» Je suis fils de… Et alors ? « 

Paradoxal, peut-être : l’attaquant de poche renaît à l’ambition sous le maillot d’Eupen et va bientôt intégrer le  » Club des 100 « (buts en D1).

Adoré par les uns, détesté par les autres : Kevin Vandenbergh sait qu’il restera à tout jamais le  » fils de… « , même si père et fils ne se parlent plus. Tombé dans l’oubli après un passage délicat au FC Utrecht et une tentative de relance au Germinal Beerschot qui ne s’est pas révélée un franc succès, il renaît à l’ambition à l’AS Eupen, le plus petit club de D1. Paradoxal, sans doute, mais ce choix mûrement réfléchi semble lui convenir.

On le dit réservé, mais lorsque la glace est rompue, il s’ouvre, même s’il donne encore l’impression de garder l’un ou l’autre secret enfoui au fond de lui-même. Une blessure psychologique pas encore totalement cicatrisée, peut-être. Sur le terrain, il se comporte en tout cas en vrai professionnel. En dehors, il témoigne aussi d’une grande correction : à l’heure au rendez-vous, quitte à se contenter d’un sandwich, entre deux entraînements dispensés par un Albert Cartier pas très heureux de la mentalité affichée par ses joueurs lors des matches de préparation…

Vous voilà à Eupen depuis un peu plus de quatre mois : heureux de votre choix ?

KevinVandenbergh : Cela correspond à ce que j’en attendais. Dès les premières discussions, j’avais un bon pressentiment. Mon choix a sans doute paru surprenant aux yeux de beaucoup, mais aujourd’hui, je suis toujours en mesure d’affirmer que je ne me suis pas trompé. J’ai opté pour le temps de jeu, pour un club disposé à me faire confiance à 100 %, et j’ai trouvé ce que je cherchais.

La confiance, c’est un élément dont vous avez besoin, plus que d’autres ?

J’en ai besoin, oui, mais pas plus que d’autres. Tout joueur en a besoin, qu’il soit attaquant ou défenseur. Je dirais même : tout être humain. Si vous allez travaillez, et que vous sentez que vos collègues ne vous apprécient que modérément, vous ne serez pas à l’aise non plus.

Aujourd’hui, avez-vous aussi repris confiance en vous-même ?

Je ne l’avais jamais totalement perdue. Dans les moments difficiles que j’ai traversés, j’ai pu me reposer sur ma famille, sur mes amis. C’est dans ces moments-là que l’on reconnaît les  » vrais « , car il y a aussi des gens qui se prétendent être votre ami, mais qui vous abordent simplement parce que vous êtes un footballeur  » à la mode « , qui marque, qui fait gagner son équipe, et qui vous abandonnent lorsque cela va un peu moins bien. Je connaissais mes vrais amis depuis longtemps. On dit souvent qu’ils se comptent sur les doigts de la main, et j’en compte effectivement trois ou quatre. Ce ne sont pas des gens connus. Il y a un ami d’enfance, une autre personne qui habite près de chez moi, et deux frères qui me considèrent presque comme leur troisième frère. Ces gens me connaissaient avant que je ne devienne pro, et savent que je n’ai pas changé. A ces gens-là, je peux ajouter mon manager, Jacques Lichtenstein, qui m’a toujours soutenu lui aussi.

 » Ma porte reste ouverte pour mon père « 

On connaît la rupture avec votre père. Lorsque vous parlez de votre famille, à qui faites-vous référence ?

A ma mère, à ma compagne, à mon neveu… En ce qui concerne mon père, je répète ce que j’ai toujours dit : ma porte reste ouverte. A l’heure qu’il est, mon téléphone portable est allumé. S’il m’appelle, je décroche, pas de problème. Mais il ne m’appelle pas…

Vous attendez qu’il fasse le premier pas ?

Il s’est déjà passé beaucoup de choses entre nous. J’estime avoir déjà fait le premier pas. Maintenant, c’est à son tour.

Et votre compagne ?

On se connaît depuis longtemps. C’est aussi une fille de ma région. Elle m’a accompagné lorsque je suis parti aux Pays-Bas, et depuis lors, on vit ensemble. C’est du solide. On est en train de faire construire à Ramsel, près d’Aerschot.

Les déplacements quotidiens entre Ramsel et Eupen ne sont-ils pas trop pesants ?

Une heure et quart, lorsque tout va bien. Une heure trois quarts, lorsqu’il neigeait. C’est supportable. Lorsqu’il y a deux entraînements, rien n’est prévu au stade. Ceux qui habitent dans le coin peuvent rentrer chez eux. Les autres vont manger un bout en ville. Au Standard, on pratique de la même manière. C’est, en tout cas, ce que Steven Defour m’a raconté.

C’est l’un de vos amis ?

On s’est lié d’amitié durant notre période à Genk. On a vécu de belles choses ensemble et on est restés en contact. Forcément, on ne se côtoie plus au quotidien, mais lorsque j’ai signé à Eupen, il m’a envoyé un sms pour me souhaiter bonne chance. On s’est encore parlé avant le match à Sclessin, auquel il n’a pas participé pour cause de suspension, et malgré la défaite, Steven s’est montré fair-play en me félicitant. Entre nous, il y a un respect mutuel qui perdurera. Steven est un joueur de grande qualité, dont l’importance pour le Standard n’est plus à démontrer. Je pense qu’il peut aussi devenir tout aussi important pour les Diables Rouges, vu sa prestation en Russie. Du moins, s’il est en pleine possession de ses moyens. Malheureusement, il est de nouveau sur la touche, avec cette opération à l’épaule. La poisse le poursuit.

En ce qui vous concerne, songez-vous encore à l’équipe nationale ?

Je mentirais en affirmant que je l’ai chassée de mon esprit. Lorsqu’on consulte le classement des buteurs, on constate que les joueurs belges n’y sont pas en nombre. Devant moi, il y a uniquement Jelle Vossen, Romelu Lukaku et Marvin Ogunjimi. Mais actuellement, je songe en premier lieu à Eupen. Le maintien passe avant toute préoccupation d’ordre individuel, et j’espère que chacun ici pense de la même manière, car on ne se sauvera qu’avec un collectif très fort.

Un attaquant qui pense collectivement, c’est rare…

Vous trouvez ? Un attaquant doit toujours penser collectivement. A 80 %, en tout cas. Les 20 % restants, c’est le moment où l’on se trouve dans les 16 mètres, où l’on est face au gardien, et où il faut éviter de douter.

On ne s’en rend pas toujours compte, mais vous travaillez aussi entre les lignes, davantage qu’autrefois, peut-être ?

Je vous laisse libre de juger. J’ai déjà entendu beaucoup de choses à mon sujet. Chaque personne semble avoir un avis différent. Le seul avis qui m’intéresse, c’est celui de mon entraîneur.

Estimez-vous avoir subi trop de critiques par le passé ?

Peu importe.

 » 100 buts en D1 ? Un chiffre, sans plus « 

Eupen reçoit-il le respect qu’il mériterait ?

C’est un club en construction. On y pose pierre après pierre. Le stade, en tout cas, a belle allure. Il n’a rien à envier à d’autres stades de D1. L’équipe aussi est en construction. On essaye de produire du beau football, tout en s’appuyant sur une bonne organisation, car c’est ce qui nous permettra de prendre des points. Je pense qu’Eupen peut avoir un bel avenir devant lui. Si l’on se maintient, on essaiera de viser un peu plus haut l’an prochain. Il y a un vrai projet à Eupen, où tout le monde travaille dur, avec les moyens du bord.

Le club recherche un attaquant capable de jouer en profondeur, afin d’être complémentaire avec vous. Est-ce nécessaire ?

C’est une question qu’il faut poser à l’entraîneur ou aux dirigeants. Les transferts, c’est leur domaine.

Mais vous ne vous sentez pas trop isolé en attaque ?

Pas vraiment, non. Je pense m’être relativement bien débrouillé jusqu’ici.

Huit buts (avant le match de reprise contre Malines, hier soir), c’est un bilan satisfaisant ?

Il y a toujours moyen de faire mieux. J’ai loupé quelques occasions. Mais huit buts, ce n’est pas mal. Cela dit, avant de regarder mon total de buts, je regarde le total de points de l’équipe.

Vous approchez les 100 buts en D1 belge. Un beau cap qui sera bientôt franchi.

J’en suis à 97 (ndlr : toujours avant Malines). 100, c’est un chiffre et rien de plus.

L’instinct du buteur, c’est une chose que l’on ne perd pas ?

On l’a ou on ne l’a pas. Moi, j’ai la chance de l’avoir. Je pense l’avoir hérité de mon père, à la naissance. C’est une chose qui ne s’apprend pas.

Vous faites encore souvent allusion à votre père…

Il a représenté quelque chose dans le football belge et je n’ai aucun mal à en parler. Il reste mon père, pour toujours.

Il vous a aussi légué cette étiquette de  » fils de…  » qui restera accrochée à vous toute votre vie. A-t-elle rendu votre carrière plus facile ou, au contraire, plus difficile.

Plus facile, sûrement pas. Lorsque je jouais en équipe de jeunes, j’étais toujours soumis à un traitement de faveur. Mais cela m’a aussi obligé à me battre davantage et cela m’a permis de progresser.

 » Westerlo et Genk restent les deux clubs de mon c£ur « 

Avec Eupen, vous êtes déjà retourné à Westerlo, à Genk et au Germinal Beerschot, vos anciens clubs belges. Avec un pincement au c£ur et un brin de nostalgie ?

Westerlo, c’est ma jeunesse. J’y ai reçu toute mon éducation, j’y ai passé 12 ans, depuis tout petit jusqu’à l’équipe Première. Cela ne s’oublie pas. J’y connais encore presque tout le monde et je retrouve toujours avec plaisir mes anciens entraîneurs, vis-à-vis desquels je demeure très reconnaissant. Je place Genk à peu près sur le même pied que Westerlo. Je n’y ai joué qu’en pro, mais j’y ai passé cinq très belles années et lorsque j’y suis retourné, j’ai senti que le public de la Cristal Arena me respectait encore. La saison sous René Vandereycken, avec ce double test-match face au Standard, fut exceptionnelle. La dernière, sous Hugo Broos avec une belle deuxième place à la clef, fut très bonne également. Au Germinal Beerschot, en raison de divers facteurs que beaucoup de gens ignorent et sur lesquels je ne souhaite pas m’étendre, je n’ai pas livré la meilleure saison de ma carrière. Je suis le premier à le reconnaître, et j’ai trouvé la réaction de certaines personnes à mon égard… comment dire ? Enfantine, c’est cela. Je ne parle pas des gens proches de l’équipe, mais d’autres personnes.

Pouvez-vous en dire plus sur ces  » facteurs  » qui avaient miné votre saison ?

Ceux qui suivent le Germinal Beerschot de près devineront à quoi je fais allusion. Je pense d’ailleurs que les événements récents ont fait remonter à la surface tout ce qu’il se trame dans ce club. Je n’en dirai pas plus. Je ne me suis jamais répandu en déclarations incendiaires vis-à-vis du club, je n’ai jamais révélé des choses qui auraient pu lui porter préjudice alors que j’aurais pu le faire très facilement, et ce n’est pas aujourd’hui que je commencerai. Certains trouveront peut-être que je manque de personnalité, libre à eux. Lorsque j’étais au Kiel, je me suis toujours donné à 100 % pour l’équipe et j’ai même inscrit l’un ou l’autre but important, avant la trêve hivernale. Après…

N’auriez-vous pas intérêt à extérioriser davantage vos sentiments ?

Non, je ne vois pas l’intérêt de tout déballer sur la place publique.

 » Vandereycken, défensif ? Et quoi encore ? « 

Vous avez évoqué René Vandereycken. Avez-vous encore des contacts avec lui ?

Je l’ai encore eu au téléphone il y a quelques semaines, en effet.

Comment va-t-il ?

Pas mal. Il sait ce qu’il veut, et a suffisamment d’expérience pour ne pas se lancer dans la première aventure qu’on lui proposerait. C’est un entraîneur très intelligent, et à mes yeux, le meilleur entraîneur parmi tous ceux avec lesquels j’ai travaillé. Je placerai Albert Cartier quasiment sur le même pied. Il est, selon moi, le pendant français de Vandereycken. Au niveau de la discipline qu’ils instaurent, de l’approche du métier et du respect qu’ils vouent au travail de tous les membres du club, ils sont comparables. Je trouve très agréable de travailler avec des entraîneurs pareils. Avec des hommes pareils, devrais-je dire.

Vandereycken protège ses joueurs, ce que ceux-ci apprécient…

Tout à fait. Certes, entre les quatre murs du vestiaire, il n’hésite pas nous dire certaines vérités en face, ce qui est tout à fait logique, mais précisément, cela doit rester de la cuisine interne.

Vis-à-vis du monde extérieur, Cartier apparaît plus ouvert que Vandereycken…

René s’est fermé lorsqu’il a dû faire face à un feu nourri de critiques. Il est devenu coach national à une période très difficile. Je sais que beaucoup de journalistes ne l’apprécient pas. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Ils ont mal accepté le fait qu’à Genk, Vandereycken ait interdit toute interview de joueur deux jours avant un match, par exemple. Je constate que Frankie Vercauteren pratique exactement de la même manière, mais comme René fut le premier à instaurer cette mesure, elle a été mal accueillie. On s’est fait une image erronée du personnage.

On critique aussi sa frilosité. Ne prône-t-il pas des tactiques trop défensives ?

Défensives ? Encore une aberration ! A Genk, à l’exception d’un ou deux matches, on a toujours joué offensivement. Orlando Engelaar, Nenad Stojanovic et moi-même étions des joueurs à vocation offensive. Koen Daerden était soi-disant demi défensif, mais ses impulsions offensives ne sont plus à démontrer. Et sur le flanc, il y avait Thomas Chatelle et Mirsad Beslija, pas précisément défensifs non plus. Mon père a lui-même travaillé avec Vandereycken à La Gantoise. Partout où il a travaillé, René a gagné le respect de tout un chacun. Demandez à Molenbeek. Personne n’a oublié cette campagne formidable qui a conduit le RWDM en Coupe de l’UEFA. Croyez-moi, c’est un grand entraîneur. Mais je ne dirai d’aucun entraîneur avec lesquels j’ai travaillé qu’il ne valait rien.

Pas même de Foeke Booy ou de Wim Van Haneghem ?

Je n’ai connu Booy que comme directeur technique. Et à propos de Van Haneghem, je préfère ne rien dire. Référez-vous à la presse néerlandaise de l’époque.

Et Eziolino Capuano ?

J’ai travaillé trop peu de temps avec lui pour pouvoir le juger. Il avait sans doute des qualités, mais qui n’étaient pas adaptées à notre équipe.

Vous n’aimez pas parler du FC Utrecht, mais était-ce un choix erroné ?

J’ai, au contraire, le sentiment que c’était un bon choix. Simplement, les choses ne se sont pas passées comme je l’espérais. Je ne pouvais pas deviner.

Vous avez désormais 27 ans. Assez perdu de temps ?

Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu mon temps. On apprend en toutes circonstances, même et peut-être surtout dans les moments difficiles.

PAR DANIEL DEVOS

 » Entre Steven Defour et moi, il y a un respect mutuel qui perdurera toute la vie. « 

 » Je n’ai pas renoncé à l’équipe nationale. « 

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