« Je suis cramé. Physiquement et mentalement »

La saison du Club vue par le nouveau boss de son entrejeu.

Vadis Odjidja Ofoe (20 ans) nous met chaque samedi soir l’eau à la bouche quand il préface Studio 1 sur la RTBF : il fait la pub de la Jupiler Pro League dans une mini-interview arrangée pendant qu’un supporter montre derrière lui un petit panneau FC Jupille cherche gardien. Ce montage le fait chaque fois marrer :  » On m’avait demandé de faire ça après un match et je n’avais pas réfléchi. Sur le coup, je ne me suis même pas rendu compte de ce que je racontais. Et je pensais que ça ne passerait qu’une seule fois à la télé. Pour la Flandre, c’est Stijn Stijnen qui s’y est collé. C’est marrant. Et je considère que c’est un honneur d’avoir été choisi pour une campagne qui dure depuis le début de la saison.  »

Comme si Jupiler avait prédit dès l’été que Vadis allait être une attraction du championnat. Finalement, c’était un risque. Son bilan avant d’entamer cette saison : seulement 19 matches en D1 belge (et deux en Allemagne) alors que ses débuts pros à Anderlecht remontent quand même à…2005.

Anderlecht, le Club Bruges, la D1 et plein d’autres choses : il fait le point à la sortie d’un entraînement en petit comité. Un jour où la crème du noyau n’est pas en Flandre : Karel Geraerts et Wesley Sonck sont avec les Diables Rouges ; Michael Klukowski, Joseph Akpala, Antolin Alcaraz, Ivan Perisic et Nabil Dirar ont pris l’avion pour rejoindre leur sélection. Vadis aurait aussi dû être absent, mais une carte rouge prise contre la France a été synonyme de suspension pour le match des Espoirs face à l’Ukraine, vendredi dernier.

C’est une semaine spéciale quand il manque autant de monde à l’entraînement ?

Vadis Odjidja Ofoe : Oui, c’est moins passionnant mais ça n’a pas que des inconvénients. Avoir une semaine sans match, ça fait du bien aussi. On rigole beaucoup parce qu’il n’y a aucune pression, on prend enfin un peu de temps pour soi, et surtout, on récupère. Parce que là, je suis vraiment cramé. Physiquement et mentalement. Je n’avais jamais été habitué à jouer tous les trois jours. Avec Bruges, il y a le championnat et l’Europa League. Et quand rien n’était prévu avec mon club, je partais avec les Espoirs. Parfois pour des déplacements fatigants, dans des pays pas toujours très modernes comme l’Ukraine. En plus, je suis dans des équipes où la pression est forte. Il faut tout gagner. Je ne joue plus que des sommets. Ce n’est pas comme le footballeur à qui on dit : -Fais ton match, on verra bien. Cela demande énormément d’énergie physique et mentale.

Un footballeur technique comme toi doit apprécier de faire partie d’une équipe qui joue au foot !

Tout à fait. C’est très agréable de jouer au Club cette saison. On va vers l’avant, on joue toujours au ballon, on le garde beaucoup au sol. Les longues balles, ce n’est plus pour nous. Donc, tout le monde se sent concerné, fait des appels et il y a plein de possibilités. Chaque joueur prend du plaisir et ça se voit. Et comme toutes les actions doivent maintenant passer par le milieu de terrain, je suis fort impliqué. A Bruges, désormais, c’est d’abord l’entrejeu qui gagne ou qui perd les matches. S’il est performant, le Club a déjà au moins 50 % de chances de prendre les trois points.

Ce jeu construit doit te rappeler tes années chez les jeunes d’Anderlecht ?

Oui, c’est un peu pareil. Et on sent d’ailleurs dans notre jeu qu’il y a beaucoup de jeunes dans l’équipe. Des gars qui en veulent, qui savent qu’ils ont encore plein de choses à apprendre mais gèrent bien les événements. Adrie Koster sait qu’il y a des risques quand la moyenne d’âge est basse mais il veille chaque jour à ce que personne ne se laisse aller, à ce qu’aucun jeune ne s’emballe si ça va bien. Il est conscient que nous manquons encore d’expérience dans certaines situations. Il a longtemps travaillé avec des jeunes aux Pays-Bas et il en fait profiter le Club. Il a compris que les espoirs belges étaient l’avenir de notre football, il voit que nos clubs doivent arrêter de rêver de gros renforts étrangers. Pour s’en sortir, il faudra plus que jamais chercher des solutions dans ses propres rangs.

 » La claque prise au Standard restera sans conséquences « 

Le Standard vient de vous balayer : simplement parce qu’il est plus fort que le Club ?

Il a mérité de gagner. Je ne veux pas enlever aux Liégeois la gloire de leur victoire. On a très mal commencé le match : Bruges est monté sur le terrain avec 20 minutes de retard. Contre une équipe du top, tu sais ce que ça peut avoir comme conséquences. Surtout contre des gars qui prouvent qu’ils sont toujours là dans les gros matches. Contre Bruges ou Anderlecht, le Standard répond systématiquement présent. Mais ce n’est pas toujours le cas contre les petits, alors que nous gérons bien ces matches. C’est ce qui nous permet de jouer la tête.

Le Standard est à nouveau le premier favori pour le titre ?

C’est difficile à dire aussi tôt dans la saison. Ce qui fera la différence, c’est le niveau de forme de chacun pendant les playoffs. C’est anormal, mais bon, c’est comme ça.

C’est-à-dire ?

On a voulu un championnat à 16 équipes ? OK, pas de problème pour moi. Mais qu’on reste logique : il y a 16 clubs, tu joues 30 matches et celui qui a le plus de points après ça doit être champion, point barre. Mais non, on va faire un nouveau championnat, il n’y a rien de logique. On veut faire progresser le football belge mais on prend une formule qui a échoué ailleurs. C’est n’importe quoi.

Avec Jacky Mathijssen, le Club était en tête en décembre, il a pris une grosse gifle contre le Standard et il ne s’en est jamais remis. Vous ne risquez pas de connaître le même phénomène dans les prochaines semaines ?

Je n’étais pas encore à Bruges à ce moment-là mais on m’a parlé de ces histoires. Si j’ai bien compris, le Club était alors en tête mais il avait pris plein de points à l’arraché, dans les dernières minutes. Son football n’était pas terrible. Cette saison, c’est très différent. On a un système et chaque joueur sait ce que le coach attend de lui. Ce n’est pas parce qu’on a perdu à Liège que nos espoirs s’envolent et qu’on va faire n’importe quoi. Nos certitudes sont toujours là. Evidemment, c’était une claque. La même que contre Donetsk. On en prendrait encore une si nous ne passions pas en Europa League, mais le groupe serait capable de s’en remettre très vite.

Quand des Brugeois critiquent aujourd’hui Mathijssen, ça t’énerve. Explique.

C’est facile de démolir un type qui n’est plus là. Il faut enlever ses £illères : si le Club dispute aujourd’hui l’Europa League, c’est grâce à Mathijssen. Quand je suis arrivé en janvier, ça allait mal et il a dit que le plus haut objectif possible, c’était la troisième place : on l’a décrochée. Ce n’était pas possible de faire mieux.

 » Quand je suis au bord du dérapage, Bruges me donne congé « 

Tu as attaqué Frank De Bleeckere le dimanche après le match et tu t’es excusé publiquement le lundi. C’était dicté par le Club ? Par ton entourage ?

Par personne. J’ai fait une erreur, je ne pouvais pas réagir comme je l’ai fait, et je l’ai vite compris, quand la pression du match est retombée. Je me trompe parfois sur le terrain, n’importe quel arbitre a aussi le droit de le faire.

Tu l’as contacté personnellement pour t’excuser ?

Non, je n’ai pas son numéro. Je pourrais peut-être le demander à Jovanovic ? (Il rigole).

Tu as prouvé que même un joueur très calme pouvait péter les plombs après une défaite !

Oui, et ça m’est déjà arrivé souvent. Je m’énerve vite parce que je ne supporte pas la défaite. Mais pour moi, c’est autant une qualité qu’un défaut. Je sais que le risque de dérapage est là à tout moment. A Bruges, on le voit. On m’a déjà donné des jours de congé quand j’étais sur le point de craquer mentalement. Je faisais n’importe quoi à l’entraînement. La corde ne peut pas toujours être tendue. Mon père aussi, il voit quand ça ne va pas. Et il ne veut pas que je me laisse aveugler quand ça tourne bien. Dès qu’un journal m’encense parce que j’ai fait un bon match, il me fait visionner les images pour que j’aie le nez sur les actions que j’ai ratées. Dans ma tête, le discours de mon père a beaucoup plus de poids que les articles des journaux.

En attendant, Standard-Bruges est encore un match au sommet qui s’est terminé en bagarre : on commence à avoir l’habitude !

Non, ce n’est pas systématique. Quand Bruges a affronté Anderlecht, tout s’est bien passé. Je n’ai plus trop envie de revenir sur le match au Standard mais il faut que l’Union belge soit correcte et cohérente. A partir du moment où elle punit Nabil Dirar pour un crachat en se basant sur les images, il est normal qu’elle sanctionne des gars qui ont donné des coups de poing à des adversaires. Au Standard, j’ai vu quelques boxeurs sur le terrain.

Tu sais mettre le pied aussi…

C’est l’héritage des matches que j’ai joués avec la Réserve de Hambourg, en D3. Dans ce championnat-là, si tu ne mets pas le pied, on te casse la jambe. Tu affrontes des gars de 30 ans qui n’ont plus rien à perdre. Si tu ne te fais pas respecter, tu risques de prendre un coup synonyme de fin de carrière. Tout ça sur un terrain pourri : ce serait dommage ! J’arrivais d’Anderlecht où je n’avais connu que du football champagne chez les jeunes, un jeu en deux touches de balle maximum, des matches où chacun faisait son petit numéro dès qu’on avait trois ou quatre buts d’avance. Je n’avais jamais défendu de ma vie.

En fait, tu as eu une formation trop facile ?

Anderlecht était meilleur que tout le monde. Avant le début du championnat, on cherchait déjà une date pour fêter le titre.

Tu n’as pas eu des craintes quand tu as appris qu’un Hollandais allait venir entraîner Bruges ? A Hambourg, tu avais travaillé avec Huub Stevens et Martin Jol : ça ne s’était pas trop bien passé !

On ne peut pas mettre tous les Hollandais dans le même sac. Dans toutes les nationalités, dans toutes les races, il y a des bons et des mauvais… En Allemagne, j’ai d’abord eu Stevens : je n’ai eu aucun problème avec lui. Mais j’avais 18 ans, je débarquais en Bundesliga, l’équipe ne gagnait pas beaucoup et je ne pouvais pas m’attendre à jouer beaucoup. Stevens jouait sa peau et ce n’était pas en lançant un gamin comme moi qu’il allait tout résoudre. Avec Jol, c’était autre chose : il a transféré trois médians qui coûtaient chacun près de 10 millions. Dès ce moment-là, j’ai compris. Tu ne laisses pas une fortune pareille sur le banc. Mais ma relation avec Jol n’a jamais été mauvaise et j’ai beaucoup appris à Hambourg.

Tu n’as pas été surpris que Koster maîtrise aussi vite le championnat de Belgique ?

Il prouve qu’il ne faut pas nécessairement connaître un championnat pour s’y imposer. Quand on cerne bien son équipe, ça peut suffire. Il a débarqué avec ses certitudes : le groupe a du talent, l’équipe est souvent plus forte que l’adversaire et doit viser les trois points dans chaque match. Il ne change jamais son système : l’équipe du top, c’est le Club, et c’est l’adversaire qui doit s’adapter à nous. Et il marche au culot, comme beaucoup de Hollandais. De nombreux entraîneurs belges n’en ont pas assez. Quand il envoie Dirar et Dahmane dans la tribune pour raisons disciplinaires alors qu’il lui manque plein d’attaquants, il montre qui est le seul patron. Et il fait un exemple pour tout le monde. C’est dommage pour eux mais c’est bon pour le groupe. S’il laisse passer les écarts, la moitié du noyau brosse l’entraînement du lendemain.

Le Hollandais type est gueulard et très sûr de lui : Koster est fait comme ça ?

Tout à fait. Il dit ce qu’il pense, sans trop penser aux sentiments du joueur qu’il a en face de lui : -Le problème est là et c’est comme ça que tu vas le résoudre.

 » Je pense à Bruges et aux Espoirs, pas du tout aux Diables « 

Pour toi, le Club a quel pourcentage de chances de sortir des poules de l’Europa League ?

C’est difficile à dire mais c’est bien parti. Notre calendrier est assez favorable. Notre prochain match, début décembre, c’est à Donetsk, qui est déjà qualifié. Il y aura peut-être moyen de prendre quelque chose là-bas. Tout en sachant que ce club a un noyau énorme, qu’il peut aligner 11 inconnus qui sont bourrés de qualités. Après cela, nous terminerons à domicile contre Toulouse : on a fait un très bon match chez eux et on peut les battre ici. Rien n’est fait, il faudra beaucoup bosser mais on droit croire en nos chances.

Donetsk était venu vous ridiculiser à Bruges : ça vous a surpris ?

Non. On savait que c’était un tout gros morceau. Mais on a montré beaucoup trop de respect. Et c’était le premier match européen pour certains joueurs : cela s’est vu. Mais personne n’est sorti abattu de cette soirée. On n’avait pas mal joué, on avait eu un paquet d’occasions et j’avais raté un penalty. Tout cela contre les tenants du titre.

Tu fais tourner Bruges sans faire partie des plans de Dick Advocaat et tu trouves ça normal ?

Tout à fait. Je joue à Bruges, j’ai des concurrents qui sont à Arsenal, à Manchester City, à l’Ajax, à Everton, etc. A la place du coach, mon choix est vite fait.

Tu n’es pas impatient ?

Je n’ai que 20 ans. Pour le moment, je préfère me concentrer à fond sur le Club et sur les Espoirs. Je suis contre les sélections de gars qui ont juste joué dix bons matches en championnat. En Allemagne, il y a des joueurs qui cartonnent avec Hambourg ou Brême mais qu’on laisse mûrir en Espoirs. On ne parle même pas d’eux en équipe A. Chaque chose en son temps.

par pierre danvoye – photos: belga

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