« Je vivais dans ma bulle et elle a éclaté »

L’année 2013 aura été celle des revers mais également de nouvelles perspectives pour notre tenniswoman n°1. Avant la nouvelle saison, celle-ci revient sur les 15 années qu’elle a déjà passées à manier une raquette. La femme qui se cache derrière la machine se livre. A fond.

« Ce fut une période terrible car je hais perdre. Je déteste encore plus m’incliner au premier tour, surtout si les chiffres sont lourds. Je n’ai pas dû prendre des antidépresseurs mais la période d’avril à septembre a sans doute été la plus pénible de ma carrière. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai perdu des matches que j’aurais dû gagner. En revanche, ce que je sais, c’est que j’ai tiré beaucoup de leçons de cette période. Je porte un regard différent sur les choses. Cette mauvaise passe m’a aidée à prendre conscience d’aspects qui vont me permettre de progresser, sportivement et humainement.

Je me suis battue contre moi-même, durement. Ce qui arrive ? Je m’entête. Je veux m’entraîner alors que l’entraîneur estime qu’il serait préférable de me reposer. Je vais courir une heure de plus et le lendemain, je suis vannée à l’entraînement. Or, travailler plus dur n’était pas la solution. Il vaut mieux remiser sa raquette une semaine, comme après l’US Open. Je me suis adonnée au squash et au spinning. Ensuite, quand j’ai repris ma raquette, tout a coulé de source. J’ai retrouvé ma simplicité, ma spontanéité pour faire ce qui constitue ma principale activité depuis quinze ans : taper sur une balle.

Le mois dernier, je me suis repassé le film de ma saison puis j’ai pris du recul. Je me suis détendue, j’ai retrouvé ma famille, mes amis, je suis redevenue un peu plus femme avant de préparer la saison car c’est la seule période qui nous permet de travailler notre condition, notre tennis. Je viens d’avoir 24 ans et je peux encore évoluer, progresser. Je peux être plus vive, plus rapide, je peux monter davantage au filet et exercer plus de pression. Je dois mieux planifier mon année, en insérant de temps à autre une plus longue plage d’entraînement avant les tournois. Le coach Stefan Wauters et le préparateur physique Nick Audooren ont rejoint mon staff.

En novembre, je me suis entraînée d’arrache-pied à Monaco, avec Nick, sans souffrir du dos. C’est de bon augure. Fin 2011, une triple hernie m’a mise sur la touche très longtemps. Les médecins n’étaient pas sûrs que je puisse rejouer au plus haut niveau. J’ai dû adapter mon service pour ménager mon dos et chercher les exercices qui me permettraient de maîtriser ce nouveau service. Ce fut une période d’incertitudes.

 » J’ai voulu fuir tout ce qui me rappelait ma mère pour pouvoir tourner la page  »

J’étais très renfermée, je n’affichais aucune émotion. C’était ma première blessure grave et j’ai réalisé que le sport de haut niveau ne coulait pas de source. J’ai foncé, année après année. A 18 ans, j’étais dans le top 100, à vingt ans, j’intégrais le top 20 et quand on est 12e, le top 10 semble très proche. Puis d’un coup, ces problèmes de dos m’ont affecté. Je vivais dans une bulle et elle a éclaté. Jusqu’à cette blessure, je m’étais toujours entraînée comme une folle, du matin au soir. Quand j’avais travaillé sept heures, j’avais l’impression de n’en avoir pas encore fait assez. Mon dos m’a fait comprendre que l’entraînement intense doit être structuré et qu’il ne doit pas nuire à la santé. J’ai mûri.

J’ai réalisé que je m’étais mise au tennis sur le tard. En plus, pour une raison pour le moins bizarre. Ma mère souffrait d’un cancer du col de l’utérus. Elle a reçu des soins à domicile durant les trois dernières années de sa vie. Je ne quittais pas son chevet. Quand elle avait faim, je lui épluchais des pommes. Je faisais mes devoirs près de son lit. Mon père m’a rappelé que le soir, il devait m’extirper du lit pour pouvoir s’y allonger. Pour me distraire, il m’a envoyée une semaine en stage de tennis. C’est comme ça que tout a commencé. Le tennis m’a permis de me changer les idées pendant cette période si pénible.

Six mois plus tard, ma mère est décédée et je n’ai plus trouvé le sommeil. J’avais des cauchemars. J’étais trop petite pour appréhender ce qui s’était passé, même si je le savais. J’avais toujours accompagné ma mère chez les médecins, j’avais tout entendu. Mes parents voulaient me préparer à l’inévitable, je crois. Mais à neuf ans, on ne comprend quand même pas pourquoi sa maman est partie pour toujours. Ce n’est qu’à un âge plus avancé que j’ai mesuré à quel point elle me manquait, dans ma vie et dans ma carrière.

Après son décès, j’ai voulu quitter la maison de ma mère, cette maison où les gens parlaient toujours d’elle. Je voulais fuir tout ce qui me la rappelait car je ne parvenais pas à tourner la page. Je me sentais mal dans ma peau, j’étais malheureuse, incapable d’aller de l’avant. J’étais au fond du trou. C’était comme si mon père et moi ne trouvions plus notre voie. Nous vivions ensemble, en essayant de faire comme si tout allait bien.

Je tentais d’être forte pour lui et il faisait la même chose pour moi mais nous n’étions pas capables de nous en sortir, dans notre environnement. Jour après jour, je voyais des amis et des membres de ma famille qui avaient toujours leur mère et qui passaient de bons moments avec elle. Cela me faisait mal. Nous avons décidé de déménager en Amérique. J’y ai grandi dans un environnement stable et apaisant. J’ai joué au tennis dans une académie, j’ai fréquenté l’école, appris l’anglais. J’ai enfin digéré le décès de ma maman et j’ai pu relever d’autres défis.

 » Ma persévérance, je la dois à ma mère qui a lutté contre la maladie jusqu’au bout  »

J’ai compris que ce processus s’étendait sur toute une vie. Il m’arrive encore de traverser des moments pénibles. Notre déménagement en Amérique m’a aidée à retrouver le bonheur et à penser à l’avenir. Au bout de deux ans et demi, nous sommes revenus car la Fédération de tennis m’avait demandé de m’entraîner à la VTV. Puis, après deux ans, elle m’a mise dehors : je n’étais apparemment plus assez bonne. A quatorze ans, pareille nouvelle fait mal. Quand la majeure partie des gens ne croit plus en vous, il devient difficile de conserver votre assurance.

Heureusement, mon père savait ce dont j’étais capable, grâce à mon caractère et à mon acharnement. Après un entretien sérieux sur ce que je comptais faire de ma vie, nous avons décidé que je n’irais plus à l’école et que nous ferions le point deux ans plus tard. En quittant le giron de la Fédération, il n’était plus possible de combiner sport et études mais j’allais continuer à me battre pour atteindre mon objectif.

Quand on veut réussir, on doit s’attendre à trouver des obstacles sur sa route. On traverse des moments qu’on aurait préféré éviter mais les surmonter rend plus fort. Ce sont ces expériences qui forgent votre personnalité. J’ai dû m’en convaincre pour trouver la force d’affronter certains moments. C’est la seule façon de les gérer et de rester forte. Tôt ou tard, chacun accomplit un pas en arrière mais on est fort si on parvient ensuite à en effectuer deux en avant. Certains jours, j’enrage d’avoir perdu un match ou commis une erreur mais au fond, je fais ce que j’aime et je suis heureuse, notamment grâce à ceux qui m’entourent.

J’ai dû apprendre à vivre avec la perte de ma maman. Cela m’a donné la force d’affronter la vie avec un esprit positif, tête haute. Je suis certaine qu’elle l’aurait voulu. Elle-même a mené un combat terrible contre la maladie. Elle a lutté jusqu’au bout. Je tiens ce trait d’elle. Je veux qu’elle soit fière de la personne que je suis devenue. Cette pensée m’anime chaque matin quand je me lève. C’est l’objectif que je veux atteindre avant le soir. Elle était toujours ouverte aux autres, prête à les aider. J’essaie de l’être pour mes proches. Cela aussi, c’est une force qu’elle m’a transmise.

J’ai grandi seule avec mon papa, qui m’a beaucoup aidée. Il s’est vraiment bien occupé de moi mais évidemment, il est un homme. Je veux dire : la première fois que vous avez vos règles, vous ne demandez pas à votre père ce qu’il faut faire. Vous vous adressez à votre mère. De même, si je me dispute avec mon ami, je ne vais pas aborder le sujet avec mon père. Dans certains cas, il dirait : – Yanina, enfin, arrête de scier ! Ce n’est pas important. Mais une femme ressent les choses différemment. Mes copines m’aident souvent.

 » Je porterai l’alliance de mon papa toute ma vie  »

Ma féminité s’est éveillée sur le tard. Le processus n’est déjà pas simple pour une fille qui grandit sans sa mère et qui, en plus, est sportive de haut niveau. D’un autre côté, cela m’a permis d’expérimenter moi-même beaucoup de choses, sans qu’on m’en ait parlé ni qu’on m’ait appris quoi que ce soit. Ces problèmes, ces épreuves m’ont aidée à comprendre ce que je voulais ou pas, quelles personnes m’étaient bénéfiques ou pas. Je suis parvenue à construire une relation précieuse qui dure depuis deux ans et demi déjà.

Mon père est moins présent maintenant. Au début de ma relation, cela n’a pas été facile. C’est logique. Nous vivions ensemble 24 heures sur 24, sept jours sur sept et nous avions affronté ensemble tant de difficultés… La vie de joueuse de tennis n’est pas facile, vous savez. Ce milieu est tout sauf évident. Souvent, les parents restent très proches de leur enfant pour le protéger, surtout si c’est une fille. C’est ce que mon père a fait, de tout son coeur.

Alors, bien sûr, quand il a vu débarquer un petit ami, il a voulu savoir qui c’était, ce que sa fille faisait, si elle se couchait à l’heure afin de ne pas être fatiguée pour l’entraînement du lendemain. Maintenant, il sait qu’il m’a suffisamment bien élevée pour que je reste disciplinée. Il a compris que je ne fais pas de faux-pas, que je rentre à l’heure, que je ne guindaille pas et que je ne bois jamais d’alcool. Mais il avait besoin d’en avoir la confirmation. Il a dû s’habituer à cette nouvelle situation et cela a pris du temps.

Je pense que maintenant, nous avons noué des rapports très chouettes. Il reste très impliqué, enthousiaste et fier de moi mais il me laisse opérer mes choix et il me fait confiance. Pour moi, il est le meilleur papa du monde. Nous avons traversé tant d’épreuves…. Quand je me les remémore, je peux dire que nous pouvons tous deux être heureux de ce que nous avons fait. D’ailleurs, je porte toujours l’alliance de papa. Je la porterai toute ma vie.

Mon dos a été au centre de mes préoccupations ces deux dernières années. Mon service a toujours été mon principal atout. D’un coup, j’ai dû en changer. Après plus de dix ans, cela requiert une fameuse adaptation. Pourtant, ce qui m’a été le plus difficile est d’accepter mentalement qu’il y avait un problème et que je devais changer de service. Il a également fallu trouver un équilibre et une structure d’entraînement et de jeu.

Parfois, je souffrais du dos pendant les tournois ou j’étais raide parce que je ne faisais pas mes exercices. Maintenant, je peux dire que j’ai trouvé le bon équilibre. Mon service ne sera évidemment plus jamais le même, il ne sera plus jamais aussi puissant mais je l’ai accepté. Je pense que je dispose encore d’une marge de progression et je veux retirer le maximum de mon nouveau mouvement.

Pour la première fois en quatre ans et demi, j’ai quitté le top 30. Je suis numéro 51 mais c’était nécessaire pour devenir plus forte et retrouver mon niveau. C’est en tout cas comme ça que j’appréhende cette période maintenant. Cette année-ci n’a pas été ma meilleure sur le plan des résultats mais elle a m’a énormément appris. Cela peut paraître bizarre après une saison durant laquelle j’ai plus souvent perdu que gagné mais j’ai le sentiment d’avoir avancé dans la bonne direction et je puise énormément d’assurance dans cette impression.

Après le premier tour de l’US Open, j’ai pris une semaine de repos, j’ai aménagé quelques semaines d’entraînement amusantes et j’ai disputé quelques bons matches, histoire de bien achever l’année. Je m’entraîne plus intelligemment, plus efficacement. J’ai trouvé une bonne routine avec mes entraîneurs et depuis quelques mois, sur le conseil du kinésithérapeute Lieven Maesschalck, Jef Brouwers a rejoint mon équipe.

Il m’aide à accepter les choses de la vie avec sérénité, il tente de m’insuffler une mentalité positive et empreinte d’assurance. Je n’ai absolument pas l’impression de consulter un psychologue. C’est plutôt comme si je parlais à un ami.

Un faisceau de facteurs m’insuffle confiance et motivation pour l’avenir. L’année prochaine, je veux retrouver le top 30 et peut-être même le top 20. En tout cas, je suis convaincue que le meilleur est à venir.  »

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » A 9 ans, on ne comprend pas pourquoi sa maman est partie pour toujours.  »

 » C’est avec l’âge que j’ai compris à quel point ma mère me manquait. « 

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