« JE VEUX CHANGER LA MENTALITÉ BELGE »

Du lendemain de la victoire en huitième de finale jusqu’au lendemain de l’élimination, nous avons suivi le sélectionneur. Une dernière fois.

Un à un, il félicite ses joueurs abattus. Il n’a pas son veston. Juste sa sempiternelle chemise blanche, manches retroussées, dans une métaphore parfaite du gars qui retrousse ses manches pour aller au charbon. Cela résume tellement bien notre sélectionneur fédéral. Marc Wilmots a un petit geste supplémentaire pour Romelu Lukaku. Par contre, quand il voit qu’Adnan Januzaj n’obtempère pas à une de ses injonctions, il le renvoie directement aux vestiaires. Quelques minutes plus tard, le joueur de Manchester United, tête basse comme un gamin qu’on vient d’enguirlander et qui rumine sa colère, passe dans la zone mixte sans répondre. Il sera le premier dans le bus. Wilmots fait, lui, le tour de ses obligations médiatiques, après avoir dit quelques mots dans le vestiaire. Des membres de son staff ont les yeux humides. L’aventure brésilienne s’arrête là. Il leur dit que le travail a été bien fait et qu’une nouvelle aventure débute dès maintenant. Il est déçu mais ne le montre pas. Son équipe vient de chuter en quart de finale face à l’Argentine mais pour lui, il ne s’agit nullement d’un échec même si cela signifie sa première défaite en match officiel avec les Diables Rouges.  » On peut être fier mais aussi déçu de ne pas avoir été battu par une équipe meilleure que nous.  »

Les mots qu’il emploie mettent en valeur son équipe et n’ont aucun égard pour son vainqueur du jour.  » Sans Lionel Messi, cette équipe est normale. C’est le dépositaire du jeu, celui qui donne l’impulsion nécessaire. Je ne vais pas faire le Calimero car ce n’est pas dans mon style mais Messi fait quatre fautes et ne reçoit aucun carton jaune. Et je suis certain que si on égalise, les Argentins sont morts. Nous, on possède un collectif alors que l’Argentine possède des joueurs offensifs de qualité. Lorsqu’on voit cette équipe, on voit une équipe scindée en deux. Mais c’est elle qui a raison puisque c’est elle qui passe. Si j’avais joué de la sorte, la presse belge m’aurait dit : – Tu ne produis pas de jeu. Mais bon, il faut apprendre à perdre et à gagner.  » Ce jour-là, il ne veut pas reconnaître que les Belges n’ont pas produit assez d’occasions, ni que les individualités ont failli, tant son capitaine Vincent Kompany derrière qu’Eden Hazard ou Divock Origi devant.

Plus loin, plus haut, plus fort

Le lendemain, la déception quelque peu évacuée, il atténue ses propos vis-à-vis de l’adversaire.  » J’étais déçu car on est passé tout près. Tu as l’impression que tu peux les prendre mais tu perds 1-0. Cette équipe est impressionnante dans sa gestion et c’est ça qui m’énerve. Elle a géré parfaitement la rencontre. On parle de beau football mais le beau football, c’est le résultat. C’est ce que j’ai tenté de vous expliquer lors du premier tour. Eux sont malins. Ils savent casser le jeu quand il le faut. Mais c’est aussi une qualité. Il faut les féliciter pour cela.  »

Son énervement démontre en tout cas l’objectif démesuré qu’il ambitionne pour les Diables Rouges. Cette ambition, il l’avait dévoilée dans l’avant-match.  » On est arrivé avec l’ambition d’aller le plus loin possible. Quand tu es en quart, tu ne dois avoir qu’une seule idée : aller en finale. Je sais qu’en Belgique, on se satisferait d’un quart. Mais pas moi. Je veux changer la mentalité belge. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que je pense différemment des autres.  » Le tempo est dicté par ses joueurs, Kompany en tête reconnaissant que le groupe ne parlait que de la finale de la Coupe du Monde et ne pensait jamais s’arrêter en quart.  » On était persuadé de les battre « , avoue celui qui est la prolongation de l’entraîneur sur le terrain. Une fois le quart évacué, il continue dans la même veine quand on lui parle de l’EURO. L’objectif doit être de faire partie du dernier carré. Toujours un peu plus loin, plus haut.  » On place toujours la barre plus haut mais cela ne me dérange pas « , ajoute Wilmots.

Pas question de s’adapter à l’adversaire

Officiellement, pour défendre son bilan, il met l’accent sur les points positifs de cette Coupe du Monde : préparation parfaite, groupe qui sait vivre ensemble pendant sept semaines, résultats. Mais au fin fond de lui-même, il y a de la déception. On vous l’a dit et répété : Wilmots est un compétiteur. Un quart, ce n’est pas assez. Il ne veut d’ailleurs pas que les Belges viennent féliciter ses joueurs à Bruxelles. Pour une question de sécurité mais surtout pour ne pas se griser d’un résultat qu’il rêvait meilleur.

Pourtant, il sait que son bilan est bon. N’a-t-il pas dit après les Etats-Unis qu’il plaignait son successeur car il avait mis la barre très haut, avant de dire en boutade :  » Ah, mais c’est moi le successeur  » ? Arriver en quart de finale pour un premier tournoi majeur avec cette jeune équipe (il n’a d’ailleurs pas manqué d’insister toute la semaine sur la moyenne d’âge de ses troupes en affirmant qu’il s’agissait  » de la plus jeune équipe des huit qualifiés pour les quarts « ) constituait l’objectif secret des dirigeants et de Wilmots en premier mais l’appétit ne vient-il pas en mangeant ? Lui, il n’a rien à se reprocher. Sa tactique et son coaching ont été à la hauteur de l’événement.

Même en quart de finale, il n’a pas tremblé. Il n’a rien changé à sa ligne de conduite. Il l’avait dit. Il l’a fait.  » Pas question de s’adapter à l’adversaire. Argentine ou pas, la Belgique va garder sa philosophie d’aller vers l’avant et de ne pas dépendre « . Son onze de base répond à cette affirmation. Là où beaucoup de gens avaient cru à une titularisation de Steven Defour pour embêter Lionel Messi, Wilmots affirme ses certitudes. Il reconduit l’équipe dominante du match des Etats-Unis et offre sa chance à Kevin Mirallas à la place d’un Dries Mertens, moins percutant. Il ne bute finalement que face au réalisme de l’équipe adverse.

Les critiques pour avancer

Retour quelques heures après la qualification pour les quarts de finale. Wilmots est ainsi ! Direct. Parfois trop. Certains confondent cela avec de l’arrogance. Ce serait plutôt un mélange de confiance en soi et de volonté de prouver aux autres sa valeur. Il sait que sa nomination n’a pas été portée par tout le monde, que sa popularité ne plaît pas à certains, ceux-là même qui sont revenus à la charge avec son absence de sens tactique, lui qui avait pourtant démontré lors de la campagne éliminatoire un certain flair et une science du jeu. Alors, parfois, il force ce côté  » seul contre tous « . La première pique est venue juste après la qualification pour les quarts de finale.  » On a dit de Romelu Lukaku qu’il ne jouait pas bien, qu’il était lourd. On l’a détruit mentalement. Nous, on l’a remonté mentalement. J’ai pris sa défense. En football, rien n’est jamais blanc ou noir, pourtant vous ne semblez pas connaître le gris.  »

Il oublie que lui aussi a douté de son attaquant et qu’il voyait bien que ses deux matches ratés avaient atteint sa confiance. Il l’a préservé mais a douté, au point de préférer DivockOrigi comme titulaire face aux Etats-Unis. Tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir mais Lukaku avait bien raté complètement son entrée en Coupe du Monde. Toutefois, Wilmots ne le reconnaîtra pas. Surtout pas. Car son discours ne connaît pas non plus les nuances de gris : c’est noir ou blanc.

Wilmots retient tout. Surtout les critiques. Il s’en sert pour avancer, pour se motiver, et n’hésite pas à les ressortir en temps utiles. Comme dans l’épisode Lukaku. Ou comme dans le choix d’Origi. Il n’hésite pas à rappeler à chaque fois qu’on souligne l’énorme Coupe du Monde du minot lillois que personne ne le connaissait lors de l’annonce de la sélection et que beaucoup avaient tiqué. Comme dans l’épisode de la tactique ou dans celui de l’absence de jeu lors des trois premiers matches. Alors, après le match des USA, il règle ses comptes :  » Etre ultra-dominant, c’est ce qu’on veut faire mais ce n’est pas toujours évident contre des équipes regroupées. J’aime le foot dominant, qu’on empêche l’adversaire de respirer et que le gardien ne sache pas quoi faire quand il doit dégager. On a dit qu’on ne travaillait pas trop la tactique mais j’en parle continuellement avec mes joueurs. Et depuis deux ans, on corrige les petites choses qui ne vont pas. A force de petites corrections au fur et à mesure, on en arrive à une équipe de très haut niveau.  » Tactique oui, phases arrêtées non. Il estime qu’il n’a pas assez de temps pour mettre au point une tactique à ce niveau-là et il l’explique :  » Si on marque sur corner, tu me diras qu’on a travaillé les phases arrêtées. Je te rassure, on ne les a pas travaillées ! Ce n’est pas en le travaillant une semaine que tu vas réussir à marquer sur phase arrêtée. Celui qui pense cela… Pour moi, c’est de la foutaise et je parle d’expérience.  » Du Wilmots pur jus !

Ecrire sa propre histoire

Ce match face aux USA lui fait du bien. Il le rassure dans sa philosophie, dans ses choix, dans sa position. Mais avait-il seulement besoin d’être rassuré ? Pendant la semaine, il ajoute un accent supplémentaire à son discours : l’histoire.  » On est en quart de finale. On a l’occasion d’écrire l’histoire et les joueurs en sont conscients.  » Car il le martèle depuis le début de l’aventure : le passé ne l’intéresse que s’il peut lui servir. Il en a marre qu’on lui parle sans cesse de Mexico 1986 ou des couacs de 1990, 1994, 1998 et 2002. Par contre, il se sert sans cesse de sa propre expérience (ses échecs et ses réussites) pour construire l’histoire de cette génération. Il leur raconte la vie à Schalke et cette campagne européenne historique. En conférence de presse, il fait référence aux Coupes du Monde vécues. La chaleur étouffante d’Orlando, celle de Bordeaux quelques jours après un match pluvieux et froid à Paris, les largesses arbitrales en 2002. Tout cela pour relativiser les circonstances ou les mystères qui entourent un match. Tout cela ne doit pas servir d’excuses à ses joueurs.

Il ne s’en sert d’ailleurs pas, une fois l’élimination entérinée. Le voilà tourné vers le prochain objectif. Et les problèmes qui risquent de se poser. Si le manque de rythme de ceux qui n’avaient pas beaucoup joué cette saison ne s’est pas fait sentir dans ce tournoi (que du contraire : tous les joueurs frais ont fait une excellente campagne), il en sera autrement lors des éliminatoires.  » Maintenant va venir une phase difficile : le choix des clubs de chacun. Vont-ils jouer ou pas ? C’est un facteur important pour l’avenir car nous ne disposons pas d’un noyau de 60 joueurs. Et nous n’aurons pas toujours cinq semaines de préparation avant un match.  »

Nous sommes le 6 juillet. Le soleil brille sur Mogi das Cruzes. Wilmots n’oublie pas de remercier les supporters qui ont porté cette équipe. Kompany, à ses côtés pour une première dans le camp de base belge, aura même un mot pour les journalistes,  » qui m’ont donné l’impression que toutes les critiques faites étaient acceptables.  » Du grand Vincent.  » Désolé, c’était un discours spontané « . Wilmots le regarde et réplique :  » Pour un qui n’avait rien préparé, c’était très bien.  » Quelques minutes plus tard, il se lève de cette chaise. Il file tout droit vers l’hôtel. Il est temps pour nous de lui lâcher la grappe. Il aura bien mérité quelques jours de vacances. Avant de se tourner vers son prochain but. Avec nous dans son sillage. ?

PAR STÉPHANE VANDE VELDE AU BRÉSIL – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Vous avez détruit Lukaku. Nous, on l’a remonté mentalement.  »

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