec quatre ou cinq points d’avance sur le deuxième !

Les joueurs se sentent coupables par rapport à Koster ?

Oui, c’est normal. Ça nous a fait mal de le voir dehors. Son dernier speech a été émouvant. Il venait d’apprendre qu’il était viré, il est venu nous parler dans le vestiaire. C’était un gars de la famille qui s’en allait.

Tu avais une bonne relation avec lui ?

Depuis mon arrivée en Belgique, j’ai bossé avec Jacky Mathijssen, Philippe Vande Walle, Thierry Siquet, Adrie Koster et maintenant Christoph Daum : trouves-en un dans la bande avec lequel je n’aurais pas eu une très bonne relation… Pour un entraîneur, je ne suis vraiment pas un gars compliqué.

Tu as eu des contacts avec Koster entre-temps ?

Je l’ai croisé deux fois dans Bruges. Nous avons parlé de différentes choses, pas de foot.

 » Ton coach te demande quelque chose, tu le fais, même si tu n’aimes pas le faire « 

Tu me décris Daum en trois mots ?

Discipline. Motivation. Tactique.

Les théories sont beaucoup plus longues qu’avec Koster ?

Son approche est assez différente. On aborde beaucoup plus l’aspect tactique.

Les joueurs se retrouvent dans son foot hyper organisé et très peu offensif ?

Au début, il y en a qui trouvaient ça étrange et avaient du mal à s’adapter. Mais nous avons assez vite compris où il voulait en venir. Assimilé une réalité importante, aussi : le plus important, c’est de gagner.

Mais vous êtes conscients que pour les spectateurs, les matches de Bruges sont ennuyeux !

Il faut obéir aux règles.

Tu ne réponds pas à ma question…

Ton coach te demande quelque chose, tu le fais. Même si tu n’aimes pas le faire. Mais est-ce qu’on a le droit de dire qu’on n’aime pas ou qu’on n’est pas heureux à partir du moment où on gagne ?

Le bonheur d’un pro, c’est la victoire et la prime qui va avec, plutôt que le plaisir dans le jeu ?

On ne peut pas non plus être extrême dans l’analyse du nouveau Bruges. Je vois que nous évoluons bien. Dans le premier match avec Daum, contre le Cercle, ce n’était pas terrible. Huit jours plus tard, au Lierse, c’était déjà différent. Et à chaque sortie, nous avons montré des progrès par rapport au match précédent. La possession de balle est meilleure, nous jouons plus en équipe, nous savons de mieux en mieux à quels moments nous devons attaquer ou calmer le jeu. Et pendant ce temps-là, les victoires suivent.

Daum vous a promis de vous faire jouer un plus beau football avant la fin de la saison ?

C’est ce qu’il veut, oui. Il exige qu’il y ait une vraie équipe sur le terrain. En possession de ballon, il veut dix attaquants. Et en perte de balle, dix défenseurs.

Nabil Dirar a dit que quand il centrait, il n’y avait qu’un coéquipier dans le rectangle. C’est un bon résumé…

(Il éclate de rire). Ne me demande pas de confirmer ça… Je ne suis pas de son avis. Oui, c’est arrivé qu’à la réception d’un centre de Dirar, il y ait un seul attaquant susceptible de reprendre. Mais on ne peut pas résumer comme ça le jeu du Club. Parfois, nous sommes assez nombreux dans le rectangle. Et Daum nous demande d’y être. Il voit clair : il y a plein de talent en pointe et sur les ailes, hein !

No sweat, no glory

No sweat, no glory : c’est une devise du Club. Avec Daum, on transpire plus qu’avant et il y aura la gloire au bout du chemin ?

(Il rigole). C’est clair que depuis qu’il est là, on travaille beaucoup, ça sue énormément pendant toute la semaine. Et la gloire pourrait suivre, oui.

Tu es le professionnel idéal : tu es heureux si tu joues mais tu ne râles pas si on te met sur le banc. Tu étais réserviste contre Saint-Trond et on t’a vu aussi joyeux que les titulaires quand le Club a marqué.

Le foot, c’est un sport collectif, non ? Je veux jouer mais je ne suis pas le seul. Je trouve normal d’encourager mes coéquipiers quand je suis sur le banc. Et je trouverais logique que ceux qui ne jouent pas soient derrière moi si je suis aligné !

Quand Ivan Perisic et Dorege Kouemaha sont partis pendant l’été, tu n’as pas pensé que ton heure était venue, que tu allais enfin devenir un titulaire indéracinable ? En plus, il n’y a que deux attaquants expérimentés dans le noyau : Björn Vleminckx et toi. Les trois autres sont des gamins. Bref, c’est surprenant que tu ne joues en moyenne qu’une bonne demi-heure par match en championnat !

Mon heure, pas mon heure… Je n’ai jamais raisonné comme ça, je ne me casse pas la tête. Je bosse en me disant que je finirai bien par entrer dans l’équipe.

Tu pourrais jouer avec Vleminckx ?

Why not ? Nous savons jouer ensemble à l’entraînement… Pourquoi ça ne marcherait pas en match ?

Quel est le meilleur duo que tu as formé depuis que tu es en Belgique ?

J’en vois deux. Avec Cyril Théréau à Charleroi. J’avais fini meilleur buteur. Et ici avec Wesley Sonck, lors de ma première saison. J’avais marqué 15 buts en championnat. Théréau et Sonck ont des profils fort différents, ça montre que je n’ai pas d’exigence.

Vleminckx souffre alors qu’il marquait comme il respirait aux Pays-Bas et n’est pas le premier à connaître ce problème. Un attaquant rêve de jouer quelques saisons dans ce championnat ouvert pour faire le plein de buts et s’amuser ?

C’est vrai que quand je vois des matches hollandais, je suis interpellé. C’est très offensif. Alors qu’en Belgique, on étudie tout, on s’organise à fond, on veut d’abord bloquer l’adversaire.

 » J’ai peur de faire partie d’une génération perdue « 

Ton contrat se termine en 2013 mais il est question de le prolonger bientôt, non ?

C’est ce que le Club dit… Moi, j’aimerais rester. Je suis heureux à Bruges, le Club est ma maison.

Pendant l’été, on t’avait fortement suggéré de partir, on t’avait dit que tu aurais très peu de temps de jeu !

C’est vrai. Mais je regarde devant, pas derrière.

Tu n’as plus été appelé en équipe nationale depuis très longtemps !

On m’a convoqué pendant l’été 2010 pour un match contre la Corée du Sud. Pas de bol, je me suis blessé avec le Club juste à ce moment-là. Entre-temps, il y a eu beaucoup de remue-ménage à la Fédération nigériane. Deux coaches ont été virés. Maintenant, c’est Stephen Keshi qui a le job : j’espère qu’il va s’intéresser à moi.

Le Nigeria ne va pas à la CAN, c’est étonnant pour un pays avec une tradition pareille.

C’est difficile de construire quelque chose quand il y a autant de changements. Mais c’est vrai que c’est une honte de ne pas participer à la CAN. Il y a tellement de talent. Le Nigeria en Afrique, c’est un peu comme la Belgique en Europe… Il y a un décalage entre les qualités individuelles et les résultats.

Tu n’as pas peur de devoir te dire plus tard que tu auras fait partie d’une génération perdue ?

Tout à fait. J’y ai déjà pensé.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

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