JEU, SET ET MATCH : FRANCKY DURY

Un des deux hommes devait quitter Zulte Waregem tôt ou tard : Patrick Decuyper ou Francky Dury. Le CEO a jeté l’éponge. Regard dans le rétroviseur et dans l’avenir.

Francky Dury a rarement été aussi disert qu’il y a dix jours, un vendredi. Sept heures plus tard, on comprenait pourquoi : Zulte Waregem annonçait la démission de son administrateur délégué, Patrick Decuyper. Était-ce là la raison de la bonne humeur de l’entraîneur ? Pas à ce moment-là, selon un insider.

À midi, Dury a eu un entretien avec son CEO, la première conversation sérieuse depuis le match contre Courtrai et le conseil d’administration durant lequel Decuyper avait accusé son entraîneur de faute professionnelle, suite à de prétendues fuites dans la presse. Bien que l’entretien se soit déroulé dans une ambiance constructive, Dury, qui procédait à l’évaluation du noyau, comme prévu, a remis les points sur les  » i « . Désormais, c’est lui qui allait décider des transferts, de concert avec la cellule scouting et le CEO. Les personnes extérieures n’auraient plus rien à dire. Entendez par là les managers, Mogi Bayat et John Bico, dont l’influence était devenue trop importante, comme Sport/Foot Magazine l’avait expliqué. Même l’administrateur délégué commençait à réaliser à quel point cette situation était malsaine. Il avait déjà annoncé, en interne, vouloir remettre les pendules à l’heure, de quoi ravir l’entraîneur, pour une fois.

L’Entraîneur de l’Année était-il déjà au courant de la démission incessante de son CEO ? Le président Willy Naessens et lui-même sont les seuls à le savoir. En tout cas, l’accusation faite par Decuyper d’avoir éventé l’affaire du brassard dans la presse, tout cela a rongé Dury. Il n’est pas illogique qu’il ait envisagé de démissionner sans s’exécuter. Il ne pouvait le faire après avoir perdu un paquet d’euros à Gand, pensant à tort être embauché par le Club Bruges, et avoir vu Michel Louwagie se réjouir en public de ne devoir verser aucune indemnité de limogeage. Il ne voulait pas faire ce plaisir à Decuyper, à moins de trouver une alternative équivalente en Belgique ou à l’étranger. Officiellement, il n’a pas de manager mais cela ne veut pas dire qu’il ne s’est pas intéressé aux postes éventuellement vacants. De ce point de vue, l’intérêt de Lille, en juin, est venu à point. Le club français a finalement préféré René Girard mais le commentaire de Dury était éloquent :  » C’est une bonne chose qu’on ait cité mon nom en France. J’ai pu me vendre un peu.  »

D’autre part, fin tacticien, l’entraîneur a également anticipé un départ possible de Decuyper, en communiquant à  » quelqu’un proche du club  » les noms de chefs d’entreprise appréciant le club, afin de faciliter le rachat des parts du CEO, le cas échéant. Car Dury et les employés du club le savaient : tant va la cruche à l’eau…

Une relation difficile

Pendant 18 mois, depuis son retour à Zulte, fin décembre 2011, Francky Dury n’a cessé d’entrer en conflit avec Patrick Decuyper. Ce dernier n’a pas apprécié que Dury requière subitement un salaire identique à celui qu’il avait demandé à Gand, contrairement à ce qui avait été convenu, et l’entraîneur s’est senti trahi quand le CEO a décidé de ne pas attendre l’issue de ses entretiens avec le Club Bruges et a engagé Darije Kalezic. Sept mois plus tard, quand Decuyper a renvoyé le Néerlandais d’origine bosniaque, Willy Naessens a dû se faire très insistant pour convaincre Dury de revenir. Quant au CEO, il aurait préféré travailler avec l’adjoint, David Gevaert.

Dury a rapidement extirpé Zulte Waregem de la zone rouge mais il n’empêche : humainement et professionnellement, Decuyper et Dury vont aussi bien ensemble qu’un couvercle carré sur un pot rond. Alors que durant sa première période à Waregem, l’entraîneur avait les rênes en mains, Naessens se contentant de rectifier le tir de temps en temps, cette fois il s’est constamment heurté à un nouveau patron qui entendait être le jockey et déterminer la gestion sportive comme la générale. Dury a requis plus de droits, considérant Decuyper comme un commerçant fantaisiste qui n’y connaissait rien au football. Les deux hommes sont tombés d’accord sur la nouvelle identité à conférer au club, en mettant l’accent sur les jeunes, mais jamais sur la manière de l’obtenir. Dury jugeait les résultats importants alors que Decuyper songeait avant tout au rendement financier généré par la vente des jeunes talents, comme on l’a d’ailleurs remarqué lors des péripéties du transfert de Junior Malanda.

Leur opposition a atteint son point culminant l’hiver dernier, durant les interminables négociations pour la prolongation du contrat de Dury, et plus encore trois semaines après l’accord, quand Decuyper a évoqué l’embauche d’un directeur technique dans les colonnes du journal Het Laatste Nieuws, affirmant même avoir déjà une liste. Dury, piqué au vif, a répondu qu’il était le responsable de la formation des jeunes, du scouting, du staff médical et des transferts et qu’il avait, lui, compte tenu des bons résultats, le temps de s’occuper en sus des joueurs et des matches à venir.

Cette divergence d’opinion a ressurgi en juin quand Decuyper a bombardé son protégé, David Gevaert, entraîneur adjoint, au poste de manager sportif, en attendant un éventuel départ de Dury. Celui-ci s’est dressé sur ses ergots et le jour même, le CEO revoyait la fonction de Gevaert, le ravalant au rang de conseiller sportif. Depuis, l’entraîneur n’a plus adressé la parole à Gevaert, avec lequel il était fréquemment entré en conflit dans le passé.

Ces derniers mois, donc, Dury s’est souvent senti visé. Un autre exemple : en février, il a appris, en présence d’autres employés du club, que Decuyper allait lancer un projet parallèle pour les jeunes, avec Thomas Caers. Ou encore celui-ci : une fois ses projets de déménagement au Kiel éventés, le CEO a déclaré que Dury  » l’avait mal compris  » alors qu’il lui avait annoncé la nouvelle trois jours plus tôt. Les semaines suivantes, l’entraîneur a ouvertement reproché à Decuyper son manque d’amour pour son club et les lacunes de sa communication, tout en doutant qu’il en ait tiré les leçons :  » Il a déjà raté tellement de virages…  »

Facture impayée

Le 25 juillet, Dury, furieux et paniqué, a constaté, une heure avant de rentrer la liste des joueurs qualifiés pour l’Europe, qu’Anderlecht n’avait pas encore libéré ses anciens légionnaires, Bryan Verboom et Bruno Godeau. Motif : le montant total des transferts, 300.000 euros, n’avait pas encore été versé. En toute hâte, Decuyper a téléphoné à Herman Van Holsbeeck, qui a accordé son fiat avec l’approbation de Roger Vanden Stock, bien que le CEO de Waregem ne puisse verser que 150.000 euros, la seconde tranche devant suivre plus tard. Dury a poussé un soupir de soulagement, soupir qui s’est éteint quand il a constaté que les tenues des joueurs n’avaient pas encore été livrées, à trois jours du premier match de championnat…

En interne, Dury se demandait aussi si son patron nourrissait vraiment de bonnes intentions à l’égard du club, surtout en voyant l’influence de John Bico et de Mogi Bayat croître et des joueurs inconnus faisant partie de leur portefeuille débarquer, sans même avoir été visionnés.

Dury irritait évidemment Decuyper par ses nombreux commentaires à la presse et sa façon de se profiler comme un  » nouveau moi, plus doux, plus humain  » alors que le CEO jugeait qu’il était resté le même agent de police sévère et égocentrique. Decuyper a également très mal vécu le feuilleton du brassard et le fait de devenir le bouc émissaire alors que Dury était largement épargné par la critique, même s’il n’était pas complètement blanc dans l’affaire.

Decuyper a perdu tout crédit auprès des supporters après l’épisode des matricules alors que l’entraîneur gagnait encore en popularité grâce à sa deuxième place. Car à Waregem comme partout ailleurs, on a attribué le mérite de ce succès à Dury et non au CEO du club. Cette différence a été manifeste au terme du match contre Courtrai : l’entraîneur a été acclamé, Decuyper insulté et hué. Même des joueurs comme Mbaye Leye, Davy De fauw et Olafur Skulason, qui appréciaient l’administrateur délégué, n’ont pu le protéger.

Sur la paille ?

L’affaire du brassard l’a fait comprendre : à court terme, un des deux hommes devait partir. Ce fut Decuyper, plus tôt que prévu. On ignore pour l’instant dans quelle mesure la situation financière personnelle du fondateur d’Enfinity a joué un rôle dans son départ. De l’avis général, Willy Naessens et les autres dirigeants ne sont entrés en action que quand ils ont perdu tout espoir de monnayer leurs parts, sur lesquelles Decuyper avait une option. Suite à la vente pour un euro symbolique de sa société de panneaux solaires, l’ancien CEO de l’Essevee serait sur la paille. Selon d’autres sources, Decuyper conserverait un capital considérable, malgré la débâcle d’Enfinity.

Quoi qu’il en soit, il a disparu de la scène waregemoise et la voix de Dury va s’affirmer au cours des mois et des années à venir, que ce soit dans la peau d’un manager à l’anglaise ou en collaboration avec un nouveau directeur général, à la Vincent Mannaert, à condition que Dury lui permette de travailler comme il le veut.

Reste à connaître la future composition de ce conseil. Des voix plaident pour son élargissement. Actuellement, il ne compte que quatre membres. Le bourgmestre Kurt Vanryckeghem joue les entremetteurs et aurait déjà convaincu des entrepreneurs de la région de s’associer au club. La fédération des supporters souhaite également être représentée au conseil. Cependant, nombreux sont ceux qui craignent de découvrir beaucoup de cadavres dans les placards, compte tenu du caractère dépensier de Decuyper, et très peu de personnes sont actuellement en mesure de procéder à une évaluation exacte. Donc, malgré le départ du CEO, l’incertitude plane toujours. Il faudra encore du temps au Gaverbeek pour retrouver sa sérénité d’antan.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Dury fut largement épargné par la critique, même s’il n’était pas blanc dans l’affaire du brassard.

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