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 » JE VAIS CRÉER MA LÉGENDE À MOI « 

Vous trouvez qu’il traîne un peu sur la route qui doit le mener vers les sommets ? Pas de panique : Charly Musonda Junior a balisé son itinéraire, et tout se passe comme prévu. Rencontre avec un phénomène.

L’assurance et le débit de paroles sont ceux d’un rappeur américain. L’enfant prodige du football belge a la carrure d’un étudiant, mais un charisme qui le place inévitablement dans la posture du maître dès le début de l’entretien.  » C’est une bonne question « , glisse-t-il parfois avant de répondre, comme s’il distribuait les bons points au fil d’un entretien où il enchaîne les mots à un rythme hallucinant. Non, Charly Musonda Junior n’est décidément pas comme les autres.

Tu n’as pas l’impression, avec le recul, d’être resté un an de trop chez les jeunes de Chelsea ?

CHARLYMUSONDA : Dans ma tête, j’ai aussi pensé :  » Est-ce que je ne suis pas parti trop tard de la Belgique ?  » Parce que tu apprends plus là où tu vas aller que là où tu es. À Chelsea, même si je n’ai pas joué, j’ai appris énormément. Je savais que quand je commencerais chez les pros, je serais directement prêt à jouer dans une compétition comme la Liga. J’étais sûr que cette formation me permettrait de jouer dans n’importe quelle équipe dans le monde. Donc non, je n’ai jamais eu de regret parce que si j’étais parti plus tôt, je n’aurais peut-être pas eu l’effet que j’ai eu en arrivant au Betis. Tout s’est passé comme ça devait se passer.

Il n’y a jamais eu de moment de doute ?

MUSONDA : Non, jamais.

On dirait que tu as un plan de carrière, que tu sais parfaitement d’où tu viens et où tu veux aller.

MUSONDA : Bien sûr. J’ai de grands plans pour ma carrière de footballeur. Je suis comme ça : il faut savoir ce que tu fais. Parfois, les résultats ne sont pas ceux que tu attendais, mais ça n’empêche pas d’avoir une vision d’où tu veux être, et de quand tu veux être à cet endroit. Pour l’instant, je suis très content d’où je suis. Beaucoup de gens me posent la question de mon statut, par rapport au fait que je ne suis pas toujours titulaire… Mais dans ma tête, je suis en train d’apprendre et à cet âge-ci, c’est ce que je voulais faire : avoir de l’expérience dans une grande compétition, rien de plus. Pas spécialement être titulaire, ça c’est un plus pour moi.

Eden Hazard était en équipe première à seize ans et champion de France à 20. Toi, tu as un peu traîné quand même, non ?

MUSONDA : C’est vrai. Mais voilà, chaque phénomène est différent. C’est peut-être aussi pour ça que je vais créer ma légende à moi. Parce que j’ai commencé à 19 ans, et je suis sûr que je vais avoir une très grande carrière. Et plus tard, les gens qui se trouveront dans ma situation à 19 ans vont se dire :  » écoutez, peut-être qu’il faut être patient.  » Parce que je peux te le garantir maintenant : si j’avais commencé à seize ans dans le football, je serais un phénomène, mais pas directement un phénomène à l’échelle de la Liga. Des gens qui percent dans une si grande compétition à seize, dix-sept ans, c’est vraiment très très rare. Avec mon style de jeu, la façon dont j’ai grandi et le niveau où je voulais percer, je savais très bien que ce serait plutôt à 18 ou 19 ans. Ça a été 19, et j’ai commencé dans un très grand championnat. Quand je vois là où je suis maintenant, j’en suis très content.

 » JOHN TERRY EST TOUJOURS EN CONTACT AVEC MOI  »

Mais tu ne regrettes pas d’avoir quitté Anderlecht, même si là tu aurais joué ?

MUSONDA : Les gens aiment me dire que si j’étais resté, j’aurais joué directement, j’aurais joué la Champions League à dix-sept ans, ou je ne sais pas quoi… Mais écoute, aller directement en équipe première et jouer la Ligue des Champions, c’est bien, parce que tu joues contre des hommes. Mais est-ce que c’est bien pour ma formation personnelle ? Je ne sais pas. Parce qu’à Chelsea, quand je me suis entraîné avec les pros, on parlait de pros qui marquent des Coupes du monde, qui ont joué pendant dix ans au plus haut niveau, qui jouent en Premier League. Donc, je savais très bien que quand je commencerais à jouer, si j’avais pu jouer à l’entraînement avec des joueurs de classe mondiale, je serais prêt.

Les joueurs de Chelsea, ils te parlaient de ça dans le vestiaire ?

MUSONDA : Bien sûr, c’est de là aussi que la confiance vient.

Un mec comme Terry, il te disait quoi par exemple ?

MUSONDA : Terry, en particulier, c’est un joueur qui regardait beaucoup les matches de jeunes. D’ailleurs, encore maintenant, il est en contact avec moi, avec d’autres jeunes joueurs, parce qu’il vient lui-même du club. Il m’a toujours conseillé de continuer à avoir confiance. Il me disait que si je m’entraînais avec eux, j’étais prêt pour pratiquer mon style de jeu n’importe où. Si un joueur comme Terry te dit ça, si tu t’entraînes face à un défenseur comme Kurt Zouma qui vient du championnat français, directement tu prends de la confiance. Et la formation, elle vient de là !

Tu as directement marqué la Ligaavec tes dribbles. C’est l’élément central de ton jeu ?

MUSONDA : J’ai commencé à jouer au football avec mes deux frères et comme on jouait chacun pour soi, j’ai tout de suite commencé à dribbler. Et puis, une fois arrivé sur les terrains, j’ai essayé de faire la même chose et petit à petit, c’est devenu mon style de jeu. Je m’amuse beaucoup sur le terrain en jouant comme ça, et je ne compte pas changer.

Prendre du plaisir sur le terrain et en donner au public, ça compte beaucoup ?

MUSONDA : Le football est un beau sport, tu viens le voir pour t’amuser. Je suis content de pouvoir procurer des sensations au public, et aux jeunes. Je veux leur montrer qu’ils doivent avoir leur style de jeu pour s’imposer dans le football professionnel.

 » FAIRE CE QUE TU ES, C’EST ÇA LA SIMPLICITÉ  »

Paul Pogba dit que pour lui, dribbler, c’est jouer simple. Pour toi aussi c’est le cas ?

MUSONDA : Je pense que ça vaut pour tout le monde. Si tu maîtrises ce que tu fais, c’est simple pour toi. Tu ne peux pas changer qui tu es, jouer un autre jeu que le tien. C’est là que les problèmes arrivent. Faire ce que tu es, c’est ça la simplicité.

Tu penses beaucoup à tes dribbles ? En match, à l’entraînement…

MUSONDA : C’est quelque chose de réfléchi. Après l’entraînement, j’essaie des gestes que j’invente parfois le jour même, parce qu’il faut essayer d’être créatif, de trouver le nouveau geste pour ne pas toujours être prévisible. Il faut toujours trouver quelque chose de nouveau pour affronter un défenseur. Plus tu t’entraînes, plus tu te retrouves dans les mêmes situations et à chaque fois, tu essaies de faire des choses différentes.

Le dribble Musonda, que personne d’autre n’a jamais fait, il existe déjà ?

MUSONDA : Je ne vais pas le dire, sinon tous les défenseurs vont commencer à savoir ce que c’est.

Mais il y en a un.

MUSONDA : Il y en a un. Je le garde pour un grand moment.

Les grands moments, ça te stimule ? On a l’impression que la pression ne te touche jamais.

MUSONDA : C’est juste du football. J’ai eu beaucoup plus de pression dans ma vie avec autre chose. Comme avec l’école, quand je devais faire mes devoirs la nuit parce que je ne voulais pas les faire. Ou aller chez le dentiste. Ça, pour moi, c’est la pression. Parce que ce sont des choses que je ne contrôle pas, que je n’aime pas faire. Jouer au football, franchement… Tu joues, il y a du monde, les gens sont contents, tout le monde vient pour voir du spectacle et toi tu es là pour en donner. Mais ce n’est pas stressant parce que c’est ce que tu fais depuis le début. Les mouvements, tu les as faits dans la rue, à l’entraînement… Donc non, il n’y a jamais de pression.

 » SI JE RATE LE PREMIER GESTE, JE LE REFAIS  »

Chaque fois que tu touches le ballon, tu veux qu’il se passe quelque chose ?

MUSONDA : Ma vision, elle est simple : si tu rates le premier geste, refais. Refais, refais, refais. Et ça passera à un moment.

Tes coaches ne te disent pas de simplifier ton jeu ?

MUSONDA : Tous les coaches vont te dire de simplifier ton jeu. Mais parfois, ils vont aussi être surpris par ce que tu fais. Une fois qu’il verra que tu prends confiance, et que tu joues comme ça parce que c’est ce que tu es, le coach te laissera, parce que c’est de la créativité. Souvent, les joueurs créatifs font des erreurs mais à chaque fois qu’ils ont le ballon, ils tentent de faire quelque chose pour l’équipe.

En match, tu demandes énormément le ballon, comme si tu voulais toujours avoir un impact direct sur les événements.

MUSONDA : Parce que j’ai envie de gagner. Et pour gagner, un joueur offensif doit avoir le ballon. Si tu ne l’as pas, tu ne peux pas faire de gestes techniques, tu ne peux pas créer quelque chose. Pour ouvrir une défense, il faut avoir le ballon. Moi, pour faire gagner mon équipe, je dois avoir le ballon. C’est en moi.

La culture du foot en Espagne, et la façon dont on y joue, ça te correspond bien ?

MUSONDA : Bien sûr ! C’est aussi pour ça que quand j’ai eu des contacts avec une équipe de Liga, je me suis directement dit :  » vas-y « , même si je ne savais pas que j’allais commencer directement à jouer comme titulaire. Je me suis d’abord dit que j’allais apprendre, jouer dans un style particulier que j’allais aimer. Donc oui, l’Espagne me plaît beaucoup, je suis très content là-bas. Mais dans ma tête, j’aimerais bien un jour jouer en Angleterre. C’est un rêve pour moi parce que depuis petit, je regarde beaucoup la Premier League et j’aimerais avoir un effet sur ce championnat, dans un grand club, même si c’est un style différent.

Voir Messi ou Ronaldo sur le terrain, ça te permet de te rendre compte de l’écart qui te sépare encore d’eux ?

MUSONDA : Je ne regarde pas ces joueurs en me disant qu’il faut devenir comme ça. Il n’y a pas d’écart. Chacun sa carrière, chacun crée sa légende. Le plus important, c’est qu’on dise après :  » Voilà, lui, de 19 à 30 ans, il a fait cette carrière-là.  » C’est à ça que je regarde. Je ne vais pas regarder Neymar et me dire que la semaine prochaine, je vais faire la même chose que lui. Ce n’est pas possible, pour plein de raisons : l’âge, le nombre de matches joués, le fait qu’il joue à Barcelone où tu joues le triplé chaque année…

 » AVEC MON GABARIT, J’AI DÛ APPRENDRE À RÉFLÉCHIR PLUS VITE QUE LES AUTRES  »

On parle de joueurs qui font des saisons à quarante buts. Tu as l’impression qu’aujourd’hui, on peut écrire une légende dans le foot sans avoir des statistiques incroyables ?

MUSONDA : Tout dépend de la façon dont les gens le perçoivent. Je peux parler de Zinédine Zidane, qui est une légende du football et qui n’a jamais marqué cinquante buts par an. On m’a montré une statistique qui disait que même James Rodriguez a marqué plus de buts que Zidane. Maintenant, est-ce qu’on va dire que Zidane est moins une légende que Rodriguez ? Non. Tu ne dois pas monter sur le terrain en te disant :  » Tu sais quoi, même si je fais un mauvais match, je vais essayer de marquer.  » Parce qu’au fil du temps, le plus important, c’est ton style qui te permet d’aider ton équipe, même si tu ne marques pas. Après, les buts viennent. Je ne suis pas obsédé par les chiffres, parce que je sais très bien que des joueurs comme Zidane ou Ronaldinho ont marqué le football en étant des joueurs d’équipe, en marquant treize ou quatorze buts par saison.

On a souvent parlé de ton gabarit comme une faiblesse, mais on a l’impression que tu en as fait une force.

MUSONDA : Évidemment. Si j’avais été plus grand, plus fort physiquement, je suis sûr que je n’aurais pas eu cette vision du jeu. Maintenant, combien de petits gabarits jouent devant et ont une vision du jeu de ouf, comme Messi, ou Neymar. Avec ce gabarit, tu apprends à réfléchir plus vite que les autres parce que si tu vas au contact avec un joueur plus grand et plus fort, c’est difficile. J’ai dû apprendre à être plus rapide et au final, ça m’a beaucoup aidé.

On ne se trompe pas si on dit que tu es très sûr de toi ?

MUSONDA : Dans le foot, tu dois l’être. Tu ne peux pas avoir le style de jeu que j’ai, et te remettre en question dès que quelqu’un te dit quelque chose. Être sûr de ce que tu fais, c’est la base. Je ne dois pas devenir un joueur qui joue en une touche de balle parce que son premier dribble n’a pas fonctionné. Si c’est pour ne pas faire ce que je sais faire, ça ne sert à rien que je joue au football.

C’est parfois un peu frustrant de devoir jouer sur un côté, où tu es un peu plus exclu du jeu, alors que tu as les qualités pour jouer dans une position axiale ?

MUSONDA : Je suis dans une phase d’apprentissage. Et je pense qu’à l’âge que j’ai maintenant, là où je peux être le plus efficace pour l’équipe, c’est sur les côtés. Surtout au Betis, où on ne domine pas tous les matches comme peut le faire Barcelone. Mais dans le futur, je me vois très bien jouer dans l’axe.

 » MON RÊVE, C’EST DE GAGNER LA COUPE DU MONDE  »

Le futur idéal, c’est brassard de capitaine, numéro 10, et but en finale de la Coupe du monde ?

MUSONDA : Non, le scénario idéal, c’est juste jouer… et gagner la Coupe du monde.

C’est déjà pas mal !

MUSONDA : Oui, c’est déjà pas mal (rires). Après, capitaine ou pas capitaine, goal ou pas goal, Ballon d’or ou pas Ballon d’or… Tout ça, ça dépend de l’année, ça dépend du scénario.

De plus en plus de joueurs placent le Ballon d’or avant la Coupe du monde dans leur liste de rêves. Tu comprends ça ?

MUSONDA : Non, parce que c’est un sport d’équipe. Si tu montes sur le terrain pour gagner un trophée individuel, va faire un sport individuel. Si tu veux être meilleur buteur avant de gagner le championnat, ça veut dire que tu n’es pas un joueur d’équipe. Si je veux aller à la Coupe du monde, ce n’est pas pour être le meilleur joueur de la Coupe du monde, c’est pour aider la Belgique à y faire quelque chose de grand. Moi mon rêve, ce n’est pas un but ou un brassard, c’est juste de gagner la Coupe du monde.

PAR THOMAS BRICMONT ET GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je suis sûr que je vais avoir une très grande carrière.  » CHARLY MUSONDA JUNIOR

 » J’ai un dribble que je réserve pour un grand moment.  » CHARLY MUSONDA JUNIOR

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