« Je suis un privilégié »

Le Belgo-Congolais du Sporting sait où il va mais aussi et surtout d’où il vient.

Gabriel Ngalula Mbuyi (Junior) a une relation privilégiée avec le Club Brugeois. Le jeune médian des Mauves (20 ans) a beau n’avoir qu’une vingtaine d’apparitions à son compteur, pas moins de trois d’entre elles auront eu trait aux chocs avec les rivaux de toujours.

Junior: La première fois, lors des matches aller de la défunte compétition, j’avais été appelé à remplacer Bertrand Crasson en cours de partie, au back droit. Cette rencontre aura constitué un tournant. Ce soir-là, je me suis réalisé que le football n’était pas simplement un jeu mais qu’il se doublait aussi d’un réel enjeu. Cette perception de la véritable portée d’un match fut encore beaucoup plus forte au retour, durant cette même saison 2001-2002, dans la mesure où le Sporting n’avait pas le droit à l’erreur s’il voulait accrocher une place en Ligue des Champions. Malheureusement, un but de Timmy Simons, sur coup de réparation, sonna le glas de nos espérances. Cette fois, pour mes troisièmes retrouvailles avec les Bleu et Noir, j’ai occupé mon poste de prédilection au demi. Sur l’ensemble des matches que j’ai disputés jusqu’à présent pour le compte du RSCA, c’est dans ce rôle que je me suis le plus fréquemment signalé. Je m’y sens également le mieux mais je ne vais pas bouder mon plaisir: je suis évidemment prêt à toutes les concessions pour évoluer en équipe fanion.

La plupart des footballeurs suivent une filière classique qui mène des classes d’âge à la formation représentative A d’un club. Par rapport à eux, votre parcours aura été pour le moins atypique?

C’est vrai, en ce sens qu’avant de m’affilier à 15 ans à Anderlecht, je n’avais jamais défendu les couleurs d’un club. Avant d’aboutir à Neerpede, mon terrain de jeu s’était limité au parc d’Evere et, plus tôt, aux rues d’un des quartiers de Kinshasa. C’est là que je suis né et que j’ai grandi, jusqu’au jour où j’ai mis définitivement le cap vers Bruxelles, en 1996. Auparavant, j’avais déjà effectué à l’une ou l’autre reprises la navette, entendu que mon père travaillait au Zaïre tandis que ma mère avait trouvé un emploi au CPAS d’Evere. Dans la famille, nous étions tous branchés sur le football et, plus particulièrement, sur l’un des grands clubs kinois: Motema Pembe. Je me souviens d’avoir assisté un jour à un derby contre le Vita Club à côté duquel le Bruges-Anderlecht du 7 décembre dernier aurait fait figure de match amical (il rit). Si, à l’image de ce qui se passe en Belgique, ou même dans d’autres pays africains comme le Cameroun, le Ghana, le Nigeria ou la Côte-d’Ivoire, le football avait été organisé et structuré au niveau du blé en herbe, j’aurais sans doute rallié le club de mon coeur. Mais puisque cette possibilité n’existait pas, j’ai dû me contenter durant un peu plus d’une décennie de matches avec mes copains de voisinage. Si j’avais persévéré, peut-être aurais-je enfilé la vareuse d’une formation militant dans les divisions inférieures avant d’emprunter, qui sait, le chemin d’un cercle plus huppé. En lieu et place, j’ai quitté mon pays natal à destination de la Belgique et ma première préoccupation – et celle de ma mère, surtout – fut de me voir obtenir de bons résultats scolaires. C’est pourquoi le football n’avait nullement la priorité à mon arrivée ici. Et quand je m’y adonnais, ce n’était nullement avec l’idée de faire carrière. Je jouais vraiment par pur plaisir. Le soutien de Franky Vercauteren

Dans quelles circonstances étiez-vous arrivé à Anderlecht?

A la faveur d’un match à la plaine des sports d’Evere, mon jeune frère Floribert et moi avions été repérés par Gianni Fortuna, un scout du Sporting. Il insista pour que nous effectuions un essai au RSCA Brussels, sur les hauteurs du Heysel. Il faut croire que le test fut concluant puisqu’on nous aiguilla aussitôt vers l’école des jeunes de Neerpede. En deux temps trois mouvements, notre affiliation était entérinée. Et, quelques jours plus tard, je fus déjà invité à me produire avec les Scolaires provinciaux du club. Le match était programmé à 9h30 et, vu le trajet à accomplir entre Evere et Anderlecht, j’aurais dû me lever deux heures plus tôt pour honorer cette première convocation. Il va sans dire que pour un gars d’origine africaine, comme moi, cette ponctualité posa un épineux problème. Et je loupai le rendez-vous (il rit). Heureusement, une autre rencontre était fixée à 11h. Avec les nationaux, cette fois. Le hasard a voulu qu’un joueur manque à l’appel et qu’on m’accorda dès lors une chance malgré tout alors qu’il s’agissait de la catégorie suprême. J’ai finalement remercié tout le monde de la meilleure façon qui soit en disputant un match dantesque. Du coup, il n’était plus question que je quitte ce groupe. Par la suite, je me suis retrouvé en moins de 20 ans, en raison de la suppression des Juniors, puis en Réserve et, enfin, chez les A. J’aurai mis cinq ans pour y arriver là où d’autres, au vécu beaucoup plus important en club, n’y parviennent jamais. C’est une petite prouesse qui me procure quand même une certaine satisfaction. Même si je me rends compte mieux que personne que rien n’est jamais acquis de manière définitive dans le monde du football. Et à Anderlecht en particulier.

La plupart des Africains engagés par le RSCA durant leur adolescence étaient des joueurs d’instinct, comme les attaquants Lamptey, Obiorah ou Dindane. En tant que médian acquis sur le tard, sans éducation footballistique spécifique, n’accusiez-vous pas un retard au plan tactique par rapport à vos compagnons d’âge?

C’est exact mais, dans l’absolu, j’ai eu tôt fait de le résorber. D’accord, je n’ai pas eu droit à la même formation que les autres, mais ce manque était compensé par tout ce que j’avais pu emmagasiner, dans la capitale zaïroise, au contact d’éléments plus âgés et chevronnés que moi. Car quand on joue en rue ou sur les terrains vagues, on est immanquablement confronté à des joueurs plus grands ou plus expérimentés que soi. Pour se tirer d’affaire, un poids plume comme moi devait compenser ce double handicap en développant d’autres qualités, comme la lecture du jeu et le bon positionnement. C’est la raison pour laquelle, en débarquant à Anderlecht, je possédais malgré tout un bagage appréciable. De fait, le plus dur, pour moi, s’est situé au niveau mental. Avant mon passage chez les Mauves, je recevais victoires et défaites d’un même front. L’essentiel, à mes yeux, était de prendre mon pied sur le terrain. Ce détachement m’a valu quelques déboires. Notamment quand, avec les Scolaires nationaux, l’équipe concéda quatre revers d’affilée. C’était du jamais vu, paraît-il, dans les annales du club, et l’entraîneur, Philippe Van Wilder, ne s’était d’ailleurs pas privé de nous dire à tous sa façon de penser. Et à moi en particulier, car je ne m’en faisais pas outre mesure. A l’époque, d’ailleurs, j’étais loin de me douter que le football serait un jour mon métier. La preuve: j’ai poursuivi mes études jusqu’au bout, à Saint-Louis, puis j’ai suivi des cours du soir en informatique. Par après, j’ai songé très sérieusement à entamer des études d’ingénieur industriel à l’ISIP. La combinaison de l’école et du football était toutefois impossible pour des motifs d’horaire et j’ai dû opérer un choix. Sur les conseils de Franky Vercauteren, j’ai en définitive opté pour le ballon rond.Entre calme et nonchalance

L’entraîneur adjoint ne s’est pas fait que des amis, ces dernières années, parmi la colonie étrangère du Sporting et des Africains en particulier. Si Obiorah et Mbemba ont quitté le Parc Astrid, c’était notamment pour cause d’incompatibilité d’humeur avec lui. Avec vous, il n’y a manifestement jamais eu de problèmes. Pourquoi?

C’est vrai que contrairement à ceux que vous venez de citer et à d’autres, comme Yasin Karaca ou Lukas Zelenka, qui ont été priés de se mettre en quête d’un nouvel employeur, je n’ai jamais été montré du doigt ou avisé d’aller tenter ma chance ailleurs. Au contraire, Vercauteren a régulièrement soutenu que j’avais davantage à apprendre au contact des pros anderlechtois que dans un autre entourage, moins huppé. A un moment donné, je me suis effectivement demandé si, à l’instar de ce qui s’était passé pour quelques autres, je n’avais pas intérêt à être loué. Mais à peine avais-je formulé cette éventualité, fin de la saison 2000-2001, que je fus nommé capitaine de la Réserve dans l’optique de la saison suivante. Pour moi, c’était un signe que le staff technique comptait sur moi. Dès ce moment, j’ai commencé à prendre le football très au sérieux, au point de rêver pour la toute première fois d’une carrière pro. Ensuite, tout est allé très vite, puisque j’ai d’emblée fait partie des 15 à l’occasion des matches du début de saison avant de bénéficier de quelques minutes de temps de jeu contre La Gantoise. En principe, j’aurais dû être à la fête beaucoup plus tôt déjà car à l’occasion du premier déplacement, à La Louvière, Aimé Anthuenis voulut me lancer dans le grand bain en fin de partie. Malheureusement pour moi, les Sportingmen songèrent avant tout à protéger leur avance de deux buts à ce moment-là et monopolisèrent le ballon, qui ne sortit pas en touche. Au moment où il finit par franchir les limites du terrain et que je m’apprêtais enfin à signer mes grands débuts officiels pour Anderlecht, l’arbitre mit un terme à la partie. Ce fut une grosse déception pour moi. Heureusement, j’ai pu me rattraper par la suite puisque j’ai participé à 12 matches au total.

Ce qui ne manque pas de frapper, c’est votre calme olympien dans n’importe quelle situation. Lors de votre premier match contre Bruges, vous n’aviez pas hésité à effacer deux hommes dans vos 16 mètres là où d’autres auraient expédié le ballon au loin.

Je ne me mets pas facilement la pression. Mais cette sérénité confine parfois, chez moi, à la nonchalance. Comme lors de mon entame de match à Genk où il m’avait fallu 20 minutes avant d’éprouver enfin les bonnes sensations. Par après, Vercauteren m’a dit que j’avais intérêt à me secouer plus tôt, sans quoi je risquais de perdre ma place. Ce serait dommage car j’ai un bon coup à jouer en raison de l’absence d’Yves Vanderhaeghe. Mon but est de saisir ma chance. A plus longue échéance, j’espère enfin pouvoir effectuer mes premiers pas en Coupe d’Europe en 2003-2004 et, si possible, en Ligue des Champions. Cette réalité s’est toujours refusée à moi jusqu’à présent. Notez bien, j’aurais tort de me plaindre: je suis bel et bien un privilégié. Au Zaïre, j’ai eu la chance de naître dans une famille épargnée par les soucis. Pour jouer au football, j’étais botté, par exemple, alors que bon nombre de mes compagnons de jeu jouaient nu-pieds. Ensuite, j’ai eu la possibilité d’émigrer en Belgique et de m’y réaliser au Sporting. Cette baraka, d’autres, qui étaient peut-être plus doués que moi, ne l’ont pas eue et sont toujours à Kinshasa. Je ne l’oublie pas. Et c’est ce qui explique, sans doute, mon côté philosophe dans la vie.

Bruno Govers

« Contre Bruges, j’ai appris que le foot n’était pas seulement un jeu mais également un enjeu »

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