« Je sais me défendre »

Il parle de basket et de musique, mais surtout de lui-même.

Littéralement, Shaquille signifie petit soldat. Voire… O’Neal mesure 2,16m, pèse 143 kilos et chausse du 61.

Centre des Los Angeles Lakers, deux fois de suite champion de NBA, Shaq, âgé de 29 ans, voit sa carrière musicale bien partie aussi. Aux Etats-Unis, il a déjà écoulé plus de deux millions de CD. Mais, jusqu’à nouvel ordre, O’Neal saute mieux qu’il ne rappe.

Quelles sensations éprouvez-vous quand vous dunkez?

Shaquille O’Neal: Quand je suis pendu à l’anneau, je dispose de quelques secondes. Je vois mes jambes, l’étonnement et l’admiration du public, l’impuissance de mes adversaires. Chaque fois, j’essaie d’exploser l’anneau et le panneau. J’ai l’impression d’être un bûcheron. Mes adversaires tombent comme des arbres. Je veux anéantir leur ego, les empêcher de continuer à jouer.

Etes-vous déjà parvenu à faire voler en éclats le panneau?

Oui. C’est arrivé au New Jersey. J’y jouais avec Orlando. Le panneau s’est cassé, il y avait des éclats partout et le chrono m’est tombé sur la tête. La rencontre a été interrompue deux heures. Depuis, on utilise des systèmes hydrauliques et il est impossible de démolir les panneaux.

Et votre premier dunk.

J’étais assez âgé. 17 ans… Je mesurais 2,16 mètres et tout le monde se moquait de moi parce que je ne parvenais pas à sauter: j’avais une faiblesse au genou. Je l’ai travaillée, pendant des heures. Puis un jour, j’ai poussé une chaussette, une balle de volley puis une de basket dans l’anneau. Je me suis senti libéré.

Ça vous a valu le respect des gens.

Sûrement et les filles en raffolent. Smasher rend un homme fort, invincible. Et que faites-vous quand les filles apprécient quelque chose? Vous persévérez, vous continuez à développer cette arme, à peaufiner votre style. C’est ainsi que je suis devenu ce que je suis.

Le basket est un sport de grossièretés

Le respect et la dominance sont importants en basketball. Est-ce pour cela qu’on s’y exprime aussi grossièrement?

Naturellement, mais nul n’osera jamais me dire qu’il a b… ma soeur. Je n’entends plus de remarques déplacées sur ma mère non plus. Ce n’est pas dû au fait que j’ai dit quelque chose mais que j’ai marqué cinquante points. Un jour, Kareem Abdul-Jabbar, qui entraînait alors les LA Clippers, a déclaré que je ne serais jamais aussi bon que lui-même. Je lui ai répondu en marquant 61 points.

Ce qui n’empêche pas vos critiques de dire que votre jeu n’a qu’une dimension. Vous dunkez et vous bloquez les tirs de l’adversaire. Mais vous ne réussissez rien de plus loin, même pas des coups francs.

Sur l’ensemble de ma carrière, j’ai réalisé trois points à deux reprises… et je réussis la moitié de mes coups francs. Je le sais: 50% ce n’est pas bon, mais je marque toujours quand c’est nécessaire.

Vous vous êtes fracturé les mains, pendant votre enfance.

Oui. J’avais treize ans. Je lisais les bandes dessinées de Spiderman et je voulais l’imiter. Je grimpais dans les arbres, je suis tombé et je me suis cassé les deux mains. Je ressens toujours des tiraillements aux poignets. Je ne peux toujours pas étendre mes mains à fond et utiliser mon poignet. Sinon, je réussirais 80% de coups francs.

Vous êtes donc obligé de smasher?

Ça ne marche pas autrement. Quand je smashe, je suis Superman…

Pourquoi voulez-vous à tout prix être si fort?

Parce que c’est le seul moyen d’atteindre l’élite. Il faut être impitoyable. Mon entreprise s’appelle « le monde m’appartient » et ma religion est « le monde est ma salle de jeux, c’est moi qui gagne le plus ».

Ma famille n’avait pas d’argent

C’est une variante grossière de l’American Dream.

Mais c’est vrai. Je proviens d’une famille modeste de Newark, New Jersey. Ma mère était secrétaire, mon père soldat. J’ai reçu beaucoup d’amour de ma famille, bien plus que d’autres. Mais nous n’avions pas d’argent. J’ai toujours rêvé de devenir comme Julius Erving, ma grande idole. Il était adroit, invincible sur le terrain. Moi, j’étais un jeune de la rue.

Avez-vous été en prison?

Non, ça non. J’ai volé des friandises mais on n’a pas pu m’attraper: j’étais trop rapide. Mes parents me punissaient quand je battais un camarade à l’école. Je ne pouvais pas regarder la télévision.

A l’âge de douze ans, vous avez émigré en Allemagne.

Mon père a été caserné à Wiesbaden puis à Fulda. Je n’ai pas vu grand-chose du pays, seulement la caserne où nous habitions.

Mais c’est à Wiesbaden que vous avez appris à jouer au basket.

Les autres se moquaient de moi et j’ai joué avec eux. J’étais un gamin timide mais je voulais devenir le plus grand joueur de tous les temps.

L’êtes-vous devenu?

Les critiques placent toujours un mais derrière mon nom. Je dois encore gagner quelques championnats pour mettre fin à ces remarques. Je veux devenir le meilleur joueur des Lakers de tous les temps. Je dois donc continuer à gagner…

Avez-vous l’impression d’être un gladiateur des temps modernes?

Non, car je n’obéis à rien ni à personne. Je suis plutôt Zeus, le roi du basketball, le premier des dieux. Zeus est inarrêtable. Quoi que vous lui lanciez, vous ne le touchez pas. On a commis des fautes sur moi aussi, on m’a collé trois défenseurs sur le dos, mais j’ai quand même marqué 40, 50 points et gagné deux championnats.

L’équipe parfaite n’existe pas

Les Lakers forment-ils l’équipe parfaite, avec Jackson comme entraîneur, Kobe Bryant comme meneur et vous comme centre?

L’équipe parfaite n’existe pas, dans la vie. Seulement dans les rêves. Avec un point guard qui réussit tout parfaitement: Scottie Skiles. Et un shooting guard qui marque à chaque coup: Reggie Miller. Un petit avant qui marque quinze points par match: Cedric Ceballos. Un power forward qui reprend chaque rebond: Chris Webber. Et au milieu, un général qui supervise tout: moi.

Faites-vous partie de la meilleure équipe de tous les temps?

Non, c’est pour Pete Mavarich, Michael Jordan, James Worthy, Karl Malone et Hakeem Olajuwon. Je ne m’y suis pas encore fait de place.

Chaque équipe a-t-elle besoin d’un leader?

Une vraie bonne équipe a besoin d’un numéro un et d’un numéro deux. Comme Michael Jordan et Scottie Pippen aux Chicago Bulls, ou Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar aux Lakers. Une équipe a besoin de deux officiers: un général responsable de tout et un capitaine qui se concentre sur la construction du jeu.

Ces dernières années, une dure lutte de pouvoir vous a opposé à Bryant.

Il est le capitaine, je suis le général, il doit bien le comprendre. Il a débarqué en droite ligne de la High School et il a essayé des trucs qui n’étaient pas bons pour l’équipe. Nous lui avons dit qu’il devait distribuer le jeu. Je ne suis pas grandiose parce que je réussis 50 points et 25 smashes. Je suis grandiose parce que je comprends le jeu et que je suis à même de céder le ballon à un partenaire quand je ne suis pas capable d’atteindre l’anneau.

Phil Jackson a entraîné Michael Jordan à Chicago. Avant son arrivée à Los Angeles, les Lakers n’étaient qu’une bande d’égocentriques, vous y compris. Quelle est sa recette?

Il m’a dit que je devais me rendre maître de Kobe Bryant. Jackson est un entraîneur qui avait atteint ce dont nous rêvions. Il sait ce qu’il fait et ce qu’il dit. Avant que Jackson ne nous rejoigne, on ne pouvait nous comparer avec les Lakers de Magic et de Kareem. Ils jouaient vite, c’était du showtime du début à la fin. Nous, nous jouions lentement mais Phil nous a donné un système de jeu. Chaque mouvement, chaque manoeuvre est soigneusement planifié. Seuls Kobe et moi sommes libres de nos actions.

Jackson sait presque tout

Jackson est un bouddhiste, adepte du zen. Il fait du yoga avec vous et vous distribue des livres compliqués.

Nous devons méditer trente minutes avant le match. Ensuite, il touche nos points sensibles. La saison passée, au premier tour des playoffs, nous étions menés 2-0 par Sacramanto, mais d’un coup, nous sommes revenus à 2-2. La veille du cinquième match, il est entré dans le vestiaire et il a déclaré: -Nous avons réalisé une bonne saison mais nous allons perdre demain. Donc, jouez encore un bon match et rentrez chez vous. Je vous souhaite un excellent été. Il a disparu. Le matin, à l’entraînement, nous ne l’avons pas vu. Le soir, nous avons battu Sacramento avec 27 points d’écart et quatre semaines plus tard, nous étions champions de la NBA.

Avez-vous également reçu un livre?

Oui, quelque chose de Nietzsche. Il parlait des surhommes. Je ne l’ai pas lu. Je suis un surhomme et je ne veux pas lire quelque chose qui me concerne. Les gens disent que Nietzsche est fou. Et vous dites que je le suis. Alors que je suis simplement en avance sur mon temps.

Vous avez déjà gagné 200 millions de dollars. En fin de compte, tout tourne autour de l’argent.

Non. J’ai aussi 22 autos et un garage qui peut en contenir 55. Il s’agit de votre style de vie. D’avoir du plaisir, d’être libre. Be young, have fun! Savez-vous comment je me suis récemment rendu en Allemagne? En vol Lufthansa 747. Nous avons acheté tous les billets. L’engin a piqué du nez tout le temps car nous étions regroupés en première classe et que l’avion était vide, derrière nous. Voilà comment je veux vivre et comment je vis.

Thomas Hütlin et Klaus Brinkbäumer, Der Spiegel

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