« Je vaux 10 millions, la moitié de Fellaini »

L’Ajax et l’équipe olympique ont permis au grand Jan d’être une des clés de voûte de l’équipe nationale. Grâce à sa technique, sa hargne et ses qualités de leader.

Le vent souffle sur ce plat pays qui est devenu le sien. Car c’est avec Jan Vertonghen, symbole de la nouvelle génération des Diables Rouges que l’on a rendez-vous. Hollande, terre d’accueil et d’épanouissement pour jeunes footballeurs belges ; ils sont actuellement 33 à jouer en Eredivisie. Le vaisseau de l’Ajax se dresse fièrement dans la nouvelle zone de loisirs au sud d’Amsterdam. L’immense blason représentant le héros légendaire Ajax, guerrier achéen de l’Iliade prenant part à la Guerre de Troie aux côtés d’Achille, orne la façade. Comme lui, le club d’Amsterdam est réputé invulnérable, traversant les décennies sans heurts et conservant toujours la même aura, victoire à la clé ou pas.

Sur les murs de l’ArenA, tout respire la légende. A chaque volée d’escaliers, un joueur ayant marqué l’histoire du club nous fait face. Aaron Winter, Johan Cruijff, Sonny Silooy. Ici, tout est réglé comme du papier à musique. Conférence de presse de Marco van Basten, l’entraîneur principal depuis le début de la saison, à 13h ; rencontre avec les joueurs à 14 h. Et c’est pile à l’heure que débarque Vertonghen, t-shirt noir barré d’un arc en ciel. Souriant et décontracté. Arrivé en même temps que ses coéquipiers, il repartira bien après tout le monde. Il a le temps et se livre sans retenue.

En un an, Vertonghen s’est forgé une place et une réputation au sein des Diables Rouges. On l’avait découvert en mai 2007 lorsque René Vandereycken l’avait titularisé d’entrée de jeu contre le Portugal. Depuis lors, le coup d’essai a été transformé : un rôle prépondérant dans la campagne des Espoirs lors de l’Euro 2007 et une empreinte davantage prononcée encore tant sur le groupe que sur le terrain lors des Jeux Olympiques. Au final, une place de titulaire avec les Diables, poussant Gaby Mudingayi sur le banc et formant avec Marouane Fellaini un duo de médians défensifs particulièrement complémentaire. En un an, Vertonghen a montré qu’il n’avait pas perdu son temps, en quittant son petit village de Tielrode à 16 ans et en bénéficiant au même titre que Tom De Mul, Thomas Vermaelen ou Jelle Van Damme de l’accord de collaboration entre le Germinal Beerschot et l’Ajax. C’était il y a cinq ans.

En un an, vous êtes parvenu à faire votre trou dans ce secteur de jeu déjà bien fourni en Belgique. Comment expliquer cette progression ?

Jan Vertonghen : C’est vrai que beaucoup de choses ont évolué depuis un an. Je pense que tout s’est accéléré avec les Jeux. On a fait un bon tournoi. Les gens se sont intéressés à moi et ils m’ont suivi aussi face à l’Espagne. Je joue et me sens bien à l’Ajax et cela se répercute également en équipe nationale…

Le leadership, l’aptitude à aller au combat, tout cela fait partie de vos qualités mais comment devient-on un leader à 21 ans ?

Cela me vient de ma position centrale sur le terrain. Là, je me sens important pour l’équipe car à l’Ajax, les entraîneurs insistent pour que les médians centraux tirent le groupe. Aux Jeux, le noyau était très jeune et c’était important de posséder des joueurs capables de coacher sur le terrain, comme moi, Vincent Kompany ou Maarten Martens.

Vous n’avez pas changé d’attitude en arrivant en A. On vous a même vu engueuler Timmy Simons…

Oui, mais je trouve cela important. En équipe nationale, il y a beaucoup de talent avec Fellaini, Axel Witsel, Moussa Dembélé mais on avait besoin de gens sachant parler beaucoup sur le terrain. Aujourd’hui, il y en a plusieurs comme Kompany, Timmy Simons ou Wesley Sonck. Cela manquait.

 » J’aime bien évoluer à côté de Fellaini. Il est tellement fort ! C’est anormal… « 

Pour vous, leader chez les Espoirs ou chez les A, c’est du pareil au même ?

C’est un peu plus difficile car je ne veux pas manquer de respect aux anciens. J’en ai beaucoup pour Simons ou Daniel Van Buyten mais quand je me sens bien dans un match, je replace mes coéquipiers. C’est naturel. Cependant, je ne leur reproche jamais une mauvaise passe. Je le fais pour améliorer le jeu de toute l’équipe.

Vous tenez ce rôle de leader depuis tout petit ?

Au début, on me trouvait un peu effacé. J’étais nouveau et donc un peu timide. Mais quand les entraîneurs ont commencé à dire que je comptais pour l’équipe, j’ai pris confiance. En équipe nationale, quand je suis arrivé dans le noyau, il y avait Mudingayi et Simons à mon poste. Aujourd’hui, je constate qu’ils ont changé de position. Parce que j’ai bien joué. Je me sens donc important.

Ce qui veut dire que la paire Fellaini-Vertonghen est appelée à durer ?

J’aime bien évoluer à ses côtés. Fellaini est tellement fort ! C’est anormal ( il rit). Il a des qualités que personne n’a. Il gagne beaucoup de duels, il marque facilement de la tête. On se parle beaucoup. Il est davantage appelé à monter et moi à rester derrière. Ça fonctionne bien de la sorte. J’espère qu’on est parti pour dix ans !

Votre génération ne manque pas d’ambition et de confiance…

Tous, que ce soit Fellaini, Witsel, Dembélé, Kompany, Vermaelen, on veut rejoindre les plus grands clubs d’Europe et y gagner des trophées. On veut disputer des grands tournois comme la Coupe du Monde ou l’Euro. Et pas seulement avec l’intention de sortir de la poule. On veut tous aller le plus loin possible. Contre l’Espagne, personne n’était content du 1-2. Ni du match nul. On devait et on voulait gagner.

Les Diables Rouges profitent-ils du parcours des Olympiens ?

Je pense. Huit ou neuf joueurs se retrouvent maintenant chez les A. Et tous des jeunes bourrés d’ambition et qui n’ont pas peur de Carles Puyol, Xavi, Fernando Torres ou Emre Belozoglou.

Ne doit-on pas craindre un conflit de générations ?

Non, je ne crois pas. Wesley Sonck a dit des choses mais on le connaît… C’est une personne qui aime bien faire des déclarations. Cependant, quand on est arrivé en équipe nationale, il a affirmé qu’il avait beaucoup de respect pour nous et nos prestations.

Cette génération sera-t-elle déjà prête pour l’Afrique du Sud ?

Je pense que le défi est réalisable. Viser la première place devient compliqué mais la deuxième est à notre portée si on bat deux fois la Bosnie et qu’on fait match nul contre la Turquie.

Ne serez-vous pas plus fort pour les prochaines éliminatoires ?

Il y a déjà de nouveaux talents qui pointent le bout du nez comme Eden Hazard. Il a 17 ans mais quelle technique ! Il a surpris tout le monde contre le Luxembourg.

Que manque-t-il à l’équipe nationale ?

Garder le même niveau contre les petites nations. On doit savoir qu’on est plus fort et essayer de faire le jeu. Il faut passer d’une mentalité d’outsider à celle de favori.

 » Si je n’avais pas réussi de bons Jeux, Vandereycken ne m’aurait pas retenu comme médian défensif « 

Dans le contexte politique actuel, l’équipe olympique a gommé toutes les différences entre les communautés…

On s’est toujours mélangé. Quand tu arrives dans un groupe, tu cherches toujours des personnes parlant la même langue. C’est normal. Moi, je traînais avec mon meilleur ami, Martens, et avec Vermaelen. Mais après une semaine, il y avait toujours un mélange entre les deux communautés. A table, je me retrouvais autant avec Kevin Mirallas ou Logan Bailly qu’avec les autres. Tout le monde s’entendait bien. Nous étions tous amis. Et c’est grâce à cela qu’on a éliminé l’Italie à dix contre onze. Car on était vraiment soudé.

Quel élément avez-vous découvert humainement lors de ces JO ?

Sébastien Pocognoli. Il est très sympa, essaye toujours de parler néerlandais et n’hésite pas à travailler pour le groupe.

Revenons au parcours de Pékin. Est-ce que vous avez été surpris d’arriver en demi-finale ?

Non, pas du tout. On ne voulait pas se contenter du premier tour. Moi, j’allais chercher une médaille. Et je maintiens qu’on avait l’équipe pour disputer la finale. Avec Kompany, Fellaini et Vermaelen, suspendu en demi-finale, on y allait.

Une déception malgré tout…

C’est surtout dommage que Fellaini n’ait pas disputé la demi-finale car il nous a manqué de la force.

Y a-t-il d’autres explications que l’ambiance au bon parcours belge ?

Les entraîneurs ont agi avec nous comme il fallait le faire avec de jeunes joueurs. Ils ne nous bombardaient pas d’amendes si on avait une minute de retard. Jean-François de Sart avait pleine confiance en son équipe et il savait qu’on pouvait prester à un haut niveau.

Des Jeux, on retient le talent de Dembélé et De Mul, le travail de Mirallas mais surtout la régularité de Vertonghen. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Sport/Foot Magazine vous a élu meilleur Belge du tournoi…

… (il coupe). C’est vrai ? Merci. J’étais dans une grande forme. Et puis, ce n’est pas difficile de se motiver contre le Brésil et l’Italie.

Avez-vous senti une modification de votre statut au retour des Jeux ?

Oui.

A quel niveau ?

En équipe nationale. Si je n’avais pas réalisé de bons Jeux, Vandereycken ne m’aurait pas retenu au poste de médian défensif. Le public également. Je ne vais pas dire qu’on me reconnaît mais au moins, on connaît mon nom.

 » Si je pars, ce sera pour un club du top. Pas pour un petit club où je pourrais gagner beaucoup d’argent. « 

Pourquoi êtes-vous parti très tôt de Belgique ?

On m’avait dit que si cela ne fonctionnait pas à l’Ajax, il y aurait toujours Anderlecht, le Standard ou Bruges pour me récupérer. Et puis, le Germinal Beerschot m’avait garanti que je pouvais toujours revenir au club. Je ne savais pas si j’allais réussir aux Pays-Bas mais je n’avais rien à perdre.

La collaboration entre le Germinal Beerschot et l’Ajax tombait bien car vous ne vouliez pas aller dans un autre club…

Le PSV s’est aussi intéressé à moi mais l’Ajax a quelque chose en plus. On parle du plus grand club de Hollande et cela se sent. On est dans un club de tradition. D’ailleurs, beaucoup de gens connaissent les noms des joueurs de l’Ajax, pas ceux du PSV. Et quand j’étais jeune, le PSV était une bonne équipe mais mon c£ur penchait pour l’Ajax.

Vous avez déclaré que cela vous plairait de rester dix ans à l’Ajax…

Oui je me sens bien ici. Je rêve aussi de Manchester United ou d’un grand club espagnol. Mais je ne partirai que pour le top. Pas pour des petits clubs où je pourrais gagner beaucoup d’argent. Je trouve que je gagne déjà assez bien ma vie ici.

Fellaini qui part pour 20 millions à Everton…

… C’est exceptionnel ! C’est un montant astronomique et maintenant, on parle de Witsel pour 24 millions à Manchester.

Combien vaut Vertonghen ?

Moi, je ne suis pas Fellaini. Je ne vaux pas ce prix-là. Fellaini marque beaucoup ; Witsel n’a que 19 ans et compte déjà 10 matches en équipe nationale. Moi, je suis défenseur. 10 millions, ce serait déjà pas mal, non ?

Vous dites que Fellaini vaut ce prix car il marque mais vous aussi trouvez facilement la cible…

Oui, mais pas quand je joue à côté de Fellaini parce que je dois le couvrir ( il rit).

Quel est le joueur belge le plus talentueux ?

Dembélé et Kompany.

 » C’est parce que je suis posé et calme que les gens pensent que je suis intelligent « 

Depuis le début de votre carrière, on vous ballotte de la place de médian défensif à celle de back gauche, sans oublier quelques piges en défense centrale…

Ma polyvalence m’a permis de rentrer dans le onze de base. Il y avait un blessé à gauche et on m’a incorporé dans l’équipe. Maintenant, cela devient plus compliqué car j’aimerais me développer à un seul poste. Aujourd’hui, je me contente de l’axe. Soit comme médian défensif, soit comme défenseur central. A gauche, je suis un deuxième choix. Je ne fais que dépanner.

Vous avez bien une préférence ?

Bien sûr. Je suis plus à l’aise comme médian défensif car j’ai plus d’emprise sur le jeu. Soit à gauche dans un système à deux médians défensifs, soit tout seul. Je reçois beaucoup plus de ballons à cette position. Au back gauche, on ne se contente que de défendre.

Pourtant, vous vous définissez comme défenseur…

Je ne suis pas un vrai défenseur mais je le suis davantage que… Fellaini.

Vous êtes polyvalent mais également complet : vous savez aussi bien ratisser que donner des passes précises…

J’ai mélangé la mentalité belge à la néerlandaise. J’essaye de combiner le physique belge à la technique inculquée à l’Ajax. Ici, c’est important que le médian défensif (le numéro 4) puisse faire une bonne passe à l’ailier droit (le numéro 7).

Est-ce qu’on vous demande de jouer plus offensivement à l’Ajax ?

Quand j’évolue au milieu, oui. Ici, je remplis le rôle dévolu à Fellaini en équipe nationale.

Et vous appréciez ?

Oui mais je dois encore apprendre à choisir mes moments pour monter.

D’où vous vient cette frappe puissante ?

J’ai développé cela ici. Après l’entraînement, je reste souvent dix minutes avec Vermaelen pour améliorer mes frappes.

Vous avez un caractère de gagneur sur le terrain. D’accord ?

Jusque-là, oui.

Mais parfois un peu sec…

Oui. Normalement, je suis un passeur mais ça m’arrive de faire des fautes ( il sourit). Je peux faire les deux. Je n’ai pas toujours été un gagneur. J’ai appris à le devenir ici. En Réserves. Quand j’ai senti que je n’étais pas le joueur le plus talentueux sur le terrain, comme Martens ou Dembélé qui ont plus de technique, j’ai dû compenser par de l’engagement.

Désormais, vous êtes plus complet qu’eux…

(Il rit) Peut-être.

Vous avez aussi l’image d’un joueur intelligent tant sur qu’en dehors du terrain…

C’est parce que je suis posé et calme que les gens pensent que je suis intelligent.

Jan Vertonghen est né le 24 avril 1987 à Saint-Nicolas

Défenseur ou médian, 1,89m, 79 kg.

Après avoir fait ses classes au Germinal Beerschot, il part à l’Ajax à 16 ans. Il débute en équipe Première lors de la saison 2006-2007 mais est prêté en janvier 2007 au RKC (12 matches/3 buts).

En juin 2007, il revient à l’Ajax et depuis l’automne 2007, il est titulaire. (43 matches/4 buts) au poste de défenseur central, de back gauche ou de médian défensif.

A fait partie de l’équipe Espoirs, 4e de l’Euro en 2007 et 4e des Jeux Olympiques en 2008.

International A (13 capes)

par stéphane vande velde

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