Je suis un bon gardien

Le dernier rempart équatorien des Rouches reste stoïque face aux critiques.

Pour certains, Andrés Espinoza est le maillon faible du Standard. Les plus méchants vont jusqu’à affirmer que les Rouches pourraient être champions malgré leur gardien équatorien, plutôt que grâce à lui. Face aux critiques, le Sud-Américain fait la sourde oreille. Il préfère se concentrer sur son travail et écouter les conseils de ceux qui sont les plus aptes à le juger : son entraîneur et ses coéquipiers. Il n’a rien perdu de sa bonne humeur et de son enthousiasme. Il est même content que l’on s’intéresse à sa personne. Une personne attachante, précisons-le d’emblée.

Qui sera champion ?

AndrésEspinoza : Le Standard, évidemment !

On n’attendait pas une autre réponse de votre part. Mais pouvez-vous argumenter ?

C’est l’année du Standard, tout simplement. Voilà de longues années que le club attend un titre. Il avait déjà, plusieurs fois, eu une bonne équipe par le passé, mais j’ai l’impression que cette fois, toutes les conditions sont réunies pour aller jusqu’au bout. Tant au niveau des supporters que des joueurs. Tout le monde est prêt à donner plus que 100 %.

Le Standard serait donc champion avec un gardien équatorien dans les buts ?

Quelle fierté ce serait pour moi ! J’attache beaucoup d’importance à toutes ces considérations historiques. Lorsque j’ai tenté ma chance en Europe, l’argent n’était pas ma motivation principale. Je voulais devenir le premier gardien équatorien à jouer sur le Vieux Continent. J’étais prêt à faire de sérieuses concessions au niveau du contrat lorsque j’ai passé des tests à l’Inter, à l’Ascoli, à Salzbourg. Finalement, le Standard m’a offert la chance que j’attendais. Mes coéquipiers entreraient également dans l’histoire en cas de titre : le premier après 25 ans d’attente, imaginez-vous.

 » Un an et demi pour être n°1, c’est une éternité « 

Vous semblez très concerné par le sort de l’équipe. Lorsque le Standard marque un but, vous exprimez votre joie de façon très démonstrative à l’autre bout du terrain…

Je n’ai pas de mot pour décrire ce que je ressens à ce moment-là. Ce sont des émotions très fortes. Le fait d’imaginer qu’un exploit historique est à portée de mains, me procure une motivation extrême.

Vous ne ressentez aucune pression ?

Non. Notre équipe est très jeune, mais en dépit du peu d’expérience de la plupart des joueurs, nous savons ce que nous avons à faire pour aller au bout : donner le maximum durant les neuf matches qu’il reste et suivre à la lettre les consignes que nous donne le Professeur, Michel Preud’homme.

Et Jorge Veloso, que vous a-t-il apporté ?

Enormément. Il a amélioré ma prise de balle, m’a enseigné la manière d’attaquer le ballon. Il est mi-Européen, mi-Sud-Américain. C’était donc l’entraîneur de gardien idéal pour moi. Lorsque je dois travailler à l’européenne, je le fais. Mais je ne peux pas oublier mes racines sud-américaines.

Aujourd’hui, vous êtes le gardien n°1. Vous avez dû beaucoup patienter pour y parvenir.

Un an et demi. Une éternité.

Qu’est-ce que cela représente pour vous, d’être le premier gardien équatorien qui triomphe en Europe ?

Triompher, c’est un grand mot. Je n’ai pas encore le sentiment d’avoir atteint tous mes objectifs. Je ne pourrai parler d’accomplissement que lorsque je défendrai, comme titulaire, les buts d’un grand club italien ou anglais avec lequel je remporterais des titres.

Un simple rêve ou un objectif réalisable ?

Rien n’est impossible en football. Je sais qu’à force de travail et de sacrifice, je peux y arriver.

Mais à l’heure qu’il est, vous ne faites même pas l’unanimité en Belgique…

Tout le monde doute de mes capacités, en effet.

Sans raison ?

Sans aucune raison, parfaitement. Beaucoup de gens parlent en méconnaissance de cause, en se basant sur des critères non fondés. Quoi que je le dise moi-même, j’estime faire du bon boulot au Standard. Si certains ont envie de me critiquer, qu’ils le fassent. Leurs propos ne me touchent en aucune manière.

Vous l’avez déjà déclaré : seul l’avis de Michel Preud’homme vous intéresse…

Et celui de mes partenaires, oui.

Et que vous dit Preud’homme ?

Que j’ai des qualités mais que je dois continuer à travailler. Son avis à lui, au moins, est autorisé. Avec le palmarès qu’il s’est construit, il a le droit de me critiquer. Or, il ne le fait pas, ou alors de manière constructive. Cela me motive encore davantage. Je sais que je suis un bon gardien.

 » Il faut oser prendre des risques « 

On a tendance à dire que votre point fort réside dans vos réflexes sur la ligne et votre point faible dans vos sorties. Etes-vous d’accord ?

Pas tout à fait. J’estime que, pour progresser, il faut oser prendre des risques. Si l’on se contente du strict minimum, en effectuant simplement son travail sans commettre d’erreurs, on ne fera jamais l’objet de critiques mais on restera toujours au même niveau.

Comment jugez-vous vous-même vos prestations ?

Ce que je peux dire, c’est qu’à ce jour, je n’ai pas perdu de points pour le Standard.

En avez-vous gagné ?

Je le pense, oui. A Saint-Trond, lors de mon premier match comme titulaire cette saison, qui s’était soldé par un 0-0. A Mons, aussi. Et à Bruges. Sans oublier le match de vendredi passé, contre Saint-Trond. Mais là n’est pas l’essentiel. Un gardien ne doit pas songer à gagner des points pour son équipe. Il doit simplement faire son boulot. Les autres joueurs ont aussi un rôle à jouer. Les attaquants doivent marquer des buts. Les médians doivent réguler le jeu. Les défenseurs doivent soulager leur gardien. Pour moi, c’est un bonheur complet d’évoluer derrière une telle défense. Oguchi Onyewu, Dante, Marcos Camozzato, Momo Sarr : je suis admiratif devant le travail qu’ils accomplissent. Un Américain, deux Brésiliens, un Sénégalais : on communique donc en… français ! C’est la langue universelle à Sclessin. L’important, c’est qu’on se comprend. Je sais lorsque je dois sortir, ou lorsqu’il vaut mieux que je reste sur ma ligne. Je capte parfois le ballon en deux temps, ce qui incite certaines personnes à dire que je ne rassure pas mes défenseurs. Mais en Amérique du Sud, la plupart des gardiens captent le ballon en deux temps. L’essentiel est qu’il ne franchisse pas la ligne.

Le style d’un gardien en Amérique du Sud est différent ?

Oui. Un gardien sud-américain essaie toujours de réaliser quelque chose d’extraordinaire. La sobriété n’est pas nécessairement considérée comme une qualité là-bas. Un gardien sud-américain aime prendre des risques et est prêt à les assumer si cela tourne mal. Mais il sait que, s’il réussit un geste insensé, il sera un héros.

De cette incompréhension des Européens, qui n’apprécient pas trop le jeu à risques des Sud-Américains, peut donc naître des critiques ?

Je ne sais pas s’il s’agit d’une incompréhension, mais le mode de raisonnement n’est pas pareil.

 » Réaliser un scorpion, c’est fabuleux ! « 

Pour vous, un gardien se doit donc également d’assurer le spectacle ?

Si les circonstances du match s’y prêtent, j’estime effectivement que l’on peut se permettre le luxe d’assurer une part du spectacle. En réalisant un geste dont tout le monde parlera, longtemps après le coup de sifflet final. Un geste dont, des années plus tard, tout le monde se souviendra en disant : – José Luis Chilavert l’a réalisé, Fabian Carini l’a réalisé, Andrés Espinoza l’a réalisé !

Comme le geste de René Higuita à Wembley ?

Le fameux geste du scorpion ? Oui, exactement ! Aujourd’hui encore, tout le monde en parle… même s’il y avait hors-jeu sur cette phase-là. C’est fabuleux.

Vous oseriez le tenter ?

Oui, pourquoi pas ? Mais seulement en certaines circonstances, cela va de soi. Si le Standard mène 4-0 et qu’il reste cinq minutes à jouer, par exemple. Si je me loupe, on gagnerait 4-1, ce ne serait pas grave. Ce n’est pas toujours possible. Vendredi passé, contre Saint-Trond, les circonstances ne s’y prêtaient pas. Il fallait surtout veiller à ne pas commettre d’erreur.

Et marquer des buts, comme Chilavert ou Rogerio Ceni, cela vous plairait également ?

Enormément. Lorsque je jouais à Emelec, en Equateur, j’ai converti cinq penalties. L’équipe avait remporté le titre cette saison-là. Ici, en Belgique, je n’ai pas le droit de tirer les coups de réparation. Certains joueurs sont désignés pendant la semaine pour assumer cette tâche. En Europe, la plupart des gens estiment que le rôle du gardien est de demeurer entre ses perches. C’est une autre mentalité. Je comprends que les Européens raisonnent d’une autre manière. Mais je ne peux pas changer mon style de jeu. J’ai été élevé dans une autre culture, et si je jouais de façon plus sobre, je ne ressentirais pas le feu qui est en moi et qui me pousse à réaliser des exploits.

Il y a aussi les circonstances dans lesquelles vous êtes devenu le n°1 qui ont pu perturber les supporters. Vous avez d’abord profité de la blessure d’Olivier Renard, ensuite de ses déclarations malheureuses après le match à Mons.

Une carrière est fonction d’opportunités. Je n’ai pas souhaité la blessure d’Olivier. Mais on ne peut pas me reprocher d’avoir saisi ma chance pendant ce moment. Les incidents qui ont suivi le match à Mons ? Chacun est responsable de ses déclarations et doit ensuite en assumer les conséquences. Olivier m’a assuré que ses paroles ne me visaient pas personnellement. J’en accepte l’augure.

Comprenez-vous sa décision de partir à Malines durant le mercato ?

Je sais qu’un footballeur a toujours envie de jouer. Je suis bien placé pour savoir qu’il n’y a qu’un poste de gardien à pourvoir dans une équipe. Avant de venir au Standard, j’avais toujours été titulaire et les 18 mois que j’ai passés sur le banc furent un calvaire. Alors, oui, je comprends qu’Olivier ait cherché un club où il avait la garantie de jouer. Je trouve simplement qu’il aurait mérité un club plus prestigieux que Malines, car c’est un grand gardien. Mais s’il est heureux là-bas, tant mieux pour lui.

 » La sobriété de Zitka m’impressionne « 

Vous appréciez le jeu à risques. En Belgique, vous êtes donc un fan de Logan Bailly ?

C’est un bon gardien. Mais chacun a son style. Je peux aussi apprécier des gardiens au style différent.

Qui vous impressionne en Belgique ?

Surtout Daniel Zitka. Pour sa… sobriété ! Son style de jeu est à l’opposé du mien, mais c’est peut-être justement cet aspect-là qui me fascine. Il dégage une telle sérénité. Alors que moi, je l’avoue, je suis un peu fou.

Le nom de Bailly circule déjà dans les travées de Sclessin en vue de la saison prochaine. N’est-ce pas un nouveau signe de défiance à votre égard ?

J’ignore si la rumeur est fondée. Si Bailly débarque à Sclessin, il est le bienvenu… comme tout autre bon gardien. Je ne me préoccupe pas de ce qui pourrait se passer la saison prochaine, je me concentre sur mon travail actuel.

Malgré votre style controversé, force est de reconnaître que vous encaissez très peu de buts. Sauf, un soir, en Coupe de Belgique au Cercle Bruges.

( Ilsoupire) Oui. J’ai pris des risques et je me suis loupé. Cela arrive. Tout footballeur connaît, à un moment donné, un jour sans. Ce soir-là, c’était mon tour. J’assume.

Si le Standard n’avait pas renversé le cours des événements au match retour, en s’imposant 4-0, auriez-vous conservé un sentiment de culpabilité ?

La qualification a été ressentie comme un soulagement, c’est clair, mais pas seulement par moi : par toute l’équipe. Lors du match aller, l’équipe n’a pas joué son football habituel. On a commis quatre erreurs qui ont débouché sur autant de buts. Le troisième, c’était pour ma pomme. Je n’ai aucun mal à le reconnaître. Au match retour, tout le monde avait à c£ur de se ressaisir. On a fourni une débauche d’efforts physiques phénoménale pour parvenir à nos fins. Et cela nous a peut-être coûté la victoire, le samedi suivant, contre La Gantoise, car l’équipe était fatiguée.

Que ferez-vous le jour où le Standard sera champion ?

Je plongerai dans la Meuse depuis un pont !

Chiche !

C’est la promesse que j’ai faite.

Vos partenaires vous suivront ?

Non, ils pourront assister à la scène depuis la berge. Je tiendrai parole.

par daniel devos – photos: belga

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