» JE VIS TOUT À DEUX À L’HEURE « 

Il fêtera ses 21 ans en plein EURO, mais ferait déjà presque figure de taulier chez les Diables, du haut de ses 5 sélections. Un statut acquis de haute lutte grâce à des performances soignées aussi bien en club qu’en sélection. Rencontre avec le nouveau Mr. Propre du foot belge.

Ils sont quatre, puis finalement six. Eux, ce sont les amis de Jason Denayer. Sa bande rencontrée dans le quartier où il a grandi de ses 13 à 17 ans, près de la place Anneessens, à Bruxelles. Bien avant le piétonnier, juste après avoir troqué la coupe de cheveux de Ronaldo époque Coupe du monde 2002 pour les dreadlocks. C’est simple, ses amis, Jason les côtoie depuis suffisamment longtemps pour connaître leur importance dans son développement capillaire, mais aussi personnel.

Si c’est avec eux qu’il part en vacances à Marbella ou Dubaï, c’est aussi en leur compagnie qu’il réalise cette interview dans l’hôtel Sheraton d’Istanbul. Parce que le défenseur prêté par Manchester City à Galatasaray est avant tout un homme de bande. De ceux qui, au lendemain d’un match au sommet contre le Fenerbahçe de Robin Van Persie et Nani se décontractent autour d’une partie d’air soft.

Avec ses potes, évidemment, mais surtout dans une ambiance décontractée qui ferait presque oublier que dans moins d’un mois, Jason Denayer embarquera pour l’EURO. Sans stress, mais avec déjà pas mal de certitudes.

Jason, on est moins de 24 heures après ton premier derby d’Istanbul, sans doute le match avec le plus de tension depuis le début de carrière. Une rencontre que tu as quittée blessé et pourtant tu sembles complètement détendu… C’est quoi le secret ?

JASON DENAYER : D’abord, une chose : l’ambiance, c’était un truc de fou. Vraiment, et il n’y a rien à faire, même si tu te dis que ça reste un match comme les autres, tu prends plus de plaisir dans ce genre de rencontre. On m’avait prévenu que ce n’était pas un match comme les autres et qu’il allait y avoir des coups, des tacles, et que l’arbitre ne sifflerait pas toujours. Dans un match comme ça, tu peux faire 5 à 6 fautes sans prendre de cartons. Parce que leur derby, c’est comme ça. C’est plus qu’un match, et ce n’est pas que dans l’ambiance autour du stade. Entre les joueurs, c’est très chaud aussi. D’un côté, en tant que défenseur, mettre quelques coups sans avoir de cartons, c’est sympa aussi de temps en temps. J’avais connu l’Écosse et le derby du Celtic contre les Rangers en Coupe, mais ça n’a rien à voir avec la Turquie.

JASON DENAYER ? NON, JASON DU PARC !

Tu parles de plaisir, mais ce serait légitime qu’il y ait aussi une part de stress avant d’aborder des matchs comme ceux-là ?

DENAYER : Depuis que je suis petit, je suis quelqu’un qui vit tout à deux à l’heure. Ça peut être un handicap pour certaines choses, mais pour le foot, c’est pas mal (rire). Avant de monter sur le terrain contre Fenerbahçe, j’étais dans le vestiaire avec mes écouteurs en train d’envoyer des messages. J’entends qu’on me tape sur la tête et là je vois Muslera (le gardien de Galatasaray, ndlr), mais surtout tout le vestiaire qui me regarde :  » Jason, tu te rends compte que dans 2 minutes on va monter sur le terrain pour jouer le derby ? Peut-être un des plus grands au monde ?  » Des trucs comme ça, ça m’arrive tout le temps. En fait, j’ai bien une montée d’adrénaline, mais c’est dans le couloir que ça se passe. Là, j’ai mon coeur qui se serre un peu, mais ça ne dure que quelques secondes. Par contre, je me souviens qu’en montant sur la pelouse du Stade de France (pour sa première titularisation avec les Diables, ndlr), ça a été un peu plus long. Là, je me suis vite rendu compte que ce match, il risquait d’être important pour moi, qu’il valait mieux que j’assure. Mais dès que l’arbitre a sifflé, c’est redevenu un jeu. Après, c’est sûr que je dois faire ce qu’on me demande, mais jusqu’ici, ça ne m’a jamais empêché de m’amuser.

Le foot est peut-être un jeu, mais la vie de footballeur, c’est surtout une vie de solitude. Comment ça se passe pour toi à Istanbul ?

DENAYER : Déjà, je suis limite carnivore donc ça ne me dérange pas de manger de la viande tous les jours. Donc la kefta, les pidés, ce n’est pas un problème.Mais surtout, tu sens le poids du passé dans une ville comme Istanbul. Tout est précieux ici. Tu peux aller manger dans des anciens palais de Sultan et réellement ressentir le poids de l’histoire. Mais bon, je reste un footballeur qui passe beaucoup de temps à jouer à la PlayStation, hein (rires). De toute façon, c’est horrible de sortir ici. Quand tu prends la voiture, tu sais déjà que tu vas te retrouver dans les embouteillages. Tu dois t’y préparer mentalement. C’est pire que pour un match. Tu te demandes combien de temps tu vas pouvoir rouler sans t’arrêter. Des fois, c’est trop, alors je prends un chauffeur pour que je puisse m’allonger à l’arrière. Autant à Bruxelles, j’aime bien rouler, autant ici, je n’en peux plus.

Glasgow, Manchester et Istanbul, le Celtic, City et le Gala. Comment on fait pour rester un mec simple quand on a joué dans trois de ces clubs mythiques à seulement 20 ans ?

DENAYER : Il suffit de te brancher sur Facetime pour constater que les gens que tu appelles restent égaux à eux-mêmes et continuent de te raconter les mêmes conneries. Si eux ne changent pas de comportement, tu n’as pas de raison de devenir quelqu’un de différent. Il y a pas mal de personnes que ce soit dans ma famille éloignée ou dans le milieu du foot qui ont essayé de faire en sorte que je change, qui voulaient que je me comporte comme une star, etc. Mais je suis comme je suis et quand je vais à Bruxelles, je vais là où j’ai grandi, à Anneessens. On va manger nos crêpes, on est en training, on est nous-mêmes. C’est eux (il montre ses potes, ndlr) et ma famille proche qui quand d’autres commençaient à m’appeler Jason Denayer de Manchester City ont continué de me considérer comme le Jason du Parc.

DANS L’ÉQUIPE DE LA SEMAINE EN LIGUE DES CHAMPIONS

Le fait que vous soyez septième en championnat et que ce soit une des pires saisons de l’histoire du club, cela ne te fait pas dire que c’était une erreur d’opter pour Galatasaray cet été ?

DENAYER : Avant de signer, j’ai discuté avec Marc Wilmots. Prioritairement, il voulait que je me trouve un club où je serais titulaire. Il n’était pas tout à fait d’accord avec moi au sujet de Galatasaray, il aurait préféré que je signe à Bordeaux qui était aussi intéressé. Mais j’ai été séduit par le professionnalisme du club quand je me suis rendu à Istanbul et je reste persuadé que c’était un bon choix.

Tu savais qu’en venant ici, tu allais te retrouver à devoir dépanner au poste d’arrière droit ?

DENAYER : Non. En fait, ça a commencé avec le match contre l’Atlético Madrid en Ligue des Champions (son tout premier avec Galatasaray, le 15 septembre dernier, ndlr). La veille, on fait une opposition entre les 11 censés débuter le lendemain et les remplaçants. Je me suis retrouvé dans la 2e équipe. Je n’étais pas content, mais je n’ai rien dit. À la fin de la séance, le coach vient me voir et me dit :  » Je pense que tu vas jouer finalement.  » Le soir, il me rappelle et il me demande si ça me va de jouer milieu défensif et si j’ai déjà joué à cette place. Je lui explique que grâce à l’académie Jean Marc Guillou (où Jason évoluera jusque ses 17 ans, ndlr), j’y ai déjà évolué par intermittence, mais que c’était dans d’autres circonstances et à pieds nus (rire). Là, c’était mon premier match avec le club et en Champions League qui plus est. Bref, le lendemain, j’ai bien senti que les autres n’étaient pas trop rassurés de me voir commencer dans le milieu alors qu’on me considérait à juste titre comme un défenseur central. Du coup, il y a un ancien, Hakan Balta, qui a pris la parole et s’est proposé de dépanner pour que je puisse jouer à ma place de prédilection. Finalement, dix minutes après la mi-temps, le coach change son système, fait redescendre Balta en défense et moi j’ai glissé à droite où je n’avais joué qu’une fois au Celtic. Heureusement, j’ai fait un très bon match, j’ai même été dans l’équipe de la semaine en Champions League. C’est ça qui explique que je suis resté longtemps titulaire au poste d’arrière droit malgré le changement d’entraîneur (le 16 mars 2016, Jan Olde Riekerink, ex-Gand, a officiellement pris la succession de Mustafa Denizli, limogé trois semaines plus tôt, ndlr).

Concrètement, ça t’ennuie de devoir jouer à cette place ?

DENAYER : Oui parce qu’il faut beaucoup plus courir et que je n’aime pas trop ça (rire). C’est un poste complètement différent de celui de défenseur central où tu as l’habitude de jouer essentiellement sur ton placement. Mais cela peut malgré tout être une bonne chose. Il suffit de regarder le parcours d’Alderweireld et Vertonghen. Eux ils ne jouent même pas à cette place-là en club et ils y sont malgré tout très bons avec les Diables. Mais bon, c’est ça aussi qui me fait penser que je reste un arrière central dans la tête du sélectionneur. Parce qu’à l’EURO, je crois qu’il y a aura de toute façon un deuxième back droit, un vrai. Même chose à gauche, où il y a déjà Jordan.

TOUS LES MATCHES AU CÔTÉ DE NICOLAS LOMBAERTS

Avec les Diables, contre le Portugal, tu sortais d’une petite maladie, tu t’es pris un petit pont après cinq minutes de jeu de la part de Ronaldo, mais malgré tout, tu sembles un des seuls à avoir gagné des points en défense. Comment tu as vécu ton match ?

DENAYER : J’ai joué des années au parc, donc le petit pont de Ronaldo, ce n’était rien pour moi. A la limite, j’aurais bien mis la vidéo sur internet parce que je suis bon joueur. Mais si ça prend autant d’ampleur alors qu’il fait une passe derrière, c’est uniquement parce que c’est Ronaldo.

Plus globalement, on n’avait plus vu la Belgique souffrir autant depuis pas mal d’années. Cela devait être d’autant plus frustrant pour toi qui avais l’occasion de faire tes preuves ?

DENAYER : Je ne sais pas comment expliquer ce qui s’est passé, c’était dur. À la mi-temps, le coach s’est un peu énervé, mais le reste du vestiaire était relativement calme. C’était des  » allez les gars « , mais cela restait dans une ambiance sereine. En tant que capitaine, Axel (Witsel, ndlr) a pris la parole, mais ce n’est pas le genre à crier sur tout le monde.

L’air de rien et du haut de tes 5 sélections, tu commences à accumuler quelques certitudes. Ce fameux match contre Israël ou tu rentres à froid pour suppléer Kompany, c’est quelque chose sur lequel tu t’appuies dans les moments plus difficiles ?

DENAYER : Ça, c’était vraiment fou contre Israël. J’étais sur le banc, tranquille, on regardait le match, on parlait et puis d’un coup carton rouge pour Vincent et je dois rentrer. Wilmots me dit :  » Jason, cours !  » Mais, moi, en tant que remplaçant, j’étais persuadé que je n’allais jamais rentrer. Parce que, dans un match si important, on ne change jamais un défenseur, c’est impossible, ça ne se fait pas. Bref, tout ça pour dire que j’ai trop mangé avant le match parce que je ne m’attendais pas du tout à devoir jouer. Du coup, je me sentais un peu lourd. Je me suis échauffé 5 minutes, mais j’étais finalement impatient de monter. Quand je suis rentré, je n’avais pas le choix, il fallait que je sois performant de suite. À ce moment-là, tu n’as qu’une envie, c’est de bouffer du ballon. C’était ma troisième ou quatrième sélection (sa sixième en fait, ndlr), je n’attendais qu’une chose, c’était de prouver de quoi j’étais capable.

On te l’a déjà certainement fait remarquer, mais tu n’as joué qu’avec Nicolas Lombaerts à tes côtés en équipe nationale ?

DENAYER : Israël, France, Pays de Galles, Italie, Portugal. Oui, c’est vrai. Ça facilite grandement ma tâche de jouer avec quelqu’un qui a autant d’expérience et qui dirige bien sa défense. C’est plus facile que de jouer avec des défenseurs qui ne parlent pas. Je ne le connaissais pas avant, mais je ne pense pas qu’il faille nécessairement avoir une complicité en dehors du terrain pour former un bon duo. Même si dans le cas de Nico, il n’y a aucun souci, on s’entend très bien.

TROIS MOIS SANS RÉPONSE DE MANCHESTER CITY

C’est vrai que tu es presque devenu défenseur par hasard ?

DENAYER : Oui, je venais d’arriver à l’académie Jean-Marc Guillou. C’était la première semaine et, chaque jour, il y avait une sélection pour qu’à la fin de la semaine, il ne reste que les meilleurs. Le vendredi, j’étais KO et je suis parti jouer derrière pour me reposer. À la fin de la séance, Vincent Dufour (l’assistant de Guillou, ndlr) vient me voir et me demande si je veux faire une bonne carrière ou si je veux atteindre le top niveau. Je lui ai répondu que la question ne se posait pas et que dans ce cas-là, je jouerais désormais en défense. J’avais 13 ans et je m’en foutais parce que je savais que je pourrais tout de même continuer à marquer des buts. Mais donc à la base, on peut dire que je suis devenu défenseur central parce que j’avais la flemme… Comme quoi, parfois ça paye.

Tu es parti à 17 ans pour Manchester. Comment on prend la décision de tout quitter si jeune pour aller vivre en Angleterre. C’était un vrai pari, non ?

DENAYER : C’est parce que j’avais des problèmes au Lierse. À la base, je devais signer là-bas, mais ils voulaient faire les mêmes contrats pour tout le monde. Moi, sans spécialement être prétentieux, je leur ai dit que je ne voulais pas avoir le même contrat que tout le monde parce qu’honnêtement, j’estimais mériter mieux. On a discuté, mais ils n’ont pas cédé, du coup, j’ai appelé mon agent (Jesse de Preter, ndlr) et je lui ai demandé de me trouver quelque chose. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de souci, mais qu’il valait mieux que je reste encore une semaine, quitte à faire comme si de rien n’était ou à me faire porter malade. Une semaine après, je suis parti faire des tests à Liverpool, mais je suis revenu sans rien. Dans la foulée, je suis reparti à Manchester City mais entre-temps, j’avais dû officiellement quitter l’académie. À City, les tests ont duré une semaine, mais quand je suis rentré à Bruxelles, je n’avais plus rien, aucune certitude d’être rappelé. J’ai dû attendre 3 mois sans jouer avant d’avoir une réponse du club. Étonnamment, ça ne m’obsédait pas tant que ça. C’est maintenant que j’y réfléchis que je me dis que j’aurais eu des raisons d’avoir peur parce que c’est à ce moment-là que tout s’est joué.

On sait que tu n’aimes pas trop la comparaison qu’on fait souvent avec Vincent Kompany. Mais en fait, à bien y regarder, tu as une trajectoire encore plus rapide que la sienne. Tu te rends compte que pour un défenseur, ta progression et ta maturité sont anormalement précoces ?

DENAYER : Je n’aime pas trop qu’on me compare à lui, parce que je ne pense pas être le nouveau Kompany. Tout simplement parce que ma mère m’a donné un nom et que ce n’est pas Kompany. Après, j’apprécie le compliment, mais ce n’est pas parce qu’on est tous les deux Bruxellois, métis, Congolais, formés à Anderlecht, défenseurs et maintenant à City qu’on doit nous comparer… Oui, bon, c’est vrai que ça fait beaucoup. Allez, on va dire que je comprends pourquoi maintenant… (il éclate de rire).

PAR MARTIN GRIMBERGHS À ISTANBUL – PHOTOS BELGAIMAGE – FATIH ERDOGDU

 » J’avais trop mangé avant le match contre Israël parce que je ne m’attendais pas du tout à devoir jouer.  » JASON DENAYER

 » Je suis devenu défenseur central parce que j’avais la flemme.  » JASON DENAYER

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