» Je suis une anguille ? Si je prenais chaque déclaration au sérieux, j’entrerais au monastère… « 

Le président de la FIFA se débat sans cesse dans des affaires qui ne le touchent jamais personnellement mais qui lui permettent toujours de jouer à la victime.

Lors de la cérémonie du Ballon d’Or attribué à Lionel Messi début janvier, vous sembliez très relax. Est-ce le fait d’oublier un instant tous ces scandales concernant la FIFA qui vous a mis de bonne humeur ?

Sepp Blatter : Lorsque les meilleurs footballeurs du monde se réunissent autour du roi Pelé et du Kaiser Franz Beckenbauer, avec des stars mondiales de la musique comme Shakira, l’atmosphère d’un tel événement à Zurich est très prenante. Le foot, c’est un événement, c’est de l’émotion, une attraction dans l’agenda de loisirs de l’homme moderne. Nous avons fait du bon boulot…

Shakira avait déjà interprété la chanson de la Coupe du Monde 2010. Est-elle une amie spéciale de la FIFA ?

A l’occasion du Ballon d’Or, Shakira a annoncé qu’elle aimerait soutenir la FIFA dans tous ses projets à caractère social. Ce serait génial qu’une femme dotée de tant de charisme soit à nos côtés.

Ce sont là les aspects agréables de votre fonction. Mais comment réagissez-vous lorsque les membres de la famille FIFA vous considèrent comme un ennemi ?

Lors du congrès FIFA du 1er juin dernier, seuls quelques membres n’étaient pas d’accord avec moi. J’ai obtenu plus de 91 % des votes, ce qui montre que la famille du football reste unie. Et lorsque le congrès a pris fin, 98 % des participants étaient d’accord avec les réformes proposées ; ce qui, convenez-en est plutôt un signe de confiance. Les membres de la FIFA me font confiance, ils sont certains qu’avec le soutien du comité exécutif je réussirai à ramener notre bateau en eaux calmes et à garder le cap. En ces temps de turbulences, nombreux sont ceux qui oublient tous les projets positifs que la FIFA a menés à bien.

Allez-y, racontez-nous…

Le football est important et populaire sur toute la planète, avec plus de 300 millions d’affiliés. Plus d’un milliard de personnes regardent le foot à la TV. Le football peut créer des ponts et rassembler les gens, spécialement dans des pays en guerre ou en difficultés. Lorsque l’Irak était occupé, les Irakiens continuaient à jouer au foot, tout comme en Afghanistan ou au Pakistan. En Palestine, une ligue féminine a été créée. Et l’équipe nationale de Libye a même réussi l’exploit de se qualifier pour la Coupe d’Afrique des Nations. Le football est devenu quelque chose de grand, un bien social et culturel. Mon objectif prioritaire est d’ancrer cet élément socio-culturel dans la société. Le football, c’est aussi une école de la vie basée sur la discipline, le respect et le fair-play. Nous souhaitons ici aussi perpétuer ces valeurs communes au football au sein des familles, de la société, de la politique, de la vie quotidienne.

Dossiers de corruption

Et il y a des milliards d’euros ou de dollars à gagner là-dedans…

Le football déploie une énorme machinerie économique. Il y a tellement d’argent en jeu que les parieurs ne sont jamais loin. Il n’est pas facile de tous les garder sous contrôle. Nous avons donc besoin de joueurs-modèle. En 1988, l’Allemand Frank Ordenewitz devint ainsi l’un des premiers joueurs honorés du titre du fair-play. Lorsque l’arbitre est venu vers lui lors d’un match, il a admis avoir joué le ballon de la main. C’était le sport à l’état pur. Cette année, nous avons mis à l’honneur le joueur italien Simone Farina qui a eu le courage de refuser de participer à la manipulation d’un match -laissant filer 200.000 euros au passage – et a aidé à retrouver les cerveaux derrière cette tentative de triche. S’il y avait plus d’hommes comme lui, la FIFA n’aurait pas besoin de collaborer avec Interpol. Malheureusement, cela aussi c’est le foot d’aujourd’hui.

Oui, mais ne retrouve-t-on pas aussi des parieurs parmi les membres du comité exécutif de la FIFA ?

Nous nous en sommes rendu compte en 2010, lorsque les pays organisateurs des Coupes du Monde de 2018 et 2022 ont été désignés. La moitié des membres exécutifs était impliquée dans l’une ou l’autre candidature. Des journalistes anglais rusés ont mis des pièges dans lesquels certains sont allègrement tombés. Il est soudain devenu évident que certaines personnes étaient attirées par l’or… Après cela, le comité d’éthique de la FIFA a dû agir. C’est pourquoi j’ai suggéré que, dans le futur, les pays hôtes de phases finales de coupe du monde soient désignés par l’ensemble des membres de la FIFA et pas seulement ceux du comité exécutif. Ce qui a été accepté par une majorité écrasante. C’est aussi pour cela que nous avons introduit des réformes et créé quatre nouvelles commissions : Ethique, Football 2014, Révision des Statuts et Transparence & Conformité. De plus, nous avons réussi à persuader le Professeur Mark Pieth, expert renommé en gouvernance et en lutte contre la corruption, de présider le comité indépendant de gouvernance.

De quelle indépendance jouissent vraiment ces comités ?

Toutes ces task-forces souhaitent augmenter la transparence et implémenter de profondes réformes.

Dans quel délai seront-elles en place ?

La majeure partie de ces réformes prendront effet lors du congrès FIFA qui se tiendra en mai prochain à Budapest. Je souhaite accélérer le rythme afin que ce processus de réformes soit achevé en 2013, année où notre congrès se déroulera à l’Ile Maurice.

Dossier du procès ISL-FIFA

La Cour suprême du canton suisse de Zug a requis que la FIFA rende publics les dossiers ISL. On dit que les documents de l’ancienne agence de merchandising de la FIFA, qui a fait faillite en 2001, contiennent les noms de certains officiels de la FIFA corrompus. Pourquoi ces dossiers n’ont-ils pas encore été rendus publics ?

J’essaie de diffuser ces dossiers controversés depuis longtemps. Je suis presque prêt à les rendre publics si la cour est d’accord. S’il n’y a plus de procédures en appel, cela devrait être fait d’ici la fin janvier.

Bien entendu, vous en connaissez le contenu…

Vaguement, sans connaître les détails juridiques. De fait, je n’ai jamais reçu aucun paiement, ce que la Cour a confirmé dès juin 2010.

Mais vous connaissez des personnes mises en cause ?

Certaines ne sont plus en fonction. D’autres ont été suspendues par le comité d’éthique. En Suisse, jusqu’en 2007 aucune loi n’interdisait les paiements à des comités. Cela signifie que l’on ne parle pas de poursuites criminelles. La loi a été modifiée en 2007 mais pas à cause du dossier ISL. La Cour a toutefois estimé que les bénéficiaires de ces paiements devaient en rembourser une partie. La position de la FIFA n’a pas changé d’un iota : nous n’avons pas perdu d’argent, nous avons reçu tous les droits TV qui nous étaient dus selon nos contrats de télévision et de merchandising.

La FIFA ne va donc pas trembler sur ses bases, si on vous comprend bien ?

Non, il n’y aura pas de tremblement de terre. L’ancien vice-président Jack Warner clame qu’en 1998, lorsque j’ai été élu pour mon premier mandat, je lui ai donné les droits TV pour Trinidad pour un dollar. Cela n’est pas vrai. Nous n’influencions aucunement l’issue de cette attribution de droits qu’il a finalement acquis via l’OTI – Organizaciòn de Telecomunicaciones Iberoamericanas. De telles inepties sont répandues sans aucune vérification. Je sais quelle fut mon erreur : j’ai rendu la FIFA à nouveau bénéficiaire après des années de déficit lorsque j’ai entamé mon mandat en 1998.

Dossier de la Coupe du Monde au Qatar

Vous n’avez pas voté pour le Qatar en tant que pays organisateur de la Coupe du Monde 2022, au contraire de Michel Platini, le président de l’UEFA.

Je n’ai jamais confié mon choix à personne. C’est un scrutin à bulletin secret. Platini a dit avoir voté pour le Qatar mais si vous souhaitez en connaître les raisons, je crains qu’il faille le lui demander.

Après avoir été élu au comité exécutif de la FIFA, Theo Zwanziger, le président de la fédération allemande, a exigé une refonte de la manière dont sont désignés les pays organisateurs. C’est vous qui l’avez réduit au silence ?

Lorsque les décisions furent prises quant aux Coupes du Monde 2018 et 2022, il n’était pas encore membre du comité exécutif. Récemment, je me suis adressé au comité, en disant que nous devions parler d’une seule voix et nous montrer solidaires les uns envers les autres. Du moins aussi longtemps que des éléments négatifs ne sont pas mis au grand jour en ce qui concerne notre processus de décision.

S’agissait-il uniquement de savoir si l’on disputerait la coupe du monde en été ou en hiver ?

Je suppose que vous me posez la question parce que Michel Platini a affirmé que personne ne pouvait disputer une rencontre en été lorsqu’il fait aussi chaud au Qatar. La FIFA a sélectionné ce pays uniquement à condition que le tournoi se dispute en juin et en juillet. Si quoi que ce soit devait changer par rapport à ce deal, le Qatar devrait s’adresser à la FIFA. Pour l’instant, ils ne nous en ont pas fait de demande. Si c’était le cas, le comité exécutif ou le congrès de la FIFA devrait trancher. Mais il ne reste plus beaucoup de temps. Nous sommes sur le point d’établir le calendrier international pour les matches durant les années de l’après-2014. Nous devons absolument connaître les dates des phases finales pour cela.

Dossier des calendriers

Les clubs souhaitent aussi avoir leur mot à dire lorsqu’il s’agit d’établir le calendrier international.

La FIFA ne décide pas seule du calendrier. Nous coopérons avec les secrétaires généraux des confédérations. Le calendrier des matches est satisfaisant. Nous sommes attentifs aux suggestions. Comme nous l’avons fait pour les doubles journées de matches internationaux, programmés le vendredi et le mardi au lieu du samedi, dimanche et mercredi auparavant. Les joueurs ont désormais plus de temps pour récupérer. La discussion au sujet du calendrier des matches internationaux provient surtout des intérêts divergents des clubs, des différentes ligues et des équipes nationales. Parfois, les personnes impliquées dans ces discussions oublient l’intérêt des joueurs.

Est-ce une querelle éternelle ?

Bien entendu, les intérêts des uns et des autres ne sont pas les mêmes. Si on n’écoutait que les clubs, il n’y aurait déjà plus d’équipes nationales. Mais le foot sans équipes représentatives, c’est – et cela restera – inimaginable. Cela fait partie de la culture commune d’un pays, l’équipe nationale sert d’identification à une nation. Prenons par exemple la soi-disant Europe unie et ses 27 pays. Personne n’a jamais eu l’idée de constituer une équipe d’Europe. Il y a des vaisseaux spatiaux qui portent le nom d’Europe mais pas d’équipe de foot…

Dossier des assurances pour les internationaux

La dispute entre les clubs et les associations nationales porte-t-elle exclusivement sur des aspects financiers ?

C’est un élément décisif. Les clubs ont le devoir de mettre leurs joueurs à disposition des équipes nationales. Les fédérations souscrivent des assurances mais les clubs estiment que cela ne suffit pas. Lors de la Coupe du Monde 2010, nous avons payé plus de 40 millions d’euros aux clubs. Au Brésil en 2014, ce montant grimpera à 70 millions. A présent, les clubs exigent des sommes astronomiques en vue de 2018 et 2022. Nous en discuterons avec Karl-Heinz Rummenigge, le président de l’association des clubs européens, qui n’a malheureusement pas pu assister à la session qui s’est tenue début janvier.

En parlant de Rummenigge (président du Bayern Munich football), quelle fut votre réaction quand il vous a comparé à une  » anguille sur laquelle il est difficile d’avoir une emprise  » ?

Je ne me soucie pas de ces propos. Une anguille est un poisson, et il se fait que je suis né sous le signe des poissons. Nos contacts personnels ont toujours été bons mais chaque fois que Rummenigge rentre à Munich, il décoche des coups. Si je prenais chaque déclaration au sérieux, je pourrais entrer au monastère.

Dossier amitié africaine

Le président du Bayern Munich, Uli Hoeness, a déclaré être prêt à  » discuter publiquement de tout méfait dans le football mondial « .

Je n’ai pas à traiter avec Uli Hoeness. Laissez-moi vous dire la chose que j’ai dite à Christian Ude, le maire de Munich, juste avant la décision sur la ville-hôte des Jeux olympiques d’hiver de 2018. Hoeness et d’autres ont beaucoup critiqué, calomnié au sujet de l’Afrique du Sud dans la course à l’organisation de la Coupe du Monde 2010. J’ai clairement fait savoir à Ude que Paris n’avait pas obtenu les Jeux olympiques de 2012 parce que le comité d’organisation parisien ne s’était pas suffisamment soucié des voix africaines. Issa Hayatou, le président de la Confédération Africaine de Football (CAF) a également déclaré par après à Beckenbauer : -Ne comptez pas sur un seul vote africain pour soutenir la candidature munichoise aux JO d’hiver 2018. Nous n’avons pas oublié la façon dont vous avez essayé de détruire la Coupe du Monde africaine. Il avait raison. Vous ne pouvez pas obtenir les Jeux olympiques, sans les douze voix africaines.

Dossier arbitrage

Fin 2011 vous avez exigé que l’arbitrage devienne pleinement professionnel. En Allemagne, il n’y a pas de majorité pour cela. Les arbitres allemands seront-ils donc interdits de compétitions internationales ?

Les arbitres allemands sont toujours les bienvenus. Mais pour prendre part à la Coupe du Monde 2014, ils seront obligés d’être professionnels. La fédération allemande n’a qu’à établir un système dans lequel les arbitres sont ses employés.

Même sans ce statut, les arbitres sont tout de même payés.

Ils perçoivent de l’argent, d’accord. Mais ils sont sous pression car ils doivent être bons s’ils veulent obtenir de l’argent. S’ils échouent, ils seront relégués. Je veux que les arbitres aient des contrats, tout comme les joueurs. Les managers, les joueurs, les entraîneurs, tous sont sous contrat et obtiennent un salaire, même s’ils font des erreurs. Pourquoi pas les arbitres ? Ce n’est pas correct.

Mais les arbitres professionnels ne sont pas automatiquement de meilleurs arbitres.

La qualité sur le terrain est un des éléments de leur fonction ; l’aspect psychologique en est un autre. Je pense que les joueurs montreront plus de respect si les arbitres ont le même statut professionnel qu’eux. Il ne faut pas craindre que la moindre erreur pourrait les faire disparaître du payroll. Chaque joueur reçoit un salaire fixe, même quand il n’est pas en pleine forme et ne joue pas. Les arbitres, eux, ne reçoivent rien dans ce cas…

Beaucoup d’arbitres allemands ont un très bon emploi dans la société civile, qu’ils ne veulent pas abandonner…

Je suis convaincu que l’Allemagne va bien arriver à résoudre ce problème. En France, les arbitres de chaque ligue professionnelle sont des professionnels. En Angleterre, au Brésil, en Argentine, au Mexique et partiellement en Italie, c’est également monnaie courante. Il y a des écoles pour les arbitres dans certains pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Au Honduras, vous pouvez même étudier ce sujet à l’université.

Les contrats doivent-ils entrer en vigueur en 2013 afin d’être prêts pour la Coupe du Monde 2014 ?

Un système doit être établi. Zen Ruffinen, l’ancien secrétaire général de la FIFA et ex-arbitre, a créé un bon régime qui va faire partie intégrante de nos règles.

Qu’en est-il de la caméra pour la ligne de but ? Sera-t-elle d’application avant la Coupe du Monde 2014 ?

Je suis en train de me battre pour cela. Au Brésil en 2014, nous aurons la technologie sur la ligne de but. Nous ne pouvons pas nous permettre de rééditer la honte de 2010, lorsqu’un but égalisateur parfaitement valable fut refusé à l’Angleterre contre l’Allemagne. J’étais paralysé lorsque j’ai vu ça !

Est-ce qu’il y aura un arbitre en chef quand ce système de caméra dans le but sera mis en place ?

Non. La technologie de la ligne de but n’est pas si compliquée que ça. Les arbitres seront informés par un signal sonore. Il n’est pas nécessaire pour cela d’avoir un arbitre supplémentaire. Tout cela sera discuté, tout comme l’idée de placer une puce à l’intérieur du ballon, par l’International Board les 2 et 3 mars prochains. Ensuite seulement, la question d’un arbitre supplémentaire sera débattue.

Combien d’arbitres préférez-vous ?

Aujourd’hui, nous avons sept arbitres impliqués dans un match de Ligue des Champions. Précédemment, les choses se passaient déjà bien lorsqu’ils n’étaient que trois ou quatre. Il est toujours possible d’en faire plus, mais je crains que la plupart des fédérations ne disposent pas d’assez d’arbitres pour cela. Et seuls quelques rares clubs peuvent se permettre de payer pour un si grand nombre de referees. C’est l’UEFA qui finance l’expérience actuelle au niveau de ses compétitions. Au Mexique par exemple, on a précisément mis fin à cette expérience en raison d’un manque de bons arbitres.

PAR RAINER FRANZKE (KICKER) POUR ESM- PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » J’ai obtenu plus de 91 % des votes : la famille du football reste unie  »  » Mon erreur est d’avoir rendu la FIFA bénéficiaire… « 

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