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« JE SUIS PRESQUE UN BOULIMIQUE DU FOOTBALL « 

Freiné par une cheville meurtrie, Fabien Mercadal est passé très tôt de l’autre côté de la ligne de touche. En partant d’en bas, il a méticuleusement gravi les échelons jusqu’à la Ligue 1. Un parcours atypique que le nouveau coach du Cercle raconte à travers son amour du ballon.

Contrairement à une entité qui passe son début de saison en apnée, Fabien Mercadal sort tout juste la tête de l’eau. Pendant que ses joueurs passent à table, le coach français enchaîne les longueurs dans la piscine qui jouxte le stade Jan Breydel. Le nouvel homme fort du Cercle accueille avec le sourire et un accent qui rappelle ces moments où le Tour de France s’installe dans la montagne.

Pourtant, la Belgique n’est pas une terre si étrangère dans le parcours du quadra :  » J’ai longtemps entraîné à une quarantaine de minutes d’ici, donc je venais voir les matches en Belgique. J’ai été à peu près sur tous les terrains. Je ne suis pas agréablement surpris, parce que je m’attendais à cette qualité-là.  »

Si on jette un oeil sur votre parcours, il est un peu atypique dans le foot français. Vous avez été l’un des rares coaches français à vous faire une place en Ligue 1 sans être monté avec votre club.

FABIEN MERCADAL : Je pense que mon parcours a été progressif. J’ai vécu beaucoup de réussites, aussi dans le sens  » chance « . J’ai été heureux, j’ai fait des montées… J’ai eu une bonne cote, qui m’a permis d’aller jusqu’à la Ligue 1. Et c’est vrai que quand tu te retrouves en Ligue 1 alors que quatre ou cinq ans avant, tu es en National, ça peut paraître bizarre. Mais je trouve que je l’ai fait de manière progressive, je n’ai volé personne.

Ce que je retrouve dans mon histoire de manière récurrente, c’est que les clubs qui font appel à moi sont souvent des clubs en difficulté. Je crois que sur les cinq dernières saisons, on m’annonce une relégation : à Tours, au Paris FC… Ce sont souvent des clubs qui ont besoin de se débrouiller avec pas grand-chose. J’aimerais vivre autre chose aussi, parce que je suis persuadé que je peux faire autre chose que de la débrouille.

Vous avez maintenant la réputation d’un pompier, d’un coach qui sait mettre une équipe rapidement en place ?

MERCADAL : La saison qu’on fait avec le Paris FC m’a fait du bien, pour le plaisir que j’ai eu à l’entraîner, mais aussi du mal parce qu’elle a conclu définitivement mon image. Pour la petite histoire, on a été repêché en Ligue 2 trois jours avant le début du championnat. Un journal très bien informé en France nous annonce avec deux points à la fin de la saison. Dans l’article, ils disent même qu’on aurait dû refuser le repêchage. Et en fait, à mi-championnat, on a 34 points et on est déjà sauvé. C’est magnifique, on a vécu un truc extraordinaire avec les joueurs et le club, mais je trouve que ça m’a pénalisé parce qu’on s’est dit :  » Tiens Fabien, il arrive à se débrouiller « . Peut-être que quand j’arrive à Caen, on s’est dit aussi que ça allait le faire comme ça. Je trouve que ça m’a lésé, parce que j’avais besoin de joueurs de meilleure qualité à Caen.

En France, on dit que les garçons qui sortent de la formation sont dotés techniquement. Ici, je trouve qu’ils sont dotés mentalement.  » – Fabien Mercadal

 » Le Cercle est en construction et ça, ça m’intéresse  »

Ils se sont dit qu’après s’être sauvé en L2 avec une équipe de National, vous pourriez le faire en L1 avec une équipe en manque de qualité ?

MERCADAL : Voilà. Et pour être honnête, peut-être que moi aussi, à un moment donné, je l’ai pensé. Je me suis dit que ça m’avait toujours réussi, parce que je n’avais jamais connu de relégation jusque-là, et que ça allait peut-être me réussir encore. Sauf que cette fois-ci, on est descendu pour un but. Pour moi, il nous fallait trois joueurs de plus, mais si on en avait pris au moins un, on aurait fait l’exploit de se sauver. Parce que ça aurait été un exploit. Ça, c’est vrai que ça me tourne un peu dans la tête. Aujourd’hui, je ne veux pas être estampillé comme ça.

Ici, le projet est différent ?

MERCADAL : C’est un club qui est en construction, et ça, ça m’intéresse. Avec des gens comme François Vitali, qui a une vision sur le long terme. Je n’avais jamais eu un staff du niveau de celui que j’ai ici. Et j’ai des joueurs de qualité, à développer parce que ce sont de jeunes joueurs. Tout ça, j’ai envie de le tenter parce que c’est riche. Ça reste encore une fois dans ce que j’ai vécu jusque-là, mais c’est mon histoire et je l’assume volontiers. Je suis sincèrement très heureux de travailler ici.

Le travail avec de jeunes talents, c’est un peu le fantasme de l’entraîneur en herbe quand il se met devant son ordi pour jouer à Football Manager, non ?

MERCADAL : Oui, aujourd’hui je suis cet entraîneur-là. Tout en sachant que je peux faire autre chose, et que j’aimerais un jour entraîner des garçons plus confirmés, sur lesquels on est plus dans la gestion du détail, des associations, etc. Ici, je suis aussi dans le développement individuel de garçons qui doivent se préparer à leur carrière.

Vous êtes formateur en plus d’être coach, au Cercle ?

MERCADAL : C’est criant. On n’est pas jeune, on est très, très, très jeune. Mais on doit en faire une force. Un football dynamique, soudain, capable de courir longtemps et beaucoup, ça c’est important. Et puis continuer à apprendre, parce que c’est contre les vieux renards qu’ils vont se développer.

 » J’ai une histoire pas très agréable en tant que joueur  »

Il y a un déclic, à un moment de la carrière de joueur, de se dire qu’on passera un jour de l’autre côté ?

MERCADAL : Très vite. J’ai une histoire pas très agréable en tant que joueur parce que j’ai eu une blessure très tôt, qui m’a rapidement empêché de jouer, même à un niveau de troisième division. À partir de l’âge de 29 ans, j’ai eu le syndrome de l’astragale, c’est quelque chose de très douloureux à la cheville. Et très tôt, j’ai compris que sans le football, j’allais être triste. Et il me restait une seule possibilité, c’était d’être entraîneur. Donc j’ai très vite basculé. Je dirais même que quand j’ai fini de jouer, mes deux dernières années, j’étais un entraîneur sur le terrain. J’avais du mal à courir, donc je n’étais plus vraiment un joueur. J’étais plutôt occupé à replacer, à essayer de réfléchir comment je pourrais compenser le fait que je n’arrivais plus à m’exprimer physiquement.

C’est quelque chose qui vous a permis de progresser en tant que futur coach ? Parce que quand on n’a plus les capacités physiques, on doit obligatoirement compenser en intellectualisant son jeu.

MERCADAL : Ce que j’explique souvent aux joueurs, c’est que personne n’a des faiblesses. On a des particularités. Et si on s’adapte à nos particularités, on fait naitre des choses. Vous savez, on dit que les non-voyants développent d’autres sens, par exemple. Quand tu es blessé et que tu vas moins vite, tu te déplaces mieux. J’ai beaucoup parlé avec des joueurs sur la fin de leur carrière qui disaient :  » Si je m’étais déplacé comme ça quand j’avais encore de la vitesse, j’aurais fait une autre carrière « . Mais ils se déplacent comme ça parce qu’ils n’ont plus de vitesse ! Il faudrait presque empêcher certains jeunes de courir, pour qu’ils puissent être obligés de bien se déplacer. On s’adapte toujours à nos particularités.

Arrêter de jouer aussi tôt, c’est aussi se permettre de devenir plus rapidement un étudiant du jeu ?

MERCADAL : J’ai une grosse réflexion sur le football. Je suis vraiment passionné de ce jeu, j’essaie de le comprendre tous les jours. Je suis à un rythme de quatorze matches par semaine. Ça me plaît. C’est presque boulimique, c’est une vraie passion. Je veux comprendre, et ça devient agréable parce que je commence à sentir que j’ai franchi un cap dans ce niveau de compréhension. Après, je crois que c’est un jeu qu’on ne comprend jamais totalement.

 » Je n’arrive pas à découper le foot  »

Vous envisagez le football de façon analytique, ou plutôt globale ?

MERCADAL : Moi, je n’arrive pas à découper le foot. Vous savez, à la formation française, ils donnent beaucoup de leçons (il rit). Et à une époque, on nous apprenait à mettre en place une équipe défensivement, puis offensivement, puis à jouer les transitions…

Comme si c’étaient des choses qui s’additionnaient.

MERCADAL : Voilà. Et puis, moi je me suis rendu compte, au départ de ma carrière, que quand je travaillais défensivement je ne prenais pas beaucoup de buts. Puis quand je commençais à travailler offensivement, j’en marquais mais j’en prenais. Et je courais toute l’année sur ce décalage. En fait, je crois que le football est global. Quand j’ai détecté le potentiel de mes joueurs, je dois mettre une tactique en place, mais ça doit s’appuyer sur le potentiel mental, technique et athlétique. Tout va ensemble.

C’est difficile de se faire une place dans un championnat quand on débarque d’ailleurs ? Vous n’êtes pas  » dans le circuit « , pas issu du carrousel habituel des coaches.

MERCADAL : J’ai surtout vécu ça l’an dernier. En Ligue 1, j’ai pris la place de quelqu’un. Tu casses un peu le côté protectionniste. Mais moi, je le dis volontiers, je n’ai volé personne. Quand on m’a embauché, ce n’est pas moi qui suis allé frapper à la porte de Caen. D’ailleurs, au début je ne voulais pas aller à Caen, je voulais aller à Lens. Et puis voilà, ils m’ont appelé, ils ont insisté, et je n’ai pas eu l’impression de voler quelqu’un. L’an dernier, on m’a bien fait sentir que ça ne plaisait pas à certains.

C’est quelque chose que vous avez vraiment ressenti ?

MERCADAL : C’est détecté par beaucoup de collègues. Je ne crache pas dans la soupe mais c’est vrai qu’en France, il y a beaucoup de copinage. Parfois, ce sont les journalistes qui décident qui va entraîner une équipe. Certains coaches ont compris ce pouvoir, et s’associent à une certaine presse qui a du pouvoir pour glaner les postes. Je pense qu’il n’y a pas que dans le football que ça fonctionne comme ça.

 » On est descendu pour un but. Un but…  »

Au final, quand Caen vient vous chercher, c’est la récompense du travail plutôt que du réseau ?

MERCADAL : Moi, je ne peux pas être fâché de ça parce que j’ai représenté le fait qu’on donnait une chance à un mec qui n’était pas dans le carcan. J’étais un des plus jeunes entraîneurs de Ligue 1, et je venais du football amateur. On a donné un peu de valeur à ce que j’avais fait dans le foot amateur, et je sais que ça a inspiré certains collègues entraîneurs.

C’est à la fois une fierté et une pression ?

MERCADAL : Forcément. Une fierté, c’est sûr. Et une pression parce que tu représentes aussi quelque chose, et qu’on n’est pas passé loin de se maintenir avec cette équipe. J’y ai pensé toutes les vacances. On descend d’un but. Un but ! C’est incroyable. Et pareil hein, avec une équipe qu’on avait annoncé dernière dès le début de saison. J’ai failli réussir ce dernier défi en France, et c’est rageant parce que j’avais réussi ceux d’avant. Mais peut-être que si j’avais réussi celui-là, je serais devenu prétentieux (il rit).

© Andre Ferreira / Icon Sport

 » le jeu belge est plus sexy pour les supporters « 

Quelles sont les grosses différences que vous avez déjà décelées entre le jeu belge et le français ?

FABIEN MERCADAL : En France, on est sur un jeu un peu plus structuré. Par contre, je trouve que la Belgique a un football un peu plus sexy, pour les supporters en tout cas, qui me paraît ressembler à ce qui se pratique en Angleterre parfois. Moi, c’est le football que j’aime. Je suis fan de Klopp et de Liverpool. Si j’arrivais à mettre ça en place avec mon équipe, je serais le plus heureux, mais je sais que ça va être très compliqué.

Au milieu de terrain, par exemple, l’athlétique prend souvent le pas sur le tactique.

MERCADAL : Si on arrive à faire coordonner les deux, c’est pas trop mal. Mettre de l’intensité en gardant une structure, ce que fait Liverpool d’ailleurs. Au-delà de l’aspect tactique et physique, j’ai la chance d’avoir de jeunes Flamands formés ici, et je détecte chez eux une énorme force mentale. Vraiment énorme. En France, on dit que les garçons qui sortent de la formation sont dotés techniquement. Ici, je trouve qu’ils sont dotés mentalement. Si on arrive à faire coïncider les deux, je pense qu’on peut faire quelque chose de très intéressant.

C’est la preuve qu’il existe encore du conditionnement géographique dans le football, malgré l’internationalisation du jeu et des équipes ?

MERCADAL : Bien sûr, sinon ça voudrait dire qu’on n’a pas d’impact, que ce soit dans l’éducation générale ou dans la formation footballistique. On oriente nos enfants. Par exemple, les Français parlent français, on ne leur apprend pas les autres langues. Ici, il y a une ouverture magnifique : un jeune Belge parle français, flamand et anglais. Parce qu’on l’a formé, ça ne vient pas comme ça. J’aime bien ce côté régionaliste dans le foot, sans que ce soit politique. Je trouve ça intéressant. Je suis supporter de Bastia, moi. Les joueurs qui y signaient, ils se transformaient en joueurs du Sporting de Bastia. Ce n’était pas seulement un mec qui portait un maillot. Ils se fondaient dans le football pratiqué là-bas.

Avoir une véritable identité de club, ça donne un plus ?

MERCADAL : Bien sûr. Ici au Cercle, on a en plus une histoire récente qui est particulière. Je me dois d’essayer de faire en sorte que les supporters s’y retrouvent, et voient une équipe qu’ils ont envie de voir jouer. C’est ce qu’on tente de mettre en place. Les gens ici ont envie d’une équipe qui bataille, qui joue au foot, qui s’engage, qui ne triche pas, et ça on se doit de le faire. On est quand même payé pour faire plaisir aux personnes qui sont dans la tribune, il ne faut jamais l’oublier.

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