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« Je suis fier d’être belge »

Dennis Praet a le vent en poupe en Italie. Cette saison, il est devenu un des hommes forts de la Sampdoria et La Gazzetta dello Sport le considère même comme un des cinq meilleurs médians de Serie A. Sa longue absence au sein du noyau des Diables Rouges lui reste cependant sur l’estomac.

Il y a quelques années, Mario Balotelli portait un t-shirt sur lequel on pouvait lire : Why always me ? Dennis Praet (23 ans) pourrait l’imiter en écrivant : Why never me ? Malgré un excellent début de saison avec la Sampdoria, Roberto Martinez ne l’a toujours pas repris chez les Diables.

Lorsque nous le rencontrons, quelques heures après que le sélectionneur fédéral a dévoilé sa liste pour les matches amicaux face au Mexique et au Japon, Praet balance entre acceptation et résignation. Sa seule cap remonte déjà à la mi-décembre 2014, à l’époque de Marc Wilmots.  » Il y a quelques minutes, j’étais fâché mais je retombe vite « , dit le Louvaniste.  » Ce qui ne veut pas dire que j’oublie…  »

Scotch, son chien, l’aide à avaler la pilule. Nous sommes dans un minipalazzo avec vue sur la Mer de Ligurie et le soleil qui brille dans le ciel bleu azur permet également de prendre les choses avec davantage de recul.

Cette énième non-sélection te fait mal ?

DENNIS PRAET : On peut dire que c’est une grosse déception. Je livre une bonne saison, la Sampdoria est sixième et devance des équipes comme la Fiorentina, l’AC Milan ou Torino. En plus, quelques Diables Rouges sont blessés. J’espérais donc être appelé. C’était maintenant ou jamais. Ces deux matches amicaux constituent pratiquement les dernières occasions pour le sélectionneur de procéder à des essais. Pour celui qui n’est pas repris maintenant, la Coupe du Monde s’éloigne.

Tu avais reçu des signaux annonçant une éventuelle sélection ?

PRAET : Pas vraiment. Au début de la saison dernière, le sélectionneur est venu me voir. Du moins, c’est ce que j’ai lu car je ne l’ai pas rencontré personnellement. Que je sache, cette saison, il n’est pas venu. C’est dommage. Je suppose qu’il me suit de loin.

Il y a peu, Martinez a déclaré à Sport/Foot Magazine que tu avais évolué par rapport à la saison dernière et qu’il devait en tenir compte.

PRAET : Alors j’attends la suite. OK, dans l’entrejeu, Martinez a l’embarras du choix. La concurrence à mon poste est très forte. Mais tout de même : quand on joue dans un club bien classé en championnat d’Italie et qu’on fait partie des meilleurs chaque semaine, on doit entrer en ligne de compte pour l’équipe nationale. Soit, je suis déjà content qu’il se soit exprimé en termes positifs à mon égard.

 » Il y a dix ans, un joueur d’un bon club italien aurait toujours été sélectionné  »

Tu te poses des questions au sujet de joueurs qui jouent moins que toi cette saison mais sont tout de même sélectionnés ?

PRAET : Il ne m’appartient pas de faire des commentaires à ce sujet. Seule ma situation personnelle m’intéresse.

Ne devrais-tu pas être plus virulent, comme Radja Nainggolan ?

PRAET : À quoi ça sert de réclamer une sélection via la presse ? Chacun a le droit de savoir que je suis déçu mais je ne veux pas forcer ma sélection par l’intermédiaire des médias. Ma situation est d’ailleurs différente de celle de Radja, pour qui d’autres éléments entrent en ligne de compte. Et pour moi, Radja a incontestablement sa place dans le noyau de l’équipe nationale.

Ton père a dit en rigolant que si tu n’étais pas repris, tu devrais songer à te faire naturaliser italien. C’était une blague mais ça voulait dire que beaucoup de grands pays européens seraient heureux de te compter parmi leurs rangs.

PRAET : Sans doute mais je ne pense pas à jouer pour un autre pays. Je suis fier d’être belge. J’ai juste la malchance de faire partie d’une génération de joueurs qui évoluent pratiquement tous dans de grands clubs étrangers. Oui, parfois, je râle. Il y a dix ans, un joueur d’un bon club italien aurait toujours été sélectionné.

La Serie A est-elle toujours sous-estimée et est-ce pour ça qu’on ne parle pas suffisamment de tes prestations ?

PRAET : Je ne sais pas comment le sélectionneur considère la Serie A mais c’est l’un des trois meilleurs championnats d’Europe. Ici, on ne se promène pas sur le terrain et de nombreux Belges ont eu l’occasion de le constater par le passé. Au départ, j’ai eu des difficultés à m’imposer, moi aussi. Pour la première fois de ma carrière, je n’étais pas titulaire indiscutable. Finalement, j’ai tout de même disputé 33 matches, ce qui est bien. Je sais que je n’ai pas livré une super-saison mais pas une mauvaise non plus. Il y a des joueurs qui se sont moins bien débrouillés pour leur première saison en Italie. C’est pourquoi je n’ai jamais déprimé.

Ton père n’avait donc pas besoin de te remonter le moral chaque jour au téléphone ?

PRAET : Je n’avais pas besoin de lui téléphoner car il était ici (il rit). C’est sûr que le contraste avec Anderlecht m’a fait peur. Je me suis parfois demandé si j’étais fait pour la Serie A. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux. Je sais ce que le coach attend de moi, je touche davantage de ballons, je prends plus d’initiatives et je suis plus important pour l’équipe.

 » Devancer l’AC Milan serait déjà énorme  »

Mais tu n’es plus le Dennis Praet d’Anderlecht.

PRAET : Un autre système, une autre philosophie et un autre entraîneur exigent une autre façon de jouer.

Tes statistiques sont tout de même moins bonnes qu’à Anderlecht. En 46 matches, tu as inscrit un but et délivré trois assists. Ça doit faire mal ?

PRAET : (il approuve de la tête) À Anderlecht, je marquais huit ou neuf buts et je délivrais une dizaine d’assists par an. Je n’arriverai pas à dix buts cette saison, c’est une certitude. Cinq buts et cinq assists, ce serait déjà très bien. Je joue dans une équipe qui marque moins, le championnat est beaucoup plus fort et, à mon poste de mezzala (relayeur, ndlr), j’arrive moins souvent en position de but. En fait, je dois l’accepter. La saison dernière, je voulais à tout prix jouer en 10. Maintenant, je ne dois plus parler de ça au coach : il ne m’enlèvera pas de là. Il attend de ses mezzalas qu’ils défendent mais aussi qu’ils apportent quelque chose offensivement, qu’ils soient créatifs. Il faut se dire qu’on fait environ 50 % de travail défensif et 50 % de travail offensif. À moi de bien choisir les moments où je m’infiltre. Dans un championnat aussi intense que la Serie A, on ne peut pas faire des aller-retours pendant 90 minutes.

Et à l’entraînement, tu marques ?

PRAET : À la Sampdoria, on ne travaille pas la finition comme on le faisait en Belgique avec des passes, des décalages et des tirs. On tire au but mais c’est toujours en combinaison avec des exercices de ligne de course dans un système déterminé. Encore heureux que je marque régulièrement lors des petits matches, je n’ai pas vraiment perdu mes qualités de finisseur.

La Sampdoria est sixième, ce qui est inespéré. Quelles sont tes ambitions ?

PRAET : C’est vrai que, jusqu’à maintenant, on joue mieux que prévu. Je pense que notre valeur réelle se situe aux environs de la dixième place. Sixième, c’est donc très bien. Peut-être qu’on sera européen. Ce sera difficile de dépasser la Roma, l’Inter, la Juventus, Naples et la Lazio mais je pense que terminer devant l’AC Milan (qui a beaucoup transféré cet été) et la Fiorentina, ce serait déjà énorme. Surtout avec une jeune équipe sans noms ronflants. Le seul joueur connu, c’est Fabio Quagliarella, un attaquant qui a déjà beaucoup bourlingué en Italie. Il y a aussi Lucas Torreira et Duvan Zapata, achetés à Naples. Ils ne sont pas encore connus à l’étranger mais ça ne saurait tarder. Les gens qui voient jouer la Sampdoria disent spontanément que c’est une belle équipe. En attendant, on a déjà battu un record : celui du nombre de victoires consécutives à domicile. Pour la première fois dans l’histoire du club, on a gagné les cinq premiers matches à la maison.

 » La Juve n’est plus invincible  »

Les statistiques démontrent cependant qu’en matière de tirs au but, de centres et de kilomètres parcourus, la Sampdoria ne fait pas partie du top 10 en Italie. Comment décrirais-tu le football pratiqué par ton équipe ?

PRAET : Le manque de centres est facile à expliquer : on n’a pas d’ailier… Notre coach, Marco Giampaolo, a des principes clairs : on doit produire un football soigné mais direct, en passant par l’axe. Les deux défenseurs centraux doivent construire le jeu et les trois médians centraux doivent soutenir. C’est ainsi qu’on essaye d’échapper au pressing et de remonter le terrain. Une attaque-type, ce serait : le défenseur central donne au mezzala, qui passe le ballon au médian défensif ; celui-ci donne au numéro dix et le ballon passe ensuite au mezzala puis à l’attaquant. Le schéma est toujours le même : une passe en avant, une passe en arrière, une passe en avant. On ne peut pas changer d’aile. Le seul ballon aérien autorisé, c’est celui adressé à l’attaquant. Le coach nous demande toujours de presser haut, même contre la Juve, l’Inter ou Naples. On doit aussi presser le gardien. On ne se replie jamais dans notre moitié de terrain. Ça comporte des risques car si on se met à presser trop tard, il y a des trous. Il faut donc toujours être concentré.

La question que toute l’Italie se pose, c’est de savoir s’il y moyen de battre la Juventus cette saison.

PRAET : Je pense que oui. Elle vient de remporter six titres titres d’affilée et a sans doute un peu perdu la rage de vaincre. On voit des signes de laxisme. Naples et l’Inter, qui a maintenant un grand coach avec Luciano Spalletti, peuvent en profiter. Le titre va se jouer entre ces trois-là. La Lazio, c’est un peu court pour le top 3.

Après un an et demi passé en Italie, tu apprécies la Serie A ?

PRAET : Je n’ai jamais beaucoup regardé le football mais j’aime la Serie A. Chaque équipe a un système de jeu fixe, facilement reconnaissable. C’est ça qui manque en Belgique, selon moi. Les clubs belges jouent beaucoup à l’instinct, en se disant que ça va finir par passer. Ce n’est pas un hasard si les clubs italiens brillent à nouveau sur la scène européenne. Même l’Atalanta est en tête de sa poule en Europa League alors qu’elle n’occupe que la dixième place en championnat. Naples, qui est pourtant l’équipe qui joue le mieux au football en Europe avec Manchester City, est la seule qui obtienne de moins bons résultats.

Il ne reste plus qu’à s’attaquer aux infrastructures. Comme en Belgique, de nombreux stades sont désuets.

PRAET : San Siro et le stade olympique de Rome sont vieux mais l’ambiance y est terrible et c’est gai d’y jouer. En Belgique, les stades sont vieux et les vestiaires sont tellement petits qu’on n’arrive pas à se changer tous en même temps mais en fait, le confort du vestiaire, je m’en fiche un peu. Du moment que j’ai une chaise.

 » Si je n’avais pas été footballeur, j’aurais sans doute fait des études d’architecture d’intérieur  »

Tu es professionnel depuis l’âge de 17 ans et tu as déjà disputé plus de 200 matches au plus haut niveau. Tu n’en as pas marre, parfois ?

PRAET : Je ne me suis jamais levé en me disant que je devrais faire autre chose. J’ai toujours voulu être pro, depuis tout petit. C’est pour ça que je suis parti à Genk alors que je n’avais que neuf ans. Jusqu’à 16 ans, un minibus m’amenait à l’école. Pendant longtemps, j’ai dû partir de chez moi à sept heures du matin pour ne rentrer qu’à 21h30. Le secret, c’est de pouvoir relativiser, sans quoi on ne tient pas longtemps. Je lis peu de journaux -mon père, par contre, lit tout- mais je ne suis pas non plus imperméable à ce qu’on écrit sur moi sur les réseaux sociaux.

Tu as un diplôme de l’enseignement secondaire, ta propre marque de vêtements et tu regardes peu la télévision. On peut dire que tu es un joueur atypique ?

PRAET : (il grimace) Vous voulez me faire dire que je suis plus malin que les autres ? C’est vrai que beaucoup de joueurs n’ont pas de diplôme parce qu’ils ont quitté l’école très tôt mais c’est un choix courageux, il n’y a rien de mal à ça. Celui qui perce au football a du mérite également.

Je pense aussi que tu ne joues pas beaucoup à FIFA.

PRAET : De ce point de vue, je ne suis peut-être pas un joueur comme les autres. Je préfère Counter-Strike, un jeu de tir. C’est un peu tactique. Quand on part au vert, à l’hôtel, on fait une équipe de cinq et on choisit au hasard un adversaire pour nous affronter. Ils ne savent pas qu’ils affrontent des joueurs. Heureusement, d’ailleurs, parc qu’on s’insulte pas mal au cours de ce jeu.

Manifestement, tu préfères occuper ton temps libre à lire des revues d’architecture.

PRAET : Si je n’avais pas été footballeur, j’aurais sans doute fait des études d’architecture d’intérieur. Quand je vais quelque part, je me surprends toujours à observer l’intérieur des maisons. En Italie, je suis un peu déçu : il n’y a pas de maisons modernes. Les habitations ont l’air vieilles, de l’intérieur comme de l’extérieur. Contrairement à l’Espagne, où on construit de belles villas blanches, l’Italie ne perd rien de son authenticité. Un intérieur scandinave, par exemple, n’irait pas du tout avec ma maison. On doit choisir son intérieur en fonction du style de la maison.

PAR ALAIN ELIASY À GÊNES – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » C’est sûr que le contraste avec Anderlecht m’a fait peur. Je me suis parfois demandé si j’étais fait pour la Serie A.  » – Dennis Praet

 » En Serie A, chaque équipe a un système de jeu fixe, facilement reconnaissable. C’est ça qui manque en Belgique, selon moi. Les clubs belges jouent beaucoup à l’instinct.  » – Dennis Praet

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