Je vise le podium du Pichichi

Récompensé pour le plus beau but de la saison dernière, le jeune joueur belgo-marocain est l’élément le plus hot du Standard.

Lundi, MehdiCarcela a reçu le prix du plus beau but de la saison 2009-2010 : sa reprise de volée, contre Malines, a été plébiscitée.  » J’ai intercepté le ballon et j’ai tenté ma chance en un temps « , se souvient-il.  » C’est vrai que ce but-là était beau. J’aurais pu en réussir un tout aussi beau, en Coupe d’Europe, contre l’Olympiacos ou le Panathinaikos, mais mon envoi a chaque fois été repoussé par la barre.  »

Carcela a déjà inscrit de nombreux buts spectaculaires. Et il y a pris goût. Il y a dix jours, contre Lokeren, il avait transpercé les filets de BoubacarCopa à deux reprises en 56 secondes. Cela faisait suite à un autre doublé, une semaine plus tôt, au Lierse.  » Et je ne compte pas en rester là « , dit-il.  » Une vingtaine de buts au terme de la saison, cela fait partie de mes objectifs. J’ambitionne de terminer sur le podium des meilleurs buteurs du championnat. Sans oublier les assists. Dans ce domaine-là aussi, j’espère me mettre en évidence.  »

Carcela déborde d’ambition. La saison 2010-2011 a commencé sur les chapeaux de roues pour lui. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si une petite gêne au dos et à la hanche ne l’avait pas obligé à se ménager lors du match de prestige contre le Real Madrid, auquel il n’a pu participer qu’un petit quart d’heure.  » Ce n’est pas bien grave. L’adversaire était, certes, prestigieux mais ce n’était qu’un match amical. Si je réalise mon objectif, qui est de jouer un jour dans la Liga espagnole, je rencontrerai les Madrilènes en match officiel.  » C’est un supporter du FC Barcelone qui le dit…

 » Curieusement, je travaille très peu ces frappes à l’entraînement  » (Mehdi Carcela)

Depuis qu’il a signé son premier contrat pro, en janvier 2009, Mehdi a connu une progression fulgurante.  » Franchement, je ne m’attendais pas à être aussi loin après un an et demi. Aujourd’hui, je suis déjà devenu un joueur important pour l’équipe. Une équipe très jeune, ce qui me confère de grosses responsabilités. Je ne vis plus dans l’ombre des anciens. Qui dit responsabilités dit pression. Je me sens dans l’obligation de confirmer. J’en veux toujours plus. Après deux doublés consécutifs, je me mets en tête d’inscrire deux buts à chaque match. Je sais que ce ne sera pas toujours possible, mais désormais, lorsque je ne trouverai plus le chemin des filets, j’aurai l’impression d’avoir raté ma sortie. Autrefois, j’étais essentiellement considéré comme un passeur. Chez les jeunes, je marquais peu, mais c’était souvent des buts décisifs. Aujourd’hui, marquer fait partie intégrante de mon registre. Je ne me pose plus de questions, je frappe d’instinct. Car, curieusement, je travaille très peu ces frappes à l’entraînement. On travaille les phases arrêtées – coups francs et corners – mais pas l’enchaînement contrôle-frappe. Ce qui me réjouit, c’est que je joue désormais à une place que j’adore : sur le flanc droit. Différentes options s’offrent alors à moi : je peux rentrer dans le jeu et armer ma frappe du pied gauche, mais je peux aussi déborder et centrer du pied droit. C’est très intéressant. « 

Lorsqu’on lui demande ce qu’il doit encore améliorer dans son jeu, il répond :  » Encore plus de buts, plus de passes décisives, plus de beaux gestes.  » Il ne lui vient pas à l’esprit de répondre :  » Je dois améliorer ma reconversion défensive.  » Carcela est clairement un joueur naturellement orienté vers l’offensive.  » Oui, je sais que défensivement, je dois encore progresser « , re-connaît-il quand même.  » J’essaie de faire un effort, de me repositionner en cas de perte de balle mais ce n’est pas encore automatique et mon placement est encore déficient. « 

En revanche, en relevant les personnes qui ont été importantes dans son éclosion, Mehdi ne manque pas de citer le nom de LaszlöBölöni.  » Il a été très dur avec moi. Il a souvent dû me recadrer. Mais je découvre aujourd’hui que c’était pour mon bien. J’avais besoin de quelqu’un qui me tienne de près.  »

Lors du match de Ligue des Champions à Arsenal, où il avait été exclu suite à une réaction impulsive, Carcela s’était sérieusement fait remonter les bretelles.  » J’étais encore jeune. Je n’avais sans doute pas entièrement compris que le football n’était plus un jeu, mais un métier. Je pense avoir mûri. « 

 » Trop de moments d’absence « (Etienne Delangre)

EtienneDelangre, observateur régulier des prestations du Standard, reconnaît le talent de Carcela mais met aussi le doigt sur ses lacunes :  » C’est sûr que Mehdi est dans l’actualité pour l’instant « , constate-t-il.  » Quatre buts en deux matches, dont deux d’affilée en 56 secondes, cela frappe les imaginations et cela enflamme le public. Mais j’aimerais le voir plus constant. Il joue encore trop par à coups à mon goût. Même dans ces matches où il a enflammé le public, il a encore eu trop de moments d’absence. En première mi-temps, face à Lokeren, on ne l’avait pas vu. Mehdi pourrait encore devenir plus important pour l’équipe en étant moins décisif, s’il restait au même niveau pendant 90 minutes, s’il avait davantage le réflexe de se repositionner en perte de balle. Il doit aussi encore gagner en puissance dans les duels. Son jeu de tête, également, laisse encore à désirer. C’est sûr qu’il est virevoltant, qu’il est très fort en un-contre-un et qu’il donne le tournis à son adversaire direct, mais il y a d’autres aspects de son jeu qu’il doit améliorer. Sa marge de progression est encore très importante. Certes, il vient à peine d’avoir 21 ans, mais je connais des jeunes joueurs de son âge qui sont déjà plus réguliers que lui.  »

A-t-il appris à se maîtriser, lors de provocations ? Evitera-t-il d’encore tomber dans le piège, comme lors de son exclusion à Arsenal la saison dernière ?  » Garder le contrôle de ses nerfs, cela fait aussi partie du bagage que doit avoir un footballeur professionnel « , poursuit Delangre.  » C’est, notamment, dans ce domaine que l’on peut constater la différence entre l’éducation footballistique telle qu’elle est prodiguée en Belgique et ce qui se fait dans les grands pays étrangers, où les formateurs sont généralement d’anciens professionnels accomplis. Le talent est une chose, le mental en est une autre. Outre le contrôle de ses nerfs, Mehdi doit encore apprendre à se remettre en question. A ne plus planer après un bon match, à ne pas disparaître après un beau but. Sa chance, cette saison, est qu’à part peut-être TomDeMul lorsqu’il sera entièrement rétabli, il n’a plus vraiment de concurrent sur les flancs. WilfriedDalmat est parti, Milan Jovanovic également. Jouir d’une certaine continuité dans l’équipe peut sans doute contribuer à le mettre définitivement en confiance.  »

 » C’est sûr, il m’a parfois soûlé  » (José Jeunechamp)

JoséJeunechamp, entraîneur des Espoirs au Standard, a suivi de près la progression de Carcela. Lorsque Mehdi a signé son premier contrat pro, il nous l’avait décrit comme un grand talent mais qui avait parfois tendance à tomber dans la facilité.  » Je ne suis pas surpris par son évolution « , affirme-t-il.  » Le staff de l’équipe Première l’a bien pris en charge. On veille à ce qu’il ne tombe plus dans la facilité, même si ce défaut n’a pas encore totalement disparu chez lui. Mehdi est encore très perfectible. Il doit soigner son repli défensif, éviter de planer, devenir plus constant. Il doit constituer un danger permanent pour l’adversaire et ne pas se contenter de réaliser quelques éclairs épisodiques. Je sais qu’au Standard, tout le monde est derrière lui et s’efforce de lui inculquer les vertus du travail. Mehdi est l’un des plus grands talents qu’il m’ait été donné de diriger à l’Académie. Ce talent lui permettra, à coup sûr, de faire carrière en D1 belge, mais s’il veut viser plus haut, il doit améliorer certains aspects de son jeu. Il en est conscient.

J’ai gardé de bons contacts avec lui, on se téléphone encore régulièrement et je lui rappelle fréquemment qu’il devrait plus souvent se remettre en question. Le message semble passer. Récemment, alors que je me trouvais sur le parking, son papa est venu me remercier pour tout ce que j’avais fait pour lui. Ces remerciements me sont allés droit au c£ur, même si je n’ai pas agi différemment avec lui qu’avec les autres joueurs. J’avoue même qu’au départ, le profil de Mehdi n’était pas celui que je préfère. J’ai un faible pour des joueurs au caractère plus trempé : des battants, comme EliaquimMangala ou ArnorAngeli. Mais j’ai rapidement découvert que Mehdi, malgré ses défauts, était un garçon attachant. Ce que j’apprécie chez lui, c’est son honnêteté. Si vous lui donnez quelque chose, il vous le rend au quintuple. Il a un grand c£ur, c’est quelqu’un de sain. C’est sûr, il m’a parfois soûlé. J’ai parfois dû lui botter le cul. Sa jeunesse n’a pas été facile. S’il n’a manqué de rien, il n’a quand même pas grandi dans le luxe. Il a sans doute galéré, mais il a été bien éduqué, on lui a inculqué des valeurs.  »

 » Je n’aurais jamais pensé qu’il arriverait aussi loin  » (Alex Czerniatynski)

AlexCzerniatynski est un autre entraîneur qui a enseigné le football à Carcela, à un stade plus précoce.  » Je constate que Mehdi n’a pas beaucoup grandi depuis lors « , rigole l’actuel entraîneur de l’Olympic.

 » Blague à part, il a pris 25 centimètres, mais ce n’est pas l’essentiel : il y a beaucoup de petits gabarits qui réussissent actuellement dans le football moderne. Cela me fait plaisir qu’il pense encore à moi, de temps en temps, et je voudrais le féliciter pour son éclosion. Honnêtement, je n’aurais jamais pensé qu’il arriverait aussi loin. C’était, certes, un joueur pétri de talent, mais pas le type sérieux et appliqué dont on pouvait deviner qu’il mettrait tout en £uvre pour réussir. Il était plutôt du genre jouette. Ce n’était toutefois pas un gamin difficile à entraîner, mais ma modeste réputation m’a sans doute aidé à le rendre docile. Je ne me prends pas pour le père Noël, mais tous ces gosses ouvraient de grands yeux lorsqu’ils voyaient un ancien joueur de D1 devant eux, car c’est rare en Belgique. Mes entraînements étaient aussi de ceux auxquels ils adhèrent sans froncer les sourcils. Avec moi, il y avait très peu de physique et de tactique. Je les laissais dribbler, surtout à leur âge, car j’estime qu’il y a trop peu de dribbleurs en Belgique. Il y avait beaucoup de petits jeux, et aussi des frappes. Surtout avec Mehdi. J’ai effectué beaucoup d’exercices individuels avec lui, des enchaînements contrôle-frappe notamment. Je ne dirai pas qu’il a retenu la leçon, mais je constate avec plaisir que c’est devenu l’un de ses points forts. Peut-on se permettre d’avoir un joueur qui se concentre exclusivement sur sa tâche offensive, en dédaignant sa mission défensive ? Certains joueurs de grand talent, y compris dans de grands clubs, jouissent parfois d’une liberté d’action. Je crois toutefois qu’avec sa mentalité, Mehdi se rendra rapidement compte par lui-même des aspects de son jeu qu’il lui faudra perfectionner.  »

 » Il a tout pour jouer à droite  » (Philippe Saint-Jean)

Depuis quelques matches, le gaucher Carcela a été positionné sur le flanc droit. Et il s’y sent plutôt à l’aise. C’est un phénomène qui tend à se généraliser.

 » Historiquement, c’est TomislavIvic qui avait fait office de pionnier en la matière « , se souvient PhilippeSaintJean.  » A Anderlecht, dans son 4-3-3, il avait positionné KennethBrylle en tête et faisait permuter ses deux ailiers. C’était révolutionnaire, tout le monde l’avait pris pour un fou. Mais cela a donné de bons résultats. Il faut évidemment veiller à ce que le gaucher ait un minimum d’adresse avec son pied droit. Si celui-ci lui sert uniquement à monter dans le bus, son repositionnement sur le flanc droit lui procurera plus de désagréments que d’avantages. Son défenseur comprendra rapidement qu’il cherchera exclusivement à rentrer dans le jeu et aura vite fait de le contrer. En revanche, si le gaucher est au minimum capable de déborder et de centrer avec son pied droit, il causera bien des soucis à son défenseur. D’abord, celui-ci se trouvera toujours sur son mauvais pied au moment de tackler. Il ne saura pas très bien, non plus, quel côté il devra préserver en priorité. Si le gaucher rentre dans le jeu et arme son tir, c’est mortel pour la défense adverse. Carcela a toutes les qualités pour évoluer sur le flanc droit : il est virevoltant, a un bon dribble, une bonne frappe. C’est le type de joueur qui demande le ballon dans les pieds et aime combiner. Cette utilisation, de plus en plus fréquente, de petits formats qui combinent dans les pieds, est une mode qui est probablement née avec les succès de Barcelone et de l’Espagne. Il fut un temps où la mode était aux grands gabarits de 1m90, à la norvégienne. Aujourd’hui, les petits formats parviennent à contrer ce genre de tours.  »

En tant qu’arrière gauche, SébastienPocognoli a déjà été confronté à ce genre de situation.  » C’est vrai qu’au départ, c’est perturbant pour un défenseur lorsqu’il se retrouve sur son mauvais pied pour tackler « , confirme-t-il.  » Après, c’est au défenseur à faire appel à son intelligence pour adapter son placement.  »

 » Le départ des stars l’a libéré  » (son père)

FranciscoCarcela, le père de Mehdi -qui est d’origine andalouse- se réjouit du repositionnement de son fils.  » Il joue enfin à sa meilleure place ! En équipes d’âge, il a occupé à peu près toutes les positions : ailier gauche, ailier droit, demi offensif… Si cette polyvalence lui a sans doute été utile pour développer plusieurs facettes de son jeu, il n’en a pas moins toujours préféré le flanc droit. C’est là qu’il s’exprime le mieux et il est en train de le démontrer. Je pense aussi que le départ des stars, comme Jovanovic, IgordeCamargo et DieumerciMbokani, l’a libéré. Précédemment, il était à leur service, il devait leur obéir au doigt et à l’£il. Aujourd’hui, il peut lui-même prendre des initiatives et donner libre cours à son inspiration.  »

Francisco se réjouit de l’éclosion de Mehdi.  » Techniquement, il a toujours été très fort. Cette technique, il l’a développée en jouant dans la rue, à Droixhe. Egalement dans le couloir de la maison, lorsqu’il avait trois ou quatre ans. Le football l’a toujours intéressé. Dès son plus jeune âge, il n’y avait qu’une chose qui le passionnait : avoir un ballon dans les pieds. Mehdi a aussi appris le football avec son grand-père et son oncle, qui ont aussi été footballeurs, alors que moi je n’ai jamais eu un ballon dans les pieds. Plus tard, certains entraîneurs lui ont également enseigné à maîtriser un ballon, comme SimonTahamata et Alex Czerniatynski. Durant sa formation, Mehdi a eu de bons et de mauvais entraîneurs. Je ne citerai pas les noms de ces derniers, mais il y en avait parmi eux qui n’étaient pas du tout psychologues. J’ai dû me retenir pour ne pas leur dire leurs quatre vérités, sinon Mehdi aurait risqué de se faire virer. Dans sa jeunesse, il a parfois été turbulent, il lui est arrivé de faire le mur. Il n’a jamais beaucoup aimé l’école. Un jour, un professeur a dit : – Ildoitchoisir, devenirfootballeuroumédecin ! Je crois que Mehdi a fait son choix. Aujourd’hui, il est le plus ancien footballeur du Standard, actif dans le noyau A. Il a vu arriver tout le monde : même AxelWitsel est arrivé six ans après lui ! Le chemin est encore long mais je crois que Mehdi est sur la bonne voie.  »

Ce que Mehdi tente aussi d’obtenir, c’est son permis de conduire.  » Il avait échoué lors de ses tentatives précédentes « , révèle son père.  » Lorsqu’il a signé son premier contrat pro, il a reçu une Mercedes Classe A. Et, jusqu’à présent, c’est toujours moi qui ai dû la conduire. « 

Mehdi a mûri, son père en témoigne :  » Il est en train de devenir un homme. A 21 ans, qu’il vient tout juste de fêter, c’est logique. Je l’ai toujours laissé libre de ses choix. En ce compris pour la religion. Moi, je suis catholique. Je ne lui ai rien imposé, je lui ai dit de laisser parler son c£ur. Il a opté pour la religion musulmane, celle de sa mère. C’est son droit. Cela ne nous empêche pas de bien nous entendre. Même si pour moi, c’est parfois déboussolant, lorsque je le vois respecter certaines pratiques qui sont pas les miennes. Mais, aussi longtemps qu’il me respecte, je n’y vois pas de problème. Pour le choix de sa nationalité  » footballistique « , c’est pareil. Personnellement, j’aimerais qu’il opte pour la Belgique, mais s’il choisit le Maroc, je respecterai son choix dans ce domaine-là. Après tout : si on accepte qu’ EricGerets devienne le sélectionneur du Maroc alors qu’il n’a jamais été celui des Diables Rouges, pourquoi ne pourrait-on pas accepter que Mehdi devienne un Lion de l’Atlas ? Je crois qu’il a déjà discuté avec Gerets, mais je ne sais pas s’il a déjà établi son choix définitif. C’est un dilemme. J’aimerais que tout cela soit derrière, qu’il ait enfin joué un match officiel, pour l’une ou l’autre des sélections. Ainsi, on serait enfin fixé.  »

par daniel devos – photos: reporters

« Lorsque je ne trouverai plus le chemin des filets, j’aurai l’impression d’avoir raté ma sortie. »

« C’était, certes, un joueur pétri de talent, mais pas le type qui mettrait tout en £uvre pour réussir. (Czerniatynski) »

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