© PHOTONEWS

Bas Dost: « Sans le Covid, nous n’aurions jamais été éliminés de la Coupe ni de l’Europa League »

Matthias Stockmans
Matthias Stockmans Matthias Stockmans is redacteur van Sport/Voetbalmagazine.

En janvier, le Club Bruges a enrôlé un attaquant de première classe: Bas Dost. Soit un ex-meilleur buteur des championnats des Pays-Bas et du Portugal. Mais le Néerlandais ne s’estime pas sur le retour, que du contraire!

Les sportifs de haut niveau se distinguent des autres par leur mentalité. Ils sont plus performants sous la pression. Bas Dost, 31 ans, en est l’exemple parfait. Le Club Bruges l’a transféré pour quatre millions de l’Eintracht Francfort en fin d’année 2020, afin de combler son manque en attaque. Et le Néerlandais a immédiatement répondu aux attente, en trouvant le chemin des filets lors de ses quatre premiers matches.

« Du stress? Non, j’adore ça! On peut attendre de moi que je marque, que je sois performant. Ça me motive. Je ne suis donc pas surpris d’avoir marqué dès les premiers matches », raconte le géant à propos de ses premières semaines à Bruges.

Nous sommes installés dans une des salles de réunion du Belfius Base Camp de Knokke. Le soleil printanier jette ses timides rayons sur son crâne rasé de près. Bas Dost s’exprime à voix haute, avec énergie – d’où les nombreux points d’exclamation qui ponctuent cette interview. Il accueille le moindre clin d’oeil d’un large sourire. On le remarque à son langage corporel: cet homme sait qui il est. Il se sent bien. Même si, il n’y a pas si longtemps, ça n’était pas le cas. Mais ça, c’est pour plus tard. Commençons par l’actu chaude…

Tu vas disputer des play-offs pour le titre pour la première fois de ta carrière: es-tu impatient?

BAS DOST: J’en ai joué aux Pays-Pas avec Heracles Almelo, mais pour un billet européen. On m’a expliqué le concept à mon arrivée et il m’a plu, car Genk nous suivait de près. Puis nous avons creusé notre avantage et la perspective de ces play-offs m’a énervé. J’ai compris qu’on allait diviser nos points. C’est injuste! Mais bon, nous devons nous livrer à fond, car notre avance fondra si nous perdons quelques matches. Cette formule n’est pas favorable au leader alors qu’elle permet au quatrième de grimper au classement et de se qualifier pour la Champions League. Je vous dirai ce que j’en pense à la fin, d’accord?

Bas Dost:
© BELGAIMAGE

Un titre national constituerait aussi une première pour toi.

DOST: En effet, et c’est pour ça que je suis ici. Et pour rejouer en Ligue des Champions.

Tu l’as dit toi-même, pour cela, vous devez relever votre niveau. La pandémie a eu un impact sur la forme du Club, comme tu l’as ajouté.

DOST: Une période difficile. Nous avons perdu un joueur tous les jours. Et tout le staff technique… C’est dur. Le staff des Espoirs a fait de l’excellent travail, mais c’est quand même différent. Et tous les jours, il y avait ces tests et la crainte d’être le suivant. Dramatique! Sans le Covid, nous n’aurions jamais été éliminés de la Coupe ni de l’Europa League, j’en suis convaincu.

Est-ce frustrant ou as-tu déjà tourné la page?

DOST: J’ai enragé, mais j’ai clos le chapitre. Nous étions impuissants. À quoi bon se faire du souci alors qu’on peut encore gagner le titre? Si nous l’emportons, nous aurons réussi notre saison.

Tu en es à huit buts et deux assists en treize matches. Es-tu satisfait de tes premiers mois à Bruges?

DOST: Je suis venu pour marquer le plus grand nombre possible de buts et gagner le titre. De ce point de vue, je suis satisfait, compte tenu des circonstances, mais je peux faire mieux en travaillant mieux avec mes coéquipiers et en apprenant à exploiter leurs qualités. C’est une très chouette équipe, avec de bons gars. J’ai été très bien accueilli et notre complexe d’entraînement est extrêmement professionnel. La seule chose qui me manque, ce sont les supporters. Je n’ai pas encore disputé de match devant notre public et je n’ai donc pas pu créer de liens entre nous. Ça me manque terriblement. Il n’y a rien de plus beau que partager son émotion quand on a marqué un but.

Bas Dost:
Bas Dost: « Notre société dans son ensemble est plus encline à la dépression ou au burn-out, car elle est placée sous pression. Je n’y suis pas imperméable non plus. »© PHOTONEWS

Pourtant, même sans supporter, tu fêtes allègrement tes buts, comme ceux des autres d’ailleurs.

DOST: Bien sûr! Je trouve absurde qu’on inflige une amende aux joueurs qui fêtent un but avec leurs coéquipiers. On exerce nos automatismes jour après jour et quand on les transpose en match, on est fous de joie. On veut fêter ce moment. Un groupe se soude en partageant des émotions authentiques. Je l’ai souvent constaté dans mes clubs précédents. C’est pour ça qu’on joue au football. Je sais aussi le travail, les problèmes personnels qui se cachent derrière un résultat. Je comprends cette règle d’un point de vue préventif, mais quand même: dans chaque duel, je me frotte à un adversaire et je suis constamment marqué de près par un défenseur. Où est la différence? Je me rappelle que quand j’ai inscrit mon premier but, sur une passe de Charles De Ketelaere, j’ai spontanément couru vers lui, mais il m’a fait signe: « Non, non, ne t’approche pas. » Je n’y ai rien compris. Cette règle n’existe pas en Allemagne et je n’y ai donc pas prêté attention. Ensuite, Charles m’a expliqué qu’on s’exposait à une amende.

Tu as déjà écopé d’une amende?

DOST: Pas que je sache, mais peut-être Charles l’a-t-il payée ( Rires).

« Un attaquant doit marquer, ça fait partie de son job »

Tu as immédiatement remarqué que tu pouvais être décisif. En quoi exactement?

DOST: C’est grâce à l’entraîneur. Il m’a enrôlé avec une certaine idée et en a parlé à l’entraînement. Il ne cesse de répéter: « Passez le ballon à Bas! » C’est agréable, évidemment. En match, l’adversaire va s’y adapter et me coller une double couverture, mais du coup, certains coéquipiers sont libres. Donc, c’est aussi bien.

Tes coéquipiers te comprennent-ils déjà suffisamment?

DOST: Au début oui, mais suite aux contaminations, ça s’est un peu effiloché. Je dois y travailler: reprendre les choses en mains et me faire remarquer. Je me suis peut-être un peu relâché de ce point de vue.

Que penses-tu du niveau du groupe?

DOST: Je connaissais certains joueurs – Mignolet, Vanaken, Vormer – et leur niveau ne m’a donc pas surpris, mais je ne connaissais pas Charles et j’ai rapidement mesuré l’étendue de son talent. Plusieurs jeunes de l’équipes espoirs, âgés d’à peine 17 ou 18 ans, sont bourrés de qualités. Ils ont immédiatement assimilé le niveau du noyau A, même s’ils ne sont pas encore au bout de leur développement physique.

C’est un fameux compliment de la part de quelqu’un qui a joué au Sporting Portugal, dont l’académie est très réputée.

DOST: Le Sporting sort d’autres types de jeunes: ils sont plus techniques. Ceux du Club ont aussi de la profondeur et travaillent beaucoup. C’est très prometteur.

Le Club veut que tu marques, que tu sois un leader, mais aussi que tu prennes sous ton aile des jeunes, comme tes partenaires en attaque Youssouph Badji et Daniel Pérez.

DOST: Ça doit venir des deux côtés. Je peux leur indiquer certaines choses, mais ils doivent aussi poser des questions. Je ne veux pas faire le gourou qui sait tout. J’apprends encore tous les jours. Je trouve aussi que quand ça va moins bien, c’est à l’entraîneur d’intervenir, mais les joueurs expérimentés peuvent donner un feed-back positif. Ça m’a beaucoup aidé dans ma carrière. À Heracles, par exemple. Antoine van der Linden, un défenseur de 35 ans, m’a beaucoup aidé. Ou Birger Maertens, qui y jouait aussi à ce moment. Ils ont tous décelé mon potentiel. J’ai aussi connu des joueurs qui n’insistaient que sur les aspects négatifs, qui râlaient à chaque perte de balle. Ça n’aide personne.

Bas Dost:
Bas Dost: « Je ne veux pas faire le gourou qui sait tout mieux que tout le monde, j’apprends tous les jours. »© BELGAIMAGE

As-tu rapidement compris que la finition constituait ta principale qualité? Après tout, tu es été formé comme numéro 10.

DOST: J’ai rapidement compris que j’avais le sens du but, que j’étais capable de me concentrer dans la zone de vérité, d’opérer les bons choix au bon moment. Je sais comment me placer et négocier le ballon, comme Kevin De Bruyne dans son passing. Quand je suis au meilleur de ma forme, je peux mettre le ballon à l’endroit où je veux. J’adore prendre un gardien à contre-pied. Mais c’est une question d’entraînement, d’exercices au quotidien.

Avec quels sentiments rentres-tu à la maison quand tu n’as pas marqué?

DOST: Ça ne me ronge pas si nous gagnons 4-0 et que j’ai bien joué sans avoir trouvé le chemin des filets. Mais si nous perdons 3-2 et que j’ai marqué deux buts, je ne suis pas aussi triste que si nous avions perdu 3-2 sans que je marque. Je le reconnais bien volontiers. Naturellement, perdre m’embête, mais un attaquant doit marquer. Ça fait partie de son job. Je veux marquer, même quand je ne suis pas dans le match. Je dois rester à l’affût du moment où je pourrait trouver une faille. C’est l’aspect que je préfère à mon poste.

En 2017, tu as marqué 34 buts pour le Sporting CP et tu as même terminé deuxième au classement du Soulier d’Or européen, après Messi. As-tu vécu toute la saison sur un nuage?

DOST: Absolument pas. J’en voulais encore davantage et je pense que c’est ce qui fait ma force. Le match qui suit un hat-trick est le plus difficile qui soit. Car il faut être de nouveau à l’affût alors qu’on peut être tenté de se dire: « Eh, me voilà, que je suis bon! » Mais non! Il faut recommencer à zéro. Marquer quatre buts en un match, puis rester muet pendant des semaines est la pire des choses. D’ailleurs, je suis déjà impatient d’entamer la prochaine saison, car je jouerai dès le début et je pourrai viser le titre de meilleur buteur. C’est toujours un objectif pour moi. Et certainement au sein d’une équipe comme le Club Bruges, qui joue le titre.

Bas Dost:

« Je ne suis pas favorable à la BeNeLeague »

Les Pays-Bas sont le berceau des grands attaquants. Quels étaient tes modèles?

DOST: Ruud van Nistelrooy, un formidable attaquant, et Klaas-Jan Huntelaar. Ce dernier me ressemble un peu: il est redoutable dans le rectangle. Robin van Persie, par exemple, évolue dans un tout autre registre. C’était un fin technicien qui possédait un pied gauche remarquable.

Cette longue tradition te rend-elle la vie difficile? Les Pays-Bas mesurent tous les joueurs à l’aune de ces noms illustres, à commencer par Marco van Basten, l’élégance personnifiée.

DOST: Vous avez raison. Ce n’est pas juste, car une équipe a besoin de différents types d’attaquants alors que les avants techniques constituent la norme aux Pays-Bas. Je suis très grand et je ne suis donc pas aussi élégant. Mais un joueur de grande taille qui retire le maximum de ses qualités a autant de valeur que Messi. Comme l’avant de Genk, Paul Onuachu, qui a disputé un match fantastique contre nous. Voir ce géant de deux mètres conserver le ballon était phénoménal. J’ai vraiment apprécié.

Que penses-tu de l’idée d’une BeNeLeague?

DOST: Personnellement, je dis non. Laissons leur compétition aux Pays-Bas et à la Belgique. À moins que ça ne signifie que ces championnats ne soient plus viables. Mais ce qui fait la beauté du football, c’est la joie d’un petit club qui se prépare à recevoir une grande équipe, comme le Club Bruges. Je ne voudrais pas rater ça, de quelque côté de la barrière que je sois.

Donc pas de Super League non plus, pour toi?

DOST: Tout ce que je peux dire, c’est que j’apprécie l’état actuel des choses, le fait que les petits clubs aient l’occasion d’affronter les plus grands et qu’ensuite, dans une phase ultérieure, ceux-ci puissent en découdrent entre eux. Je n’ai pas envie de voir une affiche chaque semaine. Un match style PSG-Manchester City n’est chouette que parce qu’il n’est pas fréquent. C’est ce qui fait le charme de la Ligue des Champions.

Le football est-il devenu trop commercial? Toi-même, à un moment donné, tu as perdu le plaisir de jouer.

DOST: C’était au Sporting, quand les supporters s’en sont pris à leurs joueurs. Il est impossible de tomber plus bas. Ça a été très violent et j’ai perdu le plaisir de jouer. J’ai perdu ma connexion avec le public, j’ai eu peur de mes propres supporters. Sur le terrain et en dehors. Mais j’ai retrouvé ce plaisir. Je m’amuse beaucoup à l’entraînement ici. Les séances sont agréables et variées.

« Moi non plus, je ne peux pas tout supporter »

Tu a consulté un pyschologue du sport. Tu continues à le voir?

DOST: J’ai consulté une première fois à vingt ans, quand mon transfert d’Heerenveen à l’Ajax avait été bloqué. Je ne savais pas très bien comment me frayer un chemin dans le monde du football. Par la suite, j’ai continué à faire appel à ce psychologue, jusqu’à maintenant. Ce qui s’est passé au Portugal a été le pire moment de ma carrière. Il était très important alors d’avoir un soutien en dehors du football. Il se passe beaucoup de choses en football qu’il faut digérer, mais je ne pense pas que ce soit très différent d’un emploi normal. C’est quand même plus extrême pour nous, je pense. Nous sommes euphoriques une semaine, puis c’est le drame. Les différences sont très grandes. Notre société dans son ensemble est plus encline à la dépression ou au burn-out parce qu’elle est placée sous pression. Je n’y suis pas insensible. Moi non plus, je ne peux pas tout supporter et en fait, j’en suis très heureux.

Donc, tu comprends ton compatriote Tom Dumoulin quand il annonce n’avoir plus envie de vélo pour le moment?

DOST: Absolument. Il s’est exposé à des commentaires, mais je trouve formidable qu’un homme comme lui dise: « C’est assez, j’ai besoin de faire autre chose pendant un certain temps ». C’est très fort. Il est honnête envers lui-même, tout en s’exposant. J’espère que sa décision l’aidera. Et si, plus tard, il décide de raccrocher définitivement, soit: l’objectif est d’être heureux dans ce qu’on fait, après tout.

Tu as clairement retrouvé ton plaisir de jouer ici. Vas-tu rapidement prolonger ton contrat à Bruges au-delà de 2022?

DOST: Je n’y pense pas encore. Je suis en mode play-offs. J’ai sciemment signé un contrat d’un an et demi pour voir comment tout allait se dérouler, sachant qu’il serait encore temps de discuter après, mais je me sens très bien ici. La ville me plaît également, mais ce sera encore mieux quand les supporters pourront revenir au stade et que tout sera rouvert à Bruges.

Servi par Kevin De Bruyne et Bruno Fernandes

À Lisbonne, Bas Dost était approvisionné par Bruno Fernandes, maintenant à Manchester United. Au VfL Wolfsburg, il était servi par Kevin De Bruyne. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il a alors disputé ses deux meilleures saisons, marquant plus de trente buts. « Je dépends des joueurs qui m’entourent et de mon approvisionnement, mais c’est le cas de nombreux footballeurs. Fernandes avait également besoin d’équipiers qui amorçaient des actions ou créaient des brèches. De Bruyne était une exception. Extrêmement bon. Il créait lui-même ses occasions et ses espaces. Il délivrait toujours la bonne passe. Peu de joueurs en sont capables. Quand on le voit à la télévision, on pense que c’est logique, mais croyez-moi, ça ne l’est pas. La classe mondiale. Et il a encore progressé à Manchester City. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire