» JE VIS POUR ANDERLECHT « 

A 18 ans et deux saisons pleines dans les chaussettes, le plus beau joyau de la maison mauve se raconte enfin. Interview exclusive.

Si tout se passe comme prévu, Youri Tielemans devrait compter 100 rencontres de D1 à tout juste 19 ans ; c’est sans compter les trois participations de suite à la Coupe d’Europe, les deux Ligue des Champions, et la découverte de l’équipe nationale. On parlera alors de joueur chevronné alors qu’à cet âge, ils sont bien plus nombreux à seulement espérer goûter au monde professionnel. Youri Tielemans fait partie de ceux qui ont choisi de faire tout avant tout le monde. Et de le faire plutôt bien, très bien même. Il y a deux ans déjà, le préféré du public mauve a déposé sa signature en quelques coups de patte un après-midi d’été. Désormais, on doit l’appeler  » Monsieur  » dixit Roger Vanden Stock peu après avoir rendu public la prolongation de contrat pour une durée de 5 ans apposée dès l’âge de la majorité. Et pourtant la bouille ne ment pas : Young Youri a bien 18 ans. Un âge où l’on fait timidement ses premiers pas dans le monde des grands. Tielemans, lui, a déjà quelques gifles à son actif. Demandez à Mathew Ryan, Yohann Thuram ou Matz Sels à qui il a nettoyé les filets. Une telle précocité dénote et interpelle évidemment. Surtout que le bonhomme ne semble pas prendre la trajectoire de ces ados stars qui multiplient les sorties de route. Non, on est plutôt frappé par sa maturité et son discours carré. Celui d’un bon élève du foot pro, sorte d’anti Anthony Vanden Borre au même âge. Un phénomène sur et en dehors des terrains. Rencontre.

La date du 28 juillet 2013 évoque quoi pour toi ?

TIELEMANS : Mon premier match en pro face à Lokeren. C’était évidemment un match particulier d’autant qu’il avait lieu devant tous les supporters d’Anderlecht.

Et tes débuts avaient pour le moins frappé les esprits notamment par la précision de ton jeu long, tes initiatives…

TIELEMANS : Les gens ont peut-être été surpris car c’était mon premier match mais c’est mon jeu. Lors des deux-trois premières touches, j’étais un peu tendu. J’ai donc joué simple et puis j’ai pris confiance.

Comment as-tu développé cette volonté de quasiment toujours jouer vers l’avant ?

TIELEMANS : C’est ce qu’on nous apprend en jeunes à Anderlecht. Que ce soit un numéro 6,8 ou 10. Un milieu de terrain doit pouvoir apporter du danger. Chez les pros, j’ai dû quelque peu freiner mon jeu. Et apprendre à choisir entre la prise de risque et la sécurité.

Mohamed Ouahbi (ndlr, nouvel entraîneur adjoint), qui t’a coaché dans plusieurs catégories de jeunes, raconte que ce qui te différencie des autres est cette faculté à distiller un long ballon pied droit-pied gauche en pleine course.

TIELEMANS : J’ai développé ça lors d’entraînements individuels à Saint-Nicolas (ndlr, école d’Anderlecht partenaire du RSCA). Ça me permet d’accélérer le jeu tout en portant la balle.

Au-delà de tes qualités techniques, ta personnalité a souvent été louée chez les jeunes.

TIELEMANS : Je déteste perdre. J’ai ce côté compétiteur depuis très jeune déjà. Quand je perds un match avec Anderlecht, faut plus me parler. Aujourd’hui, je me suis un peu calmé car c’est pas facile pour l’entourage. Mais je boude encore un peu…

Ce côté compétiteur a-t-il été influencé par ton passé de judoka ?

TIELEMANS : Oui. Le judo est un sport individuel où on apprend à être déterminé et exigeant. En judo, si tu n’es pas au top, tu ne peux pas gagner. Et j’essaie de transposer ça au foot. Mais je pense aussi être parfois trop exigeant avec moi-même. Un peu trop sévère parfois. Je l’ai remarqué au fil du temps lors de mes deux premières saisons en équipe première.

N’as-tu pas souffert d’être projeté trop vite, trop haut ?

TIELEMANS : Dès mes deux-trois premiers matches difficiles, les gens se sont posés des questions ; ce qui est normal. Cette pression, on doit l’accepter quand on joue à Anderlecht. Même en jeunes, il y avait de la pression car on devait gagner tous les matches. Désormais, ce n’est plus la même pression car il y a les journalistes, les supporters, et la pression du staff, en plus de la nôtre par ce qu’on veut gagner, parce qu’on est à Anderlecht.

La saison dernière, on t’a senti particulièrement déçu par plusieurs de tes prestations.

TIELEMANS : Je tirais la tête. Je sais que j’ai les qualités pour être titulaire mais quelque chose clochait chez moi. A l’entraînement, je faisais toujours mon boulot mais je me mettais une pression inutile en match. Je voulais top bien faire. C’est peut-être pour ça que je jouais mal. Mais tout jeune joueur connaît un contrecoup, c’est normal.

Fabrice N’Sakala avait déclaré dans S/F Mag que des joueurs comme Tielemans ou Praet avaient baigné dans l’ouate. Est-ce que ton parcours n’a-t-il pas été trop facile ?

TIELEMANS : A Anderlecht, chez les jeunes, chaque génération possède une des meilleures équipes de Belgique. On gagne quasiment tous les matches et on est donc pratiquement champion chaque année. C’est vrai qu’évoluer au sein d’une bonne équipe, c’est plus facile, d’autant que j’ai longtemps évolué avec les mêmes équipiers. On se trouvait pratiquement les yeux fermés.

ARROGANCE ?

Le public t’a plutôt à la bonne. Tu as une explication à ce traitement de faveur ?

TIELEMANS : Ce qui me vient en tête c’est que je suis Bruxellois, j’ai toujours joué à Anderlecht et je vis pour ce club, tout simplement…

Ton style de jeu n’y est certainement pas étranger non plus.

TIELEMANS : J’ai grandi ici et j’ai donc développé le style maison. C’est à dire toujours jouer au football et gagner.

Et une conduite de balle le menton levé, l’assurance dans le jeu. Doit-on y voir une forme d’arrogance ?

TIELEMANS : Ça n’a rien à voir avec de l’arrogance. Anderlecht a gagné 33 titres de champion, ce qui fait beaucoup. Les gens en ont marre de les voir gagner et on aime donc nous faire passer pour les mauvais, les prétentieux. Mais ce n’est pas de l’arrogance, on joue simplement notre football.

Tu avoueras que même lors de tournois de jeunes, les joueurs d’Anderlecht font un peu les malins quand ils débarquent…

TIELEMANS : Non, on ne fait pas les malins (il rit). Avant de partir à un tournoi, on avait toujours droit à un briefing où on nous demandait d’être exemplaire car on représente Anderlecht. Entre les matches, certains jeunes mangent des frites, se dispersent. Nous, nous devions rester à l’écart de tout ça. Les gens prennent ça parfois pour de l’arrogance alors que ça n’a rien à voir.

D’autres grands talents de Neerpede comme Charly Musonda Jr ou Adnan Januzaj ont choisi de quitter très tôt Anderlecht. Pourquoi as-tu privilégié de rester au club alors que les offres de clubs étrangers sont tombées très tôt ?

TIELEMANS : C’est sûr que c’est attirant d’être suivi par des grands clubs même quand on est encore gamin. Mais la première raison qui explique pourquoi je suis resté, c’est l’école. Je voulais terminer mes études ici, en Belgique. Mes parents m’encourageaient en ce sens. Et la deuxième raison, c’est que j’avais envie de rester à Anderlecht.

Tu rêvais gamin de fouler la pelouse du stade Constant Vanden Stock ?

TIELEMANS :Bien sûr. J’ai toujours eu le coeur mauve. Avant d’être joueur, j’étais supporter. C’est plutôt rare quelqu’un qui débute à 4 ans dans un club et qui rejoint son équipe première.

PLAN DE CARRIÈRE

La saison dernière, tu avais à nouveau l’occasion de partir. Pourquoi as-tu décidé de prolonger alors que tu terminais ta deuxième saison chez les pros ? Et as-tu davantage hésité ?

TIELEMANS :Non pas du tout. Je voulais simplement attendre l’âge de ma majorité avant de signer. C’était très clair. Je l’avais directement précisé à Monsieur Van Holsbeeck dès que l’on m’a proposé le contrat.

Tes prestations plus difficiles ont-elles un rapport avec certaines complications liées à la prolongation de ton contrat ?

TIELEMANS :Non pas du tout. Ça, ce sont les journalistes qui se le sont racontés. Monsieur Van Holsbeeck a toujours eu confiance en ma parole.

Après avoir goûté deux années de suite à La Ligue des Champions, tu n’es pas impatient de rejoindre un grand championnat ?

TIELEMANS :Non pas impatient, j’attends le bon moment. Je sais que je suis encore à Anderlecht pour encore une saison au moins. Je n’y pense même pas en fait.

Rester au bercail alors que de grands clubs sont intéressés, c’est un choix logique dans ton plan de carrière ?

TIELEMANS :Bien sûr. Je sais que si j’étais parti cet été, je ne jouerais nulle part. Alors qu’ici, je vais continuer à progresser.

Et en quoi dois-tu progresser ?

TIELEMANS :Comme l’a pointé le coach, je dois gagner en volume de jeu, je dois faire davantage de courses sans ballon, me retrouver plus souvent dans le rectangle. J’ai fait un pas vers l’avant mais ce n’est pas suffisant.

Hasi parle aussi d’intensité.

TIELEMANS :Oui, je dois être capable de calmer le jeu puis de l’accélérer davantage. Je dois encore trouver le bon moment.

Mitrovic a semblé parfois fort seul dans le rectangle ; le milieu de terrain ne l’accompagnant que très rarement. Est-ce une des explications à la perte du titre ?

TIELEMANS :Je ne pense pas. Si je prends l’exemple des play-offs, on jouait par moments un foot fantastique, comme à Bruges. Mais à la mi-temps ce n’était que 0-1 parce qu’on était incapable de terminer les actions. Et puis on n’arrivait pas à garder le zéro derrière notamment à cause des phases arrêtées. C’est un peu l’accumulation de tout ça qui nous a fait perdre ce titre. A nous d’en tirer les conclusions.

Troisième pour Anderlecht, ça sonne faux quand même ?

TIELEMANS :Oui c’est sûr, ça ne peut plus arriver. Le tournant a été ce match nul face au Standard. Et puis il y a eu ce match à Courtrai où tout le monde était abattu…

LE VRAI TIELEMANS

Jean Kindermans (ndlr, directeur du centre de formation) a déclaré que l’on verrait le vrai Tielemans quand ses études seraient derrière lui. Tu le penses aussi ?

TIELEMANS :Oui car c’était quand même lourd de combiner les deux. Physiquement ça allait mais mentalement c’était difficile. Quand on avait fini l’entraînement du matin, mes équipiers retournaient chez eux se reposer alors que j’allais à l’école, j’avais des présentations, des examens à préparer. Maintenant c’est derrière moi tout ça mais je suis content d’avoir été au bout. Je me sens plus relâché même si je ne m’en rends pas encore bien compte. C’est en septembre que je vais vraiment réaliser.

Et tes plages de repos comment vas-tu les occuper ? Avec la PlayStation comme beaucoup de footballeurs ?

TIELEMANS :Une après-midi de PlayStation de temps en temps, ça fait pas de mal (il rit). Mais je ne me suis pas encore vraiment posé la question.

Tu es déjà en couple, tu gagnes de l’argent, tu vis depuis deux ans comme un adulte alors que tu viens seulement d’avoir 18 ans. Par rapport à tes amis du même âge, ta vie est atypique. C’est parfois difficile à vivre ?

TIELEMANS :C’est vrai que parfois quand on m’arrête dans la rue pour faire une photo, ça fait bizarre. Mais les relations avec les vrais amis ne changent pas. Et les autres, ceux qui veulent profiter de la situation, tu les repères très vite.

Tu as signé le plus gros contrat de l’histoire d’Anderlecht aux dires de Roger Vanden Stock. Ca fait donc beaucoup d’argent et ça fait peut-être perdre un peu la boule, non ?

TIELEMANS :Non pas du tout. Je ne savais même pas que j’étais le plus gros contrat. Ce n’est pas l’argent qui m’obsède.

Tu pensais vers 14-15 ans qu’un jour tu allais faire ton trou dans le foot ?

TIELEMANS :Si vite non mais je savais qu’un jour, je pouvais y arriver. Surtout quand je suis passé des U15 aux U17 où j’ai fait des progrès énormes. Mais quand on m’a invité au stage de l’équipe première à la fin de ma saison en U17, c’est Mo (Ouahbi) qui me l’a annoncé. Et ma première réaction fut : T’es sérieux ?

PAR THOMAS BRICMONT ? PHOTOS BELGAIMAGE/CHRISTOPHE KETELS

 » Je pense parfois être trop exigeant avec moi-même.  » YOURI TIELEMANS

 » Je sais que si j’étais parti cet été, je ne jouerais nulle part.  » YOURI TIELEMANS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire