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 » Je voulais écrire ma propre histoire « 

Philippe Clement est sorti de l’ombre et devient entraîneur principal de Waasland-Beveren. Mais quelle est sa vision du football ?.

A vrai dire, ce n’est pas la toute première fois que Philippe Clement (43) est entraîneur principal puisque, avant d’intégrer le noyau A du Club Bruges, il avait entraîné sa catégorie espoirs, à qui il avait dû transmettre sa vision des choses. Mais ça restait un travail de l’ombre, dans un cadre de formation.

Il y a un peu plus de deux ans, il avait estimé le temps venu de coucher sa philosophie sur papier.  » Un coach doit commencer par construire un cadre, établir des règles. Il doit ensuite faire en sorte que tout le monde les applique. Ensemble, pas chacun de son côté. J’ai connu des coaches qui individualisaient tout. Celui qui joue à cette place doit faire cela. Je vois cela plus globalement, j’estime qu’il est très important que le bloc reste soudé, en toutes circonstances. Lorsqu’on attaque, les défenseurs ne doivent pas être spectateurs. Ils ont un rôle. C’est une de mes règles.  »

Aujourd’hui, il pense qu’il est temps de voler de ses propres ailes.  » Ces dernières années, j’ai ressenti de plus en plus l’envie de déployer mes ailes. Je n’aurais pas pu entamer un nouveau chapitre où j’en aurais été réduit à prêcher la parole de quelqu’un d’autre. Je ne regrette pas de l’avoir fait mais je voulais écrire ma propre histoire. C’est ce qui explique mon choix.  »

Pouvez-vous énoncer d’autres principes ?

Philippe Clement : Je préfère ne pas trop en dire car tout le monde lit et je n’ai pas envie de dévoiler mes cartes. Ce que je peux dire, c’est que je veux qu’on récupère le ballon très vite. Pour cela, il faut toujours avoir beaucoup de monde autour du ballon et près des joueurs offensifs adverses, afin d’éviter les contres. Il ne faut pas laisser de liberté à l’adversaire, sans quoi on recule trop. Je veux que nous soyons compacts, tant sur la longueur que sur la largeur. Et à l’inverse, en possession de balle, je veux de l’espace. C’est le plus difficile car la façon de le créer doit changer chaque semaine, notamment en fonction de l’adversaire. Et puis, maintenant, tout le monde fait des analyses vidéo. Il faut donc pouvoir varier et reconnaître différentes situations de jeu afin d’avoir des points de repères.

 » Mes modèles ? Anthuenis, Sollied, Preud’homme et Emilio Ferrera  »

Quels coaches vous ont influencé ?

Clement : Il y en a trois. D’abord AiméAnthuenis. Pas tellement pour ses exercices mais pour son coaching. Il était très fort en management des ressources humaines. Il tirait le meilleur de chacun en le mettant en confiance mais si vous le trahissiez, il vous écartait. Pour lui, tout le monde comptait, les titulaires indiscutables comme ceux qui jouaient trois fois par an. Je sais que c’était une autre époque mais après le match, toute l’équipe sortait ensemble. Et les coaches nous accompagnaient. Personne n’aurait pu dire qui avait joué ou pas. Le deuxième, c’est Trond Sollied. Pour ses lignes de course, son jeu offensif et son audace.

Mais n’était-il pas trop prévisible ?

Clement : Oui, mais seulement après un certain temps. Les automatismes étaient tels que nous ne devions pas nous parler, un regard suffisait. Parce que nous avions déjà vécu beaucoup de choses ensemble, y compris des déceptions dont nous avions tiré les leçons avec l’aide du coach. Nous jouions très offensivement, il y avait beaucoup d’appels pour créer de l’espace au milieu. Je sais que ce serait sans doute plus difficile aujourd’hui car on analyse davantage. Le troisième coach, c’est MichelPreud’homme, avec EmilioFerrera. Pour un coach, il est important d’évoluer et d’analyser les nouveautés. Pendant quatre ans, Michel et moi avons beaucoup parlé, même si cela ne signifie pas que je vais travailler comme lui. J’ai aussi mes idées. On en a souvent discuté ensemble (il rit).

Vous partez d’un système fixe ou vous pensez que votre équipe doit pouvoir passer de l’un à l’autre en fonction de l’évolution du match ?

Clement : Il faut commencer par un système dans lequel les joueurs se sentent bien.

Si on tente de leur apprendre plusieurs systèmes d’un coup, ils finissent par courir comme des poulets sans tête. Je commence en 4-3-3 car c’est le système le plus facile à appliquer et il permet de jouer en triangle et de créer des espaces. Quand ils l’auront assimilé, je passerai au 3-4-2-1. De manière à ce que les joueurs maîtrisent deux systèmes. Je veux miser sur nos propres forces, même si je sais que ce sera plus difficile qu’à Bruges. Je devrai faire plus de concessions.

Vous avez longtemps travaillé dans un club qui dominait. Il va falloir vous adapter.

Clement : C’est plus facile de jouer en reconversion mais je veux quand même que nous puissions repartir de l’arrière. C’est pourquoi je cherche un gardien capable de jouer au pied. En Belgique, on a trop souvent tendance à jouer long. Je veux essayer autrement. On verra si les joueurs en sont tous capables et si les résultats suivent. Dans un grand club, on peut rester fidèle à sa philosophie plus longtemps. Ici, on aura moins le droit à l’erreur.

 » J’ai aimé l’Allemagne à la Coupe des Confédérations  »

Vous pourrez trouver des automatismes offensifs ?

Clement : Oui, j’en suis convaincu. Je viens d’une famille de basketteurs, un sport dans lequel il faut marquer très souvent. Evidemment, il y a plus de joueurs au foot et le terrain est plus grand, ce qui augmente le risque d’erreurs. C’est pourquoi j’insiste sur la précision lors des exercices, dès l’échauffement. Je crois très fort dans la répétition. Personne n’a réussi dix jongles du premier coup, même pas Messiou Ronaldo. C’est pourquoi il faut refaire les choses 100.000 fois à l’entraînement. Avec du coaching et de la concentration dès l’échauffement. Si on perd 20 minutes par jour, ça fait des heures sur une année. Le problème, c’est qu’on finit par se lasser des répétitions. C’est pourquoi il faut varier. Moi, je n’ai pas eu de problème de ce côté car j’avais une tâche et je m’y tenais mais les joueurs qui jouent à l’instinct éprouvent plus de difficultés. Ils se sentent enfermés. Il faut trouver l’équilibre, leur laisser de la liberté dans certaines zones. A condition qu’ils aillent vers le but. J’ai horreur qu’on joue en retrait quand on est libre.

Hormis le basket, d’autres sports vous inspirent-ils ?

Clement : Je trouve le handball très intéressant pour son aspect défensif. Et puis, il y a le foot international. Je m’intéresse beaucoup au 3-4-2-1. J’ai bien aimé la façon de jouer de l’Allemagne en Coupe des Confédérations, avec une jeune équipe déjà très solide. Elle avait des joueurs qui partaient constamment en profondeur et d’autres qui redescendaient sur toute la largeur du terrain. Le défenseur devait choisir d’accompagner celui qui partait ou de rester avec celui qui redescendait. S’il ne choisissait pas, il était pris entre les deux. C’est à cela que nous devons tendre : sans cesse faire des choix.

Doit-on abandonner l’idée d’un rôle fixe pour les médians.

Clement : Oui. Tant dans l’entrejeu que sur les flancs, il faut des joueurs capables d’attaquer et de défendre. La polyvalence va prendre de plus en plus d’importance.

Même en 6 ?

Clement : Oui. (il hésite). Je pense qu’il est quand même important que le 6 et les deux défenseurs centraux gardent le contrôle mais dans une très bonne équipe, si le 6, le 8 et le 10 peuvent alterner en permanence et que les deux hommes sur le flanc en font autant, on est plus fort. Ce système est actuellement encore un peu ambitieux pour ce club. Je préfère aussi avoir des joueurs qui peuvent donner un ballon des deux pieds plutôt que des gars qui doivent toujours se remettre sur leur bon pied. Cela fait longtemps que j’oblige tout le monde à travailler son moins bon pied. Au début, c’était catastrophique, même au Club, mais une fois la crainte vaincue, ils évoluent. C’est plus facile d’imposer cela quand on est entraîneur principal que quand on est adjoint. Maintenant, ils savent qu’ils doivent adhérer, sous peine de ne pas jouer.

 » J’ai toujours voulu montrer que ma vision était la bonne  »

Etes-vous un coach actif ? Interrompez-vous souvent le jeu à l’entraînement ?

Clement : Cela dépend de l’exercice et de son objectif. Si l’accent est mis sur la tactique, je risque d’intervenir souvent. Je veux que mes joueurs soient conscients que quelque chose ne va pas, qu’ils comprennent pourquoi et qu’ils sachent ce qu’ils doivent faire pour que ça marche. Je veux aussi qu’ils réfléchissent. Même pendant les analyses vidéo, je les implique. Je ne leur demande pas d’expliquer tout eux-mêmes mais je leur pose des questions afin que tout le monde soit concerné. Je n’aime pas les théories où tous les joueurs sont assis comme s’ils étaient en train de regarder un film au Kinepolis. Parce que si, après cinq minutes, le film ne les intéresse pas, leurs pensées divaguent.

Philippe Clement entraîneur sera-t-il proche de Philippe Clement joueur ?

Clement : Non. Bien sûr, je vais utiliser des choses qui m’ont été utiles : le placement, l’engagement, l’esprit de groupe, l’altruisme. Mais malheureusement, j’étais aussi limité. Ce que peu de gens savent, c’est qu’au début de ma carrière, après le premier ou le deuxième massage, chaque kiné me demandait comment j’arrivais à faire du sport de haut niveau avec un corps pareil. Ils n’avaient jamais vu un joueur aussi raide, de la tête aux pieds : les coudes, les hanches, les genoux, les chevilles… Il y avait des mouvements que je ne pouvais pas effectuer. J’ai dû m’informer et trouver des moyens de tirer le potentiel maximal de mon corps. Pas pour devenir pro mais simplement parce que je voulais gagner. Depuis que je suis tout petit, tout tourne autour de cela. Voici peu, un ami d’enfance est venu me voir. Il m’a rappelé que quand nous étions petits, nous jouions dehors et j’avais proposé qu’on instaure un temps mort. Les autres trouvaient ça chouette, c’était l’occasion de boire mais je ne buvais jamais : j’expliquais comment nous devions attaquer pour avoir davantage d’occasions de marquer. Je voulais gagner. J’ai toujours voulu convaincre que ma vision était la bonne.

Ne dit-on pas que l’entraîneur a toujours raison ?

Clement : Et c’est vrai. Mais si je fais une erreur, je n’aurai pas de problème à l’admettre. Je pense que ce boulot me conviendra encore plus que celui d’adjoint. Je vais faire des déçus mais ça fait partie du jeu. On ne m’a pas fait de cadeaux non plus. Les joueurs doivent se motiver et chercher à progresser. Je sens qu’ils ont envie, qu’ils voient que les choses changent mais je sais aussi que c’est la période la plus facile de la saison : je n’ai pas encore dû faire de choix.

PAR PETER T’KINT – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » J’ai horreur qu’un joueur fasse une passe en retrait quand il est libre.  » Philippe Clement

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