» Je susciterai inévitablement des jalousies « 

Le nouvel entraîneur de Charleroi revient sur le White Star, l’offre du Standard et son rêve de D1 et du Sporting en particulier.

Il n’y a pas à dire, FeliceMazzusait recevoir. C’est dans sa maison de Liberchies, en région carolorégienne, qu’il nous accueille. Avec cookies et café.  » Mon père disait toujours que quand on reçoit des gens, il faut à boire et à manger « . Question de savoir-vivre carolo. Cela fait quelques jours qu’on entend beaucoup de choses sur les valeurs du nouvel entraîneur du Sporting de Charleroi. Il n’a finalement pas fallu longtemps avant de savoir ce que cachait ce mot  » valeurs « . Adoubé il y a près de deux semaines, Mazzu (47 ans) touche donc enfin à son but après avoir franchi toutes les étapes du coaching (jeunes, adjoint en D1 et D2, entraîneur principal en D3, D2).

Il parait que vous rêviez depuis longtemps de ce poste ?

Je suis devenu entraîneur un peu par hasard. Quand j’étais joueur, je n’envisageais pas cette fonction parce que je faisais des études d’éducation physique. Mais j’ai souffert de nombreux problèmes physiques et je n’ai pas réussi à atteindre le niveau espéré comme joueur. Comme je voulais rester dans le monde du foot, je me suis présenté à Nivelles, par le biais de Jean-Louis Donnay (NDLR : ancien journaliste du Soir) et là j’ai commencé à prendre goût à la fonction. J’ai alors suivi les cours d’entraîneur où j’ai rencontré Jacques Urbain, qui, ensuite, m’a pris comme adjoint à Marchienne. C’est à cette époque-là que je me suis dit – Un jour, j’arriverai en D1. Je voulais corriger le fait que je n’avais pas réussi une grande carrière comme joueur. Je voyais tous mes potes (Fabrice Silvagni, Calogero Taibi, Joseph Varrichio) évoluer en D1 et je me suis dit que je les imiterais mais…comme entraîneur.

Le chemin a-t-il été plus long que prévu ?

Non. Par rapport à mes antécédents et à mon absence de carrière de joueur, je n’avais pas d’autre choix. Il a fallu accumuler de l’expérience et toucher au plus haut niveau avant de prétendre à quelque chose. Et encore aujourd’hui, je ne prétends pas que je suis un entraîneur de D1. Je suis arrivé presqu’au dernier échelon. Je dis  » presque  » car je pourrai me considérer comme un entraîneur accompli si je réussis une bonne saison.

 » Je viens de rien et n’ai donc rien à perdre  »

Quelles sont les critiques auxquelles vous avez dû faire face tout au long de votre carrière ?

Certains mettent en exergue mon manque de palmarès comme joueur pour dire que je ne suis pas légitime en D1. Parfois, on ne regarde pas assez la méthode, la qualité de travail ou les résultats. Je suis certain que certaines personnes vont me tailler. Il y a ceux qui ne vous aiment pas et qui vont tout faire pour vous détruire ; il y a ceux qui ne vous aiment pas mais qui vont faire les hypocrites par intérêt et puis il y a ceux qui vous aiment bien. Je pense être capable de faire la part des choses entre ces trois catégories de gens.

Ce manque d’expérience amène certains à se demander comment vous allez réussir à tenir un vestiaire de stars de D1…

C’est certainement le grand défi. Je suis certain que ma philosophie, au niveau entraînement, tactique, mise en place, peut convenir autant à la D3 qu’à la D1. Les terrains sont les mêmes et c’est toujours un jeu à 11 contre 11. Par contre, je ne me suis jamais retrouvé comme entraîneur principal face à des joueurs de D1. Mais cela ne me fait pas peur : j’ai ma façon de bosser et je ne compte pas y déroger. C’est un des points fondamentaux de ma philosophie : je veux réussir en restant celui que j’ai toujours été. Je veux prouver qu’on n’a pas besoin de changer d’attitude, de corps parce qu’on est en D1. J’ose croire qu’en restant simple et correct, on peut réussir. Ça marche, tant mieux. Ça foire, tant pis mais je n’ai pas envie de changer ma personnalité. J’ai été frappé d’entendre lors d’une de mes premières interviews télévisées, alors que j’avais répondu sur le ton de l’humour, le journaliste me rétorquer – Attention, ici, on est en D1. On ne peut pas trop rire. Pourquoi ne peut-on pas rire en D1 ?

Vous ne craignez pas l’exposition médiatique ?

Non. Au plus profond de moi, je sais que je viens de rien et de nulle part et que je n’ai rien à perdre. Si ça ne marche pas, tant pis.

Avez-vous mesuré l’impact d’un éventuel échec ?

Il y a un risque de retomber dans l’ombre en cas d’échec. Mais au moins, j’aurai essayé et j’aurai atteint mon rêve (d’être entraîneur à Charleroi), le niveau que je recherche depuis 15 ans. Et si ça ne marche pas, je ne crois pas qu’on va me tuer, ni me fusiller. Je garderai mes valeurs et je retournerai à mon métier initial.

 » L’idéal était d’arriver en D1 avec le White Star  »

Le fait que votre premier club de D1 soit celui de votre région, est-ce que cela a une saveur particulière ?

Evidemment. Depuis longtemps, le club que je voulais entraîner se nommait Charleroi. Même si tout le monde ne partage pas mon avis, Charleroi est à mes yeux un grand club. Et ce qui compte, c’est la perception que j’en ai. Pas que cette perception colle à la réalité.

Vous évoquez souvent vos valeurs. Mais comment vit-on avec des valeurs dans un monde de requins comme celui du football ?

Je le vis très bien (Il sourit). Pouvoir faire partie d’une minorité qui possède des valeurs, cela me convient. Je sais qu’on va essayer de me planter des couteaux dans le dos mais je me défendrai avec mes armes, comme le respect de mes employeurs, de mes joueurs, de mon staff.

Comment avez-vous vécu ces six derniers mois au White Star ?

Très mal.

D’autant plus mal que vous auriez pu filer au Standard…

Dans ce dossier, il y a eu deux paramètres. Le président n’a effectivement pas voulu me lâcher, se réfugiant derrière cette fameuse clause de départ élevée. Cependant, j’avais la possibilité de casser mon contrat, ce que le Standard était prêt à négocier. Mais je n’ai pas voulu jouer ce jeu-là. Donc, d’un côté, je peux me sentir floué. Mais de l’autre, j’ai pris mes responsabilités.

Si vous aviez connu la situation financière du White Star…

… (Il coupe) J’aurais cassé mon contrat. C’est peut-être le seul reproche que je pourrais adresser au président Farin. Bien que je ne sois même pas certain que lui-même envisageait une telle situation. Un sponsor étranger lui avait promis un gros versement qui n’est finalement jamais arrivé.

A partir du moment où vous refusez le Standard, la saison du White Star commence très vite à partir en vrille…

A ce moment-là, j’ai beaucoup d’amertume et de déception. Surtout sur le projet sportif. J’étais certain qu’on pouvait réussir quelque chose d’énorme. On était premier avec sept points d’avance. On était persuadé qu’on allait aller au bout. L’idéal, pour un gars comme moi, était d’arriver en D1 avec un club repris plus bas. Comme Francky Dury l’a fait avec Zulte Waregem. Là, j’arrivais en D1 avec une légitimité plus forte. Je n’aurais pas suscité des jalousies d’entraîneurs restés sur le carreau.

 » Ce tour final des Woluwéens, c’est un peu le mien  »

Pourquoi avoir décidé, à l’arrivée de Gulf Dynamic Challenge au White Star, de ne pas monter dans le bateau avec eux ?

Lorsque John Bico, Pierre François et Nourredine Zaiour nous ont réunis dans la salle des joueurs pour nous annoncer la reprise, ils nous ont proposé soit de rester (et de signer une convention), soit de partir et de nous payer nos arriérés et nos indemnités. Moi, je voulais rester pour aller au bout de mon projet. Par la suite, on a été vu un par un. Pierre François a abordé l’aspect contractuel, puis je suis allé voir John Bico. Et là, au niveau du sportif, on n’était pas sur la même longueur d’ondes. Il m’a dit – je pense que vous devriez signer votre papier de départ. J’ai répondu – OK.

Ne pas être sur la même longueur d’ondes signifie ne pas avoir le dernier mot en termes de sélection ?

Il ne m’a rien dit mais j’ai senti que je n’aurais pas les mains libres pour travailler comme je l’ai toujours fait.

Vous pensiez qu’on allait vous imposer des joueurs dans le onze ?

Certainement. Et par rapport au vécu que j’ai dans le club, je pense que c’était la moindre des choses que je puisse terminer la saison librement. Pendant des mois, on a joué la solidarité. On a dû aller puiser dans la caisse des amendes des joueurs et la diviser pour permettre à certains de pouvoir manger. J’ai dû apporter des vêtements à d’autres. Pendant des mois, voilà à quoi ressemblait le quotidien du club. Je n’avais pas envie après avoir maintenu la tête de certains joueurs hors de l’eau de leur annoncer que je ne les alignais plus parce que la direction ne voulait pas d’eux.

Est-ce que le fait que Charleroi se soit manifesté vous a poussé à ne pas continuer au White Star ?

Pourquoi n’aurais-je pas voulu aller au bout d’un projet de trois ans ? Même si Charleroi était derrière, il n’y avait pas encore d’accord ni de contrat signé. En football, tout peut aller très vite. Et Charleroi, ce n’était de toute façon que pour la saison prochaine. Rien ne m’empêchait de finir la saison au White Star !

Quel sentiment vous anime quand vous les voyez disputer le tour final ?

Chapeau ! Je ne leur souhaite qu’une chose : monter. Mais cela me fait très mal de ne pas être là. Car ce tour final, c’est le mien et celui de mon groupe ! Mais il n’y a pas que moi qui dois avoir mal. Je suppose que c’est le cas aussi des anciens qui ne jouent plus : comme les Vincent Vandiepenbeeck, Denis Dessaer, Alexandre Bryssinck, Julien Guerenne, Daniel De Oliveira ou Jonathan Heris. Tous ceux-là ont atteint le tour final.

 » Je trouve Mehdi Bayat très respectueux, correct et cohérent  »

Est-ce que le White Star n’a pas vu trop grand ?

Il fallait professionnaliser le club. La direction n’était pas préparée aux exigences du vrai professionnalisme. Aujourd’hui, qu’on les aime ou pas, qu’on soit sur la même longueur d’ondes qu’eux ou pas, je pense que les repreneurs sont des vrais professionnels.

Qu’avez-vous pensé quand vous avez vu que GDC passait du jour au lendemain du Brussels au White Star ?

Leur unique but consistait à prendre un club bruxellois et à le faire monter en D1. Que ce soit le Brussels, le White Star ou l’Union, pour eux, cela importe peu.

Aviez-vous déjà eu des contacts avec Charleroi avant ce mois-ci ?

En juillet 2012, alors que j’étais au bord de la piscine en Italie, Mehdi Bayat m’a téléphoné. J’étais surpris et tout fou. Il m’a dit que le club me suivait et m’a demandé quelle était ma situation contractuelle. Je lui ai dit que j’avais un contrat de trois ans et une clause de départ de 300.000 euros. Il m’a alors dit qu’ils allaient voir ce qu’ils pouvaient faire mais que cela devenait difficile car Charleroi ne pouvait pas payer cette clause. Je comprenais. Puis à mon retour de vacances, j’ai constaté qu’ils avaient choisi Yannick Ferrera. Je l’ai revu un jour au White Star et après la démission de Ferrera, Mehdi m’a rappelé et cela s’est accéléré.

Est-ce que Charleroi vous a dit qu’il pistait d’autres entraîneurs ?

Oui. Mehdi m’a dit qu’il y avait d’autres candidats pour le poste. Mais vous savez, les rapports que j’entretiens avec Mehdi sont excellents. Je le trouve très respectueux et correct à mon égard. Lors de la finalisation du contrat, il n’a pas renié sa parole. Dans les discussions en vue de la saison prochaine, je le trouve très cohérent.

Qu’est-ce qui vous a convaincu dans ses propos ?

Mehdi n’a pas dû faire beaucoup de choses pour me convaincre puisqu’il savait que mon rêve était d’arriver à Charleroi.

Quel projet sportif vous-a-t-on présenté ?

Les dirigeants ont joué cartes sur table : pas de folies financières parce que les moyens du club ne le permettent pas, vente d’un joueur-cadre si belle proposition, objectif de faire mieux en termes de classement que cette saison.

 » Je n’ai jamais envisagé un autre staff  »

N’est-ce pas contradictoire de dire que l’objectif sportif sera revu à la hausse alors que le noyau risque d’être amputé et peu renforcé ?

On verra si le groupe se déforce. Moi, je pars du principe que c’est l’équilibre du groupe qui en déterminera sa valeur. Même si un joueur-cadre part, je ne pense pas que cela brisera l’équilibre. Et secundo, psychologiquement, on doit dire qu’on vise autre chose que le maintien. Car si on affirme qu’on vise le maintien, d’office on jouera pour ne pas descendre. Je veux que chaque défaite, même contre Gand, Anderlecht ou le Standard, soit vue comme grave.

Quels sont les joueurs qui vous ont plu au Sporting ?

Pollet, Rossini, Kaya, Milicevic, Ederson, Diandy, Nganga, Mandanda. Mais ce qui ressort le plus, c’est la créativité de Milicevic et de Kaya.

Et les points que vous aimeriez améliorer ?

La compréhension des mouvements et la complémentarité entre Rossini et Pollet. Je suis certain qu’ils peuvent jouer ensemble car l’un est un pivot, un remiseur, un conservateur de balles (Rossini) et l’autre un joueur de profondeur qui a un gros volume de jeu (Pollet). Il faut aussi travailler les sorties des arrières latéraux. Si Nganga le fait de temps en temps, de l’autre côté, ce n’est pas suffisant. Et quand on a des joueurs comme Kaya ou Milicevic qui rentrent dans le jeu et recherchent le passing intérieur, si les arrières latéraux ne jaillissent pas, le jeu se concentre dans l’axe et cela devient facile pour l’adversaire de contenir Charleroi.

Est-ce votre décision de garder le staff ?

On ne m’a pas proposé un autre staff mais moi, je ne l’ai jamais envisagé. J’ai absolument voulu garder le staff et notamment Mario Notaro, qui incarne le respect des valeurs. Il travaille pour son club depuis des années, s’efface quand il doit, brille quand on le lui demande. J’ai besoin d’une personne comme lui pour m’acclimater au club.

C’est un avantage d’être carolo pour entraîner le Sporting ?

Dans le cadre de mon arrivée, oui. Car je pars avec une belle cote de sympathie. Je l’ai ressenti lors de ma présentation. Si les résultats ne suivent pas, cela pourrait devenir un désavantage car je passe ma vie à Charleroi.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE/KETELS

 » Je veux réussir en restant celui que j’ai toujours été.  »

 » Si j’avais connu la situation financière du White Star, j’y aurais cassé mon contrat.  »

 » Je ne prétends pas être déjà un coach de D1. « 

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