« Je veux retourner au soleil »

Il évoque l’expérience acquise à Turnhout.

De tous les récits d’autrefois, au café situé en face du stade d’Anderlecht, dont Stéphane Demol était un habitué, une constante ressort: le flair qu’il avait, en tant que joueur. Le flair qui l’a accompagné à Turnhout, en D2, durant sa première saison au poste d’entraîneur.

Ce n’est pas un hasard si l’Antwerp s’est porté candidat pour acquérir ses services. Dans des circonstances qui n’ont pas toujours été faciles, il a accompli de l’excellent ouvrage à Turnhout. Pendant que le club se débattait pour obtenir sa licence, Demol a propulsé l’équipe à la deuxième place du classement et a menacé le RWDM jusqu’au bout, dans le tour final.

Le métier d’entraîneur correspond-il à vos attentes?

Stéphane Demol: C’est une tout autre vie. J’ai suivi les cours d’entraîneurs avec Enzo Scifo, Georges Grün et Michel Preud’homme. Avant, nous nous entraînions, nous rentrions et la journée était finie. Un entraîneur doit s’occuper d’un tas de choses. Il a beaucoup plus de travail. Vraiment beaucoup plus. En fait, je préférais être joueur. Entraîner, c’est un véritable travail. Pas jouer.

Et comment vous accommodez-vous de devoir travailler?

Oh, ça me plaît mais j’étais privilégié à Turnhout: j’avais une bonne équipe et les résultats ont suivi. Je ne connais pas encore le revers de la médaille. Etre entraîneur, c’est travailler à 100 %, mais comme tout allait bien, disons que je ne connais que 70 % du boulot. Le reste suivra tôt ou tard, j’en suis conscient.

En championnat, votre équipe a inscrit 88 buts.

Nous avons mis en place une très bonne organsiation, au sein de laquelle chacun connaissait sa place mais savait aussi qu’il pouvait prendre des initiatives. Nous avons encaissé beaucoup trop de buts à mon gré, à cause de notre style offensif mais aussi par manque de puissance. Nous avions le meilleur joueur de D2, Ejikeme, qui a malheureusement été bloqué au Nigeria pendant trois mois, suite à un problème de visa. Ndikumana, d’Anderlecht, est un tout bon aussi.

Les autres clubs de D2 disaient que vous aviez le gros cou et ils vous laissaient faire le jeu.

Le compartiment offensif était notre point fort incontesté. Si les équipes adverses nous laissaient venir, elles se mettaient en difficulté. Elles avaient donc intérêt à l’éviter, à condition de le pouvoir. Nous étions les favoris de la division. En l’admettant, étais-je un gros cou? Non, ça relevait de l’honnêteté. Beaucoup d’entraîneurs essaient toujours de placer la pression sur leurs adversaires. Il ne faut pas. D’ailleurs, en Italie ou en Espagne, nous aurions été promus directement, grâce à notre deuxième place. Ici, il fallait encore jouer un tour final. Mon équipe méritait la promotion sur base du championnat.

Vous avez travaillé dans de mauvaises conditions, puisque Turnhout risquait de ne pas obtenir de licence?

Le monde extérieur a peine à le croire mais ce n’était pas un problème. Le président avait répété que tout serait réglé. Il nous a expliqué pourquoi ça traînait. Nous l’avons cru, comme en témoigne notre performance à Geel. Si les joueurs avaient eu des problèmes, ils n’auraient jamais signé une telle prestation. J’avais aussi dit aux joueurs: -Imaginez que ça tourne mal mais que nous gagnions le tour final. Nous serions la première équipe de Belgique à accéder à la D1 alors que le club est recalé. Et puis, tant que vous gagnez, des équipes s’intéressent à vous.

Vous vous occupiez également d’une partie du travail administratif. Notamment des documents concernant les étrangers.

En fait, Turnhout me payait trop peu pour ce que je faisais. Ça dépassait le cadre de ma fonction d’entraîneur. Je m’occupais d’autres choses encore mais je l’ai fait de bon coeur. Quand ça va, on peut en demander un peu plus à tout le monde, à moi y compris. Je me suis occupé des papiers des étrangers parce que je parle six langues. Dans un autre club, je ne devrais pas m’occuper de ça. Tout cela m’a pris beaucoup de temps mais ce n’est pas grave.

Joueur, vous n’avez pas toujours vécu comme vous l’auriez dû. Est-ce un avantage comme entraîneur?

Oui. Je suis bien placé pour dire à mes joueurs ce qu’ils doivent faire ou non, car j’ai fait les deux. Je peux les conseiller mais je ne suis pas un prophète. J’ai eu la chance d’avoir un bon groupe et une bonne équipe.

On vous dit sévère.

Nous avions des conventions. Avant le match, par exemple, nous allions parfois manger dans un restaurant de Beersel, où j’habite, mais ça ne voulait pas dire que j’allais à Turnhout pour revenir avec le bus. Nous avions des règles souples mais ça implique de veiller à ce qu’elles soient respectées, sinon, tout fout le camp. Je suis assez souple mais il y a des limites. Ces limites sont très larges mais elles sont là. Je n’ai encore jamais accompagné les joueurs en car. Ils viennent de Turnhout, je fais le trajet en voiture. Parfois, les joueurs se rendent par eux-mêmes à un match et nous nous retrouvons au stade. Je ne sais pas si c’est la bonne méthode mais ça a marché à Turnhout. Nous avons donné beaucoup de responsabilités aux joueurs. Ça semble réussir. Ce n’est pas dangereux, je trouve. Plus on accorde de responsabilités à quelqu’un, plus il doit être responsable. A Porto, Artur Jorge ne mangeait pas avec nous, il venait plus tard. Les joueurs doivent l’accepter: je suis le patron. Point.

Quelles résolutions aviez-vous prises?

Je voulais avant tout être crédible aux yeux des joueurs. C’est moins important vis-à-vis du monde extérieur. Les joueurs doivent pouvoir vous suivre dans ce que vous dites et ce que vous faites. Vous ne pouvez pas dire ça une semaine et autre chose la suivante. Mes joueurs ont suivi mes décisions. Pour ça, ils devaient savoir ce que nous faisions. Il ne s’agit pas de dresser une ligne dont on ne peut dévier. Ça doit être un courant au sein duquel chacun fait la même chose, tire à la même corde. Y être parvenus est un de nos plus grands mérites. On y arrive grâce à l’honnêteté et aux résultats. Si vous dites qu’en procédant ainsi, vous allez obtenir des résultats et que ça marche, on vous croit. C’est ma méthode. Je souhaite entraîner une dizaine d’années comme ça, puis j’arrêterai.

Qu’aurez-vous atteint ou obtenu à ce moment?

Assez pour pouvoir arrêter, j’espère. Pour l’instant, ce travail me plaît beaucoup mais mon but a toujours été de retrouver la D1 et plus encore de repartir à l’étranger. Je veux retrouver le soleil le plus vite possible, avec ma femme et mes trois enfants. Ça ne doit pas nécessairement être le Real ou Barcelone. Un Lokeren, un Beveren ou un Saint-Trond du sud serait bien aussi. Avant, pour obtenir un transfert à l’étranger, il fallait avoir fait ses preuves. Maintenant, quand on voit qui part, c’est à mourir de rire.

Qu’est-ce qui ne va pas en Belgique?

Tout va, à part le climat. Mes enfants, ma femme et moi voulons retourner vivre au soleil, à terme. Mais je veux d’abord faire mes preuves ici pour pouvoir partir avec des lettres de noblesse et être en situation de demander plus. Il me fallait aussi mon diplôme d’entraîneur. Mais j’ai fait latin-maths et, bien que je le dise moi-même, j’étais un bon élève. Les cours d’entraîneur ne m’ont pas causé de difficultés.

Le football n’est-il pas trop simple pour quelqu’un d’aussi intelligent que vous?

Bah, on se débrouille bien en football quand on a un peu de cervelle.

Enviez-vous les joueurs actuels, qui assurent le reste de leur existence grâce au football et peuvent s’adonner au golf?

Ça ne m’intéresse pas. Jusqu’à présent, je suis très heureux de l’existence que j’ai menée. Si c’était à refaire, je modifierais certaines choses. Par exemple, je vivrais plus sérieusement la deuxième partie de ma carrière de joueur. Mais c’est aussi ce qui fait le charme de la vie: ce n’est qu’après-coup que vous savez si vous étiez sur le bon chemin ou pas.

Ce manque de sérieux peut-il vous rattraper comme entraîneur aussi?

J’espère avoir tiré les leçons du passé. Je ne pense pas que ça se reproduira. Mais tout est possible, évidemment.

Raoul De Groote

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