» Je suis méconnu mais pas frustré « 

Le gaucher a perdu sa place en équipe nationale et il ignore s’il va encore jouer à Saint-Pétersbourg à la reprise du championnat de Russie. Mais il en faut plus pour tracasser Nicolas Lombaerts.

Bavarder avec Nicolas Lombaerts est toujours agréable, que ce soit sur les canaux de Saint-Pétersbourg, dans un restaurant à la mode de Gand, dont sa femme est originaire, ou à la fameuse Brasserie du Zand, à Bruges, à dix minutes de son domicile belge, à Ruddervoorde. Il suffit d’évoquer un thème pour que le Brugeois enchaîne, qu’il s’agisse de l’équipe nationale, de la vie en Russie ou de la situation politique en Belgique. Sa voix ne laisse percer une trace d’émotion qu’à une seule reprise, en évoquant sa situation chez les Diables Rouges. Son téléphone sonne, il y jette un coup d’oeil et le remet en poche aussitôt :  » C’est mon manager.  »

Décrochez, ça restera entre nous.

Nicolas Lombaerts : Le club apprend tout ce que je dis. Il y a quelques jours, un journaliste du Nieuwsblad me dit que selon ses sources, Anzhi me convoite. Je tombe des nues et répond :  » C’est intéressant mais c’est la première fois qu’on m’en parle.  » Le lendemain, ça fait un article et le jour même, les journalistes russes me demandent si j’ai signé à Anzhi.

J’étais au courant de l’intérêt de la Juventus mais le Zenit ne réagit pas quand mon manager demande sur quelle base de transfert il peut négocier. Certains clubs pensent que je gagne trop mais qui dit que je ne suis pas prêt à un petit sacrifice ?

N’êtes-vous pas prisonnier d’une cage dorée ?

Il est difficile de quitter la Russie quand ça va bien mais le club n’a déboursé que 5 millions pour m’enrôler. C’est peu pour une formation allemande ou anglaise. Je ne sais pas si le Zenit veut se débarrasser de moi. Beaucoup de joueurs destinés à mon poste et plus chers ont défilé et sont déjà repartis…

Pour le moment, la Russie paie mieux que l’Espagne ou l’Italie. Je viens de lire que les joueurs de Cagliari ne sont plus payés depuis trois mois… Jamais le Zenit n’a eu un seul mois de retard ! Quand un club russe n’est plus capable de payer, il disparaît, comme le FC Moscou et le Saturn. C’est mieux ainsi.

Voulez-vous partir ?

Pas vraiment. Je préfère Saint-Pétersbourg à Newcastle. C’est une belle ville, le club reste chouette, même après six ans. J’ai des amis belges, même si je pourrais me lier à beaucoup de Russes.

 » Il m’arrive de chanter l’hymne national russe  »

Quelle est la différence entre le Nicolas d’il y a cinq ans et l’actuel ?

Je suis capable de me tirer d’affaire. Au début, je téléphonais au team manager pour tout car l’anglais est très peu pratiqué ici mais je comprends désormais assez bien le russe pour me débrouiller. Je suis plus réactif, à l’image des Russes.

Conserverez-vous un pied-à-terre là-bas ?

Non, j’y viendrai en touriste car la Belgique restera toujours ma patrie. La boulangerie et la boucherie me manquent. On trouve de tout à Saint-Pétersbourg, mais au supermarché. J’aime bien la neige mais pas pendant cinq mois. En hiver, il ne fait jamais vraiment clair. Je comprends que certains soient dépressifs. Heureusement, nous effectuons des stages à l’étranger durant ces mois.

Que raconterez-vous de la Russie à vos petits-enfants ?

En rue, les gens paraissent distants mais en fait, ils sont chaleureux et très ouverts quand on les connaît. Ils sont chauvins. Avant chaque match, on joue l’hymne national et tout le monde est debout, la main sur le coeur, le visage tourné vers le drapeau. Il m’est déjà arrivé de chanter l’hymne russe, je le connais par coeur à force de l’entendre.

Vous vous répandez en louanges à propos de votre coach, Luciano Spalletti. Que vous apprend-il ?

Beaucoup. Les entraîneurs italiens attachent beaucoup d’importance aux séances tactiques. Les défenseurs développent des automatismes qu’ils étudient jusque dans les moindres détails. Par exemple, nous travaillons notre position : dès que l’adversaire a la possibilité de lober la défense, je suis aux aguets afin de courir immédiatement dans la bonne direction. Parfois, le médian défensif s’entraîne spécifiquement avec la dernière ligne, sous la direction d’un coach spécifique. Nous disputons beaucoup de matches avec une défense en infériorité numérique. Le duo central sait comment bouger dans chaque situation de jeu. Beaucoup d’entraîneurs mettent l’accent sur les erreurs mais Spalletti, lui, propose des solutions. Il est certainement le meilleur tacticien avec lequel j’ai travaillé. Lors de notre premier stage, nous nous entraînions jusqu’à trois heures, deux fois par jour. Je n’ai jamais autant souffert mais ensuite, nous sommes restés invaincus jusqu’à l’avant-dernière journée. Nos automatismes étant acquis, le régime d’entraînement est moins intense.

 » Russes et étrangers mangent toujours à part au Zenit  »

Le salaire moyen est de 210.000 euros par an, assurance groupe comprise, en Belgique. Avez-vous envie de jouer pour ce montant ?

À la fin de ma carrière. J’ai commencé à un salaire encore inférieur et, à mon départ, j’atteignais à peu près ce montant. Je ne crois pas que des joueurs du Zenit gagnent aussi peu, hormis quelques jeunes qui viennent d’être repris dans le noyau A.

Peu de gens gagnent 5 millions par an.

Si je pouvais les gagner… Les joueurs n’en parlent pas mais je ne figure pas parmi les gros salaires.

Vous avez appris combien Axel Witsel et Hulk coûtaient, ce qui a provoqué un tel émoi que certains joueurs russes, chez vous, ont été écartés de l’équipe à un moment donné ?

On a gonflé l’affaire. Denisov n’a jamais dit quelque chose contre Witsel ou Hulk ni refusé de leur serrer la main. Axel me dit qu’il se plaît ici et je ne pense pas qu’il ait envie de partir.

Les Russes et les étrangers mangent à des tables séparées depuis toujours. Je suis à la table des étrangers, même si je m’entends bien avec les Russes. Witsel a coûté cher mais je ne pense pas qu’il gagne davantage que Denisov, Kerzakov ou Zhirkov.

Le Zenit a failli être exclu du championnat et doit jouer un match à guichets fermés à cause des supporters.

Le gardien moscovite a fait du cinéma car il n’a pas été touché. Nos supporters sont les plus fanatiques de Russie. Ils sont nombreux à nous accompagner en déplacement. Vingt bus ont été bloqués dans une tempête de neige, sur la route de Moscou. Ils ont dû faire demi-tour mais 3.000 personnes nous attendaient quand même à Moscou, à 800 kilomètres de Saint-Pétersbourg. Une fois, 10.000 personnes nous ont accompagnés.

Les joueurs de couleur constituent-ils un problème en Russie ?

Si c’était le cas, ils ne seraient pas aussi nombreux. Le Zenit a l’équipe la plus russe et c’est notre force car ces joueurs forment la moitié de l’équipe nationale. Il faut aligner quatre Russes à chaque match mais nous en avons généralement six, sept ou huit. C’est différent ailleurs et je suis souvent confronté à des avants étrangers, généralement noirs.

Sont-ils hués ?

Loin s’en faut.

 » Cet Anderlecht-ci est plus fort que celui de 2010  »

Le Zenit a-t-il un public raciste ?

A en juger par la popularité de Hulk et de Witsel, non. Vous devriez voir combien de supporters sollicitent un autographe de ces deux-là.

Witsel se débrouille-t-il ou vous appelle-t-il dès qu’il a un pneu crevé ?

Il est souvent avec les joueurs qui parlent portugais et nous ne nous voyons pas en dehors du football. Il est de ceux qui aiment la PlayStation, qui ne m’intéresse absolument pas.

Sportivement, quel est le prix payé par le club suite aux remous internes et à l’attitude désobligeante de vos supporters ?

Sans le renvoi de Denisov dans le noyau B, nous serions premiers et non troisièmes. Il est l’âme de l’équipe, un pitbull, qui ne renonce jamais. Il court, il récupère le ballon tout en le perdant rarement, il distribue le jeu. Pendant son absence d’un mois, nous n’avons pris de points que contre des équipes inférieures mais nous avons souffert en Ligue des Champions.

La quatrième place d’Anderlecht a déçu les Belges, d’autant que le Zenit n’était pas meilleur.

Anderlecht a raté une chance unique mais normalement, nous aurions dû lutter avec Malaga pour la première place. Si nous avions joué à notre niveau, nous aurions battu Milan deux fois.

Vous aviez déjà affronté Anderlecht avec le Zenit il y a quelques années. L’équipe actuelle est-elle meilleure ?

J’ai été frappé par sa sérénité sur le terrain et sa construction soignée depuis l’arrière. Nuytinck est un bon transfert. Biglia m’a surpris. Si vous m’aviez dit, il y a deux ans, qu’il convoitait un grand championnat, je ne l’aurais pas cru : il ne jouait pas assez en profondeur. Il y a aussi ces jeunes, Praet et Bruno. Chapeau ! Ils osent réaliser des actions. Si cet Anderlecht-là n’est pas champion, il ne devra s’en prendre qu’à lui-même.

Vous n’êtes plus titulaire en équipe nationale.

En effet. Avant, Kompany ou Vermaelen étaient toujours blessés. Si je devais jouer, ce serait à l’arrière gauche mais Vertonghen occupe le poste. Pourtant, je suis titulaire au Zenit.

Seul le gardien a plus de minutes de jeu que vous.

Je jouais toujours à Gand aussi. Je ne me fais pas au banc mais que dire ? Les résultats suivent et ceux qui occupent ma place jouent bien. L’arrière gauche n’est pas ma meilleure place mais Vertonghen rappelle régulièrement que ce poste n’est pas propice à son développement, tout comme Vermaelen. Donc ce n’est pas à cause de ça que je suis écarté. Wilmots m’a accordé ma chance à ce poste mais je me suis blessé. Vertonghen a bien joué en Angleterre et il est capitaine quand Vermaelen et Kompany sont absents. Donc, Wilmots va l’aligner à gauche et Vermaelen dans l’axe.

 » Je n’ai jamais vu quelqu’un de l’Union Belge en Russie  »

Vertonghen et Vermaelen évoluent en Premier League. Cela joue-t-il un rôle ?

Ce n’est pas un avantage pour moi. Je ne pense pas qu’on soit venu me voir une seule fois en Russie. En tout cas, je n’ai jamais vu personne. On est plus vite en Angleterre…

Vous sentez-vous méconnu ?

Franchement ? Oui ! Mais pas frustré. J’ai été élu meilleur étranger du championnat russe, qui regorge de grands noms.

Vous auriez mieux fait de demander la naturalisation russe !

Je l’aurais envisagé si je n’avais jamais joué pour la Belgique. Des coéquipiers et d’autres Russes m’ont déjà dit qu’ils auraient aimé que je joue pour leur pays. Il y a des opportunités au coeur de la défense.

En cas de transfert, tiendrez-vous compte de l’équipe nationale ?

Non. Je joue déjà pour un grand club et je ne pense pas que le sélectionneur modifie ses plans si je suis transféré. Je ne trouverais pas crédible d’être titularisé sous prétexte que je jouerais – façon de parler – pour le Real. Cela voudrait dire qu’on ne reconnaît pas mes qualités maintenant et qu’on les découvrirait demain.

Vous rappelez-vous l’ambiance à vos débuts en équipe nationale ?

Oui. Le courant ne passait pas entre les jeunes et les anciens. Ceux-ci jalousaient leurs cadets. Maintenant, nous sommes tous issus de la même génération et Timmy Simons est un professionnel accompli, qui s’amuse avec nous. D’ailleurs, il ne s’est jamais plaint. Il n’y a plus de clivage entre Flamands et francophones. Nous nous attardons à table après le dîner et quand quelqu’un arrive en retard, nous l’applaudissons tous ensemble alors qu’avant, quelqu’un allait se plaindre. Mon coéquipier croate du Zenit m’a raconté qu’ils buvaient du vin à table et sortaient ensemble après un match. Cela m’a paru étrange mais maintenant, même si je ne joue pas toujours, je me rends avec plaisir aux rendez-vous de l’équipe nationale.

Vous avez effectué vos débuts en mai 2006, comme joker contre l’Arabie Saoudite, à Sittard…

Avec Nathan D’Haemers, qui jouait à Zulte-Waregem et est maintenant en première Provinciale, à Merelbeke.

Vous avez été titularisé en mars 2007 contre la Finlande (0-0). Un certain Grégoire figurait également dans le onze de base.

Gillet m’a dit qu’il joue maintenant à Sprimont, en Promotion. En 2007, nous jouions tous deux à Gand. Nous nous partagions le flanc. Il avait un bon passing. Le stade n’était pas comble contre la Finlande. À cette époque, on nous considérait comme…

… une bande de losers.

Oui. Personne ne me demandait de billets. Maintenant bien. Nous sommes parfois le dernier espoir des gens pour en trouver un et même les joueurs se disputent les billets.

 » Il y a deux ans, les Diables avaient encore peur de tout le monde  »

La moitié de l’équipe actuelle jouait contre la Finlande.

Nous avons acquis de l’expérience et nous jouons dans des championnats relevés. Il y a deux ans, je ne nous voyais pas gagner en Serbie. Nous avions peur des Pays-Bas, de la France, de tout le monde. Nous manquions d’assurance et donc d’audace. Nous avons pris conscience de notre talent. Avant, nous affrontions des équipes plus cotées alors que maintenant, nous affrontons des joueurs avec lesquels nous nous entraînons. Il y a six ans, certains adversaires m’auraient impressionné mais maintenant, je dispute aussi la Ligue des Champions et je réalise que l’AC Milan n’est vraiment pas meilleur que nous. Face à Pazzini, je me suis dit : so what ? J’affronte des footballeurs de meilleur niveau en championnat de Russie.

Qui avez-vous tenu contre Anderlecht ?

De Sutter et Mbokani. Un bon joueur, Mbokani, mais pas le meilleur de mes adversaires. On ne le voit pas beaucoup, il n’est pas dérangeant. Il faut simplement le surveiller parce qu’il se place bien et qu’il marque. Je préfère jouer contre quelqu’un auquel je peux livrer un combat physique constant, comme Traoré, d’Anzhi, un gaillard de deux mètres. La dernière fois, je l’ai neutralisé. C’est un des rares joueurs qui a demandé à échanger son maillot avec le mien. Moi, je ne le demande jamais.

Combien de maillots possédez-vous ?

Seulement les miens pour pouvoir en offrir à ceux qui en demandent. Si on les échange chaque fois, on n’en a plus. J’en ai reçu un de Milan mais je l’ai donné à Karel Geraertspour une bonne oeuvre.

Si vous jouez contre Barcelone, vous allez quand même avoir envie du maillot de Messi ?

Peut-être si, au terme du match, il me disait :  » Je n’ai jamais affronté un aussi bon arrière  » et qu’il demandait mon maillot.

Vous avez déjà connu pas mal de sélectionneurs. Wilmots est-il le premier à dire :  » Nous jouons pour gagner  » ?

Je pense que oui. Advocaat l’aurait fait s’il était resté plus longtemps. Nous nous sommes trop adaptés à l’adversaire, au début, comme contre le Kazakhstan, un match auquel je n’ai pas participé. Sous Vandereycken, nous étions les petits Belges mais nous ne recelions pas le même talent que maintenant. Le Leekens de Gand s’adaptait davantage à l’adversaire que le Leekens de l’équipe nationale.

La Belgique existera-t-elle encore après les élections de 2014, quand vous irez au Brésil ?

Bien sûr. Je ne pense pas qu’elle va se scinder. De Wever est à la mode mais la Belgique n’a pas changé en six ans. Ce que je ne comprends pas, c’est que Di Rupo tire dans le pied des partis flamands de son gouvernement, faisant ainsi le jeu de la NV-A. Pour moi, il ne faut pas scinder la Belgique.

Quand Kompany envoie un tweet à l’attention de De Wever, est-ce un sujet de conversation entre internationaux ?

Twitter et ces trucs-là ne m’intéressent pas. Je n’éprouve pas le besoin de partager mes opinions avec le monde entier. Ces forums permettent de se défouler sans assumer ses responsabilités.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS: KOEN BAUTERS

 » Beaucoup d’entraîneurs se fixent sur les erreurs, Luciano Spalletti, lui, apporte des solutions.  »

 » Witsel a coûté cher mais je ne pense pas qu’il gagne beaucoup plus que Denisov, Kerzakov ou Zhirkov.  »

 » Je ne trouverais pas crédible d’être titularisé chez les Diables sous prétexte que j’opte pour un club plus médiatisé.  »

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