» Je rêve des Jeux de Londres avec la Syrie « 

Chassé de Lokeren l’été passé, l’attaquant syrien a rebondi à Roda.

Jusqu’à son passage à Lokeren, en 2010, la carrière de Sanharib Malki s’était déroulée comme dans un rêve : SCUP Jette puis Union, avant d’aboutir en D1, à Roulers et ensuite au Germinal Beerschot. A Lokeren, l’avant syrien allait être stoppé net dans son élan, au point de devoir trouver refuge à Panthrakikos, en D2 grecque, en 2011. Passé au Roda JC Kerkrade l’été passé, il a retrouvé à la fois la joie de jouer et tout son punch comme en atteste sa place aux premières loges du classement des buteurs aux Pays-Bas.

Alors, c’est la meilleure saison de ta carrière ?

Sanharib Malki : Oui et pour plusieurs raisons ! A 28 ans, j’aborde mes meilleures années et je joue plus avec ma tête. Avant, j’étais un chien fou, je courais après tous les ballons. A présent, je dose et mon rendement s’est amélioré. Avant, j’avais besoin de quatre ou cinq chances pour planter un but, aujourd’hui une demi-occase me suffit. J’évolue en pointe avec le Danois Mads Junker et jamais je n’avais ressenti une telle complicité. Ça aide ; comme le fait de bosser sous les ordres de Harm van Veldhoven, avec qui j’avais fait ma meilleure campagne au Beerschot. Et puis, j’avais une revanche à prendre vis-à-vis de Lokeren où on ne croyait pas en moi…

Pourquoi ?

Il faudrait poser la question aux responsables. On n’a plus voulu de moi et de Jérémy Perbet, l’été passé. Ce qui n’a pas empêché le Français d’être le meilleur buteur de Belgique et moi de me mêler à la même lutte aux Pays-Bas. Alors, quand j’entends parler de problèmes de finition à Lokeren, je rigole. Avec nous deux devant, le club se serait qualifié les doigts dans le nez pour les play-offs 1. D’accord, il a remporté la Coupe de Belgique et est assuré d’une place en Europe mais il a quand même échoué dans sa lutte pour terminer parmi les 6 premiers. Et c’était son objectif !

 » A Lokeren, il n’y avait que des clans « 

Pourquoi as-tu ramé à Daknam ?

L’important, c’est d’aboutir dans le bon club au bon moment. Et d’y avoir affaire à un coach qui croit en toi. C’était le cas avec Van Veldhoven : j’ai les mêmes caractéristiques de battant que lui à l’époque. Il sait comment s’y prendre avec moi. Peter Maes n’a jamais eu cette capacité. Je n’entrais pas dans ses plans et il me l’a toujours fait sentir. Je ne suis pas le genre de gars à baisser la tête facilement et j’ai voulu m’accrocher pour tenter d’inverser la tendance. Mais le vestiaire n’y était pas propice. Partout ailleurs, j’ai toujours eu des potes : Sébastien Dufoor à Roulers ou Tosin Dosunmu au Kiel. Mais chez les Waeslandiens, j’étais seul. Là-bas, il n’y avait que des clans : les Africains, les Slaves, les Israéliens, les Belges… C’était pas évident. A la fin, j’en avais soupé.

Tu as alors été prêté six mois à Panthrakikos.

Cela n’a pas été la décision la plus lumineuse de ma vie. Mais j’avais l’avantage de retrouver en Grèce Emilio Ferrera, sous les ordres duquel j’avais déjà bossé à Lokeren. Il s’était montré convaincant : j’aurais ma place à la pointe de son équipe. Je restais sur trois apparitions furtives à Lokeren lors de la première partie de la saison 2010-2011 et je ne m’étais pas fait prier. De plus, Ferrera s’y connaissait : il avait déjà dirigé Panthrakikos à l’époque où ce club était en D1. Mais j’ai dû me pincer plus d’une fois sur place. La D2 grecque c’est pire qu’une série provinciale en Belgique. Les terrains ne ressemblent pas à grand-chose. La plupart du temps, j’avais l’impression d’être dans un bac à sable. Le niveau n’était pas folichon non plus. Mais, par-dessus tout, ça sentait la corruption à plein nez. J’ai vu des loupés invraisemblables : des avants qui tiraient à côté d’un but vide… J’ai quand même disputé 13 matches et marqué un petit goal. Au-delà des chiffres, j’avais surtout retrouvé du temps de jeu et un moral.

 » Aux Pays-Bas, on ne calcule pas « 

Roda, c’était la seule opportunité pour toi à l’intersaison ?

Non, comme Perbet, j’ai été approché par Mons également. Les conditions financières étaient même supérieures à celles du club néerlandais. Mais la perspective de retrouver Van Veldhoven et, surtout, de disputer un championnat taillé sur mesure pour les attaquants m’interpellait. De ces deux points de vue, j’ai été comblé. J’ai éprouvé à nouveau les sensations de buteur que j’avais perdues l’espace de deux saisons. Et j’aime l’approche du jeu ici. Aux Pays-Bas, tu joues vraiment pour gagner en toutes circonstances. Tu ne calcules pas ou tu ne te retiens pas, sous prétexte de devoir garder un résultat. Combien de fois, en Belgique, n’en gardait-on pas sous la semelle, de peur de se découvrir en fin de partie ? En Hollande, ça n’existe pas. La preuve par nos stats : après 27 journées, nous ne comptabilisions qu’un nul. Parfois, tu te dis qu’il faudrait un peu de jugeote. A Heerenveen, par exemple, nous avons mené 2-3 à un moment donné avant de perdre par 4-3. Dans un sens, c’est râlant. Mais, pour un attaquant, c’est du pain béni : quoi qu’il advienne, il sait qu’il sera toujours sollicité jusqu’au coup de sifflet final. Avec le Beerschot ou Roulers, le match était souvent fini avant terme pour moi. Dès qu’il s’agissait de protéger le score, je ne recevais plus le moindre ballon.

Van Veldhoven a décidé de quitter Roda en fin de saison. T’emmènera-t-il dans ses bagages ?

J’ai encore un contrat de deux ans ici. Je m’y suis relancé mais j’espère, bien évidemment, que Kerkrade ne sera pas ma destination finale. Je rêve toujours de l’Allemagne ou de l’Angleterre. Van Veldhoven a bien évolué. Au départ, il avait l’étiquette d’entraîneur typiquement belge, dans la mesure où le résultat était sacré pour lui. Aux Pays-Bas, cette vision n’est pas admise. René Vandereycken l’a vérifié à ses dépens au FC Twente et Glen De Boeck en a fait l’expérience cette saison à Venlo. Il a cru qu’il arriverait à ses fins avec cette équipe en bétonnant. Avec lui, le VVV n’a pris que 7 points et était candidat à la descente. Depuis son limogeage, le club a pris de la hauteur en proposant un jeu offensif. Van Veldhoven a compris que s’il voulait durer, il devait changer son fusil d’épaule et prôner l’attaque également. Je pense toutefois qu’il est arrivé au maximum ici et qu’il mérite d’avoir sa chance dans un club plus huppé. Ici, il faut quand même pouvoir s’accrocher par moments. A Vitesse, on a pris 5-0 et 7-1 au PSV, notamment. C’est pas toujours facile à digérer pour un coach.

 » J’espère détrôner Dick Nanninga « 

S’il y avait des play-offs aux Pays-Bas, tu serais dans la deuxième poule comme Perbet ! Qu’est-ce qui sépare Roda des 6 premiers (AZ, Ajax, Twente, PSV, Feyenoord et Heerenveen) ?

Je crois qu’il vaudrait mieux nous comparer à une autre équipe du ventre mou, comme Vitesse, qui nous précède de justesse au classement derrière ce top 6. Les gars d’Arnhem ont un average positif, tandis que de tous les engagés de la première moitié du tableau, nous sommes les seuls à avoir davantage encaissé que marqué. Notre problème est de tenir le zéro au marquoir. Nous n’y sommes parvenus que trois fois, c’est peu. Partant de là, le coach se rend bien sûr compte que l’équipe doit absolument inscrire au moins un but. Et c’est tout profit pour Junker et moi. Avant d’aboutir à Roda, le Danois n’avait jamais été une bonne gâchette. A Vitesse, le maximum des buts qu’il avait planté était 7. Chez nous, il en a inscrit 21 il y a deux ans et 20 la saison passée. Cette année, c’est moi qui ai pris le relais.

Tu songes au titre de meilleur buteur ?

Oui et non. C’est vrai que je suis bien placé, dans la foulée du puncheur de Heerenveen, Bas Dost. Mais d’autres ne sont pas loin : Luuk De Jong, John Guidetti, voire Dries Mertens qui en a mis quatre avec le PSV contre nous. Une consolation quand même, pour moi : j’avais sauvé l’honneur ce jour-là ( il rit). Dans l’absolu, si un record me fait flipper, c’est celui de meilleur buteur du club sur l’ensemble d’une saison. A Roda, il est détenu par l’ancien international Dick Nanninga avec 24 buts. Je dois être capable de le détrôner. Mais il ne faut pas, non plus, que j’en fasse une obsession. Face à l’Excelsior, une équipe mal embarquée, je tenais absolument à augmenter mon capital-buts. Résultat des courses : nous avons gagné 7-1 mais je n’ai pas marqué une seule fois. J’étais tellement obnubilé que rien ne me réussissait. Je n’ai même pas donné un seul assist dans ce match, c’est dire si j’étais à côté de mes pompes !

 » Je danse la houmba « 

En 2011-2012, le meilleur buteur du championnat hollandais était Björn Vleminckx. Il n’en touche plus une depuis son retour en Belgique. Pour quelle raison, d’après toi ?

Honnêtement, je ne pense pas que le buteur lui-même soit en cause. Mais plutôt la manière dont il est alimenté. Ici, il y a une volonté de bien construire et de progresser de manière méthodique. Ce n’est réellement qu’en tout dernier recours qu’on expédie des ballons à l’aveuglette. Dans ces conditions, tu sais que tu seras servi dans les règles de l’art. En Belgique, tu dois souvent courir derrière des ballons insaisissables. Aux Pays-Bas, c’est plus gratifiant et je préfère cette méthode. D’autant qu’elle est garante de meilleurs résultats aussi. La preuve : l’AZ, Twente et le PSV étaient en huitièmes de finale de l’Europa League. Seul le Standard y est arrivé en Belgique. Les systèmes, aussi, sont tout orientés vers l’attaque : ici, on joue soit en 4-4-2, comme Roda ou en 4-3-3 comme la majorité des autres. En Belgique, on en est au 4-2-3-1, au 4-5-1 et que sais-je encore. A Lokeren, je me souviens avoir évolué en 4-1-4-1. Avec moi décalé sur le flanc droit, loin derrière l’attaquant de pointe. Comment peut-on marquer dans ces conditions ? Ici, je marque dans toutes les positions. Face à Groningue, j’ai même inscrit un but du genou. Depuis ce jour-là, je suis la coqueluche du public. A domicile, je dois souvent mener la houmba. C’est une danse réservée à l’homme du match. Et comme je suis souvent lauréat, c’est moi qui m’y colle.

Indépendamment de ton total-buts, as-tu encore d’autres aspirations ?

J’espère bien disputer les Jeux de Londres avec la Syrie. Nos Olympiques ont toujours la possibilité de se qualifier et, s’ils obtiennent leur billet, il est acquis que la fédération fera appel à l’un ou l’autre chevronné. J’ai déjà été contacté et j’ai marqué mon accord. Les JO, ce serait l’occasion de donner une image positive de mon pays. Depuis plusieurs mois, on est loin du compte. Comme tout Syrien, je suis de près la situation dans mon pays. J’ai de la famille là-bas : un oncle et deux tantes. Tous trois habitent à Al Qamishli, une ville de 50.000 habitants au nord-est du pays. De l’autre côté du poste-frontière s’étend Nusaybin, en Turquie. Mes parents se sont connus sur un pont, là-bas. Ma mère, Sabah, est Turque, tandis que mon père, Benibal, est Syrien. A défaut d’être citoyens d’un même pays, ils étaient unis par une même langue : l’araméen, que nous parlons toujours entre nous. Je suis né moi-même à Al Qamishli et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 6 ans avant de mettre le cap sur la Belgique avec mes parents.

 » En Syrie, tout le monde vivait en parfaite harmonie jadis « 

Quels souvenirs as-tu gardé de tes jeunes années ?

Pas grand-chose sauf une vaste cour où je jouais au football avec des copains. Ce n’est qu’aujourd’hui que je réalise que, parmi eux, il y avait là des juifs, des musulmans, des chrétiens, des kurdes, des druzes et ainsi de suite. Tu ne t’arrêtes pas aux différences quand tu es un gosse. D’ailleurs, entre adultes, il n’y a jamais eu de réels problèmes non plus. Tout ce petit monde vivait en parfaite harmonie. Même topo en équipe nationale : à mes débuts, tu avais, dans le onze de base, 3 chrétiens et 8 musulmans. Et parmi eux, il y avait la moitié de sunnites et autant de chiites. Un véritable melting-pot. Cela ne nous empêchait pas d’être unis comme les doigts de la main.

A quand remonte ta dernière sélection ?

Fin 2010. J’avais fait un stage à Damas, avec les A, en vue de la Coupe d’Asie des Nations. L’été passé, on a voulu me rappeler pour un match face au Tadjikistan, mais j’ai refusé à cause des troubles. En 2008, lorsque j’ai été appelé pour la première fois, mon père avait fait le voyage avec moi, histoire que je ne sois pas tout à fait dépaysé. Il y avait 18 ans que je n’étais plus retourné en Syrie et je ne parlais que l’araméen et non l’arabe. A l’occasion de ce séjour, j’avais profité d’une journée de repos pour visiter Homs, à deux heures de route de Damas. Magnifique. Vraiment magnifique. Quand je vois ce qu’il en reste aujourd’hui, mon c£ur saigne. J’ose espérer que le bon sens l’emportera et que les hostilités cesseront le plus tôt possible. Il faut que l’équipe nationale puisse à nouveau jouer normalement à Damas au lieu de devoir disputer ses matches en Jordanie. Le jour où ce sera acquis, je serai le premier à revenir.

PAR BRUNO GOVERS

 » Quand j’entends parler de problèmes de finition à Lokeren, je rigole. « 

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