» Je veux que tout le monde pense beaucoup plus AU FOOT « 

Le Kosovar plaide en faveur d’une culture du travail et pense au football 24 h sur 24. Soixante minutes d’interview avec le nouvel entraîneur d’Anderlecht.

La dernière fois que nous l’avions interviewé, en octobre 2013 au centre d’entraînement de Neerpede, il s’était énervé parce que des tasses de café sales traînaient dans la salle de réunion qui fait face au bureau des entraîneurs et les avait rangées lui-même avant de se joindre à nous. Nous ne sommes dès lors pas étonnés que, dès son accession au poste d’entraîneur principal, sa première préoccupation ait été d’établir un nouveau règlement d’ordre intérieur, avec des amendes pour celui qui laisserait traîner sa serviette dans le vestiaire ou qui oublierait d’utiliser son cardio à l’entraînement.

BesnikHasi (42) a connu la guerre et la misère. Il avait 18 ans lorsqu’il a quitté le Kosovo et s’est adapté facilement partout où il est passé. Sur le terrain, c’était un gagneur, un gars qui avait l’esprit d’équipe, un garçon intelligent, dur et doté d’un charisme énorme. Aujourd’hui, il nous faut découvrir l’entraîneur. Adjoint depuis six ans, il a succédé à JohnvandenBrom à une journée de la fin de la phase classique du championnat. Cette fois, aucune tasse ne traîne sur la table de la salle de réunion de Neerpede. L’interview peut commencer.

Vous exercez désormais le métier dont vous rêviez ?

Oui, que ce soit ici ou ailleurs. Comme de plus en plus de clubs s’intéressaient à moi, pas seulement Malines, j’ai rencontré le président en janvier. Il m’a dit qu’il voulait qu’à terme, je devienne le T1 d’Anderlecht et que je ne pourrais donc pas quitter le club en été. J’ai marqué mon accord. Ce sont les résultats qui ont fait en sorte que ce moment arrive plus tôt que prévu. J’ai dû répondre présent d’un seul coup mais quand on est ambitieux, on n’hésite pas.

Vous aviez déjà déclaré à plusieurs reprises que vous vous sentiez prêt.

Oui, je me sentais prêt à diriger et à déléguer. J’avais à peine terminé ma carrière de joueur au Cercle Bruges que j’étais devenu adjoint au Sporting et il n’est pas évident de donner entraînement à un groupe du jour au lendemain mais j’ai eu le temps d’évoluer. Pendant les six premiers mois, j’ai surtout observé. J’ai toujours eu les deux pieds sur terre. Je prends le temps, je ne suis pas pressé. Au début, il me fallait encore obtenir mes diplômes. Après, j’ai commencé à donner des entraînements et à réfléchir aux exercices, à regarder comment les autres coaches faisaient et à me demander comment j’allais m’y prendre. Je voulais progresser sans cesse car je suis passionné. Je pense au football 24 heures sur 24. Par la suite, je me suis mis à préparer les matches et à donner des consignes tactiques. Mais un T2 ne peut que donner un avis, c’est le T1 qui décide en fonction de la façon dont il voit les choses et dont il travaille. Ce sont des choses auxquelles il faut être préparé.

Et la pression, vous y étiez préparé ?

Oui, c’était nécessaire. Mais je suis dans le monde du football depuis tout petit et j’ai déjà vécu des choses bien plus graves. Quand on a perdu ses proches, on apprend à relativiser. J’en suis à ma douzième année en Belgique : six comme joueur et autant comme entraîneur. Je connais la maison, je fais partie du club, je compatis avec la direction, les supporters et les joueurs. La pression existe et il appartient à chacun de déterminer la façon dont il la gère. J’ai déjà vu beaucoup d’entraîneurs souffrir parce qu’ils ne supportaient plus cette pression. Mais cela, on le sait quand on signe son contrat. Personne ne peut prétendre le contraire. Et surtout pas moi, qui suis ici depuis si longtemps.

Cela vous rend-il insensible ?

Personne n’est insensible à la pression. Je pense que celui qui prétend le contraire ment. Mais il faut savoir faire la part des choses. Je suis un gagneur, je veux aller au fond des choses. Quand on signe à Anderlecht, on sait qu’on s’expose à la critique. Cela peut vous ronger mais aussi vous rendre plus fort.

 » J’ai des principes dont je ne me départis pas facilement  »

Quand vous étiez joueur, étiez-vous du genre à prendre des notes en vous disant que cela vous servirait à l’avenir en tant qu’entraîneur ?

Oui, je notais tout.

Tout ?

Les entraînements et les théories que je trouvais intéressantes.

Même les entraînements d’Aimé Anthuenis ?

Oui. Je les ai encore mais… les exercices ont tellement évolué depuis lors qu’on ne peut plus utiliser ceux-là. On s’entraîne désormais de façon beaucoup plus spécifique et plus ciblée en fonction de ce qu’on veut voir en match. Avant, les méthodes étaient plus globales.

Quel est l’entraîneur qui vous a le plus appris ?

J’aimais bien les exercices de Frankie Vercauteren. Ils étaient intéressants parce qu’ils vous obligeaient à réfléchir. Au Cercle, Glen DeBoeck faisait cela aussi. En équipe nationale albanaise, sous la direction de l’Italien Giuseppe Dossena, nous faisions souvent des exercices tactiques sans ballon. Aujourd’hui, tout est beaucoup plus professionnel. Même l’approche physique a complètement changé. Avant, il n’y avait pas d’analyse vidéo. Or, une équipe a beaucoup à gagner de ces détails. Quand les choses vont moins bien, il faut se concentrer là-dessus.

Vous avez donné de l’importance à l’analyste vidéo, Bart Meert. Aujourd’hui, il vous accompagne sur le terrain d’entraînement et sur le banc. Pourquoi ?

Nous effectuons des analyses vidéo pendant la semaine et parfois même des débriefings, afin de confronter les joueurs à leurs lacunes. Bart est bien plus qu’un très bon analyste vidéo, c’est un garçon doué et structuré en qui j’ai confiance. Il est donc T3 jusqu’en fin de saison. Après, on verra.

Quelle est votre force en tant qu’entraîneur principal ?

Je dois encore faire mon auto-évaluation mais j’ai des principes dont je ne me départirai pas facilement.

 » John van den Brom ne croyait pas aux amendes  »

Lesquels ?

Je veux que tout le monde pense beaucoup plus au football. Il n’est pas nécessaire de s’entraîner trois fois par jour mais, au club, il y a beaucoup de choses auxquelles on peut penser. Quand on dispose de telles conditions de travail, il faut les utiliser. Ici, surtout parmi les jeunes, il y a des joueurs pour lesquels le football s’arrête dès la fin de l’entraînement. Ils devraient vivre davantage pour leur sport : faire des exercices avant la séance, mieux se soigner, prendre le temps de se reposer, veiller à leur alimentation… Et je trouve normal que, quand un match passe à la télé, ils le regardent.

Doivent-ils, comme vous, installer une antenne parabolique à la maison afin de suivre tous les championnats européens, y compris celui d’Albanie et du Kosovo ?

Non, ils peuvent mener une vie normale. Mais je trouve que certains ne sont pas suffisamment passionnés. Mbark Boussoufa, par exemple, ne vivait que pour le football. On pouvait parler pendant trois heures d’un match qu’on avait regardé la veille, il ne manquait jamais un entraînement et voulait remporter tous les petits matches. J’aime ce genre de joueurs. Il avait du talent et vivait pour son métier. Pareil pour LucasBiglia, le plus grand professionnel que j’aie rencontré. Tout le monde ne doit pas être comme eux mais je n’aime pas qu’on vienne ici juste pour s’entraîner. Certains sont déjà partis lorsque je rentre dans mon vestiaire, ça m’énerve. C’est pourquoi je demande qu’on soit plus discipliné. Mais ce n’est pas moi qui ai inventé le système d’amendes, hein : le règlement d’ordre intérieur existait déjà. Seulement, pendant 18 mois, John ne l’a pas utilisé parce qu’il ne croyait pas aux amendes, il voulait s’y prendre autrement. Mais quand on travaille avec des jeunes qui oublient parfois certaines choses, un règlement et la répétition de certains principes de base ont le mérite d’être clairs. Nous devons leur inculquer la culture du travail, leur apprendre à penser football. A la longue, ils vont finir par y arriver.

Mais à Anderlecht, on cultive plutôt le football-champagne.

Nous avons toujours eu des joueurs capables de faire basculer un match mais pour le moment, ce n’est pas le cas. Il faut donc se reposer sur autre chose mais de toute façon, il faut travailler plus dur car ces jeunes doivent encore progresser.

 » Nous sommes sur la bonne voie  »

De quel genre de football êtes-vous partisan ?

Je veux jouer en fonction des qualités de mes joueurs mais il faut toujours pouvoir se reposer sur quelque chose : l’organisation, la possession de balle, la discipline. C’est cela que je veux travailler. Un MatiSuarezpeut faire basculer un match quand il est en forme. Il faut donc lui laisser de la latitude mais pour cela, il faut construire une équipe équilibrée autour de lui. Quand on dispose d’un attaquant comme Aleksandar Mitrovic, il faut dominer pour exploiter ses points forts et le rendre meilleur. Ce sont les spécificités d’une équipe qui déterminent la façon dont on travaille.

Quand vous avez pris vos fonctions, les médias ont affirmé que tant Anderlecht que vous preniez un grand risque. Le club parce qu’il choisissait un entraîneur inexpérimenté dans une situation difficile et vous parce que vous n’aviez que onze matches pour faire vos preuves. Voyez-vous les choses différemment ?

On peut considérer le fait d’arriver en pleine saison comme un risque mais aussi comme une belle occasion. Etre entraîneur d’Anderlecht, c’est la plus belle chose qui soit et cela devait arriver. Je trouve logique que le club ait pensé à moi. Sinon, qui aurait-il choisi ? Un étranger qui ne connaissait rien au football belge et qu’il fallait lancer en plein play-offs ? Je connais l’équipe, la mentalité des joueurs et leurs qualités. Je trouve que celui qui pense que j’hypothèque mes chances en tant qu’entraîneur ne réfléchit pas très loin.

Anderlecht donne l’impression de vouloir poursuivre avec vous.

Tout à fait. La direction veut améliorer le fonctionnement du club et estime qu’il n’y a pas meilleur que moi pour le faire. Alors, si les résultats suivent, il n’y a pas de raison de ne pas poursuivre avec moi. Mais s’ils ne suivent pas, il sera difficile de faire comprendre que je reste.

Lorsque vous avez pris vos nouvelles fonctions, vous avez déclaré que, si les joueurs vous suivaient, beaucoup de choses étaient encore possibles. Vous suivent-ils ?

C’est en bonne voie. L’équipe est mieux organisée, plus collective. Nous travaillons différemment et les joueurs commencent à comprendre. Ils savent mieux ce qu’il faut faire dans certaines situations, jouent davantage en fonction de leurs qualités et font moins certaines choses. En ce sens, nous sommes sur la bonne voie, c’est positif. Mais cela doit se traduire par des résultats.

 » Les jeunes se sentent déjà mieux  »

Herman Van Holsbeeck dit qu’il faut mettre en place une structure permettant la post-formation des jeunes dans le noyau A et que vous êtes l’homme idéal pour le faire. N’est-ce pas davantage la tâche d’un directeur technique que celle d’un entraîneur ?

C’est aussi la tâche d’un entraîneur. C’est à moi de déterminer les choses et de m’encadrer de gens qui vont les exécuter. Le club connaît ma vision des choses, ma façon de travailler et mes objectifs. Les effets se font déjà sentir et j’irai encore beaucoup plus loin la saison prochaine.

Comment vous y prenez-vous ? Que manque-t-il encore à Dennis Praet, Youri Tielemans et Massimo Bruno pour progresser ?

Un accompagnement et des entraînements individuels, surtout. Pas seulement sur le terrain mais aussi en dehors. Ils pourraient travailler leurs lacunes en salle de fitness avec un préparateur physique. Il n’y a pas que l’entraînement qui compte mais aussi la discipline tactique, la concentration… Toute une gamme de choses qu’on peut apporter à ces jeunes. Certains vont encore à l’école. Il faut que tout s’imbrique le mieux possible. C’est tout un programme qu’il faut mettre en place et nous devons pouvoir compter sur des gens qui sont prêts à le faire et qui soient donc ici du matin au soir. Je le répète : c’est une culture du travail et je suis convaincu que, si on m’en laisse le temps, je vais finir par la leur inculquer. Aujourd’hui, déjà, ils s’entraînent du matin au soir et se sentent mieux.

Ne possèdent-ils pas cette culture ?

Si mais il faut encore la développer. Dennis Praetdoit davantage penser au football, y compris lorsqu’il ne s’entraîne pas. Comme Mbark Boussoufa. Youri Tielemans est encore très jeune et va toujours à l’école. La semaine avant le match au Standard, il était en examens. Je sais ce que c’est car j’ai un fils. C’est pour cela qu’il faut mettre en place une structure lui permettant d’étudier, de s’entraîner et de se reposer. Ce sont des choses qu’il faut planifier. Quant à Massimo Bruno, c’est un joueur fantastique mais il doit se sentir bien et apprendre à jouer des deux côtés du terrain.

Vous voulez dire attaquer et défendre ?

Oui car c’est ça le football moderne.

 » Il n’y avait pas de structure dans l’équipe  »

Y a-t-il suffisamment d’exemples pour ces jeunes dans le noyau A ?

Bram Nuytinck ne pense qu’au football mais il y en a d’autres. Lorsque je ne les oblige pas à être là à huit heures du matin, il y en a tout de même sept ou huit qui se présentent spontanément. Fabrice N’Sakala, par exemple.

Quel fut le plus gros problème d’Anderlecht cette saison ?

Nous avons mal évalué certains joueurs, l’équipe n’était pas équilibrée, nous avons rapidement perdu un joueur important comme Suarez, nous n’avons pas réussi à élever le niveau des jeunes et nous n’avions pas de base sur laquelle nous reposer, pas d’organisation ou de structure dans l’équipe.

Etait-ce davantage nécessaire que la saison dernière ?

Oui car nous avions perdu des joueurs de talent. Tout le monde parle de Dieumerci Mbokani, MilanJovanovicou Lucas Biglia mais n’oublions pas non plus Sacha Iakovenko, TomDeSutter, BehrangSafari ou Marcin Wasilewski. A leur façon, tous ont été importants à un moment ou l’autre.

Etes-vous impliqué dans la construction de l’équipe en vue de la saison prochaine ?

Evidemment, j’indique le profil de certains joueurs.

De quels profils Anderlecht a-t-il besoin ?

Ce n’est pas le moment de parler de cela. Jusqu’au terme de la saison, nous nous concentrons sur nos objectifs. On verra après. Mais la saison prochaine, nous serons là, soyez en sûr.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » La pression ? Quand on a perdu ses proches, comme moi, on apprend à relativiser.  »

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