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 » Je suis fier de pouvoir jouer en Chine « 

Pendant quatre saisons, Frank Acheampong a donné du dash à Anderlecht et à la Jupiler Pro League grâce à sa vitesse et à ses courses imprévisibles. La Chine est l’étape suivante dans sa recherche du bonheur footballistique et de la sécurité financière.

À la fin de l’interview, Frank Acheampong s’agite sur sa chaise. Son GSM sonne.  » Let’s go home. Je dois aller chercher ma petite amie au Westland.  » (le centre commercial d’Anderlecht, ndlr) Pour le Ghanéen, joueur du Tianjin Teda FC depuis cet été, le championnat s’est terminé début novembre. Aujourd’hui, il veut surtout rattraper le temps perdu avec sa compagne Momie et leur fille Franklina. Frankie a droit à deux mois de vacances. Il n’est attendu en Espagne qu’en janvier pour un stage de préparation avec son club.

À Tianjin, tout est gigantesque, sauf les gens. Ici, je ne suis plus le plus petit !  » – Frank Acheampong

D’ici là, il fait la navette entre le Ghana et son pied-à-terre de Roosdaal, un petit village du Brabant flamand, où il a pour voisin éloigné le capitaine de Saint-Trond, Steven De Petter.  » Ma petite amie et ma fille sont restées en Belgique. Je trouvais que renoncer à ma maison de location et emmener toute ma famille en Chine n’était pas une bonne idée « , explique Acheampong.

 » La décision de partir seul en Chine a tout de même eu des conséquences pour notre vie de famille. Ces dernières semaines, j’ai passé beaucoup de bon temps avec ma fille, mais cela ne compense pas tout. Un enfant de moins d’un an est quand même censé grandir aux côtés de son père. Plus tard, elle comprendra pourquoi je ne me suis autant éloigné de la maison.

Skype permet de résoudre beaucoup de problèmes. Même si ça ne permet pas de compenser la solitude… Encore une chance que j’ai fait la connaissance de quelques étudiants ghanéens. Les Ghanéens sont partout, ils n’ont pas peur de partir à l’aventure.  »

 » J’ai dû m’habituer aux règles chinoises  »

Tu es plus tranquille en constatant que ta famille se porte bien en Belgique ?

FRANK ACHEAMPONG : (il acquiesce) Je sais qu’elle ne manque de rien et c’est le principal, pour moi. Mais j’attends déjà avec impatience la prochaine saison : ma compagne et ma fille viendront pour la première fois me rendre visite en Chine. D’ici là, j’espère avoir terminé la chambre d’enfant. Les murs ont encore besoin d’un coup de peinture.

Comment se passe la vie en Chine ?

ACHEAMPONG : J’ai assez facilement encaissé le choc culturel, étant donné que j’avais déjà joué quelques années en Thaïlande. Pourtant, les premières semaines n’ont pas été faciles. Je ne pouvais communiquer avec personne et j’ai dû m’habituer aux règles chinoises, qui sont parfois compliquées. Les étrangers ont besoin d’une autorisation spéciale pour pouvoir rouler en voiture. On ne peut pas circuler avec un simple permis de conduire européen. La procédure m’a semblé tellement compliquée que je n’ai même pas demandé l’autorisation spéciale. Je me déplace en taxi, ou avec Didi, l’Uber chinois. Et puis, ce qui m’agace, c’est que j’habite à deux minutes de marche du stade, mais je suis obligé de me rendre en taxi jusqu’à l’hôtel du club, où je dois me changer avant de prendre le bus des joueurs pour le stade. Alors que je pourrais m’y rendre à pied. C’est fou.

Je peux m’imaginer que le contraste entre Tianjin et ses 15 millions d’habitants, et le petit village de Roosdaal, doit être immense.

ACHEAMPONG : À Tianjin, tout est gigantesque : la gare, l’aéroport, etc. Sauf les gens. Je ne suis plus le plus petit ! (il rit) Mais, dans beaucoup de domaines, les Chinois ont pris de l’avance sur l’Europe. Parfois, j’en suis étonné. Ils ont, par exemple, des automates à la banque, dans lesquels on introduit des dollars ou des euros, et on reçoit des yuans, la monnaie locale, en échange. Mais en contrepartie, envoyer de l’argent à l’étranger n’est pas une mince affaire. En Belgique, on entre dans une agence de la Western Union et tout est réglé en quelques minutes. Pas là-bas.

 » Au supermarché, on m’aborde constamment  »

Les Européens qui ont joué au football en Chine ont, tous, des histoires un peu saugrenues à raconter. Les Chinois seraient, par exemple, fascinés par les cheveux bouclés.

ACHEAMPONG : C’est vrai. L’entraîneur-adjoint est tellement fasciné par mes cheveux qu’il veut tout le temps les toucher. Au supermarché, on m’aborde constamment. Parfois, les gens font semblant de téléphoner, puis me prennent subitement en photo. Mais ça ne m’empêche pas de vivre une vie normale.

Tu as appris à parler le thaï en un minimum de temps. Tu vas te lancer dans l’étude du chinois ?

ACHEAMPONG : Cette langue est trop compliquée. Pour l’instant, je dois me contenter de  » merci  » et  » pas de problème « . Mon coéquipier nigérian Obi Mikel est ici depuis un an et il ne comprend toujours pas un mot. Lorsque je suis parti, mon agent m’avait averti que les Chinois disaient souvent nigga… Apparemment, c’est un mot que l’on utiliserait pour indiquer que l’on ne trouve pas ses mots.

Comment dit-on Acheampong en chinois ?

ACHEAMPONG : A-c-h-a-m-p-o-n-g-e. Mes équipiers chinois font le maximum pour que je me sente à l’aise, mais la plupart d’entre eux ne parlent qu’un anglais très basique. On ne peut donc pas avoir de conversation approfondie. Ou alors, il faut faire appel à un interprète. À terme, il faudrait quand même que j’apprenne les bases de la langue. Ça faciliterait la communication, même si le football est un langage universel. Si chacun fait son boulot, il n’est pas nécessaire de beaucoup parler. Je suis déjà heureux que l’entraîneur soit Allemand (Uli Stielike, ndlr) et que je reçoive les directives en anglais.

 » The Bullet « , sous le maillot de Tianjin Teda, en lutte avec le Colombien Fredy Guarin de Shanghai Shenhua.© belgaimage

Lors de tes cinq premiers matches, tu as été une fois titulaire et tu as été écarté à quatre reprises de la sélection. Ton adaptation a été si lente ?

ACHEAMPONG : Je suis arrivé en Chine en juillet, et à ce moment-là, je n’avais plus joué de matches depuis plusieurs mois. J’ai joué mes premières rencontres sur le sol chinois avec la deuxième équipe. J’ai été aligné comme attaquant de pointe et j’ai directement marqué. Les jeunes joueurs étaient désemparés face à ma vitesse. Puis est venu le premier match de championnat. Une catastrophe (il soupire).

 » Je rêve toujours de l’Angleterre  »

Pourquoi ?

ACHEAMPONG : Il y avait plus de 40 °C, et l’entraîneur m’a aligné à trois positions différentes : à gauche, à droite et en pointe. On a perdu contre le dernier. À cette époque, j’ai vu des gens pleurer, car ils pensaient qu’on allait descendre. Des supporters surexcités sont descendus à notre hôtel. Ils s’en prenaient surtout aux joueurs chinois et épargnaient les étrangers. Ils estimaient que, nous, nous avions fait notre boulot. Je peux comprendre la colère des supporters : depuis la création du club, ils n’étaient jamais descendus.

L’entraîneur-adjoint est tellement fasciné par mes cheveux crêpus qu’il veut tout le temps les toucher.  » – Frank Acheampong

Après une période difficile, tu es devenu le héros de la ville en scorant à deux reprises dans le derby contre Tianjin Quanjian.

ACHEAMPONG : Je jouais alors en soutien de Mbaye Diagne. (ex-Lierse, ndlr) Axel Witsel avait du mal à me suivre. Je lui ai crié que ce n’était pas Anderlecht-Standard (il rit)… Si nous avions perdu ce match, nous aurions eu un pied en D2. Et c’est précisément dans ce match-là que j’ai inscrit deux buts en deux minutes. J’en ai perdu la tête. Je me souviens avoir pensé : qu’est-ce qu’il m’arrive, ici ? Je venais de sauver le club de la relégation. Durant toute ma carrière, je n’avais encore jamais perdu quatre matches consécutifs. Ce n’est sans doute pas un hasard si, en Chine non plus, ce n’est pas arrivé. Dieu m’avait sans doute envoyé un message.

Après, on a parlé d’un match arrangé.

ACHEAMPONG : J’étais surpris que nous ayons été capables de battre une équipe qui possède de meilleurs joueurs que nous à chaque position. Mais je n’ai pas constaté de choses étranges, ce jour-là. Après tous les problèmes que nous avions connus durant la saison, il semblait impensable que nous puissions battre une équipe de pointe en jouant le jeu honnêtement. Mais les rumeurs ont disparu car, après cette performance, nous avions gagné trois matches d’affilée.

Avec quatre buts en dix matches, ton bilan est bon. Mais tu n’aurais pas préféré inscrire ces buts en Premier League ? Tu as abandonné ton rêve de jouer en Angleterre ?

ACHEAMPONG : Non, pas encore. Mais je ne regrette pas mon choix d’avoir opté pour la Chine. Lorsque j’étais jeune, je voyais les meilleurs footballeurs à la télévision. Aujourd’hui, je croise chaque semaine, dans un stade, une vedette mondiale : Lavezzi, Hulk, Oscar… C’est la raison pour laquelle je suis fier de jouer en Chine.

 » Je figure toujours sur le groupe WhatsApp d’Anderlecht

C’est tout de même plus difficile d’aller en Angleterre à partir de la Chine qu’à partir de la Belgique ?

ACHEAMPONG : Qui dit ça ? Rien n’est impossible.

Comment expliques-tu, alors, que ton transfert à Hull City ne se soit pas concrétisé lors du dernier mercato hivernal ?

ACHEAMPONG : Tout le monde connaît l’histoire : Anderlecht a refusé ! Je devais rester, pour aider l’équipe à remporter le titre. La direction a même refusé une offre de sept millions d’euros. J’étais fâché, bien sûr. Anderlecht m’avait volé mon rêve. Et je ne m’en suis pas caché. À la fin, la direction a tout de même consenti à faire un geste : elle m’a laissé partir pour un prix raisonnable. À condition que nous soyons champions.

Tu n’as pas été déçu de ne recevoir aucune proposition d’un club allemand ou anglais, pendant l’été ?

ACHEAMPONG : Watford était très concret. Marco Silva, l’agent qui voulait me faire signer à Hull City, m’a proposé à Watford et l’intérêt était là. Mais tout allait trop lentement à mon goût, et je n’avais pas envie d’attendre plus longtemps. D’un côté, j’avais Watford, où mon transfert était en stand-bye, et de l’autre côté, j’avais un club chinois avec lequel tout était réglé. Dans la vie, lorsqu’on reçoit une chance, il faut la saisir.

Le prix de la location, puis du transfert définitif, a rapporté 6,5 millions d’euros à Anderlecht. Avant, on disait que tu devais rapporter plus de 10 millions d’euros.

ACHEAMPONG : Ce n’est pas moi qui décide du prix. Herman Van Holsbeeck est le spécialiste, je ne suis qu’un footballeur. Pour Anderlecht, c’était une opération lucrative et c’est pourquoi ils l’ont acceptée. Vous savez comment Anderlecht fonctionne… J’ai aussi pu conclure un accord intéressant avec la direction de Tianjin Teda. Si je gère bien mon argent, je serai à l’abri après ma carrière. L’objectif est de faire profiter mes amis et ma famille de ce que j’ai gagné. Lorsqu’ils sont heureux, je le suis aussi.

Retourner à Anderlecht n’a jamais été une option ?

ACHEAMPONG : Surtout pas en novembre, comme j’ai pu le lire. Mon contrat de location arrivait à expiration le 31 décembre. Mais on ne peut jamais dire jamais. Anderlecht restera pour toujours dans mon coeur. Et seul le Seigneur qui siège là-haut peut prédire l’avenir. Lorsque vous me verrez encore à Anderlecht, ce sera pour encourager l’équipe. Je figure toujours sur le groupe WhatsApp de l’équipe. Pour l’une ou l’autre raison, on ne m’a pas encore éjecté. Et il ne faut pas essayer !

 » Boakye serait un bon renfort pour Anderlecht, mais…  »

Hein Vanhaezebrouck n’a-t-il pas essayé de te convaincre de revenir ? Sa force de persuasion est très grande, dit-on.

ACHEAMPONG : Il m’a parlé lorsque je suis venu donner le coup d’envoi.  » On aurait bien besoin des buts que tu inscris en Chine « .

Et pour les inscrire, il devra compter sur ton compatriote Richmond Boakye ? Voilà des semaines que son nom circule à Anderlecht…

ACHEAMPONG : Je le connais assez bien. On a joué ensemble chez les U21 et on partageait la même chambre lors du dernier rassemblement du Ghana, en octobre. Sur base de ses prestations en équipe nationale, il serait à coup sûr un très bon renfort pour Anderlecht. C’est un joueur polyvalent qu’on peut aligner à toutes les positions, à l’avant. Il est bien bâti, est assez rapide pour jouer sur les flancs, et peut marquer de tous les angles. Il n’a pas encore 25 ans et a tout de même déjà connu de nombreux clubs. Mais je suis convaincu qu’il a appris de ses erreurs. Reste à voir s’il rêve d’Anderlecht ou s’il a d’autres pistes en tête.

Frank Acheampong :
Frank Acheampong :  » Aujourd’hui, je croise chaque semaine, dans un stade, une vedette mondiale : Lavezzi, Hulk, Oscar… « © belgaimage

 » Il faut avoir des couilles pour tirer un penalty à la Coupe d’Afrique  »

Quels est ton plus mauvais souvenir d’Anderlecht ?

FRANK ACHEAMPONG : La défaite à domicile contre Arsenal en Ligue des Champions. Je n’ai toujours pas compris comment on a pu perdre 1-2, alors qu’on menait encore 1-0 à quelques minutes du coup de sifflet final. J’ai souvent regardé ce match sur YouTube et je ne m’en suis toujours pas remis… Il a fallu du temps pour digérer cette défaite. Le dimanche suivant, on devait affronter le Standard, mais on n’était pas prêt mentalement. À l’inverse, je garde un très bon souvenir de mon match à Athènes contre l’Olympiacos : j’ai marqué deux fois.

Il y a deux ans, tu as vécu un moment douloureux, lorsque tu as loupé un penalty en finale de la Coupe d’Afrique des Nations contre la Côte d’Ivoire.

ACHEAMPONG : Il faut avoir des couilles pour tirer un penalty en Coupe d’Afrique. Si vous ratez, vous avez tout le pays contre vous. Finalement, les réactions au Ghana ont été assez clémentes. Le peuple n’était pas content, bien sûr, mais la déception était atténuée par le fait que personne n’avait pensé qu’on atteindrait la finale. Malgré tout, j’étais inconsolable. Ma mère a dû me soutenir pendant plusieurs jours. Puis, je me suis rendu compte que c’était arrivé aux meilleurs joueurs du monde, de rater un penalty. Pour oublier cette déconvenue, j’ai demandé à pouvoir tirer un penalty lors d’un match amical… et je l’ai marqué !

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