« Je suis un gars limite »

Le Bruxellois du Sporting de Charleroi dit tout sur sa vie en dehors du terrain.

S téphane Demol (43 ans) :  » Beersel, c’est mon univers. J’ai toujours vécu ici. La commune touche Bruxelles. Ce n’est ni la ville, ni la campagne. C’est la limite et ça me convient bien : je suis un gars limite ! Je n’ai jamais essayé d’habiter dans un grand centre mais je ne suis pas sûr que je m’y serais habitué. Quand je jouais à Porto, j’étais installé juste à l’extérieur de la ville, près de la mer. C’est là que j’ai connu ma meilleure saison. J’y retourne encore de temps en temps. Quand j’y vais, le président insiste pour que je donne le coup d’envoi, histoire que les supporters m’applaudissent. A Athènes aussi, j’étais à l’extérieur du centre. Quand j’étais à Toulon, j’avais une maison à Bandol. Lugano, c’était un cadre fantastique. Et à Bologne aussi, j’étais vraiment bien. J’y ai aménagé un petit logement dans une grange au milieu d’un vignoble, avec deux anciens coéquipiers. Le propriétaire est un copain, il nous a fait cadeau des murs, nous avons retapé l’intérieur et amené des tables, des chaises, des lits, des meubles,… Aujourd’hui, les murs ne nous appartiennent toujours pas mais nous y allons quand nous en avons envie. J’y passe chaque année une partie de mes vacances. Je continue aussi à aller à Toulouse : je suis parrain du fils d’un copain que je me suis fait là-bas. Je suis resté attaché à tous les pays par lesquels je suis passé. Je dois retourner bientôt à Chypre : il me reste deux valises à prendre. A la prochaine mini-trêve, je saute dans l’avion.  »

Munich 72 et leucémie

 » Je suis l’aîné de trois garçons. Chaque année, mes parents avaient un but précis : mettre de l’argent de côté pour aller passer trois ou quatre semaines tous ensemble à la Côte d’Azur. C’était ça, leur grand bonheur. Ma mère a longtemps été secrétaire de la Ligue belge de judo. Mon père était expert-comptable. Lui aussi a bossé un peu pour la Ligue de judo. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé aux Jeux de Munich en 1972. Le soir de la prise d’otages par un commando palestinien et du bain de sang, avec des athlètes israéliens tués, il a téléphoné à la maison. J’avais six ans, c’était début septembre et j’entrais juste à l’école primaire. Il a dit à ma mère : -Stéphane ne doit pas suivre les cours de religion, il faut l’inscrire à la morale laïque. J’ai été le tout premier élève de l’école de Beersel à choisir cette option-là. Je n’ai jamais eu de convictions religieuses : je suis un… athée convaincu.

Mes frères se débrouillent très bien dans la vie. Ils se sont faits eux-mêmes. Il y en a un qui travaille dans la chimie, il est responsable d’une colle spécifique pour toute l’Europe. L’autre est un des grands spécialistes belges dans le secteur des jeans, il a travaillé pour les marques les plus connues. Il vient de créer sa propre société.

Le ciel nous est tombé sur la tête le jour où je suis revenu de la Coupe du Monde 1990 en Italie. Quelques heures après notre élimination par l’Angleterre, nous avons appris qu’un de mes frères souffrait d’une leucémie. Il lui fallait d’urgence une greffe de moelle. D’après les statistiques, j’avais une chance sur quatre d’être compatible. Idem pour mon autre frère. Nous avons fait directement les tests : nous pouvions tous les deux lui donner notre moelle. Première bonne nouvelle. La clinique a alors fait des examens complémentaires pour savoir avec quelle moelle il avait le plus de chances de s’en sortir. Ce n’était pas la mienne. Mon frère a été transplanté en début d’année 1991 et tout a très bien marché. Ses problèmes sont oubliés depuis longtemps. « 

Inspiré par John Travolta

 » Ma femme est aussi originaire de Beersel. Elle est institutrice à mi-temps. Je suis passionné par mon boulot et elle l’est par le sien : elle n’a pas l’intention d’arrêter. Elle m’a suivi partout pendant ma carrière de joueur, mes deux plus grands enfants sont allés à l’école en français, en néerlandais, en anglais et en italien. Depuis que je suis entraîneur, je voyage seul, la famille reste en Belgique et vient me voir plusieurs fois par an. Je travaillais en Grèce pendant les Jeux en 2004 : ils sont venus et ont vu plein de compétitions. Ma fille aînée, Joy, entre en troisième année à l’université, en sciences biomédicales. Le deuxième, Luka, commence maintenant le droit. Et le troisième, Jett, est en dernière année primaire. Le prénom… Nous n’avions pas voulu savoir si c’était une fille ou un garçon. Si ça avait été une fille, nous l’aurions appelée Ella. Mais nous n’avions rien trouvé pour un garçon. Quand il est sorti, nous avons commencé à chercher. Une heure. Deux heures. Nous avons attendu avant d’appeler nos parents pour leur annoncer la naissance parce que ça faisait un peu drôle de leur dire que le petit été né mais qu’il n’avait toujours pas de prénom… En feuilletant Paris Match, nous sommes tombés sur un article consacré à John Travolta et à son fils Jett. Voilà…

J’étais bon à l’école. J’ai fait des humanités latin-maths et, sans travailler beaucoup, je n’ai pas été une seule fois pété en six ans ! Mes parents m’ont donné pas mal de matière grise ! J’allais m’inscrire à l’université, je voulais faire ingénieur commercial à Solvay. Le scénario était prêt : j’allais quitter Anderlecht pour Lokeren et j’aurais combiné avec mes études. Mais je suis entré en équipe Première du Sporting et tous mes plans ont changé. J’ai vite joué en coupe d’Europe, j’ai fait la Coupe du Monde au Mexique à 20 ans, il n’était évidemment plus question de parler d’université. Cela m’a longtemps laissé un arrière-goût de trop peu mais je me console : ma vie a été belle d’une autre manière. Je suis en tout cas persuadé que j’aurais pu réussir Solvay puis une belle carrière commerciale.

J’apprends facilement les langues. Mon anglais, mon italien et mon portugais sont aussi bons que mon néerlandais et mon français. En allemand, en espagnol et en grec, je me débrouille à 60 ou 70 %. J’ai tout appris seul. Quand je jouais dans un pays où on parlait une autre langue, j’allais dans une librairie et j’achetais un dictionnaire et quelques bouquins. Je n’ai jamais suivi une seule heure de cours. L’allemand, c’est encore autre chose : je ne l’ai appris qu’en regardant des émissions de foot à la télé. « 

Sabbat en Israël et haine Grecs/Turcs à Chypre

 » Mes expériences à l’étranger, je les ai connues plus au sud de l’Europe. J’ai relevé une constante : les gens y sont plus chaleureux, plus attachants qu’ici. Ou en tout cas, ils le montrent plus. Chez nous, on est pudique, on a tendance à cacher ses sentiments. C’est en Israël que j’ai été le plus étonné par la différence de culture. J’y ai vécu un mois, en fin de carrière. J’étais sur le point de signer dans un club de Jérusalem mais il avait son quota d’étrangers et devait en vendre un avant de m’engager. Personne n’est parti et je n’ai donc pas été pris. Mais j’ai eu le temps de comprendre qu’on ne vivait pas là-bas comme ici. Le plus frappant, c’est le sabbat : du vendredi soir au samedi soir, la vie s’arrête. Plus rien ne fonctionne : plus de bus, presque plus de commerces. A Chypre, c’était spécial aussi. Je vivais le long de la frontière entre la partie grecque et la partie turque. A chaque instant, on ressentait la haine des Grecs vis-à-vis des Turcs qui leur ont tout volé, dont leur terre.

Je n’ai pas fait que du foot dans ma jeunesse. Un peu de judo mais je n’ai pas accroché. Du tennis aussi. Mais mon deuxième sport, c’est le cyclisme. Je continue à faire du vélo. Des balades le dimanche avec des copains, parfois 80 ou 90 kilomètres. En semaine aussi, quand j’en ai l’occasion. A la télé, je ne rate pas grand-chose du Tour de France et des classiques. Je suis aussi fasciné par les grands meetings d’athlétisme, par le volley de haut niveau, et j’ai beaucoup d’admiration pour les sportifs qui réussissent pas seulement grâce à leur talent, mais aussi parce qu’ils travaillent énormément. Je pense par exemple à nos joueuses de tennis : quand on les regarde, on est fier d’être belge. « 

Regrets éternels avec les Diables

 » A quel âge j’ai bu ma première chope ? Attends…. Que je ne dise pas de conneries… A 13 ans, je pense. J’étais chez les scouts, avec tous des gars plus âgés. On faisait la tournée pour le ramassage des vieux papiers et mes copains se cachaient pour en boire quelques-unes. J’ai suivi le mouvement. Et c’est vers 16 ans que j’ai commencé à sortir plus régulièrement. Oui, j’ai toujours eu une réputation de sorteur. Une légende ? Elle est vraie à 50 %. Pas plus. Mais les rumeurs peuvent faire du mal à une carrière. Domenico Leone, le président de Mons, a refusé in extremis de m’engager à cause de ce qu’on lui avait raconté sur moi. Cette saison, il est venu à un match de Charleroi et il a avoué en public qu’il s’était trompé sur mon compte. Il avait simplement écouté quelques personnes malintentionnées, qui ne me connaissent pas bien ou me veulent du mal. A Charleroi, ils ont travaillé autrement : ils ont demandé des avis au Standard et à la Fédération, où on les a rassurés.

J’ai été plus ou moins raisonnable jusqu’à 29 ou 30 ans. A ce moment-là, j’ai perdu la passion et je me suis laissé aller. Mais j’ai continué à jouer jusqu’à 33 ans : ça veut dire que pendant mes dernières années de joueur, je n’ai plus eu l’hygiène de vie d’un pro. Je ne buvais rien la veille des matches, mais les autres jours, je ne faisais attention à rien. Et c’est sûr que ça a raccourci ma carrière. Je n’avais plus envie de faire les efforts. Je ne les ai plus faits et je l’ai toujours regretté. J’ai continué à jouer alors que les grandes flammes de ma passion n’étaient plus là ; il ne restait que quelques braises. Pas assez pour encore être assez bon sur le terrain.

Je n’ai pas toujours réagi aux coups durs comme j’aurais dû le faire. En équipe nationale, par exemple, j’ai été incapable de surmonter un problème avec une personne de la Fédération. J’aurais dû avoir du caractère, me relever. Au lieu de dire -Merde, je passe au-dessus de ça, j’ai baissé les bras. Je n’en suis pas fier. J’aurais dû m’appuyer sur mes certitudes : j’avais 38 sélections et 38 caps. J’ai donc joué chaque fois que j’ai été appelé. Qui d’autre peut en dire autant ? Mais il a suffi d’une bête dispute pour que tout s’écroule. Je n’avais que 25 ans, j’aurais dû écraser et me préparer pour revenir deux mois ou six mois plus tard. Je ne l’ai pas fait, c’est con. Aujourd’hui encore, je suis fâché sur moi-même. La fin de mon parcours chez les Diables reste mon plus mauvais souvenir de joueur.  »

Il refuse les combines en Grèce : viré !

 » Etre adjoint, ce n’était pas mon truc. Mais j’ai commencé dans ce boulot sans trop avoir le choix. Quand j’ai quitté Egaleo, en Grèce, j’ai contacté Luciano D’Onofrio, qui avait été mon agent. Je lui ai demandé s’il n’avait pas quelque chose pour moi. Mais je ne pensais pas au Standard. Deux jours plus tard, il m’a retéléphoné : -Viens à Liège, on va discuter. Je me suis dit : -Chouette, il m’a trouvé un club. Il m’a alors demandé si j’étais d’accord d’aider son frère Dominique. Je suis tombé de ma chaise. J’ai accepté après n’avoir réfléchi qu’une vingtaine de minutes. Au départ, pas tellement pour moi mais en remerciement pour les services que Luciano m’avait rendus. Ce n’était pas un job pour moi mais je n’ai jamais regretté de l’avoir fait. Idem avec René Vandereycken chez les Diables : là aussi, je l’ai d’abord fait pour lui. Sans regrets avec le recul. Mais quand il a été prolongé de deux ans, moi j’ai dit stop. Je n’avais plus envie d’être adjoint. Normalement, je ne ferai plus jamais ce boulot. Je retiens toutefois ce qu’il m’a apporté : un joueur ne regarde que son match, un entraîneur principal ne voit que devant lui, alors qu’un T2 a l’occasion d’analyser les choses devant, derrière, à gauche et à droite. J’ai appris pas mal de choses au Standard et en équipe nationale.

Charleroi est mon dixième employeur en dix ans : c’est beaucoup. Me fixer pour un bon moment quelque part ? Peut-être, mais ce n’est pas une raison de vivre pour moi. La stabilité n’est pas ce que je recherche en premier lieu. Par contre, j’aimerais aller une fois au bout de mon projet dans un club. Commencer et terminer le boulot moi-même. Cela n’a jamais été possible. Je n’en suis pas responsable. A Turnhout, nous étions en tête du tour final de D2 quand la Fédération a annoncé que le club n’aurait pas sa licence pour la D1 : je me suis senti trompé par les dirigeants et je suis parti. A Geel, l’équipe était avant-dernière quand je l’ai reprise en novembre et nous nous sommes sauvés, mais ça ne m’intéressait pas de rester. A Malines, j’ai enfin reçu une chance en première division mais le club a été déclaré en faillite en décembre. A Denderleeuw, j’ai accepté le boulot pour remercier la direction qui m’avait permis quelques fois de m’entraîner avec le noyau quand j’étais sans club. C’était en D2 : la plus mauvaise expérience de ma carrière.

A Egaleo, c’était très spécial. Nous avons fait des nuls contre les trois grands, nous étions quatrièmes en décembre. Le président est venu me trouver : -C’est super mais j’ai un problème. Si on continue comme ça, je ne pourrai plus payer les primes. Il faut arrêter de gagner. J’ai compris, les joueurs aussi : ils étaient d’accord pour marcher dans les chinoiseries. Moi pas : j’ai envoyé le président à la gare et il m’a viré. Mais la preuve qu’il était content de mon travail, c’est qu’il m’a recommandé aux dirigeants d’Ethnikos Achnas, à Chypre.  »

Riche d’idées et de problèmes…

 » Si Charleroi ne m’avait pas contacté, je serais toujours là-bas. Je m’y étais vite acclimaté. Après une saison, j’étais le coach du championnat qui connaissait le mieux toutes les équipes. Il y avait sept matches par week-end et j’en voyais quatre : celui de mon club, un autre en live et deux sur DVD. Je m’y plaisais bien et les résultats étaient bons. Mais j’avais un problème : ma famille me manquait. En un an, je ne suis revenu qu’une fois en Belgique. Achnas me proposait de prolonger et j’avais une offre d’un bon club de Limassol. Si je n’avais rien eu d’autre, j’y serais resté. J’aurais fait un an de sacrifice supplémentaire. Mais le challenge de Charleroi, c’était excitant. Le genre de truc que je recherchais. Abbas Bayat m’a proposé une saison avec une option d’un an : nous ne sommes pas tombés d’accord et j’ai finalement signé pour une seule année, sans option. On verra pour la suite. Pour moi, ce n’est pas absolument nécessaire de rester plus longtemps.

Mon but est de faire une carrière d’entraîneur aussi belle que mon parcours de joueur. D’aller au moins plus haut que Charleroi. Coacher le Standard ou Anderlecht, c’est une ambition. Lequel de ces deux clubs en priorité ? Tout le monde le sait. J’ai passé huit ans au Sporting et seulement trois ans à Liège, donc c’est normal que j’aie plus d’affinités dans un club que dans l’autre. J’ai connu trois années formidables au Standard, comme joueur et adjoint : trois fois sur le podium, mais toujours derrière les mêmes ! Retravailler à Porto, ce serait très bien aussi. Ou en Italie. Par contre, je ne suis pas chaud pour l’équipe nationale. Pas pour l’instant en tout cas. L’envie n’est pas là. L’idée de ne pas être tous les jours sur le terrain ne m’excite pas, j’ai besoin de me défouler toute la semaine et de rentrer crevé. Mais je changerai peut-être d’avis plus tard. J’entraînerai encore pendant dix ans au moins. Vingt, je ne pense pas. Sans doute entre les deux.

Si je suis un homme riche ? Oui, riche d’idées. Et de problèmes. L’argent ? J’en ai gagné un peu. Mais les salaires n’étaient pas ce qu’ils sont devenus. Et je n’ai jamais touché d’héritage. J’aurais plus d’argent sur mon compte si j’avais une vie plus calme, mais je serais moins heureux. Nous avons pris le parti de bien vivre. Sans faire de grosses folies. J’essaye de faire du 50/50, un compromis entre vivre confortablement et assurer l’avenir de la famille. Si je parviens à concrétiser mes ambitions, je devrais encore avoir quelques belles rentrées. On verra. Mais la vie est belle. « 

par pierre danvoye – photos: reporters / gouverneur

« J’ai été T2 pour faire plaisir à Luciano et René. »

« Seulement la moitié de ma réputation de sorteur est justifiée. « 

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