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 » Je suis reconnaissant envers mon père d’avoir été aussi sévère « 

Thomas Kaminski (26 ans) est de retour à La Gantoise, là où il a été formé. Il nous parle à coeur ouvert de ses origines polonaises, de son éducation à la dure et des coupures de presse qui étaient affichées au-dessus de son lit pour lui rappeler que les erreurs n’étaient pas tolérées.

T HOMAS KAMINSKI :  » Ça peut paraître bizarre par les temps qui courent, mais j’aimerais devenir agent de joueurs au terme de ma carrière. Mais d’une manière correcte. Pas uniquement régler des transferts et négocier des contrats, mais prendre à mon compte tout ce qui va avec. Réellement accompagner les joueurs. Car j’ai pu me rendre compte, personnellement, de l’importance d’un bon accompagnement.

J’ai eu beaucoup de chance avec mon père et ma mère. Ma mère est enseignante et a pu m’aider pour l’école, mon père a été actif dans le sport. C’était l’idéal et j’aimerais pouvoir apporter cela à des garçons qui bénéficient de moins de soutien dans leur entourage.

Mais il ne faut pas croire qu’il faille tout régler pour les joueurs. Personnellement, j’ai tout reçu et ce n’est pas bon. Des facilités, des vêtements, le transport, etc. On pourrait penser que c’est logique, car on ne connaît rien en dehors du football, mais ce n’est pas le cas. Il faut mettre les jeunes joueurs au travail, afin qu’ils ne tombent pas dans la facilité.

Très jeune, j’ai réfléchi à tout ce que le club nous offrait. Il faut saisir la chance que le club vous offre. Ne pas se dire : je vais bien m’entraîner, puis rentrer à la maison, car alors j’aurai encore toute la journée pour moi. On joue pour gagner, le week-end. Alors, pendant la semaine, il faut se donner à fond pour que la victoire soit au bout.  »

Choc polonais

 » C’est ainsi que j’ai été éduqué. Je ne manquais de rien, mais j’ai été élevé à la dure. Mon père est originaire de Pologne, ma mère de Belgique. J’ai grandi à Asse, dans le Brabant flamand, et je ne me suis encore rendu que quatre ou cinq fois en Pologne. À 11 ou 12 ans, j’ai ressenti ce voyage comme un choc. J’ai été confronté à la réalité. Je me suis rendu compte du luxe dans lequel on baignait, ici. Et des difficultés qu’ont rencontrées des personnes comme mon père.

Bien sûr, il existe des endroits en Pologne où les gens peuvent mener une vie confortable. Dans les villes, par exemple. Mais mon père a grandi à Lublin, une petite ville. Et il y a peu de choses, là-bas. Très peu de choses… On a souvent fait la route entre Varsovie et Lublin. Il n’y avait pas d’autoroute, 170 kilomètres sur des petites routes, qui traversent des villages. Ce qu’on voit est… sobre.

À Lublin, aussi. J’ai vu un supermarché, un jardin d’enfants, l’église et le bloc d’appartements où habite ma grand-mère. C’était tout… Ma grand-mère n’a pas grand-chose, on dormait à quatre dans le living. On est aussi allé au cimetière, où mon grand-père est enterré. La manière dont on veille sur les défunts, là-bas, est impressionnante. Chaque tombe est pleine de bougies. Le soir, c’est magnifique. Ça m’a marqué.

En Pologne, les gens vivent pour leurs croyances. Pour eux, se rendre à l’église, c’est le moment de la semaine. Mon père a reçu une éducation chrétienne, et donc nous aussi, car ma mère est croyante également. Avant, se rendre à l’église nous apparaissait comme une évidence. Mon frère et moi allions au catéchisme, à l’école. Le dimanche, lorsque je ne dois pas jouer au football, j’aime encore aller à l’église.

Ma femme est croyante, elle aussi. Je crois qu’il y a quelque chose, là-haut. Quelque chose qui vous guide, qui a tracé un chemin pour chacun d’entre nous. Tout se passe pour une bonne raison. Dieu voit tout, et distribue des récompenses ou des punitions. Pour moi, un obstacle représente quelque chose qu’il faut franchir, afin d’apprendre et regagner le bon chemin. C’est ainsi que je le perçois, mais je n’essaierai jamais de convaincre quelqu’un de mes croyances. C’est intérieur. Je regarde d’abord vers moi-même, je me demande si j’agis comme je le devrais.  »

Happé par le foot

 » En Pologne, j’ai pu me rendre compte de la manière dont mon père vivait. Car il ne m’en avait jamais parlé. J’aimerais en savoir davantage, mais il n’est pas du genre à tout raconter. Il est plutôt renfermé. Pour lui, une seule chose compte : travailler dur et veiller sur sa famille.

Ma mère m’a expliqué que mon père avait vécu des moments difficiles. Il a grandi avec peu de choses et a rapidement perdu son père. À 18 ans, il est parti en Allemagne pour devenir joueur de volley professionnel. Il a sans doute été confronté à un dilemme : il laissait sa mère seul pour s’assurer un avenir.

On voit bien là ses origines polonaises. Il n’a pas voulu renoncer à ses principes : d’abord, veiller sur sa famille. Mon père aurait dépensé son dernier centime pour qu’on puisse manger à notre faim. La nourriture qu’il prépare, c’est pour nous. Sa mère lui téléphone tous les jours. Je pense qu’il aimerait la rejoindre, mais il ne peut pas nous laisser tomber. Jusqu’à l’année passée, mes parents n’étaient plus partis en vacances depuis très longtemps. Mon père veut nous voir, être auprès de nous au cas où on aurait besoin de lui. Mon frère et moi leur avons donc offert des vacances.

Avec ma mère, j’évoque plus les sentiments, le pourquoi des choses. Elle est très sociable. Elle a fait la connaissance de mon père au Voorwaarts Ternat, où il a joué au volley après sa période en Allemagne. Ma mère jouait aussi dans ce club, et à côté, elle donnait des cours de néerlandais, que mon père suivait. C’est ainsi que leur idylle a commencé, et c’est de cette union que nous sommes nés, mon frère jumeau Matthias et moi.

Nous aussi, on a commencé à jouer au volley, puis au basket. Mais il n’y avait pas de possibilité de compétition. Or, mon père nous a rapidement transmis l’esprit de compétition. C’est pour ça qu’on s’entraîne.

À Asse, on habitait juste en face du club de football, et c’est ainsi qu’on a été happé par le ballon rond. Au départ, notre père n’y était pas favorable. Il trouvait que le football laissait une trop grande part au hasard : Le ballon peut être dévié et atterrir dans le but. Ce n’est pas toujours la meilleure équipe qui gagne. En volley, les qualités font la différence. Mais il nous encourageait à 200%. Il donnait la priorité à notre épanouissement et voulait qu’on s’investisse à fond dans ce qu’on faisait : Si vous voulez faire la fête, c’est très bien, mais alors vous ne pouvez pas aller jouer au foot. Les deux ne sont pas compatibles. Chez mon père, c’est noir ou blanc. Jamais gris. Jusqu’à mes 18 ans, je n’ai jamais mis les pieds dans une discothèque.  »

Lorsque je me suis rendu en Pologne, j’ai été confronté à la dure réalité et j’ai pris conscience du luxe dans lequel on baignait.  » Thomas Kaminski

Un père très présent

 » Mon père était très présent à nos côtés. Il venait nous chercher à l’école et nous emmenait au club. Il pouvait se le permettre : il a abandonné sa carrière d’entraîneur dans le volley pour devenir dispatcheur dans l’entreprise de logistique GLS. Il commençait à 3 heures du matin pour pouvoir être à la maison à 12h30.

Lorsque je suis passé des jeunes de Gand à l’équipe Première du Beerschot, j’ai continué mes études à Gand. Mon père prenait deux heures de congé pour venir me chercher au club et me conduire à l’école. Il regardait encore une partie de l’entraînement, puis on discutait dans la voiture. Parfois, j’étais tellement concentré sur l’entraînement que j’en oubliais mon cartable. Je m’en rendais compte en arrivant à l’école. Mon père était alors très fâché : Ce n’est pas possible ! Tu dois rester concentré ! Sur l’école aussi…

C’était pareil avec mon frère. Mon père était très dur. Il exigeait le maximum de nous. Les erreurs n’étaient pas tolérées, c’est aussi simple que cela.

Je me suis blessé lors d’un match le samedi. Le soir, mon père m’a soigné et le dimanche, j’ai dû gravir des petites collines avec lui, pour pouvoir retrouver le terrain plus rapidement. Il était toujours derrière moi, me motivait constamment. Lorsque je jouais un mauvais match, il ne me parlait pas. C’est toujours le cas aujourd’hui. À Copenhague et à Anderlecht, je ne jouais pas. Il ne se déplaçait donc pas pour me voir. Ma présence est inutile, disait-il, et il ne me parlait plus. Il ne pouvait pas cacher sa déception.

Un jour, il m’a aussi montré un article, titré : Tous les gardiens commettent des erreurs, sauf Jean-Marie Pfaff. Il m’a dit : Tu dois arriver à la hauteur de Pfaff. Il ne parlait pas de sa carrière, mais du peu d’erreurs qu’il commettait. Il voulait qu’on puisse dire la même chose de moi. J’ai conservé cet article. Un moment, il était affiché au-dessus de mon lit.

En agissant de la sorte, il voulait me stimuler, et il a réussi. J’ai découpé des articles de presse qui évoquaient mes erreurs, pour les mettre au-dessus de mon lit. Ils me rappelaient tous les jours les raisons pour lesquelles je m’entraînais : pour éviter de commettre des erreurs. Aujourd’hui, je suis reconnaissant envers mon père d’avoir été aussi sévère avec moi, car regardez où ça m’a mené.

Ces dernières années, mon père a changé. Maintenant que nous sommes un peu plus âgés, mon frère et moi, il montre un peu plus ses émotions. J’ai remporté la Coupe du Danemark avec Copenhague, au terme d’une année qui a été très difficile pour moi : je jouais peu, seulement les matches de coupe. Lorsqu’on a remporté le trophée, je l’ai vu pleurer.

Il a un peu lâché la bride, aussi. Je peux désormais trouver la motivation moi-même. Son éducation a porté ses fruits. J’ai appris qu’il ne fallait jamais baisser les bras, qu’il fallait toujours persévérer. Même lorsque les perspectives sont sombres. Pendant un an, je n’ai pas joué à Copenhague et à Anderlecht, mais j’ai continué à m’entraîner, à tout donner. J’en retire beaucoup de satisfaction. J’ai vécu des années difficiles, mais j’ai franchi le cap et j’en suis ressorti meilleur.  »

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 » Je comprends que certains gardiens veuillent arrêter  »

 » Lorsque j’étais jeune, j’ai joué quelques matches comme joueur de champ « , raconte Thomas Kaminski.  » Mais je me retrouvais souvent au sol. J’étais assez grand et pas très costaud. On m’a positionné quelque part dans l’entrejeu. Lorsque le gardien s’est blessé, j’ai pris place entre les perches. En rentrant à la maison, j’ai dit à mes parents : Je veux devenir gardien. Leur réaction a été de me dire que ça impliquait une lourde responsabilité, qu’il fallait en être conscient. Je me suis dit : OK, pourquoi pas ?

Je n’ai jamais fui mes responsabilités. Bien sûr, ce n’est jamais agréable de devoir reconnaître une erreur. Lorsqu’on est critiqué, on peut se mettre à douter. Souvenez-vous de ma première année à Courtrai. J’arrivais d’un très grand club et tout le monde me considérait comme le gardien d’Anderlecht ou de Copenhague. J’ai dû m’adapter.

J’ai compris, alors, ce que voulaient dire Gianluigi Buffon ou Robert Enke. Buffon a eu une dépression. Avant certains matches, il n’avait pas envie de jouer. J’ai lu le livre d’Enke, c’est très dur… À un moment donné, il ne voulait plus sortir du lit et avait peur des tirs à distance. On est tous les jours confronté à des tirs à distance, et oui, je me suis reconnu dans ce qu’ils racontaient. J’ai comparé leur manière d’appréhender les choses avec la mienne. Et je comprends que certains gardiens aient envie d’arrêter…

Je n’ai pas succombé, car résister à la pression me procure de la satisfaction. Je ne me laisse pas envahir par la peur et je transforme le stress en énergie positive. L’obligation de ne pas commettre d’erreurs, fait en sorte qu’on peut se rendre important lorsqu’on y parvient. Et se rendre important… c’est un sentiment indescriptible. C’est pour ça que je suis devenu gardien.

J’aurais pu devenir attaquant, mais la pression est moindre à ce poste. Un attaquant peut se permettre de louper cinq occasions. Moi, lorsque je commets une seule erreur, tout le monde me tombe dessus. Lorsque je vois un autre gardien commettre une erreur, je compatis.  »

Thomas Kaminski :
Thomas Kaminski :  » À Copenhague, je ne jouais pas. Mon père ne se déplaçait donc pas pour me voir. Ma présence est inutile, disait-il, et il ne me parlait plus. « © BELGAIMAGE

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