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 » JE VEUX ENCORE PASSER QUELQUES BONS MOMENTS SUR TERRE « 

Eric Gerets est l’entraîneur belge au plus beau palmarès. Il a été champion avec six équipes dans cinq pays différents. Une légère hémorragie cérébrale l’a amené à mettre un terme à sa carrière, l’an passé. Le Lion de Rekem ne sortira plus ses griffes. Pour Sport/Foot Mag, il évoque pour la première fois sa nouvelle vie.

Eric Gerets (62 ans) habite dans une authentique ferme située entre la Meuse et le canal du Zuid-Willemsvaart. Voilà déjà onze ans qu’il passe son temps libre à tout restaurer et le résultat est impressionnant. Après avoir été remercié d’Al Jazira, un club d’Abu Dhabi, en mai de l’an dernier, il est retourné dans son Limbourg natal. Son état de santé ne lui permet plus d’exercer son métier.

Durant l’hiver 2012, alors qu’il se trouvait à Doha, il a ressenti des douleurs dans la jambe gauche. C’est à peine s’il pouvait encore s’appuyer dessus. A l’hôpital, on a décelé une légère hémorragie cérébrale. Il a été opéré avec succès à Genk, mais après l’intervention, les médecins ont décelé deux anomalies dans les vaisseaux sanguins du cerveau.

Le Lion de Rekem, qui symbolisait autrefois la combativité du Standard et des Diables Rouges, est blessé. Il parle plus lentement, réfléchit davantage et ne s’énerve jamais. On ne se rend compte qu’on vieillit que lorsqu’on constate que son idole de jeunesse a elle aussi pris de l’âge. Au moment de se séparer, on retrouve heureusement le vrai Eric Gerets.  » Relire l’interview ? Non, ce n’est pas nécessaire. Si ce n’est pas bon, je saurai bien où te trouver !  »

Eric dépose les tasses de café sur la grande table de la salle à manger. Dans le salon, j’admire l’imposant piano. Les copeaux de bois sont prêts pour l’hiver. Le chien demande qu’on s’occupe de lui.  » Il est aussi vieux que son maître « . L’ancien capitaine du Standard et des Diables Rouges n’hésite pas à enfoncer le couteau dans la plaie.

Comment vas-tu ?

ERIC GERETS : J’ai quelques douleurs, mais je dois faire avec. Je continue à souffrir de troubles de l’équilibre, qui sont réapparus ces derniers temps. Je fais souvent la navette entre le médecin de famille, l’hôpital, le neurologue et le cardiologue. J’essaie, de cette manière, de pouvoir profiter le mieux possible de mes vieux jours. Si je garde tout sous contrôle, je pourrai encore tenir quelques années.

Tu as toujours été très fort. C’est compliqué de devoir vivre avec des douleurs ?

GERETS : C’est surtout très ennuyeux. Mais à un certain moment, le corps s’adapte. On n’a pas le choix. On a encore envie de faire des choses, avec sa vieille carcasse, mais on n’y parvient plus. Eviter de solliciter la jambe gauche, s’appuyer sur une jambe, puis d’une jambe à l’autre : c’est parfois pénible. Heureusement, je n’en souffre pas mentalement. En faisant des exercices, on peut compenser ces troubles de l’équilibre. Il y a quelques jours, je me suis remis en mouvement. Tous les jours, je passais au minimum une heure dans la salle de gym et je faisais une balade d’au moins heure également.

Le début des problèmes remonte à 2012, mais tu as poursuivi ta carrière d’entraîneur jusqu’en mai 2015.

GERETS : Je me trouvais encore trop bon pour arrêter. Lorsque mon état de santé s’est encore détérioré, j’ai préféré en rester là. Je veux encore passer quelques bons moments sur terre, pendant le temps qu’il me reste.

Cette décision a-t-elle été difficile à prendre ?

GERETS : Ça n’a pas été facile, en tout cas. J’aurais aimé terminer ma carrière au Standard, et si j’avais été en état de le faire, je l’aurais fait. J’aime tellement mon club que je préfère être dans la tribune comme supporter que remplir une fonction importante dans l’organigramme, avec tous les risques que cela comporte.

Tu aurais aussi pu devenir consultant. En principe, ce n’est pas une fonction stressante.

GERETS : J’estime qu’il faut laisser les collègues en paix. Lorsqu’on analyse un match, il faut de temps en temps se montrer critique et je n’en ai pas envie. Lorsque je rencontre un collègue après un match, je préfère prendre un café avec lui. Tout le monde essaie de faire son travail le mieux possible. J’ai consciemment décidé de quitter le manège. Et je ne ressens pas le besoin d’apparaître à la télévision.

Le football et la popularité ne te manquent pas ?

GERETS : J’attends le week-end avec impatience pour pouvoir voir jouer ma petite équipe. J’assiste à tous les matches européens. Je suis toujours aussi passionné. Cela m’aurait sans doute plu de travailler quelque part comme team-manager. Mais j’aurais alors eu tendance à vouloir m’occuper de tout et à aider tout le monde. Or, on ne peut pas se rendre utile sans avoir sa part de stress.

Ta petite équipe, c’est le Standard. C’est difficile de supporter les Rouches ?

GERETS : Le calme est revenu, c’est très important. On peut de nouveau travailler sérieusement. Jankovic est apprécié de tous, Van Buyten fait du bon boulot et le président a trouvé sa place. Il y aura encore des hauts et des bas, mais on aime son club dans les bons comme dans les mauvais moments.

Une fonction comme celle de Van Buyten, ça te plairait ?

GERETS : Ma fonction actuelle me convient très bien. Mon apport se limite à encourager l’équipe. Le dimanche, je me rends à Sclessin. Lorsque le Standard joue en déplacement, j’essaie de me faire inviter. Et, la plupart du temps, le président m’invite à dîner.

Et il te demande sans doute ton avis ?

GERETS : La saison dernière, oui, mais plus cette saison-ci. Il sait que je préfère ne pas m’en mêler. Ça m’évite de mettre quelqu’un en difficulté. J’espère, de tout mon coeur, que le club n’a pas besoin de mes conseils.

Comment vis-tu cette situation ?

GERETS : Très calmement. Je ne saute pas de mon fauteuil lorsqu’un but est marqué. Et lorsque l’équipe est battue, je ne broie pas du noir pendant toute la journée.

Tu as donc appris à perdre. Qui l’eût cru ?

GERETS : Ça ne me ressemble pas, effectivement, et j’ai dû attendre longtemps pour en arriver là.

MARSEILLE ET LE MOYEN-ORIENT

Tu as été champion avec le Lierse, Bruges, le PSV et Galatasaray, et vice-champion avec Marseille. Autant de clubs où l’on vit le football avec passion. Et puis, subitement, tu optes pour le Moyen-Orient. J’ai dû mal à comprendre.

GERETS : J’ai mal digéré une déclaration de Robert Louis-Dreyfus, le propriétaire de Marseille, et lorsqu’on me titille, je réagis parfois émotionnellement.

Qu’avait-il dit ?

GERETS : ‘Il ferait mieux de terminer premier ou deuxième, sinon nous aurons un problème’. Cette déclaration s’adressait plus au président Pape Diouf qu’à moi-même, mais j’avais une très bonne relation avec Diouf, et indirectement, je me suis senti visé. J’ai pris cette remarque comme une attaque personnelle.

Un propriétaire qui demande à la direction du club de terminer premier ou deuxième : on a connu pire en football…

GERETS : Au moment où il a dit cela, il restait encore de nombreuses journées de championnat et tout se passait très bien. Je me suis dit qu’il ne comptait pas me proposer une prolongation de contrat au terme de la saison et j’ai pris les devants. Plus tard, j’en ai encore discuté avec son épouse Margarita, lors d’une finale de coupe avec Marseille. Elle m’a révélé qu’au moment de cette déclaration, son mari était très malade, presque en phase terminale, et qu’il ne mesurait pas la portée de ses paroles.

Être entraîneur au Moyen-Orient, c’est un virage dans une carrière. La plupart du temps, c’est un voyage sans retour. Tu l’as entrepris sur une simple réaction émotionnelle ?

GERETS : Tout à fait, car j’ai toujours considéré Marseille comme un club fantastique et j’y serais volontiers resté. Mais, lorsque les personnes en place font du bon boulot, on ne doit pas dire : attendons encore pour ce nouveau contrat, on verra plus tard. On leur fait comprendre qu’on est content.

Il y a longtemps, tu disais toujours que tu voulais arrêter ta carrière de coach à 54 ans. C’est environ à cet âge-là que tu as quitté Marseille.

GERETS : Je n’avais pas envie d’arrêter, j’aimais trop ce métier. J’ai terminé ma carrière d’entraîneur au Moyen-Orient. Les nouveaux défis ne m’ont jamais effrayé. Et, soyons honnête : on gagne très bien sa vie là-bas. C’était très agréable. Des clubs en Arabie Saoudite, au Qatar et aux Emirats Arabes Unis, plus l’équipe nationale du Maroc : ce furent des expériences très intéressantes. Je ne regrette nullement de les avoir vécues.

Bruges, le PSV, Galatasaray, Marseille : dans ces clubs-là, les tribunes sont toujours pleines et la passion est perceptible à tous les coins de rue. Et puis, tu vas te perdre dans le désert, au propre comme au figuré.

GERETS : L’intérêt des supporters était très différent dans ces trois pays. En Arabie Saoudite, il n’était pas rare que nous jouions devant 25.000, 30.000 ou 35.000 spectateurs. Mais au Qatar, il n’y avait parfois que 350 personnes dans le stade. Le contraste était saisissant. Ce n’est pas facile de trouver la motivation quand on joue devant 350 personnes. Mais, dans les clubs où j’ai travaillé, on y est souvent parvenu.

J’ai rendu visite à Michel Preud’homme à Riyadh. Après 24 heures, je voulais déjà partir. Je ne pourrais pas vivre là-bas.

GERETS : Michel travaillait dans un club qui compte peu de supporters. Ittihad à Jeddah et Al Hilal, mon club à Riyadh, attirent 20 fois plus de spectateurs. Au niveau sportif, Al Hilal c’était le top. Le reste est accessoire. C’était sans doute aussi le cas pour Michel. Mais l’Arabie Saoudite, c’est en effet un pays un peu spécial. Ce n’est pas évident de s’y sentir à l’aise. Le Qatar et Abu Dhabi, c’est très différent. Là-bas, lorsqu’on se rend dans un centre commercial, tout le monde vous laisse tranquille. Chacun vit sa vie. On peut parfaitement s’isoler et faire ce dont on a envie.

Pour nous, c’est un monde étrange. On a l’impression que tous les maux proviennent de là-bas. On a une fausse image de ces pays ?

GERETS : Tu ne m’entendras jamais dire du mal des pays dans lesquels j’ai travaillé. Le Qatar et les Emirats étaient des endroits très agréables. Doha est très petit et on en a vite fait le tour, mais les Emirats dans leur ensemble étaient formidables. Je me rendais souvent à Dubaï, où ça bouillonne, et je revenais toujours avec plaisir dans la quiétude d’Abu Dhabi. Je garde un très bon souvenir de toutes les secondes que j’ai passées dans ces pays.

Tu t’y plaisais tellement, que des rumeurs ont circulé selon lesquelles tu serais devenu musulman.

GERETS : J’ignore d’où elles proviennent. Car, non : je ne suis pas devenu musulman. Je me sens bien comme je suis. Je ne vais pas à la messe toutes les semaines et je ne me vois pas aller prier à la mosquée toutes les semaines non plus, ni me prosterner devant une gigantesque statue de Bouddha. J’essaie de vivre ma vie à ma manière. Bien sûr, on espère toujours un petit coup de pouce du destin, mais cela n’a rien à voir avec les croyances.

LA FAMILLE, LES AMIS

Pour toi, ce serait quoi, un petit coup de pouce du destin ?

GERETS : Je ne me sens pas seul, mais j’aimerais ne pas devoir passer le restant de mes jours en étant isolé. Je préfèrerais le passer en compagnie d’une personne avec laquelle je m’entends bien. Avoir quelqu’un à mes côtés, oui, cela me manque. Mais, si je ne trouve pas l’âme soeur, ce ne sera pas un drame non plus.

Tu recherches donc quelqu’un qui puisse t’offrir un peu de compagnie ?

GERETS : Chercher, c’est un grand mot, mais si je trouvais, ce ne serait pas plus mal. Maintenant, cela ne me hante pas l’esprit. On ne peut pas forcer les choses, donc je ne les force pas.

Grâce à l’Arabie Saoudite et au Qatar, tu es devenu champion dans cinq pays différents. Peu d’entraîneurs peuvent en dire autant.

GERETS : Aussi longtemps qu’on est entraîneur, on accorde de l’importance au palmarès. Mais, maintenant que j’ai arrêté, je constate que je ne me focalise plus là-dessus. Dans un coin de la tête, on garde à l’esprit ce qu’on a réalisé, mais ce qui occupait autrefois la première place, n’arrive plus qu’en quatrième ou cinquième position.

Et qu’est-ce qui arrive désormais en première position ?

GERETS : Les amis et la famille, surtout. Les enfants et les petits enfants. J’ai beaucoup plus de temps à leur consacrer, aujourd’hui. Mon fils aîné travaille comme personal advisor, alternativement chez Lieven Maeschalck et ici dans le coin. Mon autre fils gère un café à Louvain. Lorsque j’en ai la possibilité, je vais voir jouer ses enfants. Ils jouent respectivement en U12, U9 et U6 à OHL.

Et en dehors de cela, comment passes-tu tes temps libres ?

GERETS : Lorsque le temps le permet, je vais pêcher pendant une heure ou deux. Pas très loin d’ici, il y a un grand étang où on trouve pas mal de poissons. Je lance un hameçon, je reviens boire un café et je retourne pêcher. Je passe aussi un peu de temps à lire le journal. Et le week-end, il y a le Standard. Parfois, je vais aussi voir jouer le Racing Genk. Je suis la Ligue des Champions à la télévision, mais je ne reste pas toujours scotché à l’écran.

Tu n’as pas encore croisé Luc Nilis à Genk ? Dans sa biographie, il t’adresse quelques critiques.

GERETS : Ce n’est jamais agréable, mais j’ai appris à ne plus trop me préoccuper de tout cela. Sinon, on se fait des soucis pour tout et on détériore sa santé. Il a fait ce qu’il avait à faire et j’espère que son livre s’est bien vendu.

Tu aurais joué les manipulateurs et tu l’aurais liquidé au PSV.

GERETS : J’ai toujours eu l’impression d’avoir une bonne relation avec Luc, mais apparemment je me suis trompé. Peut-être qu’un jour, nous nous rencontrerons dans un stade de football et il pourra alors m’expliquer les raisons de sa colère.

Tu risques alors de te fâcher ?

GERETS : Non, c’est du passé. Je ne me fâche plus très souvent. Je me suis suffisamment énervé autrefois. Aujourd’hui, j’essaie avant tout de trouver une solution, dans le calme. Je ne ressens plus le besoin de faire des folies.

Si tu écrivais une autobiographie, tu ne critiquerais pas les gens que tu as côtoyés dans le passé ?

GERETS : Non. On m’a déjà demandé à plusieurs reprises d’écrire une biographie, mais cela ne m’attire pas. Je me sens bien comme je suis, je ne demande rien de plus.

Tu sembles vraiment avoir coupé les ponts avec le passé.

GERETS : Peut-être cette alerte cérébrale m’a-t-elle fait comprendre que je devais me comporter autrement. Je pense que tout le monde a besoin, à un moment donné, de subir un événement pour être ramené à la réalité. J’ai l’impression que, chez moi, c’est arrivé. Je suis resté le même homme, mais j’essaie de me comporter autrement. On ne peut pas faire disparaître totalement le naturel, mais je suis tout de même moins explosif qu’autrefois. Je suis devenu plus doux et plus raisonné dans mes commentaires.

PAR FRANÇOIS COLIN – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » J’aime tellement le Standard que je préfère être dans la tribune comme supporter que remplir une fonction importante.  » – ERIC GERETS

 » Je ne me fâche plus très souvent. Je me suis suffisamment énervé autrefois.  » – ERIC GERETS

 » J’aimerais ne pas devoir passer le restant de mes jours en étant isolé.  » – ERIC GERETS

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