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 » Je reste le gars qui a sauvé Huddersfield « 

La longue confession d’un des returnees les plus hot de l’été belge. A savourer.

The beast is back. Le tweet de La Gantoise pour saluer le retour de Laurent Depoitre n’a pas fait dans la dentelle. Et si le gars était autre chose qu’une bête après ses trois années d’exil (Porto puis Huddersfield) dans la foulée d’un titre et une Supercoupe avec les Buffalos ? Et s’il était devenu autre chose qu’un costaud capable de marquer une volée de buts ?

Rencontre avec l’un des returnees les plus intéressants de cet été. Thème 1 : ses deux saisons au pays du foot, où ça s’est terminé dans la douleur – plus une seule minute sur le terrain à partir de fin février -, il va expliquer pourquoi.

Qu’est-ce qui a changé à Gand pendant ton absence ?

LAURENT DEPOITRE : Si je ne dois citer qu’une chose, c’est le nouveau centre d’entraînement. J’y étais déjà venu une fois, Thomas Foket m’avait invité pour une visite privée. Il est top. S’entraîner tous les jours ici, c’est le pied. Il n’est pas moins bon que celui de Porto. Et il est bien mieux que celui de Huddersfield. La première chose qui m’a frappé là-bas, c’est que ce club n’était pas préparé pour la Premier League. Il était monté un peu par hasard, juste avant mon transfert. Il avait fini cinquième de la Championship puis il avait gagné les play-offs, c’était une surprise pour tout le monde.

Huddersfield n’était pas prêt pour la Premier League, ça sautait aux yeux.  » Laurent Depoitre

Le côté négatif, c’est qu’ils n’étaient pas prêts, ils n’avaient pas les infrastructures. Ça sautait aux yeux au quotidien. On sentait un manque de professionnalisme dans plein de trucs. Par exemple, le parking n’était pas assez grand pour garer les voitures de tous les joueurs. Le vestiaire était trop petit. Il y avait un seul WC pour tout le noyau. La salle de gym n’était pas bien équipée. Et je pourrais encore citer d’autres petits détails.

En quoi ça handicape un joueur ?

DEPOITRE : C’est automatique, quand tu es dans un endroit où tu te sens bien, quand tu as tout sous la main, c’est plus facile de bien bosser. Le terrain du stade était bon mais les pelouses du centre d’entraînement n’étaient pas toujours top. Parfois, c’était un peu difficile.

 » Quand on se prenait un 0-3, les supporters de Huddersfield continuaient à chanter  »

Mais ça ne s’est pas ressenti pendant la première saison. Grâce à l’euphorie de la montée ?

DEPOITRE : Peut-être, en partie en tout cas. Il faut dire aussi que la direction avait fait quelques bons transferts. On avait directement commencé à gagner des matches, tout le monde voulait se montrer, la sauce avait vite pris. Au final, ça a été une belle saison et on s’est sauvés. Malheureusement, on n’a pas du tout su enchaîner.

La saison suivante a été catastrophique : 16 points en 38 matches et la dernière place finale…

DEPOITRE : On a senti dès le début que ça allait mal se passer. Mais c’est inévitable quand une direction fait partir des gars qui ont de l’expérience de la Premier League pour faire venir des jeunes qui n’ont jamais joué à ce niveau-là. Si tu veux te sauver, tu dois mettre des moyens, investir chaque année. Les patrons du club se sont sans doute dit que ça ne pouvait que bien se passer, une fois de plus, puisque ça s’était bien passé la première saison ! Ils pensaient refaire le coup du maintien sans dépenser trop d’argent. Dans un championnat aussi fort, c’est une utopie. Oublie !

La passion dans un petit club comme Huddersfield avait quelque chose à voir avec ce que tu avais connu à Porto ?

DEPOITRE : Porto, c’est la folie, voilà. Pendant toute la semaine, les gens sont focus sur une chose : le match du week-end. Leur vie, c’est leur équipe de foot. Quand ça tourne bien, c’est incroyable. Quand ça ne va pas… c’est incroyable aussi. Ils attendent le bus à la sortie du stade, ils crient, ils insultent, ils font des doigts d’honneur et tout ça. Tu es obligé de gagner chaque week-end, point à la ligne.

A Huddersfield, les gens sont passionnés mais ce n’est pas la même chose. On était les petits poucets de la Premier League, personne n’attendait qu’on fasse des exploits, tout le monde nous condamnait d’avance à un retour rapide en Championship, il fallait par exemple entendre ce que les consultants disaient de nous à la télé. Eux non plus, ils ne croyaient pas du tout en nous. Alors, nos supporters étaient très tolérants. A Porto, on ne t’applaudit certainement pas quand tu viens de perdre. A Huddersfield, même si on se prenait un 0-3, ils restaient encore un moment dans le stade après le match et ils continuaient à chanter.

 » J’ai vécu mon rêve anglais avec un an de retard  »

Avant de quitter Gand, tu rêvais déjà plus de l’Angleterre que du Portugal. Tu as finalement vécu ton rêve avec seulement un an de retard ?

DEPOITRE : Oui, c’est ça. Mon rêve était clairement de jouer en Premier League. Mais au moment de quitter La Gantoise, il n’y avait pas d’offres concrètes, donc je suis parti à Porto. Avoir quand même l’occasion de rebondir en Angleterre après une saison compliquée au Portugal, ça a été la bonne nouvelle de mon été !

Comment tu expliques que Huddersfield ait pensé à toi alors que tu avais un peu disparu de la circulation ?

DEPOITRE : Leur directeur sportif venait du Celtic, et quand il était là-bas, il aurait voulu m’acheter à Gand. Mais le Celtic n’avait pas l’argent demandé par La Gantoise. Entre-temps, il m’avait gardé à l’oeil.

Pourquoi l’Angleterre te faisait rêver, exactement ?

DEPOITRE : Pour plein de raisons. Il y a la passion, le fait que ce soit un championnat attrayant, spectaculaire. La mentalité aussi. Je suis vraiment tombé dans le truc auquel je m’attendais. Et puis, c’est un style qui me correspond, bien plus que le style du championnat portugais. Avec Porto, on affrontait souvent des équipes qui jouaient à dix derrière, qui ne faisaient que défendre. Il y avait peu d’espaces, il fallait plus jouer à l’espagnole, un jeu court. Ce n’était pas trop fait pour moi. En Angleterre, c’est différent. Il y a beaucoup de duels, des contacts, des gros efforts physiques, tu dois te battre sur chaque ballon. Surtout quand tu joues dans une petite équipe comme Huddersfield. Chaque match est une grosse bataille, tu as intérêt à donner tout ce que tu as. On subissait beaucoup, alors on essayait de s’en sortir avec des longs ballons que je devais aller récupérer dans des duels aériens. Ça me correspondait.

Laurent Depoitre  :
Laurent Depoitre :  » J’ai de la pression… pour la première fois de ma carrière. « © BELGAIMAGE-BENOÎT DOPPAGNE

 » Dès février, j’ai su que je ne jouerais plus  »

A Porto, tu nous avais dit que tu n’avais peut-être pas le profil pour le championnat du Portugal. Entre-temps, tu as la confirmation que tu as le profil pour le championnat d’Angleterre ?

DEPOITRE : Oui, je pense bien. Même en Championship, je crois que je me serais très bien adapté.

Rester en Championship avec Huddersfield, ça n’a jamais été une option ?

DEPOITRE : Non, j’avais décidé de partir. Ça n’allait plus trop dans le club et je n’avais pas la confiance de l’entraîneur, qui a d’ailleurs été remplacé entre-temps. Je considère que ce n’est pas un coach pour la Premier League. Quand il est arrivé, en cours de saison passée, il a dit qu’il allait faire jouer les gars qui allaient rester dans le club.

Comme j’étais en fin de contrat, tout était clair à partir de fin février, je ne jouerais plus. Au moins, il n’y avait pas d’ambiguïté, je n’étais pas dans la situation du joueur qui espère chaque semaine et qui est finalement déçu chaque week-end. Je savais que mes derniers mois là-bas allaient se limiter aux entraînements.

Comment on peut garder la motivation et le mordant pendant une aussi longue période quand on sait qu’on ne sera de toute façon pas dans l’équipe ?

DEPOITRE : Ma motivation, c’était d’être prêt pour le nouveau club où j’allais signer cet été. C’était ça, ma carotte. Je trouve que Huddersfield a très mal géré son groupe mais je n’ai pas trop envie de parler de ça.

 » Une nuit de folie en training dans une boîte à Londres  »

Quoi qu’il arrive dans les prochaines années, tu pourras toujours dire que tu as joué dans le meilleur championnat du monde, que tu as eu ce que tu voulais ! Tu raisonnes comme ça ?

DEPOITRE : Exactement. Je ne sais pas de quoi mes prochaines années seront faites mais je suis très satisfait de tout ce que j’ai déjà pu vivre. J’ai été champion en Belgique en D3, en D2 et en D1. J’ai gagné la Supercoupe. J’ai joué et marqué en Ligue des Champions avec Gand. Même chose avec les Diables. J’ai connu un très grand club au Portugal. J’ai joué en Premier League, j’ai marqué contre Manchester United et Chelsea notamment.

Et tu as marqué le but du maintien pour Huddersfield !

DEPOITRE : Mon but à domicile contre United, c’était déjà très beau parce qu’il avait été décisif, on avait gagné 2-1. Mais celui sur le terrain de Chelsea, c’était encore un autre niveau. C’était l’avant-dernière journée, il nous fallait un point pour nous sauver. J’ai fait 0-1 en début de deuxième mi-temps, Chelsea a fini par égaliser mais l’affaire était dans le sac pour nous. C’est un but qui va rester dans l’histoire de Huddersfield, les supporters ont continué à m’en parler pendant toute la saison dernière. Un but à la Depoitre… Un long ballon vers l’avant, je me retrouve contre Willy Caballero, on se rentre dedans, c’est assez violent, il tombe et reste au sol, je reste debout puis je fais un petit lob au-dessus d’un défenseur. Tout s’est joué aux duels… Et on restait en Premier League alors que vraiment personne ne s’y attendait.

A Porto, quand j’ai compris que je n’allais plus jouer, j’ai profité un max du soleil, de la plage, de la ville.  » Laurent Depoitre

La fête à votre retour à Huddersfield, c’était comment ?

DEPOITRE : Il était prévu qu’on reprenne l’avion directement après le match, mais l’entraîneur a changé les plans. Il a décidé qu’on allait passer la nuit à Londres. Il voulait qu’on fasse directement une grosse fête ensemble. On est partis en boîte de nuit, tous en training parce qu’on n’avait pas prévu de tenue de ville. On y est restés jusqu’à six heures du matin, on a bien fêté, puis on a pris le premier train pour rentrer dans le nord. Avec les supporters, on a fait la fête trois jours plus tard, on recevait Arsenal. On a perdu mais ce n’était plus nécessaire de gagner… L’ambiance dans le stade était fantastique. Pour eux, c’était carrément inimaginable qu’on l’ait fait. Pendant toute la saison, on avait entendu partout qu’on était condamnés à redescendre directement en Championship.

 » Tu ne trouves pas un gros club anglais si tu marques peu de buts  »

Pas mal de joueurs partent dans un petit club ou un club moyen en Angleterre avec l’espoir d’aller plus tard dans une grande équipe là-bas. Tu y as cru ? C’était aussi ton plan ?

DEPOITRE : Je suis déjà content d’avoir joué pour Huddersfield. Pendant la première saison, j’ai montré que j’avais le niveau de la Premier League. Mais c’est difficile de se mettre en évidence dans une équipe pareille. On jouait trop défensivement, on prenait peu de risques, on n’avait pas beaucoup d’occasions, l’objectif était surtout de prendre le moins possible de buts. Dans ces conditions, c’est difficile pour un attaquant de se mettre en évidence, de séduire des recruteurs. Tu ne trouves pas un gros club anglais si tu marques peu de buts. D’ailleurs, je constate que les autres joueurs de Huddersfield ont aussi eu du mal à se recaser. La saison dernière a été mauvaise pour Huddersfield et mauvaise pour chaque joueur individuellement !

Tu as passé une année complète sans marquer une seule fois. Comment on vit ça ?

DEPOITRE : C’est difficile mentalement. Et tu constates que les clubs ne se bousculent pas pour te prendre, même si tu arrives en fin de contrat. Si j’avais été libre à la fin de ma première saison à Huddersfield, je pense que ça aurait été complètement différent.

Tu avais déjà terminé comme réserviste à Porto, mais là au moins, tu avais le cadre de vie.

DEPOITRE : C’est vrai, c’est plus agréable de ne pas jouer à Porto que de ne pas jouer à Huddersfield. A Porto, sur la fin, j’essayais de voir le bon côté des choses. Quand j’ai compris que je n’allais plus jouer, j’ai décidé d’en profiter un max. Je ne dis pas que ça a commencé à être des vacances mais j’avais le soleil, la plage, une très belle ville. Au final, ce n’était pas catastrophique. Maintenant, au niveau de la mentalité, je me sentais mieux en Angleterre qu’au Portugal.

Mais dans le nord de l’Angleterre, il doit pleuvoir au moins 300 jours par an ?

DEPOITRE : Disons qu’il y a toujours un moment dans la journée où il pleut… Mais je m’y sentais bien.

A part une belle voiture de sport et une jolie copine anglaise, qu’est-ce que tu as rapatrié d’Angleterre ?

DEPOITRE : Ben, c’est à peu près tout, je crois… (Il rigole).

 » La MLS reste une possibilité  »

Revenir à Gand, maintenant ou plus tard, c’était une évidence pour toi ?

LAURENT DEPOITRE : Je ne savais pas du tout quand j’allais revenir en Belgique, mais à partir du moment où je rentre, ça me paraît logique que ce soit ici. C’est ici que j’ai explosé, c’est ici que j’ai vécu les meilleurs moments de ma carrière. J’avais envie de retrouver du plaisir sur le terrain, du temps de jeu, les sensations du buteur, et je me suis dit que la meilleure solution était sans doute de rentrer à Gand.

On te citait plutôt à Anderlecht, on a aussi entendu parler du Standard et de Bruges pendant l’été.

DEPOITRE : J’ai entendu mon nom dans tous les clubs en Belgique, chaque fois ce n’étaient que des rumeurs.

Il paraît que tu es intéressé par le championnat américain.

DEPOITRE : Ça reste une possibilité, oui. Ça me plairait bien de découvrir un autre championnat, un autre pays, une autre culture. J’ai eu des contacts avec quelques clubs mais le mercato commence plus tard là-bas, et je ne voulais pas attendre.

Tu étais parti à Porto pour 6 millions, tu reviens gratuitement. Si tu exploses, le club aura fait l’affaire de l’année.

DEPOITRE : J’étais déjà arrivé gratuitement d’Ostende, c’est la deuxième fois que ça arrive…

A Ostende, à Gand la première fois, à Porto, à Huddersfield, on te connaissait peu et tu avais peu de pression. Cette fois, c’est différent.

DEPOITRE : C’est tout à fait vrai ! Partout ailleurs, j’étais arrivé comme un outsider, un joueur dont on n’attendait pas des miracles. Les gens et les supporters de mes clubs précédents ne comptaient pas spécialement sur moi pour faire la différence, je pouvais tout au plus être une bonne surprise. Aujourd’hui, je suis conscient que je reviens avec un autre statut, il y a beaucoup d’attentes. Il y a de la pression mais j’essaie de jouer sans pression, sans y penser, sans me prendre la tête, comme je l’ai fait pendant deux ans ici.

Laurent Depoitre  :
Laurent Depoitre :  » Gand m’a eu deux fois gratuitement et m’a vendu à Porto pour six millions… « © BELGAIMAGE-BENOÎT DOPPAGNE

Un après-foot en points d’interrogation

A 30 ans, Laurent Depoitre sait qu’il est bien plus proche de la fin que du début. Il a une copine anglaise, donc il pourrait repartir en Angleterre quand il arrêtera de jouer ? Il a un diplôme d’ingénieur civil, donc il bossera comme ingé ? Pas si simple.

 » Ma copine aurait voulu qu’on reste en Angleterre, on a pesé le pour et le contre, puis elle a compris que la meilleure solution pour moi était un retour à Gand. Pour la suite, je ne me vois pas habiter là-bas sur le long terme.  » Il fait une pause, réfléchit, puis ajoute :  » Je ne sais pas si j’avais envie d’habiter en Belgique non plus, en fait. C’est une question que je me pose régulièrement. Où est-ce que je vais m’installer plus tard ?  »

Pour ce qui est de sa reconversion, rien n’est plus clair. Valoriser son beau diplôme, ça pourrait être un bon plan.  » Je ne pense pas que je vais l’utiliser un jour. Je sais, c’est malheureux d’avoir fait cinq ans d’unif pour ne pas en profiter, mais voilà, je me consolerai en me disant que ça m’a permis d’apprendre plein de choses. Et puis, si je vais voir un employeur en lui disant que j’ai eu mon diplôme il y a dix ans et que je n’ai aucune expérience, je ne suis pas sûr qu’il sera tout de suite preneur. En plus, j’ai oublié pas mal de choses entre-temps. Et ça ne m’intéresse pas tant que ça. Je ne sais pas non plus si je me vois rester dans le monde du foot… Je commence à réfléchir un peu à mon après-carrière. J’aime bien l’immobilier, on verra. C’est encore assez flou pour le moment.  »

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