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 » JE VIS POUR CONNAÎTRE CETTE SENSATION DE FAIRE TREMBLER LES FILETS « 

Roberto Martinez est un football addict qui ne souhaite aucun sevrage. Au contraire, l’entraîneur espagnol explique en long et en large pourquoi le foot est une passion dévorante dont il veut se servir pour amener les Diables vers les sommets.

Roberto Martinez est l’exemple même d’une intégration réussie. C’en est même presque déroutant. Jeudi dernier, nous le rencontrons au Centre National de Tubize la veille de l’annonce de sa sélection. Dès la fin de l’entretien, l’Espagnol file vers le stade Constant Vanden Stock pour assister au carton d’Anderlecht face à Mainz après un rapide crochet par chez lui, à Waterloo. Martinez l’a déjà pas mal sillonnée, notre petite Belgique. On se demande même parfois pourquoi il se rend dans autant de stades du royaume tant l’écart avec l’équipe nationale semble insurmontable pour la très grande majorité des joueurs belges de notre championnat. Et pourtant, Martinez l’aime cette Pro League. Il va d’ailleurs le marteler à plusieurs reprises. Il est également incollable quand il s’agit de retracer le parcours de  » ses Diables « . Comme quand il repère la couverture du Sport/Foot Magazine occupée par Laurent Ciman et se lance dans une fiche wikipedia quasi parfaite du défenseur carolo. Il n’oubliera pas non plus de rappeler les mérites de ce Diable à la reconnaissance tardive.  » Vous savez, le corps d’un joueur de plus de 30 ans ne ment pas. Et Laurent est particulièrement mince pour son âge. Vous pouvez voir s’il s’est comporté comme un vrai professionnel « , avant de tâtonner le ventre de notre photographe pour marquer le contraste.

Par quoi avez-vous été étonné depuis votre arrivée en Belgique ?

ROBERTO MARTINEZ : Je suis fasciné par les personnes qui composent ce pays et sa culture. Je ne parlerais pas de multiculturalité mais plutôt d’une culture faite de personnes ouvertes sur l’extérieur. Tout le monde ici en Belgique est au courant de ce qui se passe en dehors de ses frontières. C’est très différent du Royaume-Uni qui est une île et dont les habitants sont plus détachés de ce qui se passe en dehors de leur pays.

Cette richesse culturelle se répercute-t-elle dans notre football ?

MARTINEZ : Oui. J’ai eu à Everton dans le même vestiaire Marouane Fellaini, Romelu Lukaku et Kevin Mirallas. Ces trois joueurs sont tellement différents, que ce soit au niveau du caractère ou de la personnalité. Mais les trois aiment le jeu. Et les trois donneraient tout, chacun à leur manière, pour gagner un match. Ces différences chez les Diables enrichissent ce groupe.

Vous estimez que c’est une bonne chose qu’une nation soit composée de différentes cultures ?

MARTINEZ : Totalement. La diversité de cette équipe, qui est un miroir de la population belge, est une richesse énorme pour les Diables Rouges. Quand j’étais manager en Angleterre, j’ai pu me rendre compte que les Belges avaient une grande faculté d’adaptation, que ce soit au niveau du style de vie ou du type de jeu. C’est peut-être aussi dû à votre grande ouverture sur le monde. Si on vous dit : on va s’entraîner le matin, vous répondez : OK. Même chose si on vous dit qu’on va s’entraîner le soir. D’autres cultures vont être davantage choquées si on les bouscule dans leurs traditions.

Vous aviez déclaré être impressionné par la quantité de talent que l’on peut retrouver dans un si petit pays. Est-ce qu’aujourd’hui vous pouvez avancer une explication à cela ?

MARTINEZ : J’ai en effet essayé de comprendre et je pense que c’est dû au parcours des jeunes et à leur formation qui est d’un très haut niveau. Mais aussi grâce à l’opportunité donnée aux jeunes en Pro League qui est une compétition fantastique pour le développement personnel. Je pense aussi qu’il y a une vraie culture foot en Belgique qui a été influencée par le foot français d’une part et par le foot hollandais de l’autre, deux écoles très différentes mais qui se complètent très bien. Le football belge continuera à fournir de nombreux talents même si il faut reconnaître que cette génération est particulièrement talentueuse.

Vous ne pensez pas que le foot belge vit son âge d’or et que derrière ça risque d’être plus difficile ?

MARTINEZ : Si on observe le niveau individuel de ma sélection, il est particulièrement élevé et il sera compliqué de reproduire de tels joueurs. Mais je reste persuadé que la Belgique continuera à former de très bons joueurs. Je pense que la Pro League et la Fédération doivent travailler ensemble pour définir le futur de leur jeunesse mais la structure est bonne.

 » PARTIR À L’ÉTRANGER SEULEMENT POUR Y JOUER UN RÔLE IMPORTANT  »

Certains profils n’existent pas en Belgique ?

MARTINEZ : Pour le moment, on est faible au niveau des arrières latéraux et je dois dire que ça m’inquiète un peu. On a seulement Thomas Meunier d’un côté et de l’autre Jordan Lukaku qui est davantage un ailier. Au niveau des playmakers, on n’a pas énormément de choix non plus : Moussa Dembélé nous a manqué car il peut occuper ce rôle. Sven Kums est aussi une option et Youri Tielemans a les qualités pour l’être un jour.

Disposer de joueurs tels Eden Hazard, Kevin De Bruyne, Yannick Carrasco, c’est plutôt unique pour un pays de la taille de la Belgique.

MARTINEZ : Oui, c’est exceptionnel. Mais c’est pour ça qu’il faut continuer à former de bons coaches chez les jeunes, pousser ces jeunes à évoluer en Pro League mais aussi les freiner à ne pas partir trop tôt. Il y a pas mal de joueurs belges qui sont partis trop jeunes pensant rejoindre une plus grande compétition. Mais il faut partir dans un plus grand championnat seulement si c’est pour y jouer un rôle important.

En passant d’Anderlecht à Chelsea à seulement 18 ans, Romelu Lukaku a-t-il vu trop grand ?

MARTINEZ : Combien de matches avait-il déjà joués pour Anderlecht ?

Près d’une centaine…

MARTINEZ : Ça change quand même la donne. Il faut au moins jouer 100 matches en Pro League avant de rejoindre un autre championnat. Il faut aussi trouver un club qui te fasse jouer et Rom’ a finalement reçu sa chance en partant à WBA. Mais je me répète : ne partez pas trop tôt ni trop tard.

On pouvait aussi penser le pas trop important quand Thomas Meunier est passé de Bruges au PSG.

MARTINEZ : C’est dû à la personnalité de Thomas qui est quelqu’un qui a confiance en lui, qui sait qu’il est capable d’occuper ce poste d’arrière latéral devenu très exigeant. Thomas est physiquement très fort et il progresse mois après mois. Il prouve que c’était le bon moment de partir et la bonne destination.

 » POUR CRÉER LE BON PUZZLE, IL FAUT CONNAÎTRE TOUTES SES PIÈCES  »

Vous pensez qu’un jeune joueur doit être formé à une seule position ou il est préférable qu’il soit polyvalent ?

MARTINEZ : Il vaut mieux qu’il s’essaie à plusieurs positions. Jusqu’à 16-17 ans, tu continues à grandir et à te développer. Et si tu veux être un grand joueur, tu dois être exceptionnel en quelque chose et non pas être moyen partout. Et tu ne sais pas toujours en quoi tu es exceptionnel avant d’avoir terminé ta croissance et d’avoir été testé à différents postes. Thomas (Meunier) jouait attaquant plus jeune, aujourd’hui s’il est très bon quand il arrive dans les 20 derniers mètres, c’est dû à son passé de buteur. Vincent Kompany a souvent joué milieu défensif en jeunes, ça l’a aussi aidé à devenir un défenseur d’exception.

Vous connaissez tout du passé de vos joueurs…

MARTINEZ : Oui (il rit).

Et ce en seulement deux mois ?

MARTINEZ : Ça m’a mis moins de temps, en deux semaines, j’avais tout trouvé. Afin de créer le bon puzzle, il faut connaître toutes ses pièces. J’ai toujours été intrigué par le parcours de chacun, c’est même essentiel pour moi.

Et donc connaître aussi le background, la personnalité du joueur.

MARTINEZ : Oui bien sûr, mais si tous ces joueurs sont arrivés à un tel niveau, c’est parce qu’ils avaient le caractère pour surmonter les difficultés. Mais ma mission consiste à former un bon groupe humainement car la pression est tellement forte en sélection. L’équipe nationale c’est encore très différent de la pression que tu rencontres en club. On vient frapper à la porte de ta famille quand tu perds avec la sélection, ce n’est pas le cas en club…

 » UN TACTICIEN DOIT ÊTRE OBSÉDÉ PAR LE FAIT DE REGARDER DU FOOT  »

Vous êtes considéré comme un tacticien. Mais pouvez-vous nous expliquer comment vous l’êtes devenu ?

MARTINEZ : Je regarde énormément de rencontres et j’essaie d’être au courant des tendances. Pour ça, il faut regarder différents types de matches. Le jeu anglais est très différent des schémas tactiques espagnols par exemple. J’adore aussi regarder des matches de Pro League car on retrouve pas mal de variantes avec un jeu très physique. Un tacticien doit d’après moi être flexible et donc capable de s’adapter aux différents événements. Et pour ça un tacticien doit être obsédé par le fait de regarder du foot.

Vous étiez déjà un coach dans l’âme du temps où vous étiez joueur ?

MARTINEZ : Je suis arrivé en Angleterre à 21 ans et ça a été pour moi un choc culturel d’autant que je n’étais pas assez physique pour défendre. Et j’ai donc dû trouver tactiquement un moyen de me positionner sur le terrain pour être utile à l’équipe. Ma carrière m’a permis d’apprendre à lire le jeu alors que j’avais été formé dans un certain style en Espagne avant de me retrouver au sein d’un jeu totalement opposé. D’un côté, on vous apprenait à demander la balle et de l’autre, on vous demandait de gagner les deuxièmes ballons. C’est à Swansea, vers 33 ans, que j’ai commencé à être obsédé par regarder les matches et les différents joueurs sur le terrain.

Ce n’est pas compliqué parfois de faire passer son message à des joueurs qui n’ont pas cette même passion, qui ne sont pas obnubilés par la tactique ?

MARTINEZ : Vous savez, tous ceux qui se retrouvent à un niveau comme celui des Diables Rouges, ils comprennent le jeu. C’est naturel pour eux, ils ont un contrôle de balle quasi parfait qui permet de contrôler un match. Ce sont des privilégiés au niveau de la manière dont ils peuvent voir le jeu.

Disposez-vous chez les Diables d’un bras droit ?

MARTINEZ : Toby (Alderweireld) et Jan (Vertonghen) ont montré qu’ils avaient l’expérience pour remplir ce rôle d’autant qu’il y a une alchimie entre eux. Axel (Witsel) également, il fait partie de ces joueurs qui sont capables de photographier le jeu, d’avoir une vue d’ensemble sur ce qui se passe sur le terrain. Et je pense que Thibaut aussi, de sa position, est capable d’analyser le jeu.

 » IL FAUT ARRIVER À CRÉER UNE IDENTITÉ  »

Que manque-t-il à cette équipe pour concurrencer les meilleurs ?

MARTINEZ : On travaille aujourd’hui dans l’inconnu. Je veux dire par là que les nouveaux joueurs espagnols qui débarquent en sélection peuvent s’inspirer de prédécesseurs qui ont tout gagné. Chez les Diables, il faut arriver à se convaincre que l’on peut tout gagner. La Grèce ou le Portugal sont des exceptions car ce sont généralement les mêmes grandes nations qui gagnent les grands tournois. Et ces grandes nations disposent de cet avantage psychologique sur les autres. C’est très compliqué de faire face à ça.

Le plus important dans votre mission n’est-il pas d’arriver à créer une identité de jeu sur laquelle les joueurs peuvent se reposer quand ça va moins bien ?

MARTINEZ : Oui, vous devez savoir ce que vous faites sur un terrain. Tout doit être clair. En équipe nationale, c’est très difficile d’avoir un onze synchronisé car vous n’avez pas le temps nécessaire pour préparer votre équipe. Mais vu que c’est le même problème pour tout le monde, il faut arriver à créer une identité. L’Italie a su le faire lors du dernier EURO, car beaucoup de joueurs et le coach venaient du même club (Juventus). L’Espagne a pu compter à un moment sur le fait que les meilleurs joueurs de leur génération jouaient le même football. Aujourd’hui, on doit encore apprendre à être flexible. On n’est pas encore capable de jouer le même jeu face à n’importe quel adversaire.

On a le sentiment que votre ambition est de permettre à des joueurs comme Hazard, De Bruyne, Carrasco de se retrouver dans des un contre un puisque la Belgique doit faire face à des équipes très regroupées.

MARTINEZ : Je ne pense pas que ce soit seulement le problème de la Belgique. C’est un peu la tendance du foot actuel, de jouer avec un bloc très bas et un jeu rapide en contre à l’image de Leicester l’an dernier. C’est aujourd’hui à la mode alors qu’il y a dix ans on vous aurait tué pour ça.

En Espagne, la passe est au centre de la formation alors qu’en Belgique, c’est le dribble. Est-ce que ça peut être un inconvénient dans votre façon de voir les choses ?

MARTINEZ : Non pas du tout. L’important, c’est de trouver le juste équilibre et de prendre les bonnes décisions. Le un contre un offre beaucoup de possibilités. Vous pouvez apprendre à un joueur à passer mais pas à jouer en un contre un s’il n’en a pas les capacités. C’est la grande différence.

L’idéal, c’est donc arriver à créer des situations de un contre un ?

MARTINEZ : Oui. Eden Hazard a connu une période plus difficile quand il avait deux hommes sur lui, voire trois et qu’il était bloqué sur son côté gauche. Aujourd’hui, que ce soit en club ou en sélection, il a plus de liberté et ça le rend plus difficile à contrer. Ce qu’il est occupé à réaliser, c’est un réel plaisir pour les yeux. Quand Yannick était à droite et Eden à gauche, j’avais le sentiment de  » perdre  » ces deux joueurs. Bâtir une équipe, c’est ça : arriver à faire interagir vos joueurs. Mais je suis sûr que nos adversaires vont tout faire pour contrer ce côté gauche. Et dès ce moment-là, il faut arriver à passer de l’autre côté, c’est pourquoi j’aimerais trouver un gaucher à droite. Je suis notamment Adnan Januzaj car il a le profil pour ça.

 » LES JOUEURS DÉSIRAIENT LE CHANGEMENT  »

Quelles étaient vos plans quand vous avez repris l’équipe ?

MARTINEZ : Je ne voulais pas être influencé par le passé. Je voulais avant tout observer le comportement des joueurs dans le vestiaire, leur manière de monter sur le terrain d’entraînement. Le match face à l’Espagne a peut-être été une expérience douloureuse mais c’était ça dont on avait besoin. Ce match m’a donné beaucoup de réponses.

Quelles réponses ?

MARTINEZ : Que l’on devait bâtir une structure, trouver un système qui s’adapte au mieux à la qualité de nos joueurs. Eux-mêmes désiraient du changement. Le match face à l’Espagne nous a prouvé qu’on ne pouvait pas continuer à jouer comme par le passé.

Vous dites être admiratif du football de Johan Cruijff et du beau jeu. Pourriez-vous vous satisfaire d’un match perdu mais où vous avez bien joué ?

MARTINEZ : Le foot se joue avec les pieds et c’est pour ça qu’il est parfois injuste et que le meilleur ne gagne pas toujours à la fin, à l’inverse du basket où la meilleure équipe l’emporte dans 99 % des cas. Je peux donc accepter une défaite où l’on a bien joué. Mais gagner c’est tout pour moi, mais ce n’est qu’en gagnant en jouant bien que l’on peut arriver à progresser.

Vous donnez l’impression d’être totalement dévoué au football. Quelle est votre définition du  » beautiful game  » ?

MARTINEZ : C’est difficile d’expliquer à quelqu’un le sentiment que l’on ressent quand on met la balle au fond des filets. Ça en devient même une drogue quand tu es joueur. Et si tu n’as pas les qualités pour inscrire des buts, tu fais en sorte que ton attaquant fasse trembler les filets. Même chose quand tu deviens entraîneur. Et encore aujourd’hui, je vis toujours pour connaître cette sensation. Ce n’est pas un travail, c’est une passion. Voir les filets trembler, c’est même une philosophie de vie.

PAR THOMAS BRICMONT ET GUILLAUME GAUTIER PHOTOS BELGAIMAGE CHRISTOPHE KETELS

 » On vient frapper à la porte de ta famille quand tu perds avec la sélection, ce n’est pas le cas en club…  » ROBERTO MARTINEZ

 » Quand Yannick (Carrasco) était à droite et Eden (Hazard) à gauche, j’avais le sentiment de « perdre » ces deux joueurs.  » ROBERTO MARTINEZ

 » Le match face à l’Espagne nous a prouvé qu’on ne pouvait pas continuer à jouer comme par le passé.  » ROBERTO MARTINEZ

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