Je suis football

Bernard Jeunejean

Intro légère. Tout le monde connaît Nabilla, mais bibi connaît même le patronyme de la pulpeuse : c’est Benattia, je l’ai lu et me suis dit de suite : hé, avec deux t, c’est le même nom que Mehdi Benatia, l’international marocain passé de Rome au Bayern ! Ceci pour signaler que face à l’actu, dérisoire ou essentielle, je relie toujours impulsivement à cette passion tenace qui s’appelle football. D’où mon titre, rapport aux tristesses d’il y a un mois.

Depuis ma période ado, aucune star du foot ne m’a jamais ému les zygomatiques autant que Wolinski : et c’est d’abord le deuil de son coup de patte qui m’a fait rejoindre la foultitude des Charlie, le temps de l’ébranlement né des assassinats. Il faut une grande joie ou une grande douleur pour qu’une nation manifeste semblable sentiment d’appartenance : les rassemblements du 11 janvier faisaient repenser, paradoxalement car sans liesse, au triomphe black-blanc-beur des footballeurs français de 1998. Et logiquement, le microcosme sportif s’associait à l’émotion dominante : du dessin à la une de L’Equipe aux minutes de silence dans les stades, débordant les frontières, jusqu’à passer par les crayons/symboles de Felice Mazzu. Malgré l’absence réactive des Zizou et autres stars maghrébines du foot français.

Puis l’émotion s’estompe, et s’ouvrent les débats effritant l’unisson. La communauté musulmane de France réaffirme l’Islam comme religion de paix et de tolérance, et se désolidarise d’assassins faux musulmans : mais l’opposition l’accuse d’avoir laissé dériver des extrêmes qui sont partie intégrante de la communauté. Et toutes proportions gardées, y’a de nouveau un parallèle : quand notre pourri hooliganisme ressurgit, soft ou hard, s’élèvent toujours des voix pour parler d’une minorité à exclure, n’ayant rien à voir avec les vrais supporters. A quoi d’autres rétorquent que ces extrémistes sont comme nous de vrais footeux, mais que la religion du foot y est pour quelque chose dans leurs excès dont nous sommes aussi responsables.

D’emblée, on pleura des caricaturistes gentils, incapables de torturer une mouche, ne ricanant que du crayon pour défendre l’indispensable liberté d’expression. Puis ont affleuré polémiques et réflexions, et d’autres ont rappelé que les mots (les dessins) font parfois plus mal que les coups. Qu’Hara-Kiri, ancêtre de Charlie, s’auto-baptisait Journal bête et méchant. Que Delfeil de Ton himself, figure tutélaire de l’hebdo, se désolait que Charb ait entraîné ses potes dans une surenchère provocatrice suicidaire. Qu’une totale liberté d’expression quant au fond pouvait faire des dégâts si la forme était blasphématoire. Et j’ai repensé football quand Sondron, caricaturiste de chez nous, a révélé que ses dessins aussi lui avaient même valu des menaces de supporters de foot !

Raide mort, Desproges continue d’avoir raison, on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ! Car si par ta verve, écrite ou dessinée, tu ricanes tous azimuts d’un total passionné, qu’il soit accro de Jésus, d’Allah ou de son club de foot, à toi d’assumer les conséquences possibles : l’accro peut être moins rigolard que toi ou doté d’une tête plus près du bonnet, il y a risque qu’il en vienne aux mains, aux armes…

Là-dessus, dans la foulée de nos chagrins occidentaux, voilà que Steven Defour se fait raccourcir lors d’un tifo : miracle d’ambivalence, des djihadistes sur calicot rêvent en même temps d’être des Charlie, preux défenseurs rigolos de la liberté d’expression ! Putain de confusion surtout, l’humour second degré des uns n’est pas la susceptibilité des autres. Pas fastoche d’être libre sans attiser la haine ! J’adore multi-ricaner mais certains trucs me font moins rire, dans Charlie Hebdo comme lors de cette gaffe à Sclessin. C’était pas le moment, les gars ! Ceci dit, puisque copieuse condamnation il y eut, c’eût été chouette qu’en réaction, de la tribune d’honneur à la tribune de presse en passant par les vrais supporters, tous les offusqués quittent illico le stade pour protester. Mais PERSONNE ne l’a fait : nous attendions le match, le foot est notre drogue et passe avant tout le reste ! C’est ce que nous reprochait Charb, via ce dessin de 2010 dans Charlie Hebdo. Ne râlez plus sur Charb, il est déjà mort.

BERNARD JEUNEJEAN

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