» Je suis prêt à rester 10 ans ici « 

Même si la Hyunda i20 WRC ne sera pas encore compétitive en 2014, le vice-champion du monde veut construire sa carrière de pilote sur du long terme.

Saint-Vith, 6 h 30 du matin. Les yeux encore remplis de brouillard, nous passons à quelques centaines de mètres de la maison de Thierry Neuville. C’est cependant à 300 km de là, à Alzenau Unter Franken, près de Francfort, qu’il nous a donné rendez-vous.

Au siège de l’écurie Hyundai Motorsport, tout le monde est en effet sur pied de guerre pour mettre au point l’auto avec laquelle le vice-champion du monde 2013 des rallyes abordera la nouvelle saison.

 » Personne n’imagine qu’ici, 120 personnes travaillent à temps plein pour préparer la voiture « , dit-il.  » Et je ne parle même pas du boulot effectué en Corée ou par les sous-traitants. Ce rythme, il faut pouvoir l’accompagner. J’ai travaillé en entreprise. Par rapport à maintenant, c’étaient des vacances, avec des horaires bien réglés. Mais je ne me plains pas du tout : je fais ce que j’ai toujours rêvé de faire.  »

Entre juillet et décembre, la Hyundai i20 WRC a parcouru plus de 75.000 km sur 15 séances d’essai. Sur des routes proches des ateliers d’Alzenau mais aussi à Rovaniemi, en Finlande, et sur le parcours du Monte Carlo. La veille de notre entretien, plus de 300 journalistes se sont rendus à Offenbach pour découvrir une voiture  » qui plaît aux femmes parce que ses couleurs sont plus agressives  » mais dont la compétitivité est totalement inconnue puisque l’écurie coréenne revient en 2014 dans un monde où elle n’a encore guère brillé jusqu’ici.

C’est en connaissance de cause que Neuville a fait le choix d’embarquer pour l’aventure malgré d’autres propositions, dont celle de rester un an de plus au sein du team privé M-Sport, au volant de la Ford qui l’avait fait connaître.

Un choix largement commenté sur lequel il revient en long et en large pour Sport/Foot Magazine.

Plutôt vice-champion du monde que révélation de l’année

Vous préférez qu’on vous présente comme vice-champion du monde ou comme révélation de l’année 2013 ?

Thierry Neuville : Vice-champion du monde, ça me plaît assez parce que la Belgique n’en avait plus connu depuis Jacky Ickx, en 1970. Et Jacky, c’est une légende ! Il a fait beaucoup pour le sport automobile en Belgique et je suis fier d’avoir déjà égalé à 25 ans un de ses principaux faits d’armes.

Le seul qui n’a pas l’air surpris de ce qui lui arrive, c’est vous.

C’est vrai. Je me rappelle qu’au moment où j’ai annoncé à mes parents que j’allais devenir pilote officiel WRC, ils ont pris cela comme une nouvelle extraordinaire. Mais moi, cela faisait déjà quatre mois que je travaillais sur ce projet. Du coup, je n’imaginais pas la portée d’une telle révélation.

Quoi ? Même vos parents n’étaient pas dans la confidence ?

Non et je ne vois pas pourquoi ils auraient dû le savoir. C’était un secret professionnel. Si je travaillais dans une banque, je ne leur révélerais pas non plus combien d’argent le voisin a sur son compte et tout le monde trouverait cela normal.

Et cette deuxième place, elle vous a étonné ?

Au départ de la saison, nous n’étions pas vraiment conscients de cette possibilité mais après le rallye d’Allemagne, nous nous sommes vraiment focalisés là-dessus parce que nous avons compris que, si chacun faisait son boulot correctement, nous y arriverions.

Votre deuxième partie de saison a été plus régulière. Pourquoi ?

Nous avons pris de l’expérience, acquis du rythme, des automatismes. Et comme nous n’avions que cette deuxième place en tête, nous n’accélérions que quand il le fallait.

Le seul regret, c’est de n’avoir pas gagné un seul rallye ?

C’est un regret mais, pour les raisons énoncées plus haut, lors des cinq ou six dernières manches, nous n’avons pas cherché la victoire non plus. L’Allemagne est le seul rallye où nous avons pris des risques : à une spéciale de la fin, nous avions 2.8 secondes de retard sur le leader. Ça passait ou ça cassait.

Pas de chance, tout au plus de la réussite

En France, vous étiez en tête après les deux premiers jours.

J’avais quinze secondes d’avance sur Ogier et Loeb puis j’ai crevé après avoir pris une bordure. Nous avions changé un réglage entre les premier et deuxième passages, j’ai dévié de 10 à 15 cm de la trajectoire et j’ai heurté pour cinq centimètres. Ce n’était pas de la malchance, ça faisait juste partie de l’apprentissage. En rallye, il n’y a pas de chance, il y a tout au plus de la réussite.

C’est votre pragmatisme germanophone, ça !

Tout à fait ! En invoquant des excuses faciles, on ne cherche pas à progresser. Je suis très exigeant avec moi-même et avec Nicolas, même si je prends du plaisir dans ce que je fais.

Que répondez-vous à ceux qui disent que derrière Ogier, c’est le désert ?

Ce n’est pas vraiment le cas, même si, dans certains rallyes, il était vraiment difficile de s’approcher de lui. Parfois à cause des circonstances : moins d’essais, moins d’informations sur le plan technique…. Mais il y a eu des rallyes dans lesquels, malgré son expérience, nous avons été très proches, voire plus rapides. Il a surtout fait la différence en début d’année mais pendant cinq ou six courses, c’est moi qui ai pris le plus de points, alors qu’il avait un équipier sur lequel il pouvait compter pour s’intercaler tandis que je luttais seul contre les trois VW.

Vous n’avez terminé que quatrième au classement des temps scratch et certains en ont déduit que vous étiez un pilote trop défensif.

Je ne peux pas leur donner tort mais l’inverse est vrai aussi : la stratégie a payé. Après une année d’apprentissage, l’objectif était d’amener la voiture à la meilleure place possible. Et dans certaines courses, nous avons tout de même été offensifs. Mais une carrière, ça se gère. Il y a eu des exemples inverses par le passé.

Qu’est-ce qui vous sépare encore de pilotes comme Ogier ou Loeb ?

Un peu d’expérience. Ogier a 29 ans, j’en ai 25. Je veux démontrer que je suis capable de faire aussi bien, si pas mieux. Surtout maintenant que je peux compter sur Hyundai pour écrire une belle histoire. Mais ça prend du temps.

Hyundai, le choix du coeur

Hyundai, nous y voici : vous vous attendiez à ce que ce choix soit tellement commenté et remis en question ?

C’est toujours comme ça : chacun a son avis et c’est tant mieux : ça fait de la publicité ! Mais ça ne me perturbe absolument pas : j’ai suivi mon coeur.

Ça ne vous agace pas qu’on ait plus parlé de ça que de votre deuxième place au championnat du monde ?

Je ne pense pas que ce soit allé jusque-là. J’ai quand même eu énormément de retour positif sur ce titre de vice-champion du monde : plus que je ne le croyais. Je n’imaginais pas que ça puisse marquer autant l’esprit des gens. Je me suis senti valorisé et pas seulement dans ma région ou en Belgique.

Ce changement d’écurie, il correspond à quel besoin ?

Si je fais du rallye depuis six ans, c’est pour devenir pilote officiel. L’écurie est jeune, elle a de l’ambition et veut créer quelque chose. J’ai envie de participer à l’aventure depuis le début. J’aime bien les challenges. Si je n’avais pas eu confiance en moi, je n’aurais pas effectué ce choix. Pour être un leader, il faut des capacités et je pense que Nicolas (Gilsoul, ndlr) et moi, nous les avons. Nous n’avons pas pris l’option la plus facile mais nous avons le temps nécessaire pour construire quelque chose et, dans le sport automobile, les gens qui ont cette chance se comptent sur les doigts d’une main. Alors, si ça marche, je suis prêt à rester dix ans.

Quelles sont les craintes ?

Je sais évidemment qu’en 2014, je serai moins à même de lutter pour les podiums, surtout au début. C’est vrai que quand on est jeune et ambitieux, c’est toujours un peu embêtant. Mais il faut parfois pouvoir reculer pour mieux sauter.

A quel moment voulez-vous que la voiture soit compétitive ?

Nous n’avons pas fixé de deadline. L’objectif pour 2014, c’est de faire le plus de kilomètres possible, d’amener la voiture à l’arrivée pour faciliter les automatismes, pour que toute l’équipe s’adapte au rythme d’un championnat du monde. Ce qui ne veut pas dire que nous n’espérons pas faire de podiums plus tard dans l’année.

Développer une bonne voiture pour gagner dans le futur

On dit qu’une des raisons de votre choix, ce sont les moyens techniques importants de Hyundai Motorsport. Ça se traduit par quoi ?

Quand on voit les installations d’Alzenau, c’est du concret, une preuve que les gens veulent aller de l’avant et sont ambitieux. J’ouvre de grands yeux à chaque fois que je débarque ici.

Yves Matton, le patron de l’écurie M-Sport, dit que vous avez effectué un choix conservateur.

Il est obligé de dire ça mais il sait que ce n’est pas vrai : si j’avais douté, j’aurais choisi une voiture déjà au point, dans laquelle je n’avais plus qu’à m’asseoir. Ici, je veux développer une bonne voiture, capable de gagner dans le futur.

Le fait d’avoir la garantie d’être premier pilote a joué un rôle dans votre choix ?

Cela nous donne certains avantages : on sent que toute l’équipe est derrière nous et que nous ne devons penser qu’à notre boulot : je n’avais jamais connu ça auparavant, même si je dois reconnaître que cette année, après quelques rallyes, tout le team M-Sport a concentré ses efforts sur moi. Mais cela n’a pas engendré de pression supplémentaire : je le prenais davantage comme une récompense.

Entamer la saison en sachant très bien que les ambitions sont limitées, ça ne doit pas être simple.

Le plus important, c’est d’avoir un objectif. Le nôtre n’est effectivement pas d’être champion du monde : c’est une hypothèse qu’on n’envisage même pas. Et si jamais ça arrivait, nos détracteurs trouveraient sans doute une bonne explication. Moi-même, je n’ambitionne aucun classement. Je serai content si nous prenons un maximum d’informations en vue de 2015. Parce que là, nous viserons nettement plus haut.

Faire un choix à long terme à une époque où tout change très vite, n’est-ce pas atypique ?

Je connais énormément de pilotes. Le rêve de milliers d’entre eux, c’est d’avoir un contrat de longue durée. C’est un choix logique. J’ai toujours eu des contrats à court terme et vécu pas mal d’hivers difficiles, sans savoir si je serais toujours là l’année suivante.

PAR PATRICE SINTZEN

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