Je vous salue Marie

Submergée par le désarroi après la disparition de l’être aimé, Raphaële Billetdoux cède la place à son double pour renouer, brillamment, avec le désir d’écriture

Sur la couverture de ce roman signé Marie Billetdoux, un visage apparaît, dont les traits flous s’évanouissent en appelant le souvenir d’un autre nom. Raphaële… Raphaële Billetdoux a laissé place à Marie, ce prénom choisi à sa naissance par son père, François, tandis que sa mère avait voulu l’autre,  » si masculin « , dit-elle.  » C’est Marie qui a écrit le livre, mais un jour elle ira chercher Raphaële, qui n’a pas été si mauvaise.  »

Un peu de désir sinon je meurs est donc un livre d’adieu à Raphaële. A ce qu’elle fut sans le vouloir ou le voulant, à ce qu’elle fut pour les autres, pâte malléable à merci, objet d’amour ou de ressentiment, Joconde bâillonnée par son sourire même et qui trouve, la nuit, dans le secret de l’écriture, la force de dire ce qui est et qui fait mal aussi, parfois. Près de quatre ans après la mort de Paul Guilbert, qui fut l’amour de sa vie et le père de son enfant, la nouvelle Marie ne veut plus être  » celle à côté de qui l’on voit toujours le fantôme de Paul « . Dans l’impossibilité d’écrire après la disparition de l’être aimé, elle a espéré que le désir d’autrui – son éditeur par exemple – ranimerait son propre désir. Finalement, et plus encore  » heureusement « , c’est l’injonction de son fils, Augustin, qui lui fit reprendre le collier à travers une longue et fière adresse à son éditeur mutique, où les confidences et les aveux se mêlent aux protestations, aux cris, à la joie perdue mais donnée et reçue, à l’attestation d’une vie si retranchée qu’elle finit par être oubliée du milieu parisien qui la fêta si longtemps.

Car Raphaële fut l’enfant chérie de la jeune littérature, enfant silencieuse et cachée, mais si belle. A 20 ans, en 1971, elle publie Jeune Fille en silence, dont le titre valait autoportrait et dont le contenu fut salué par André Fraigneau et François-Régis Bastide, qui se dirent qu’après le père, dramaturge et romancier, il allait falloir compter avec la fille, avec son style à la fois classique et libre comme le blé en herbe. Alors il y eut Paul. Elle avait 20 ans, lui 38, grand journaliste attirant tous les c£urs après soi.  » Je lui ai répondu que j’étais écrivain, puisque je l’étais « , se souvient sans forfanterie la dame brune et pâle, qui note :  » Personne ne m’a jamais, comme Paul, donné ce sentiment d’être aux aguets de mon devenir, en attente de ce que je contenais, qui allait jaillir, non pas vers lui comme l’espère l’amoureux, mais vers le monde.  » Ce qui jaillit, c’est une £uvre. Onze livres comme autant de traits d’union entre le dehors et le dedans auquel renonce rarement cette femme littéralement  » séparée « . Très vite, Raphaële se demande si c’est l’écriture qui l’empêche de rejoindre les autres ou si, au contraire, sa crainte du monde ne l’oblige pas à s’enfermer et à écrire. Qui sait ? Elle ne sait pas. Vraiment.

Les éléments de réponse se trouvent dans Chère Madame ma fille cadette (1997), chant pour un père mort, dans lequel elle décrit son enfance et divulgue quelques secrets de famille.  » Au fond, quand je parle, je ne suis pas aimable. Ce que je suis est moins intéressant que ce que je fais. Enfants, ma s£ur et moi nous devions être « intéressantes ». C’était l’éducation de ma mère, sévère et présente, tandis que mon père, absent, était doux et consolant.  » De fait, dans la maison du XIVe arrondissement, où François Billetdoux s’enfonce dans le silence pour y chercher sa vie et son £uvre, nulle voix ne doit se faire entendre. On communique par messages, que la cadette collectionne comme les cailloux blancs laissés dans la nuit paternelle. Seul le recueillement est de mise.

La vie, la  » vraie vie  » des filles sera pour plus tard. Formée aux choses graves, tôt avertie de la douleur des choses, Raphaële entre en littérature sans l’avoir cherché. A 25 ans, elle reçoit le prix Interallié pour Prends garde à la douceur des choses. A 34, elle obtient le Renaudot pour Mes nuits sont plus belles que vos jours. La même année, 1985, elle met au monde son enfant, Augustin le bien-aimé.

Aujourd’hui, Raphaële a expérimenté, plaisir et douleur mêlés, ces mots qu’elle écrivait à son père, l’année de ses 11 ans :  » Faut-il que je me lève la nuit pour faire de bonnes choses ?  » Marie n’a pas fini de se lever et de se relever. Elle qui a vécu la  » petite mort  » en un coma de neuf heures dont elle dit que son cher Paul est venu la tirer, s’effraie, lui disparu, de ne plus entendre le bruit du monde. Un peu de désir la ferait revivre. l

Un peu de désir sinon je meurs, par Marie Billetdoux. Albin Michel, 270 p.

Laurence Liban

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