« Je rentre »

Il vit sa première et dernière expérience à l’étranger.

« C’est la seule bonne nouvelle pour moi depuis l’été dernier », grimace Toni (28 ans). Les distractions sont rares dans cette région fort France profonde. L’attaquant de poche est nostalgique lorsqu’il pense aux multiples activités qui s’offraient à lui quand il habitait à Gozée. « Il n’y avait pas que le Sporting: je pouvais aller voir le basket, le foot en salle, le tennis de table,… Ici, il n’y a rien à se mettre sous la dent. Pas même un bon journal pour faire défiler les heures un peu plus vite. La principale gazette de la région est presque épaisse comme un annuaire téléphonique, mais c’est du remplissage. On vous inflige par exemple une photo pleine page de Josiane qui a bêché son jardin pour la première fois de l’année (il rit)« …

Les Brogno vivent comme des étudiants en kot. A l’approche du week-end, ils bouclent leur sac pour rentrer en Belgique. Les cours, pour Toni, ce sont les entraînements. Mais, à la différence d’un futur diplômé, il n’a pas la possibilité de montrer à l’examen, le jour du match, qu’il a bien travaillé. Depuis le mois de décembre, il est irrémédiablement barré à Sedan. L’entraîneur du début de saison, Alex Dupont, ne comptait déjà guère sur lui. Celui qui l’a remplacé, Henri Stambouli, l’a carrément rayé de la liste des joueurs sélectionnables. La deuxième campagne de Toni dans les Ardennes tourne au cauchemar.

Toni Brogno: J’ai les mêmes horaires que les titulaires. Ici, les pros et le noyau B s’entraînent en même temps. Je passe régulièrement d’un groupe à l’autre. Quand j’arrive au stade, je vais voir le tableau où sont affichées les compositions. Si je vois un « P » à côté de mon nom, ça veut dire que j’ai le droit de travailler avec les pros. Si c’est « CFA », je comprends que je devrai passer deux heures avec la Réserve. Quand je suis appelé chez les pros, c’est simplement pour faire nombre, pour remplacer des joueurs blessés ou des internationaux qui sont avec leur sélection. Mais c’est relativement rare parce qu’il y a 37 pros à Sedan. Vous comprenez que je quitte souvent mon appartement avec des pieds de plomb. Le matin, les 20 kilomètres qui me séparent de Sedan me semblent cent fois plus longs que le trajet Charleroi-Westerlo que j’ai fait tous les jours pendant trois ans.

« Les choix tactiques, c’est toujours pour ma pomme »

Comment vivez-vous cette incertitude quotidienne?

Au début, ce fut très dur psychologiquement. Avec le temps, j’ai appris à m’y faire. Je me suis mis une chose en tête: je ne serai plus jamais appelé en équipe Première de Sedan. Même s’il y a un jour cinq blessés et six suspendus. Toni Brogno n’existe plus ici. Il y avait déjà sept attaquants dans le noyau en début de saison, et le club en a encore recruté trois nouveaux pendant le mercato d’hiver! Je suis donc condamné à jouer une fois de temps en temps en CFA. Je ne vous dis pas le niveau: ça vaut à peine une D3 belge et ça fourmille de jeunes qui ne font que rentrer dans le lard et de frustrés qui n’ont pas eu la chance de faire une carrière professionnelle. On joue sur des champs de patates, il n’y a pas un chat dans les tribunes et le risque de se faire matraquer est permanent. Beaucoup de joueurs de D1 qu’on oblige à jouer en CFA pètent les plombs et ça ne m’étonne pas.

Comment en êtes-vous arrivé là?

Je ne jouais presque pas en début de saison avec Alex Dupont, mais j’espérais toujours revenir dans l’équipe. Il ne m’avait fait jouer qu’une petite quarantaine de minutes au cours des dix premiers matches de championnat, mais j’avais marqué deux fois… et j’étais le meilleur buteur de Sedan. Stambouli a repris l’équipe au moment du match retour de Coupe de l’UEFA contre les Tchèques de Pribram. Malgré l’élimination, j’ai marqué deux fois. En étant entré à la mi-temps. Il m’a tenu un discours rassurant: -Moi, j’ai besoin de toi, je ne suis pas comme Dupont. J’ai cru que j’étais enfin lancé. Trois jours plus tard, j’étais de nouveau sur le banc. Explication officielle: choix tactique. J’ai fait remarquer à Stambouli que les choix tactiques, c’était toujours pour ma pomme! J’aurais préféré qu’il me dise qu’il avait dans son noyau sept ou huit attaquants plus performants que moi. Un peu plus tard, il m’a appelé dans son bureau. Il semblait ennuyé et tournait autour du pot. Je lui ai dit: -Coach, soyez franc. J’ai 28 ans, je ne suis plus un gamin. Je veux connaître la vérité. Ce jour-là, il m’a appris que je pouvais partir. J’ai voulu connaître ses raisons et il m’a répondu: -Je dois faire des choix avec le président. C’est le président ou l’entraîneur qui fait l’équipe? Tout cela n’est pas très clair.

Au contraire. L’entraîneur m’a appris un jour qu’il m’avait trouvé un club en Ecosse. J’ai dit que je n’étais pas intéressé et la sanction a été immédiate: une semaine dans le noyau B. Strasbourg s’est ensuite intéressé à moi. D’abord, je ne pouvais pas partir parce que je risquais de revenir dans l’équipe au moment de la Coupe d’Afrique, vu la sélection probable de plusieurs attaquants de Sedan. Puis, on m’a dit que je pouvais m’en aller. Mais Sedan tenait à récupérer les 30 millions de francs belges déboursés lors de mon transfert de Westerlo. Les négociations entre les deux clubs ont été très tendues. Tout ce cirque a duré 48 heures. Sedan demandait chaque fois un peu plus que ce qu’offrait Strasbourg. Les Alsaciens ont finalement proposé 60 millions et un joueur. A ce moment-là, les dirigeants de Sedan m’ont dit que je pouvais faire mon sac. Dix minutes plus tard, ils me rappelaient pour me dire que le transfert tombait à l’eau. Il faut croire que l’argent ne les intéresse même pas. Et c’est cela qui me fait le plus peur. Il me reste un an de contrat ici et je suis effrayé à l’idée qu’ils me maintiennent jusqu’au bout sur une voie de garage.

Le pouvoir du président

Pour quelle vraie raison freinent-ils votre carrière?

Je n’ai qu’une explication: ma tête ne leur revient pas. Ou plutôt: elle ne leur revient plus. Parce qu’il y a un an, j’étais très proche du président. On me reprochait même d’être son chouchou. Maintenant, des supporters me demandent si je me suis disputé avec lui pour être traité comme je le suis. Non. Même pas.

Je n’ai pas joué l’équivalent d’un match complet depuis le début de la saison et j’ai marqué quatre buts. Certains attaquants n’en touchent pas une mais restent dans l’équipe semaine après semaine. C’est ça qui me révolte. Je sais que, même si je suis le meilleur du groupe à l’entraînement, je n’aurai aucune chance de jouer le week-end. Heureusement que je n’ai pas un tempérament à me laisser aller. Si je n’avais pas cette force de caractère, je serais bien bas aujourd’hui. Ce que j’ai vécu au début de ma carrière, à Charleroi, me sert pour surmonter les épreuves d’aujourd’hui. Mes problèmes de santé à l’époque, mon retour forcé à l’Olympic: tout cela m’a endurci. Je sais que chaque problème a sa solution. Je fait la part des choses: je reste cool, je ne frappe pas ma femme (il rit)… Je finirai bien par rebondir.

Sedan, c’était une erreur?

Je ne vois pas les choses comme ça. Si je pouvais retourner deux ans en arrière, je signerais à nouveau ici. Je regrette seulement ce que je vis pour le moment. L’arrivée de Stambouli à la tête de l’équipe a tout compliqué pour moi. Il a débarqué comme adjoint l’été dernier avec ses idées. Et une intention bien claire: devenir entraîneur principal. Il avait entraîné Marseille et a quitté la Suisse pour un poste de numéro 2 à Sedan. Comme si Jan Ceulemans abandonnait Westerlo pour devenir adjoint à Sedan. Quand on accepte un tel recul, on a une idée derrière la tête. Je suis sûr que les dirigeants lui avaient promis la place d’entraîneur principal. Ici, le président, Pascal Urano, a un pouvoir énorme: on ne le voit jamais aux entraînements mais il veut faire l’équipe. C’est pour cela que Patrick Remy avait autrefois quitté Sedan. Et c’est peut-être à cause du président que je ne jouais pas en début de saison. Alex Dupont croyait en moi puisqu’il m’avait fait venir un an plus tôt. Mais le club avait transféré de nouveaux joueurs et Urano a sans doute exigé que l’entraîneur les mette dans l’équipe.

Sacrifices financiers

Votre première saison ici s’était pourtant bien passée.

Elle avait même été extraordinaire jusqu’à ma blessure au genou, dans un match contre Marseille. Je jouais et je marquais. Il faut croire qu’on me jugeait indispensable, puisque l’entraîneur et le président ont mis la pression sur les médecins pour qu’ils me poussent à rejouer avant ma guérison complète. J’ai accepté et je l’ai payé. J’ai fait une rechute. Malgré tout cela, mon bilan d’ensemble était bon et j’avais aidé l’équipe, en fin de saison, à se qualifier pour la Coupe de l’UEFA.

Comment voyez-vous les prochains mois?

Je solliciterai une bonne discussion avec la direction dès que Sedan sera sauvé. J’espère que le bon sens finira par triompher et qu’on me laissera partir pour rien.

En décembre, on a parlé d’un retour en Belgique.

C’est plus que probable. C’est même certain à terme. Je rentre en mai de cette année ou au plus tard en fin de saison prochaine. J’aurai bien gagné ma vie à Sedan: au moins six fois mieux qu’à Westerlo. Plus tard, je pourrai me vanter d’avoir connu une expérience à l’étranger. Peut-être pas une grande réussite, mais pas un échec non plus. Disons un semi-échec. Quand on est réserviste à l’étranger, on se dit qu’on serait beaucoup mieux chez soi. Mes priorités sont désormais sportives et familiales: je veux retrouver du plaisir sur le terrain et je n’ai pas envie que mon enfant soit baladé continuellement de gauche à droite. Un gosse a aussi besoin de ses grands-parents et d’un cadre de vie dans lequel ses parents sont tout à fait épanouis. Pour moi, cela n’est possible qu’en Belgique.

A Charleroi?

Pas nécessairement. Dans mon esprit, le Sporting restera toujours le club qui m’a lancé en D1. Mais je dois plus à Westerlo qu’à Charleroi. Je n’ai aucune exclusive. Je suppose que, si mon transfert est gratuit, plusieurs clubs seront intéressés. Les buteurs ne courent quand même pas les rues. Je suis prêt à faire de gros sacrifices financiers. Je chercherai d’abord un environnement où tout le monde est favorable à ma venue. Si je sens des réticences, je m’abstiendrai. Attention, je n’irai pas non plus n’importe où et pour n’importe quel salaire.

Pierre Danvoye,

« Je n’ai qu’une explication: ma tête ne leur revient pas »

« J’ai joué 83 minutes depuis le début de la saison. Et marqué 4 buts! »

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