» Je veux toujours montrer que je suis là ! »

Quel genre d’entraîneur à la tête de notre sélection sera-t-il ? Il se dévoile en détaillant ce qui l’a marqué dans les relations joueur-coach durant sa carrière pro sur 18 saisons.

Encore quelques piges de consultant pour la RTBF puis Marc Wilmots (43 ans) quitte l’antenne. Il estime que ce n’est pas compatible avec son boulot de T1 des Diables. D’ailleurs, il a un peu de mal à avancer dans la salle de presse de Kharkiv, où il est venu pour Allemagne-Pays-Bas. Il est arrêté par un reporter français qui le félicite, taille une bavette avec Youri Mulder (ex-équipier à Schalke) et explique à un journaliste flamand qui ne l’a pas raté ( » Un coach fédéral doit pouvoir faire plus que courir en short en criant huphup « ) qu’il a des atouts.

Devenir entraîneur, tu y pensais comme joueur ?

Marc Wilmots : Il y a des footballeurs qui s’intéressent à la tactique, d’autres pas. Moi, j’ai eu un déclic quand j’étais à Schalke, vers 27-28 ans. C’est un truc qui a commencé à me brancher.

Ton premier entraîneur de renom, c’est Aad de Mos à Malines.

Je n’aimais pas l’homme ! Il nous montait les uns contre les autres. Il avait aussi l’art de te piquer au vif pour te relancer. Tu devais jouer un match de Coupe d’Europe, tu n’avais plus été sur le terrain depuis trois mois et il te disait : -Toi, tu marques souvent contre les grandes équipes, hein ! Alors, vas-y, fais-le.

Le groupe avait besoin de cette approche pour gagner ?

Je ne sais pas. Regarde sa carrière : ça a marché à Malines, pas ailleurs. Après lui, il y a eu Fi Van Hoof. J’en garde un souvenir fort. Aux niveaux de la tactique, de l’intelligence de jeu, de la patience avec les jeunes, il était au-dessus du lot. Il passe pour un anonyme mais c’est un choix conscient. Il faut choisir : tu veux la gloriole ou la longévité dans un club ?

Tactiquement aussi, le De Mos de Malines était impressionnant !

Ce que j’ai bien aimé avec lui, c’était le… onze contre zéro à l’entraînement. On répétait des phases, et en face, il n’y avait pas d’adversaire. Au début, c’était surprenant, déstabilisant ! Puis, il mettait un défenseur, ensuite un deuxième. Le but était aussi de maîtriser la possession du ballon. C’était son fil rouge. J’en ai chié pendant six mois… Je perdais plein de balles. A Saint-Trond, je n’avais jamais fonctionné comme ça : j’étais devant, je recevais des centres et je les mettais dedans. De Mos et Malines m’ont formé, construit. J’étais trop brut, je n’avais pas assez de technique. J’y ai appris à jouer dans les petits et les grands espaces, à conserver le ballon, à fonctionner en deux ou trois touches.

Pourquoi le diplôme allemand ?

Au Standard, tu as travaillé avec Arie Haan, un autre type de Hollandais.

Il n’y avait pas de discipline. Nous nous sommes bien amusés et ça jouait le week-end comme ça vivait en semaine : un foot champagne, porté vers l’avant. Haan avait l’art de mettre les joueurs à leur meilleure place. Il voyait les qualités de chacun et créait un système sur mesure. En nous laissant beaucoup de liberté, il voulait qu’on se prenne en charge et qu’on vive comme des pros. Mettre des amendes, c’est triste mais un entraîneur doit pouvoir s’adapter au noyau. Tu ne peux pas être aussi coulant avec n’importe quel groupe. Après le Standard, Henk Vos a retrouvé Haan à Feyenoord. Il m’a dit : -C’est le jour et la nuit, plus rien ne passe. A l’école des entraîneurs de Cologne, on nous a expliqué qu’il n’existait pas une bonne méthode, qu’il fallait d’abord regarder son groupe et agir au feeling.

C’est un avantage d’avoir obtenu ton diplôme en Allemagne ?

Cologne, c’est une université où beaucoup de monde veut aller. Des Allemands mais aussi des futurs entraîneurs d’autres pays. Pour moi, c’était un défi d’avoir mon diplôme là-bas, il fallait que je sois capable d’écrire en allemand, de suivre des cours de psychologie et de pédagogie dans cette langue ! Mon choix s’expliquait aussi par le statut de l’Allemagne dans l’univers du foot. C’est un pays qui gagne, qui a accroché des EUROS et des Coupes du Monde, qui avance, qui ne doute pas : j’aime bien, ça me ressemble. Je suis très belge, mais au niveau mentalité, je me sens plus allemand. Comme eux, comme les Hollandais, je veux m’imposer, toujours montrer que je suis là.

Ça nous manque ?

Ce que les Allemands ont, les Belges l’ont aussi. Ils n’ont rien de plus, je te rassure ! A la Coupe du Monde 2002, j’ai affronté les Brésiliens en me disant qu’ils étaient comme moi, avec une tête, deux bras et deux jambes. Si tu pars avec ce raisonnement-là, tu es plus fort.

 » Au début à Schalke, je ne savais plus comment je m’appelais « 

Il y a un entraîneur qui, plus que les autres, t’a fait évoluer au niveau tactique ?

A Schalke, j’ai souvent été en bagarre avec Huub Stevens parce que je lui reprochais de ne pas être assez offensif, mais c’est le meilleur que j’ai eu dans ma carrière. Il était tout jeune à l’époque, fougueux. Il voulait du rentre-dedans, ça convenait bien à la Ruhr. Moi, j’ai eu du mal la première année là-bas. J’ai fait la préparation et trois mois avec Jörg Berger, qui a ensuite été viré. Un programme à l’allemande ! Pendant six semaines, je ne savais plus comment je m’appelais. Mes jambes avaient doublé de volume, c’était chaque jour une heure quart de cross à 170 pulsations, sans s’arrêter. Et ça, ce n’était que l’entraînement du matin. Après un mois et demi, ça a un peu changé : de l’intervalle-training, mais toujours une heure quart de course non-stop. Je me suis demandé où j’étais tombé. Mais en octobre, j’ai compris pourquoi on avait fait ça. En Belgique, quand j’avais trois matches par semaine, j’étais fatigué. En Allemagne, je n’attendais qu’une chose : que le quatrième commence. C’était comme si j’avais chargé mon camion d’essence. Physiquement, nous étions forts à crever ! On a joué contre Bruges, une équipe soi-disant physique : on les a croqués. On a affronté Anderlecht qui nous a baladés pendant une petite heure, on n’a pas vu le ballon. Tout à coup, j’ai vu un Mauve qui commençait à souffrir de crampes. J’ai dit : -Ils sont morts. Et on les a torpillés. Je sentais une marge physique incroyable et toute l’équipe était comme ça. Tu ne vois jamais les Allemands avec les mains sur les hanches après un effort… On gardait la forme pendant toute la saison grâce aux entraînements physiques les lundi et mardi ! Et quand tu es bon physiquement, tu es énorme dans ta tête.

Allemagne égale discipline ?

Là-bas, quand tu dis aux joueurs d’aller courir une heure, il n’y en a pas un qui revient après 57 minutes. Ce n’est pas propre aux footballeurs, les Allemands sont éduqués comme ça.

Après ça, tu passes à Bordeaux. On ne parle plus de la même chose…

Oufti, choc culturel ! C’était le bordel, les joueurs arrivaient en retard. (Il prend l’accent de la région…) C’est le sud, on aime bien vivre, il y a les châteaux, la piscine, les barbecues,… Ce n’est pas la Ruhr avec ses bosseurs qui ont l’impression de ne jamais en faire assez. Mais j’ai appris énormément à Bordeaux. Les Français ont plein de rigueur tactique. A 18 ans, un 6 sait parfaitement ce qu’est un 6. Ça s’appelle la formation. Et ils ont un gros bagage technique et mental. Beaucoup de Français deviennent des stars internationales quand ils passent dans un plus grand pays : ils y acquièrent le physique, et sont alors bons dans tous les domaines. On a joué contre Brême, on les a atomisés. Ce jour-là, les gars du Werder ont compris qu’il ne fallait pas se contenter de toujours courir, que c’était parfois mieux de couvrir moins de kilomètres et de plus penser.

Tu as été pur attaquant, tu as eu des rôles offensifs et défensifs dans l’entrejeu. Des choix de coaches ou des demandes qui venaient de toi ?

Des choix d’entraîneurs. Un jour, Fi Van Hoof n’a plus que 11 joueurs valides. Il me demande de jouer comme médian défensif. Je ne l’avais jamais fait. Guy Thys était dans la tribune. En quittant le stade, il dit : -Si Franky Van der Elst est un jour indisponible, Wilmots sera ma solution.

A Bordeaux, tu jouais dans un rôle encore plus atypique !

Tu parles ! Milieu droit. Je n’avais jamais connu que l’axe. Je n’avais pas de vitesse, pas de dribble, pas de centre. J’ai dit à Elie Baup : -Tu me mets sur un flanc alors que je joue central depuis 17 ans, tu dois être l’entraîneur le plus fort du monde. Je me suis fait avoir. Quand j’avais signé, on m’avait dit que je jouerais en retrait de Christophe Dugarry et William Laslandes. Dans le même rôle qu’à Schalke. Baup a changé d’avis après deux dégelées en préparation. Mais j’avais signé pour quatre saisons, de 31 à 35 ans, j’étais en prépension là-bas. Après ça, finito, basta ! Mais je me retrouve dans une position pas du tout faite pour moi. (Il reprend l’accent). Je fais quoi ? J’ai dit à Baup : -Je joue un an là, puis je m’en vais. Ils ont voulu me garder : -On est content de toi, tu as marqué 11 buts. Pas question, je suis retourné à Schalke. Baup, je n’en garde pas que des bons souvenirs, et je pèse mes mots. Mais pour le reste, Bordeaux, c’était génial.

Standard chahuté avec Waseige / Wilmots

Waseige t’a fait découvrir le numéro 10.

Oui, au Standard. Il m’a expliqué que je pourrais faire jouer mon rayonnement dans le milieu et que je toucherais plus de ballons. Je me suis beaucoup amusé. J’ai marqué près de 70 buts en cinq ans, c’était plus facile en venant de la deuxième ligne qu’en jouant dos au but. Mon modèle, c’était Jan Ceulemans. Il allait trois fois dans le rectangle, il touchait trois fois le ballon. Tu as des médians qui s’y retrouvent 15 fois par match mais ne font rien de bon.

Avec Waseige, tu as presque une relation père-fils.

Ça n’a pas été directement comme ça. Sa confiance, il me l’a donnée quand il a compris que j’avais joué avec une pubalgie pendant un an. Le Standard ne voulait pas que je me fasse opérer, je l’ai fait sans son accord. Quand le Docteur Martens m’a examiné, il a dit au club : -Vous êtes fous ? Tout a lâché. Avant ça, Waseige pensait sans doute que je carottais. Là, il a compris que je n’avais pas triché. Plus tard, il y a eu une autre histoire. Robert Lesman m’a appelé en me demandant de tout faire pour virer Waseige. J’ai dit : -Hors de question, et s’il part, je pars aussi. Nous avons tous les deux quitté le club en fin de saison.

Tu as aussi eu l’inimitable René Vandereycken au Standard !

Il adaptait fort son équipe à l’adversaire. Il jouait avec cinq défenseurs à la maison. Directement, je lui ai dit : -Si tu fais ça, tu es mort.Ici, le Standard doit toujours jouer pour gagner. Mais il nous a fait remonter au classement. Et humainement, il n’a rien à voir avec l’image qu’il donne dans la presse. Il rigolait beaucoup, il avait un excellent coaching, seulement trop défensif à mon goût.

Quand tu retournes à Schalke, tu tombes sur Frank Neubarth et ça ne se passe pas bien !

J’ai commis une grave erreur. C’était après la Coupe du Monde 2002. Déjà là-bas, mon genou était bloqué, je sentais qu’il allait passer outre. J’avais déjà été opéré trois fois. Neubarth m’appelle à la reprise et me dit : -Bravo pour ton Mondial, je veux que tu sois mon capitaine. Je refuse : -J’ai déjà fait cinq ans ici, j’ai été capitaine, les joueurs m’avaient demandé de mettre l’entraîneur dehors, mais au moment où la direction les a interrogés, ils se sont dégonflés. A ce moment-là, j’avais jeté mon brassard. Je n’en voulais plus. J’ai aussi dit à Neubarth que je faisais ma toute dernière saison et que je ne voulais plus m’occuper de rien. Je pouvais comprendre qu’un discours pareil effraie un jeune entraîneur et qu’il ne compte pas sur moi. Mon genou a explosé après deux entraînements. Deux mois et demi out. En janvier, l’entraîneur me dit que je ne serai plus dans l’équipe, sans doute même plus dans les 18. J’ai une offre de Galatasaray, il avait envie que je parte. Là, j’ai une réaction d’orgueil, je dis à Neubarth : -J’ai construit Schalke avant toi, j’ai une histoire ici, je reste, tu verras ma tête tous les jours. Mais j’ai décidé de rentrer habiter en Belgique et de faire 500 km par jour. La vie à Gelsenkirchen, il ne fallait plus m’en parler. Quelque chose s’était cassé.

Pourquoi il est devenu entraîneur de Schalke

Puis, tu remplaces Neubarth…

Dans l’histoire de la Bundesliga, je suis le seul joueur actif qui est directement devenu entraîneur ! Il restait huit matches, Rudi Assauer voulait que je signe jusqu’à la fin de la saison suivante. Je lui ai dit : -Tu ne m’as pas compris. Je rentre chez moi ! J’en ai marre d’être dans les avions et les hôtels, mon fils rentre en primaire, tu peux me proposer tout ce que tu veux, ça restera non. Quand on dit que j’ai échoué à Schalke comme coach, que je n’ai pas pu prolonger, c’est faux. C’était mon choix dès le départ.

Tu sais pourquoi Schalke t’a donné le poste ?

C’est parti d’un truc bien précis. Lors de ma quatrième saison, avant mon expérience à Bordeaux, Olaf Thon était usé, il avait 33 ans, il ne savait plus mettre le pressing pendant tout un match. Dans la dernière demi-heure, il reculait et ça nous faisait perdre des points. J’ai demandé à Stevens de le mettre plus près de moi pour réduire les lignes de course. Pour lui, ce n’était pas possible. Nous avons eu un clash. Quand je suis à Bordeaux, Schalke va faire une démonstration à Dortmund : 0-4. Le lendemain, Assauer m’appelle : -Tu avais raison, Thon a joué dans le rôle que tu voyais pour lui, il a été le roi du terrain. J’ai répondu : -C’est bien mais c’est trop tard. Vous n’êtes pas européen et je ne suis plus chez vous. Cette affaire Thon est à la base de ma désignation comme coach de Schalke trois ans plus tard.

Content de ton bilan sur ces huit matches en Bundesliga ?

On commence par sept points sur neuf alors que j’avais repris un groupe traumatisé, puis j’ai une tuile. Je n’avais déjà plus qu’un milieu défensif, Sven Kmetsch. Je l’appelais Prothèse ! Il boitait, son genou était foutu, il ne jouait plus qu’au mental. Le docteur vient me trouver et me dit qu’il peut continuer à jouer mais qu’il faut alors lui faire quelques injections. Kmetsch aurait encore joué si je lui avais dit : -Force, deux ou trois piqûres et ça va passer. Mais j’ai pensé à son futur. Je devais faire un choix : je le pète ou pas ? Il y avait une pression énorme, plein d’argent en jeu. J’ai décidé de ne pas le péter et on a évolué avec un triangle médian fait de trois numéros 10. Ça ne pouvait que mal se passer. On ne prend qu’un point en quatre matches, Kmetsch revient pour le dernier contre le Bayern et on gagne. J’ai peut-être fait une erreur sur ce coup-là mais je ne la regrette pas.

PAR PIERRE DANVOYE, EN UKRAINE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Quand tu es bon physiquement, tu es énorme dans ta tête. « 

 » Aad de Mos ? Je n’aimais pas l’homme, il se nourrissait de conflits. « 

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