« Je suis amoureux de mon équipe »

Le coach des Zèbres prend la parole, évoque son job, son défi et sa passion pour son groupe.

Dante Brogno: « Même si ce n’est pas toujours facile, comme quand on reçoit la visite d’une équipe de la qualité de Lokeren, je vis cette aventure le pied au plancher, quasiment 24 h sur 24. Il le faut, je n’aime pas l’échec et je ne veux pas que ce club soit dans le malheur à la fin de la saison. Cela passe, d’après moi, par l’envie de se dépasser et le plaisir de jouer au football. Sans joie, on ne peut pas sortir la tête de l’eau. Il faut prendre conscience de la gravité de la situation quand cela va mal mais on ne peut pas en sortir en culpabilisant, en bétonnant, en oubliant ses qualités. Joueur, j’étais toujours porté vers l’offensive. J’ai la prétention d’être un entraîneur offensif. Organisé mais cherchant à marquer un but de plus que l’adversaire. A mon avis, à l’époque actuelle, on ne peut plus rester en D1 en ne vivant que devant son gardien de but. Il faut une base défensive, évidemment, mais si le reste ne suit pas, c’est vain. Quand on veut gagner, il faut attaquer. Pas n’importe comment mais quand on ne fait que défendre, on perd. Mon équipe est jeune et si je remets une couche au niveau de la pression, bonjour les dangers. Je leur parle sans cesse et nous avons développé deux systèmes: 4-5-1 en déplacement et 4-4-2 lors de nos matches à domicile. A Bruges, le 4-5-1 nous a permis d’étoffer l’entrejeu mais aussi d’avancer Eduardo et Grégory Dufer auprès de Boeka Lisasi quand c’était possible. En perte de balles, Edou et Greg se replient dans la ligne médiane. Le 4-4-2 peut et doit être aussi souple. Le temps est à l’urgence et, c’est vrai, trois défaites de rang ont hypothéqué, même ruiné, les fruits de l’exploit brugeois. Pourtant, même si la remarque est paradoxale, Charleroi a grandi mentalement lors de ces trois déconvenues avant le match contre Lokeren.

J’ai un héritage négatif à gérer, suite au mauvais début de saison, et la mission est compliquée: mieux jouer qu’avant alors que la peur de perdre avait paralysé tout le groupe. Plus personne n’entreprenait plus rien. La différence est énorme et Charleroi a toujours son mot à dire. Ce fut le cas contre Genk, le Standard, Anderlecht ou Bruges. Nous avons chaque fois eu des balles de différence mais elles ne furent concrétisées qu’à Bruges. Cette remarque signifie que l’équipe a du potentiel mais pas assez de vécu en D1. Notre absence de métier a rapporté gros à St-Trond, au Lierse et à Gand. Au Staaienveld, Charleroi se réveilla trop tard puis assuma le jeu durant 70 minutes. Le Lierse a profité d’une erreur du juge de touche chez nous. Gand a eu deux occasions, exploita la floche d’ Ibrahim Kargbo mais nous avons forcé une quinzaine de corners pour deux à Gand et percuté deux fois les bois. Qui a dominé le match? Charleroi. Mais Gand a gagné car ses vieux de la vieille ont endormi la rencontre, ce que nous ne savons pas faire. Quand les Zèbres sont menés à la marque, ils réagissent plus difficilement. S’ils mènent au score, tout semble plus léger sur le plan mental. Nous perdons souvent par un but d’écart car nous galopons derrière les événements. En D1, les autres se font un plaisir de profiter du moindre relâchement entre les lignes d’une équipe qui ne songe qu’à remonter son handicap. L’ambition de faire le jeu est réelle. Quand la maturité sera là, ce sera payant ».

Kargbo est un super joueur

« Et, quelque part, c’est rassurant pour le futur. Je préfère me sauver en ayant joué au football que de rester en D1 en bétonnant. Nous apprenons beaucoup, nous emmagasinons du métier. Depuis janvier, je suis amoureux de mon équipe. Je l’aime parce qu’elle s’évertue, même si c’est éprouvant dans l’adversité, à bien jouer au ballon. Il y a quelque chose qui bouge en biensur le terrain : le public l’a compris. Tout le monde veut progresser, eux, le staff technique, le club et moi. L’équipe reste calme et concentrée mais ce n’est pas facile car les échéances de fin de saison se rapprochent. Vu la qualité de notre jeu, et avec un peu de chance,nous aurions déjà dû dépasser Lommel au classement général. Ce n’est pas le cas et c’est stressant, même si je sais que nous y arriverons. Je cherche sans cesse des solutions sur le plan technique, tactique et mental. La tête, c’est important. Kargbo a été descendu dans la presse, spécialement par Georges Heylens, consultant de Sport-Foot Magazine, et je ne peux pas l’admettre. Contre Gand, il a commis sa première erreur depuis que je suis le coach des Zèbres. Pas question de lui faire porter le chapeau. Il restait beaucoup de temps de jeu pour redresser le tir.Nous n’avons pas su le faire: le problème résidait plus dans ce constat que dans l’erreur de Kargbo.

Avec un peu de chance, notre gardien n’aurait pas été aussi avancé et le lob gantois n’aurait pas abouti dans nos filets. Je n’accuse personne mais j’essaye d’expliquer que la notion d’erreur individuelle est très relative dans un sport collectif. Tout passe par l’unité de l’équipe: le positif et le négatif. Ibrahim est un super joueur et mon jugement n’a pas changé après sa bourde. C’est la vie, c’est le football. Il a été fautif sur une phase de jeu mais cela ne suffit pas pour dire que Kargbo nous a coûté 10 points. Combien n’en a-t-il pas rapporté par son engagement, sa rage et son désir de bien faire? C’est un joueur exemplaire, point à la ligne. Moi, je le vois pleurer de rage ou de joie, comme Laurent Macquet, dans le vestiaire après une défaite ou un succès. C’est prenant et cela signifie quelque chose. Il se bat, il se donne, il a de la classe à revendre. Lui et les autres cherchent sur les chemins du progrès. Kere a été montré du doigt. J’ai reparlé avec lui de son exclusion contre Gand. Il sera puni mais ce que je lui ai dit ne doit pas être révélé: c’est de la cuisine interne. Leur univers à tous, c’est la D1. Une chute un étage plus bas serait la fin d’un plan de carrière.

Les jeunes assument un rôle important chez nous. Je constate que c’est la même chose ailleurs, notamment au Standard ou à Anderlecht. C »est très bien. Dans nombre de cas, en Belgique, on leur fait confiance quand leur club est au pied du mur: plus d’argent, un classement catastrophique. Moi, je les ai lancés en D1 car ils étaient meilleurs que les titulaires. A 18 ans, ils ont abattu du boulot que les trentenaires n’avaient plus envie d’assumer. Un gamin qui se donne à 100% apporte plus, malgré des déchets, qu’un joueur embourgeoisé. Mes jeunes vont entrer bientôt en période d’examens. Je devrai en tenir compte. En Belgique, on est sauvé sportivement avec 30 points et mon ambition était d’y arriver le plus vite possible, sans m’intéresser à Lommel. Les avatars de ce club nous perturbenténormément: on en parle forcément dans le vestiaire. Les joueurs évoquent aussi la qualité de l’arbitrage. Attention, je n’irai pas jusqu’à dire que nous sommes souvent les dindons de la farce ».

Chassé comme un chien

« En France, on a du plaisir à regarder les arbitres. C’est clair. J’ai connu des arbitres de cette veine en Belgique: Costantin, Javaux, Goethals, etc. Bientôt, je serai interdit de zone neutre mais ce n’est pas grave. J’avais donné mon avis à Allaerts après le match contre le Lierse. Les joueurs avaient l’impression qu’on leur avait volé le pain de la bouche. Je lui ai dit ce qu’ils pensaient. J’ai même ajouté qu’ils avaient raison. Rideau, je n’en parle plus. Je signale cependant qu’Allaerts avait dirigé mon dernier match de joueur en D1, contre le Standard. Le public voulait m’ovationner, pour services rendus après tant d’années, mais l’arbitre m’a prié, du haut de sa grandeur, de déguerpir au plus vite. A mon avis, il ignorait que j’avais joué tant d’années dans ce club. De la main, il m’a chassé comme un chien dans le style: – Dégage le plus vite possible.Je ne sais pas si une telle scène se serait passée dans un grand club. Désolé, je n’accepte pas. Quand Frank Defays hésite avant une rentrée en touche à Bruges, c’est jaune tout de suite. Gand a au moins volé dix minutes de jeu chez nous: rien, pas de bristol pour cette forme d’antijeu. Nous résisterons à tout, Charleroi en sortira par la porte ou par la fenêtre.

Ces six mois, c’est de la folie pour moi. J’apprends beaucoup pour le moment mais c’est ma famille qui trinque: je ne suis guère à la maison, je dors peu. Mais j’aime ce métier même si je n’avais rien demandé au moment du départ d’ Etienne Delangre. Il y a longtemps que je suis marié avec le Sporting. Ma femme le sait. Il y a encore beaucoup de travail. Je suivrai les clubs de la prochaine session de la Pro Licence des coaches. J’ai ma méthode mais je m’inspire de mes anciens mentors, de ce que je vois régulièrement à Marseille, au Real Madrid, à la Juventus, à l’AC Milan, etc. J’observe les entraînements de ces clubs via la télé. OM Télé me permet de voir, quasiment au quotidien, comment s’entraînent Daniel Van Buyten et ses équipiers. Idem pour le Real Madrid, je suis abonné à tout, et je retiens des tas de trucs. Revenons en Belgique: Charleroi a plus d’atouts que quelques équipes qui nous précèdent. Maintenant, après le match contre Lokeren, que nous devons digérer, il faudra le prouver contre le GBA et Lommel: c’est vital. Face aux Waeslandiens, j’ai dû remanier toute ma défense au repos. Elle a tenu le coup. J’ai demandé que Grégory Dufer et Laurent Macquet reçoivent plus de balles dans les pieds. A 1-3, j’y croyais peu. Le retournement est mérité. On a gagné à Bruges et contre Lokeren, deux grosses cylindrées. Nous gardons un pied en D1. A présent, il faut y joindre le deuxième »..

Pierre Bilic

« J’ai la prétention d’être un entraîneur offensif »

« Il y a longtemps que je suis marié avec le Sporting: ma femme le sait… »

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