Je reviens de loin

Depuis plusieurs années, il n’en finissait pas de décevoir. Cette saison, la métamorphose est complète.

Depuis le début de la saison, il se sent comme un poisson dans l’eau dans l’axe central de la défense, commandant de la voix et du geste ses jeunes équipiers autour de lui. Il leur est d’un précieux secours, et ce qui ne gâte rien, est désormais capable de montrer lui-même l’exemple. Libéré d’un poids psychologique, mais aussi de cinq à six kilos excédentaires, c’est un autre joueur que l’on découvre sous le maillot des Hurlus.

D’aucuns ont déjà affirmé que vous étiez le meilleur transfert de Mouscron cette saison.

Geoffrey Claeys: Je me suis très bien soigné durant l’été, et durant la période de préparation, je me suis senti plus affûté. Je n’ai pas d’emblée trouvé mes marques. Mes premières sorties en matches amicaux, contre Coxyde, le Cercle de Bruges et le Borussia Mönchengladbach, avaient encore été hésitantes. Puis, j’ai saisi ma chance contre Lens, où j’avais été aligné dans l’entrejeu en raison de l’absence de Tonci Martic. Je savais que je n’étais qu’un palliatif, car le Croate, au même titre que Steve Dugardein, est incontournable dans ce secteur. Mais, pour moi, c’était déjà une première victoire: j’avais prouvé à l’entraîneur qu’il pouvait compter sur moi s’il y avait une défection, que ce soit en milieu de terrain, ou en défense avec Gordan Vidovic par exemple.

Quelques jours avant ce match contre Lens, qui fut décisif pour votre avenir, une partie de la presse vous avait cité, en compagnie de Dejan Mitrovic et de David Crv notamment, parmi un groupe de joueurs appelés à être relégués dans le noyau B. Information aussitôt démentie par le club.

C’était une affabulation. J’avais été introduit au jeu pour la dernière demi-heure du match amical contre le Borussia Mönchengladbach. Ma prestation n’avait pas été convaincante, je le reconnais, tout simplement parce que je sortais d’un stage de préparation éreintant. Un journaliste en a tiré sa propre conclusion.

Il n’empêche: vous avez été très près du noyau B.

C’est possible. Je conçois parfaitement que les dirigeants hurlus se soient posés des questions à mon sujet. Personnellement, je sais ce dont je suis capable, mais je l’avais très rarement – pour ne pas dire jamais – démontré la saison dernière. Je me suis alors regardé dans un miroir.

Et quelle conclusion en avez-vous tiré? Que cela ne pouvait plus continuer ainsi?

Je me suis dit que j’étais capable de beaucoup mieux et que je devais le prouver. J’ai réellement tiré la sonnette d’alarme le jour de la finale de la Coupe de Belgique. Je n’avais même pas eu le droit de m’asseoir sur le banc, alors que trois gamins sans aucune expérience y avaient pris place. Je n’en veux pas du tout à Hugo Broos: il avait toutes les raisons de m’écarter. Si je jouais mal, ce n’était ni sa faute, ni celle de mes partenaires, ni celle des supporters, mais la mienne. Je me suis adonné à une introspection. Qu’est-ce qui n’allait pas? Mentalement, je n’étais pas bien dans ma peau. Physiquement, j’étais trop lourd. Je ne menais pas l’existence d’un vrai professionnel. J’ai corrigé le tir et on voit aujourd’hui le résultat.Un accompagnateur mental

Qu’avez-vous fait pendant l’été?

Je me suis bien entraîné. J’ai beaucoup couru. J’ai surveillé mon alimentation. Je me suis aussi relaxé, afin de retrouver calme et sérénité. Enfin, j’ai fini par accepter de l’aide. Au début, j’estimais que ce n’était pas nécessaire, que je m’en sortirais tout seul. J’avais présumé de mes forces. Hugo Broos m’a conseillé une sorte de psychologue, un accompagnateur mental en fait. Je l’ai consulté chaque semaine. Il a fini par devenir un véritable confident. Après chaque match, je lui téléphonais pour lui expliquer comment cela s’était passé. Il m’a donné des conseils pour m’aider à vivre en vrai professionnel. J’en avais besoin. J’ai regardé des cassettes d’autrefois et de la saison dernière. La comparaison était effrayante. A 27 ans, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’était pas trop tard pour changer, mais qu’il était temps.

Au Cercle de Bruges, vous étiez un réel espoir du football belge. Comment avez-vous fait pour vous égarer à ce point?

Je me le demande. Après le Cercle de Bruges, je suis parti à Feyenoord. J’ai joué des matches, mais sans être considéré comme un titulaire indiscutable. J’ai ensuite rejoint Anderlecht, où j’ai été sifflé par le public. A Alost, j’ai vécu une bonne saison, mais ce n’était pas une équipe de premier plan. Au Lierse, mes dix premiers matches avaient été très encourageants, puis je suis retombé dans mes travers. Je sais que j’ai commis des erreurs, mais je préfère désormais regarder devant moi.

Mouscron vous a offert une dernière bouée de sauvetage. Mais, plus la saison 2001-2002 avançait, plus les gens tiraient leurs conclusions: cinquième transfert, cinquième échec.

Je ne regrette aucun de mes choix. La faute de ces échecs n’incombait pas aux clubs, mais à moi-même. Hugo Broos a tout fait pour me mettre en confiance. En fait, je n’ai même jamais dû me battre pour ma place. J’étais considéré comme un titulaire avant même le coup d’envoi de la saison.

C’était certainement fait avec une bonne intention, pour vous ramener à la surface, mais on peut comprendre que d’autres joueurs, qui se battaient à l’entraînement pour conquérir une place, admettaient difficilement que vous jouissiez d’un tel statut privilégié.

Bien sûr, que c’était fait avec une bonne intention. Vous ne m’entendrez jamais dire du mal d’Hugo Broos. En agissant de la sorte avec moi, il a peut-être découragé certains autres joueurs, mais il ne m’a pas nécessairement rendu service non plus. Cette saison-ci, je n’étais plus du tout sûr de ma place: j’ai dû me battre pour l’obtenir. Et cela m’a forcé à réagir. Par mon travail, j’ai regagné la confiance du président, de l’entraîneur, des supporters. A moi, désormais, de persévérer.Le souvenir de Kooiman

Vous évoluez désormais dans l’axe central de la défense, au milieu de jeunes joueurs inexpérimentés. Un rôle qui vous va comme un gant.

L’avènement de jeunes joueurs, comme Jean-Philippe Charlet et Filston, est un soulagement pour le club. Bevan Fransman a déjà démontré des capacités également, mais c’est peut-être encore trop tôt pour le faire évoluer dans l’axe de la défense. Le retour d’Olivier Besengez a conféré plus d’assurance à l’arrière-garde. C’est un joueur fiable, qui connaît ses qualités et ses défauts. Les jeunes joueurs ont encore besoin d’être guidés et c’est ce que je m’efforce de faire. Je crois, aussi, que c’est ce que l’entraîneur attend de moi.

Parler, vous avez toujours su le faire. Encore fallait-il montrer l’exemple et joindre le geste à la parole.

Effectivement. La saison dernière, on me reprochait parfois de trop jouer avec ma langue et pas assez avec mes pieds. Aujourd’hui, je parle encore, mais au moment adéquat. Et je pense que c’est utile. C’est agréable de pouvoir aider les jeunes à progresser. Je me souviens qu’à l’époque où j’évoluais au Cercle de Bruges, Wim Kooiman me prodiguait aussi de bons conseils. J’essaye désormais d’en faire profiter d’autres. En aidant les jeunes, j’aide toute l’équipe. Mais je ne voudrais pas minimiser le rôle des autres joueurs. Si la défense constitue la base, le coeur de l’équipe se trouve dans l’entrejeu. C’est grâce à ce secteur que nous avons forgé nos meilleurs résultats, jusqu’à présent. Il y a la classe de Tonci Martic, mais aussi l’activité de Steve Dugardein, que je considère comme l’un des joueurs les plus sous-estimés du championnat. Un journaliste l’a surnommé Marathon Man, mais on a besoin d’un joueur pareil dans une équipe. Si nous dominons l’entrejeu, c’est aussi parce que physiquement nous sommes au point, et il faut louer la préparation de Gil Vandenbrouck. Et, devant, on parvient toujours à inscrire un but avec des garçons comme Mbo Mpenza ou Marcin Zewlakow. L’étape suivante, c’est la régularité

Votre avenir se situe-t-il comme défenseur central ou aspirez-vous à un retour dans l’entrejeu?

Je ne peux pas émettre trop d’exigences. Lorsque je regarde d’où je viens, je peux déjà m’estimer très heureux d’être là, sur le terrain. La saison dernière, plus personne de parlait de moi. Ou alors, c’était en termes négatifs. Aujourd’hui, je suis subitement redevenu le centre d’attraction des médias. J’en suis ravi, mais le plus important était de redevenir moi-même. De retrouver mon poids de forme. De me contrôler. D’évacuer toutes mes frustrations. D’entamer les matches de manière calme et sereine. Si je me sens bien, je peux évoluer à toutes les places. Je peux être utile en défense centrale, comme actuellement. Je pourrais pallier une baisse de régime de Filston à l’arrière gauche, ou une défection d’un joueur d’entrejeu. Mon objectif est de devenir une valeur sûre. D’être régulier à chaque match. Je suis sur la bonne voie, mais je n’ai pas encore atteint mon but. Le processus de remise en condition – physique, psychique et mentale – n’est pas terminé. Je travaille encore. Pendant un an et demi, c’est-à-dire une saison complète à Mouscron et une demi-saison au Lierse, la confiance avait totalement disparu. L’entraîneur avait confiance en moi, mais moi je n’avais plus confiance en mes moyens. Cela ne revient pas, comme cela, du jour au lendemain. La perte avait été trop importante. Mais le progrès est déjà phénoménal. Je n’oserais pas encore prétendre que le vrai Geoffrey Claeys est de retour, mais il y a de nouveau un footballeur sur le terrain. Aujourd’hui, lorsqu’un ballon me parvient, je le contrôle calmement, de la poitrine ou du pied. J’adresse une passe ou je tente une combinaison. J’ose même m’aventurer dans le rectangle adverse, ce que je ne faisais jamais la saison dernière, tout simplement parce que je n’en étais pas capable. Lorsque j’arrivais dans les 16 mètres de l’adversaire, j’étais hors d’haleine.

Vous avez toujours prétendu que votre problème était mental. En fait, il était physique également.

Il était tout. Quand on doit porter cinq à six kilos en plus de son poids normal, il est logique qu’on n’avance pas. Mais le problème se situait dans la tête également. A l’entraînement, je parvenais encore à faire illusion. J’étais plus libéré: si je passais à côté du ballon, il n’y avait que mes équipiers pour s’en apercevoir. Mais en match, je ressentais comme un blocage. Surtout à domicile: si je me loupais, je risquais d’être la risée de tout le Canonnier. Lorsque l’entraîneur me demandait de m’échauffer, je sentais déjà le stress m’envahir. Aujourd’hui, j’ai retrouvé la confiance et je sens aussi que mes équipiers ont confiance en moi. J’éprouve à nouveau du plaisir à monter sur le terrain. Je viens à l’entraînement en sifflotant. J’ai retrouvé l’envie de gagner et j’ai réappris à haïr la défaite. Je n’accepte plus de perdre, même à l’entraînement. La saison dernière, je m’en moquais. Je me sentais mal dans ma peau. J’étais dépressif.

Avez-vous envisagé de mettre un terme à votre carrière?

Non. Mais il s’en est fallu de peu.

Daniel Devos

« Je n’oserais pas encore prétendre que le vrai Claeys est de retour, maisIl y a de nouveau un footballeur sur le terrain »

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