© belgaimage - david stockman

 » Je volais même ma grand-mère « 

C’est l’histoire d’un homme de 29 ans qui met en garde contre les publicités pour les paris. Arne Nilis, fils de l’ex-attaquant anderlechtois Luc Nilis, a été un espoir du football. Il y a quatre ans, il s’est retrouvé dans une clinique de lutte contre la dépendance. Aujourd’hui, il fait le tour des écoles et des clubs.

Un jeudi après-midi d’avant confinement, 14h30. La conférence d’ Arne Nilis (29) dans une école de Sint-Denijs-Westrem vient de se terminer. Cent-cinquante élèves de cinquième et sixième années de l’institut Don Bosco l’ont écouté attentivement. Nilis va a présent s’exprimer devant 120 autres étudiants. Et le soir, il parlera encore aux parents que le sujet intéresse.

Six jours plus tard, au stade Jan Breydel, il s’adresse à 80 jeunes joueurs du CS Bruges. Avec cinq conférences en une semaine et demi, le programme du Limbourgeois est chargé. Il écrit aux écoles et aux clubs pour leur proposer une conférence. En général, ceux-ci répondent favorablement.

 » C’est chouette mais c’est aussi très dur de devoir raconter sans cesse mon histoire. J’essaye de convaincre les autres de raconter leur expérience également mais personne ne veut ou n’ose le faire.  »

Le sujet de la dépendance au jeu reste tabou et c’est bien pour cela que le travail effectué par Nilis a de la valeur. Alors que presque tous les clubs de football belges sont sponsorisés par des sociétés de paris, Nilis contre-attaque en racontant aux jeunes un chapitre pas très glorieux de sa vie. Il leur transmet un message souvent caché et pourtant crucial : parier, ça peut mal se terminer.

 » J’ai été séduit par l’argent facile  »

 » J’ai grandi au sein d’une famille chaleureuse « , dit Nilis en début de conférence.  » Ma mère était femme au foyer et mon père était joueur professionnel. Il a joué à Anderlecht, au PSV Eindhoven et à Aston Villa. A la maison, on parlait beaucoup de football et on a vite compris que j’avais du talent.

A l’heure d’entrer en secondaires, j’ai eu l’occasion d’aller au RC Genk et d’entrer à l’école de sport de haut niveau à Genk. Chaque matin, un minibus du club venait me chercher devant la librairie. Parmi nous, il y avait des jeunes de 17 et 18 ans. Parfois, ils pariaient. Comme, à la maison, on parlait beaucoup de football, je pensais que je m’y connaissais.

A l’âge de 13 ans, j’ai demandé pour la première fois à un copain plus âgé de miser pour moi. Je lui ai donné les deux euros que ma mère m’avait donné pour acheter un sandwich et j’ai gagné 20 euros.

Au début, je pariais peu, pas plus d’une fois par semaine, et toujours en passant par l’intermédiaire des plus âgés car en Belgique, on ne peut parier soi-même qu’à partir de 18 ans. En vieillissant, j’ai voulu supprimer les intermédiaires. A 15 ans, j’ai essayé de parier moi-même. Le patron de la librairie m’a laissé faire.

A la fin de ma cinquième secondaire, j’ai eu l’occasion de rejoindre le PSV et j’ai habité seul dans un appartement. Je n’étais au club que de huit heures du matin à quatorze heures. Par la suite, j’étais seul chez moi. Tous mes amis étaient en Belgique. Les seules personnes avec qui j’étais en contact, c’étaient les autres joueurs de mon équipe. Ils parlaient de casino. Je voulais y aller. Quand j’y suis arrivé pour la première fois, j’ai été séduit par toutes ces lumières flashantes et par l’argent facile. »

 » Tout mon fric y passait  »

 » La plupart du temps, nous rentrions vers 23 heures car le lendemain, il y avait entraînement. Mais, un soir, à peine rentré, j’ai voulu y retourner : j’avais perdu 50 euros et je voulais me refaire. J’y suis retourné sans rien dire aux autres et j’ai encore perdu davantage.

Au foot, ça n’allait plus. Comme mon père avait joué au PSV, on attendait beaucoup de moi et je ne suivais pas. Je me suis blessé et j’ai été encore plus malheureux. Alors, j’allais plus souvent au casino. Jusque trois ou quatre heures du matin. Sur le terrain, je ne faisais plus rien de bon.

A l’âge de 21 ans, le PSV a mis fin à mon contrat. Je suis resté en Belgique mais mes parents étaient en pleine séparation et ça ne se passait pas bien. J’ai pris un appartement et je me suis isolé. Si on m’invitait à aller au cinéma, je répondais que j’étais trop occupé. En fait, je jouais au poker sur mon pc.

Petit à petit, j’ai dépensé tout mon argent. Ma mère m’en donnait pour manger ou pour prendre de l’essence mais je le jouais. Elle a compris car elle avait accès à mes comptes et voyait où mon argent partait.

Au début, je refusais d’admettre que j’avais un problème. Puis je me suis mis à chercher de l’aide. J’ai demandé au médecin de me donner un cachet mais ça n’existait pas. J’ai vu un psychologue mais je n’ai pas arrêté de jouer. J’ai perdu ma copine, je n’avais plus de boulot et je ne jouais plus bien au football. Je mentais, je manipulais et je me suis même mis à voler ma grand-mère. Parier, c’était fuir ma misère mais à un certain moment, j’ai pris conscience de ma situation. J’étais désespéré, j’avais touché le fond. Je voulais mourir. »

 » J’ai eu envie de partager mon expérience  »

 » Ma mère m’a aidé. On m’a parlé d’une clinique en Afrique du Sud et j’ai voulu y aller car je savais que, si je ne faisais rien, on allait me retrouver en prison ou mort.

Je suis parti le 7 février et ça a changé ma vie. J’étais entouré d’alcooliques et de drogués. Je me demandais ce que je faisais là mais leur histoire ressemblait à la mienne. J’ai raconté ma vie, on m’a compris, on m’a accepté sans approuver ce que j’avais fait. Pour la première fois, je ne me suis pas senti jugé.

On se levait à huit heures. Ça m’a permis de restructurer ma vie, de comprendre mon comportement, de voir que je pouvais rester quatre semaines sans parier. J’ai repris confiance et j’ai décidé de rester encore un peu.

Après un mois, on m’a laissé sortir avec 20 euros en poche. Avant, j’aurais parié. Cette fois, j’ai pris un café. Je suis resté trois mois en Afrique du Sud. Au cours du dernier mois, j’ai fait du volontariat en allant jouer avec des enfants amputés. J’ai réappris à aimer les choses simples.

De retour en Belgique, je suis retourné chez ma mère, pour me protéger. J’avais deux genres d’amis. Ceux qui me demandaient sur quel match parier et ceux qui me demandaient comment j’allais. Aux premiers, j’ai dit que je ne les fréquenterais plus. Etonnamment, ils ont compris.

Au fil du temps, j’ai eu envie de partager mon expérience. Je suis retourné à l’école et j’ai cherché du boulot. J’ai fait la vaisselle dans un restaurant. Si quelqu’un m’avait dit ça six ans plus tôt, je l’aurais traité de fou. J’étais trop fort pour cela. Mais ce restaurant m’a apporté beaucoup de satisfactions. »

 » J’ai fait des cauchemars  »

 » Il y a quatre ans que je ne parie plus et je suis toujours très fier de le dire. Chaque matin, je me lève en me disant que je vais tenir bon.

J’aimerais conclure par cette phrase : Once you need less, you will have more. Enfant, je n’ai jamais manqué de rien. Par la suite, j’ai gagné beaucoup d’argent, j’ai eu une belle voiture et une jolie copine. Mais je n’étais pas heureux. Aujourd’hui, j’ai beaucoup moins mais je me sens plus riche. »

Les élèves applaudissent. Nilis lance le débat. Un prof de maths raconte son histoire. Les élèves posent des questions.

Avez-vous parfois envie de parier ?

Arne Nilis : Au cours des six premiers mois, oui. Mais de moins en moins. Parfois, je me dis que je parierais bien mais j’abandonne vite l’idée.

Quand on s’arrête, fait-on des crises de manque ?

Nilis : J’ai été dépressif, j’ai eu des douleurs à l’estomac qu’aucun examen n’a pu expliquer. Et j’ai fait des cauchemars.

Accusiez-vous les autres de votre dépendance ?

Nilis : Au début, c’était la faute de tout le monde, sauf la mienne. J’en voulais aux sociétés de paris de m’avoir incité à parier et de ne pas m’avoir prévenu que je dérapais. Aujourd’hui, je jette un oeil critique sur leurs activités mais la responsabilité est partagée. La colère ne sert à rien. Je suis plus responsable. C’est toujours très difficile pour moi de parler de cette histoire de vol mais ça m’aide. Il faut partager ses émotions, surtout quand on se sent mal.

Vous vous en voulez ?

Nilis : Oui mais c’est comme pour la colère : ça ne sert à rien. J’ai perdu beaucoup d’argent, je ne le retrouverai jamais, je dois l’accepter. Le fait d’en parler publiquement m’aide à me sentir moins coupable.

Les sociétés de paris sponsorisent de nombreux événements sportifs. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Nilis : Ça me tracasse. Je pense qu’on file un mauvais coton, qu’on incite les gens à parier. Il faut des règles plus strictes pour empêcher la dépendance.

Quand avez-vous senti que vous n’étiez plus dépendant ?

Nilis : Jamais. Ça me poursuivra toute ma vie. Si je parie une fois, ça risque de mal se terminer. Ce n’est pas fini pour moi. Je reste fragile mais un être humain, c’est bien plus que ses faiblesses.

 » Il faut sensibiliser  »

Pour conclure, Nilis projette quelques slides avec des affirmations. Ceux qui sont d’accord doivent se lever. Parier, est une occupation amusante, dit-il. La moitié de la classe se lève.  » Le mot crucial, c’est est « , dit Nilis.  » Je dirais plutôt que parier peut être une occupation amusante.  »

Le slide suivant dit : La publicité pour les jeux de hasard devrait être interdite. Seuls 10 % des élèves se lèvent.  » Parier peut être un passe-temps « , dit un jeune.  » Ce n’est pas parce que tout le monde ne sait pas gérer qu’il faut interdire.  » Nilis lui donne raison. Un autre élève enchaîne :  » La publicité doit aussi parler des aspects négatifs du jeu. Même les publicités pour la Loterie Nationale ne montrent que les bons côtés.  » Nilis est d’accord :  » La publicité ne peut pas être trompeuse. Qui sait combien on a de chances de gagner au Lotto ?  »  » Un pour cent « , dit un élève. Le prof de math intervient :  » Une chance sur huit millions.  »

Arne Nilis à propos de sa dépendance au jeu :
Arne Nilis à propos de sa dépendance au jeu :  » Les gens sont fragiles mais une personne est bien plus que sa faiblesse. « © belgaimage – david stockman

A Bruges, la question de l’interdiction de la publicité pour les paris est intéressante car le sponsor-maillots du Cercle est une société de paris. Neuf jeunes seulement sont favorables à une interdiction.  » Si on interdit cela, on n’aura plus d’argent « , dit un adulte.  » Et alors, il faut interdire d’autres choses qui peuvent mener à la dépendance. Ce qui compte, c’est la façon dont on gère cela.  » Un entraîneur de jeunes réplique :  » Avant, on disait que la F1 ne pouvait pas faire sans l’argent des cigarettiers. Pourtant, les budgets n’ont pas diminué.  » Un autre collaborateur intervient :  » Mais fume-t-on moins pour la cause ?  » Arne Nilis :  » Pour moi, il faut surtout sensibiliser. C’est pourquoi je suis heureux d’être ici bien que le Cercle soit sponsorisé par une firme de paris.  »

Pour conclure, Nilis donne un bon conseil :  » Parier doit rester un amusement. Déterminez un montant et tenez vous à cela. Parier n’est pas un moyen de s’enrichir très vite. Ne vous concentrez pas sur les gains et n’essayez pas de vous refaire. Tout est dans cette phrase : When the fun stops : STOP ! « 

La dernière question est posée par un jeune du Cercle. Elle a trait au père d’Arne. Aux journalistes, celui-ci refuse de parler du rôle joué par son père dans son histoire mais il ne veut pas décevoir un gamin de douze ans qui le regarde avec de grands yeux.  » Quand j’étais jeune, j’ai souvent parié avec mon père. C’est pourquoi aujourd’hui, je ne le fréquente plus trop. J’ai des accords très clairs avec lui. Si nous sommes ensemble, on peut parler de tout : de football, d’émotions, de la famille… Mais pas de paris.  »

© belgaimage – david stockman

Besoin d’aide ?

Vous avez des questions sur la dépendance au jeu ou vous cherchez de l’aide ? Vous pouvez vous adresser à votre médecin traitant ou vous rendre sur le site http://www.aide-aux-joueurs.be/jeux-de-hasard-aide, une initiative de l’ASBL Le Pélican, du CAD Limburg et de la Commission des Jeux de Hasard.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire