JE SUIS CHARLY

C’est l’histoire d’un môme tellement sûr de son talent qu’il bosse déjà avec l’un des meilleurs entraîneurs du monde et est passé dans l’écurie du plus grand agent de la planète.

Diego Maradona l’a fait à la fin des années 80, lacets dénoués, à l’échauffement, en finale de la Coupe de l’UEFA 1989. Jongler avec une facilité qui rend malade. Il l’a refait dans l’un ou l’autre studio télé parfois avec une balle de ping-pong, d’autres fois avec une mandarine. Charly Musonda Junior fait une variante. C’est avec une chaussette roulée en boule qu’il s’amuse à jongler, dans un vestiaire de Chelsea. A voir sur youtube, taper  » Charly Musonda sock « . Sidérant. Pied gauche, droit, genoux, la totale. Il avait à peine l’âge de la première communion quand Johan Boskamp avait lancé :  » Ce gosse, c’est un mix de Xavi et Iniesta.  » Carrément.

Et maintenant, à 18 ans, il fait quoi ? Jouer avec les Espoirs de Johan Walem, ça c’est fait. Débuter en équipe Première de Chelsea, on prévoit à Londres que c’est pour la saison prochaine. Mais bon, il affole déjà les Anglais. Et pas que les Anglais. Mbo Mpenza, qui se souvient du père Charly à Anderlecht, ose :  » Le fils est trois fois plus fort.  » Et chez les Mauves, on a toujours un noeud dans le bas du ventre quand on repense à son départ vers l’Angleterre. Parce qu’il était considéré comme (peut-être) le plus grand jeune talent de l’histoire du club.  » C’est notre petit diamant « , avait dit Herman Van Holsbeeck quand Charly approchait des 16 ans, de l’âge où il était censé signer son premier contrat, évidemment à Anderlecht. Quand Chelsea est venu l’arracher, le même HVH a lâché :  » J’ai perdu toutes mes illusions.  » Et Roger Vanden Stock a évoqué  » une des plus grandes déceptions de ma carrière « .

Gamin, il nargue la foule

Schaerbeek, on est en 2004 ou 2005. European Crossing Cup, un tournoi international où on trouve, toujours aujourd’hui, les meilleures équipes belges et aussi des grands d’Europe. Marseille, Lyon, PSG, Barcelone, Milan, Feynoord, Everton,… Dix ans plus tard, des spectateurs qui ont assisté à cette scène surréaliste avec Charly Musonda dans le rôle principal sont toujours bluffés. Mohamed Ouahbi, l’actuel coach des U21 mauves, était à l’époque l’entraîneur du surdoué. Il va le diriger durant trois saisons au total, des U9 aux U11. Il revient sur cette fameuse journée schaerbeekoise.  » Ce sont des matches à 5 contre 5. On est en quarts de finale et il y a des très grands noms dans les équipes inscrites. Et un monde fou autour des terrains. On joue contre une sélection locale, et forcément, ce n’est pas Anderlecht que les gens encouragent ! Ils font énormément de bruit, l’ambiance est même tendue. Je vois mes gamins qui sont très mal à l’aise. Il y en a qui ont subitement des maux de ventre, carrément des nausées. C’est à ce moment-là que Charly Musonda nous fait un truc de dingue. Il a le ballon, il traverse le terrain en dribblant toute l’équipe d’en face, il termine par une pichenette qui arrive dans le but, puis il fait le tour du terrain avec le doigt sur la bouche, avec ce message au public qui essayait de nous faire perdre nos moyens : -Maintenant, taisez-vous.  »

Il y a cette autre anecdote, toujours en jeunes d’Anderlecht. Haut comme trois pommes, Musonda Jr s’empare du marqueur et écrit sur le tableau blanc du vestiaire la tactique qu’il va falloir appliquer.  » Il ne l’a jamais fait avec moi « , dit Mohamed Ouahbi.  » Mais si je lui avais donné le marqueur ou la craie, je devine ce qu’il aurait écrit : -Mus prend le ballon, Mus dribble, Mus dribble encore, Mus marque.  » Cet art du dribbling est la première chose qui vient à l’esprit de tous ceux qui l’ont côtoyé.  » Il a tellement de talent et de créativité que c’est le genre de joueur auquel on laisse d’office plus de liberté qu’à d’autres « , dit encore Ouahbi.  » Déjà avant 10 ans, il savait sortir assez facilement d’un marquage individuel et trouver une solution.  »

Timothy Castagne, défenseur de Genk, a côtoyé Charly Musonda en sélection U19 et ils ont fait leurs débuts ensemble chez les Espoirs, en fin d’année dernière.  » Evidemment, c’est surtout sa technique qui est impressionnante « , dit-il.  » Lui prendre le ballon, c’est impossible. A l’entraînement, il passe entre tout le monde. Il est aussi très vif, super rapide. Donc, pour un défenseur, c’est très compliqué. Si tu te jettes dessus, tu es foutu parce qu’il trouve une astuce pour partir. Si tu attends, tu risques aussi de te griller… Donc, il faut essayer de trouver le juste milieu. Par exemple temporiser en espérant qu’un coéquipier va arriver pour te donner un coup de main. A deux contre un, normalement, on est quand même un peu plus fort ! Je ne l’ai jamais vu avoir un souci avec le pressing d’un adversaire. C’est bien simple, je n’avais jamais côtoyé un joueur avec autant de talent. Chaque fois qu’il demande le ballon, c’est pour aller vers l’avant et être dangereux.  »

Coup du sombrero, double roulette, c’est dans le sac

Et donc, Charly Musonda est tellement sûr de son talent qu’il paraît aussi certain que sa carrière sera grandiose. Prenez ses ambitions d’équipe nationale…  » Eden Hazard et moi, on a le même style. On est souvent ensemble quand je m’entraîne avec les pros de Chelsea, il est impatient qu’on se retrouve chez les Diables Rouges. Je sais qu’il y a beaucoup de concurrence dans l’entrejeu offensif, mais c’est aussi le cas à Chelsea. Si je m’impose dans mon club, je dois pouvoir me faire une place en équipe nationale.  » Et José Mourinho dans l’histoire ?  » C’est exceptionnel qu’un joueur de 18 ans du noyau Espoir puisse s’entraîner avec le groupe pro « , a dit Musonda.  » Oui, je crois que Mourinho croit en moi.  »

 » Je dirais qu’il est sûr de lui comme il est sûr de son talent et de ses qualités techniques « , résume son ex-coach à Anderlecht.  » Il est toujours persuadé que, quelle que soit la difficulté, il finira par s’en sortir. Déjà à 10 ans, il n’avait peur de rien et de personne. Et il n’a pas attendu de grandir pour avoir un avis sur beaucoup de choses. Mais je n’ai jamais perçu son comportement comme de l’arrogance. Simplement, il savait ce qu’il voulait.  »

 » Ce n’est pas un gars qui s’y croit « , dit Timothy Castagne.  » On a déjà partagé la même chambre en sélection, donc on a l’occasion de parler pendant des heures. Ça l’amuse un peu que tout le monde lui pose plein de questions sur Chelsea depuis qu’on a appris qu’il s’entraînait plusieurs fois par semaine avec les stars mondiales de cette équipe. Pour lui, ça ne semble même pas exceptionnel, comme si ce n’était qu’une étape logique dans sa progression.  »

Mohamed Ouahbi se souvient de phases précises du petit Musonda.  » Il pouvait se sortir d’une situation compliquée en faisant le coup du sombrero. Il a fait des trucs fous dans plusieurs tournois à l’étranger. Des U9 aux U11, quand je l’entraînais, il était presque systématiquement élu meilleur joueur. Après, ça a continué. Je me souviens par exemple d’un tournoi très relevé en France, ça devait être en U16 ou U17. Anderlecht avait envoyé une équipe composée presque exclusivement de joueurs surclassés, des gars qui affrontaient des joueurs d’un an de plus. Là-bas, on a ramé, on n’a terminé qu’à la septième ou huitième place. Mais Musonda a fini meilleur joueur. Alors que ce prix va presque toujours à un joueur de l’équipe qui gagne la finale. Plus d’une fois, c’est dans le premier match qu’il a marqué assez de points pour remporter le trophée de meilleur joueur. Il commençait fort, par exemple une double roulette sur son premier ballon, et c’était dans le sac. Dans toutes les catégories d’âge, il a assuré le spectacle. J’ai aussi entraîné Adnan Januzaj et Youri Tielemans, et Charly Musonda a encore plus de talent naturel que ces deux-là.  »

 » Il voudrait être à la place de Tielemans et Dendoncker  »

Johan Walem, qui a joué à Anderlecht avec le père Musonda, fait le récapitulatif des principales qualités qu’il voit chez le fils :  » Clairvoyance, charisme, rapidité, excellente technique en mouvement, art de ne pas se compliquer la vie, positionnement intelligent de son corps qui lui permet de ne pas être handicapé par son gabarit frêle, faculté de faire basculer un match, comportement très pro.  » Oui mais… Est-ce suffisant pour garantir une carrière ?

 » Partir dans un club comme Chelsea à 16 ans à peine, c’était un choix particulier « , tranche Mohamed Ouahbi.  » Est-ce que c’était le bon choix ? On verra plus tard. S’il est titulaire avec Chelsea dans deux ans, on pourra dire que c’était une bonne décision. D’un autre côté, je suis sûr que quand il voit Youri Tielemans et Leander Dendoncker en Ligue des Champions avec Anderlecht, ça lui donne envie, il voudrait être à leur place. Je suis persuadé que ça le fait réfléchir.  »

Pour le coach des Espoirs, c’est maintenant que ça commence pour Musonda. Il dit que  » c’est un super joueur en devenir « , il ajoute qu’avec des qualités comme les siennes,  » il devrait réussir. Mais jusqu’ici, il a toujours joué contre des adversaires de son âge. Maintenant, il arrive dans le monde des adultes et c’est un cap que beaucoup de très bons joueurs n’arrivent pas à franchir. Il devra continuer à être concret et efficace contre des pros, contre des gars qui ont plein d’expérience. Le gros défi est là.  »

PAR PIERRE DANVOYE

 » Il arrive dans le monde des adultes et c’est un cap que beaucoup de très bons joueurs n’arrivent pas à franchir.  » Johan Walem, son coach en Espoirs

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