« Je prends des coups »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

La presse est-elle vraiment trop dure avec Charleroi?

Le maintien est assuré depuis plusieurs mois, mais on parle autant de Charleroi qu’il y a un an, quand ce club dut jouer sa saison sur le dernier match contre Anderlecht…

Enzo est toujours au centre des conversations, aujourd’hui. Sa moindre décision est commentée en long et en large, son plus petit geste suscite la controverse. « Dès que je lève le petit doigt, ça se retrouve dans les journaux », dit-il.

Cette médiatisation vous étonne-t-elle?

Enzo Scifo: Elle me surprend dans la mesure où le Sporting n’est qu’un club moyen en Belgique. Chaque jour, il y a plusieurs journalistes à l’entraînement. Ils veulent tout voir, tout savoir. On parle autant de Charleroi que des plus grands clubs de ce championnat. Nous sommes aussi médiatisés que le Standard. D’un côté, c’est bon signe: ça veut dire que ce club suscite de l’intérêt.

Cette saison, il y a de nouveau eu des raisons de commenter tout ce qui est arrivé à Charleroi…

Je ne suis pas d’accord. Que s’est-il passé de spécial? Le limogeage de Ferrera? Mon arrivée à la tête de l’équipe? Ma brouille avec Tokéné ou d’autres joueurs? Mais ce ne sont que des événements dérisoires, des péripéties comme il en arrive dans tous les clubs. Ici, tout est terriblement amplifié. Dès qu’il y a une petite discussion entre l’entraîneur et un joueur, ça devient un gros problème dans la presse. Les gens pensent dès lors que le Sporting est un club à problèmes. Il n’y a rien de plus faux. Nous travaillons dans une très bonne ambiance et mes joueurs ont une excellente mentalité.

L’incident Bisconti était-il aussi dérisoire?

Roberto est un gars charmant. Quand vous discutez avec lui, c’est un agneau. Mais je ne peux pas accepter la réaction qu’il a eue lorsque je l’ai remplacé à Alost. Il me reproche de l’avoir sorti du jeu alors qu’il doit trouver un club pour la saison prochaine. Je ne lui interdis pas de penser à son avenir, mais qu’il me permette de penser à celui du Sporting. J’ai décidé de ne plus l’aligner parce que je dois préparer la saison prochaine, en essayant des jeunes notamment. Roberto ne doit pas venir me dire qu’il jouait sa carrière sur les deux derniers matches de la saison. Et s’il avait été bon à Alost, je l’aurais laissé sur le terrain.

Bisconti a l’impression que vous l’avez sacrifié. Dimitri de Condé aussi…

On a raconté n’importe quoi. Avec Dimitri, les choses ont été très claires dès le départ. Il a fait un très bon premier tour, il a un excellent état d’esprit et nous aimerions qu’il reste au Sporting. Mais il faudra alors qu’il accepte une diminution de son contrat parce qu’il est trop cher pour nous. Soit il fait des concessions, soit il part.

Quelques jours après avoir annoncé un objectif de 50 points, vous faisiez le ménage dans l’équipe…

Ce n’est pas parce que je fais des tests que je fais une croix sur les résultats. Les joueurs que j’essaye pour le moment, je crois en eux. Mais je veux être certain qu’ils méritent de faire partie du noyau A la saison prochaine. Si nos matches contre Malines et Alost n’avaient eu aucune influence sur la lutte pour le maintien, j’aurais déjà aligné des jeunes à ce moment-là. Mais je tenais à ce que Charleroi joue à fond son rôle d’arbitre, surtout vis-à-vis de La Louvière. Par contre, nos deux dernières rencontres, contre St-Trond et Westerlo, n’avaient plus de signification particulière.

Quel bilan sportif tirez-vous de votre première saison comme entraîneur?

Pour moi, il est bon. J’ai la conviction que j’ai fait progresser mon équipe, même si ce n’est pas très clair à l’analyse des résultats. Quand j’ai repris le noyau, j’ai constaté que notre programme du deuxième tour était plus compliqué que celui du premier. Nous devions nous rendre sur le terrain des petites équipes du championnat et ce n’est jamais facile. Ma plus grande déception, c’est que nous n’ayons pris aucun point contre Bruges, Anderlecht, le Standard et Mouscron.

Ça vous énerve qu’on compare votre bilan avec celui de Manu Ferrera?

Oui! Qui peut dire que Charleroi serait encore cinquième si Ferrera était toujours là?

Certains supporters n’acceptent toujours pas son licenciement…

Vous appelez ça des supporters? Ceux qui, à Alost, ont scandé le nom de Ferrera? C’étaient ses potes, pas des supporters du Sporting. A Lokeren aussi, ils avaient encouragé Leekens! Les vrais, les fidèles, ils sont derrière moi et le font savoir lors de chaque match.

On vous a parfois senti découragé, comme après la défaite à Lokeren.

Je suis quelqu’un qui s’exprime naturellement. Si je suis déçu après un mauvais match, je ne le cache pas. C’était déjà comme ça quand j’étais joueur. J’ai alors tendance à être négatif. Mais quand je me réveille le lendemain, je suis de nouveau prêt à renverser des montagnes. J’ai une chance terrible d’avoir pu commencer à entraîner aussi jeune en D1. Je prends des coups chaque semaine, mais c’est la meilleure école. A froid, je peux vous dire que je suis heureux d’être entraîneur. Point à la ligne.

J’ai sous-entendu que je pourrais quitter mon poste après la défaite à Lokeren parce que j’étais surtout déçu par l’atmosphère qu’on avait créée autour de ce match. Toute la presse l’avait présenté comme une revanche Leekens-Scifo et avait pour ainsi dire oublié qu’il y aurait surtout 22 joueurs sur le terrain. Cela s’est répercuté sur toute l’équipe. Mes joueurs étaient paralysés à cause de la pression qu’on avait mise sur le match. Même chose à Alost. Pendant plusieurs jours, on n’a parlé que des retrouvailles entre Ferrera et Scifo. Mes joueurs ont de nouveau très mal géré cette médiatisation. Ce n’est pas un hasard si Charleroi a joué ses deux plus mauvais matches à Lokeren et à Alost. Quand je me rends compte que mes problèmes personnels se répercutent sur le niveau de jeu de mon équipe, je me pose des questions et je me demande si je suis à ma place. Mais, à tête reposée, je ne remets pas mon choix en cause.

La défaite à Alost est-elle celle qui vous a fait le plus mal?

Certainement. J’ai vu un Sporting à la dérive, il n’y avait plus d’équipe sur le terrain. En face, il y avait un Alost très moyen. Un Charleroi à son niveau aurait facilement pris les trois points là-bas. Je n’ai pas sous-entendu que certains de mes joueurs avaient été achetés ou avaient joué pour Ferrera. J’ai seulement mis en cause le contexte particulier de ce match et je me suis posé des questions sur l’état d’esprit de mes joueurs. Ils ont été tétanisés par tout ce qu’on avait raconté dans les journaux avant le match. Si je m’étais contenté de lieux communs après une prestation aussi catastrophique, on m’aurait aussi critiqué.

Vous étiez parti trop jeune à l’Inter. N’avez-vous pas commencé trop jeune en D1?

Je ne pense pas. C’est toujours bien de plonger très vite dans le grand bain, que ce soit comme joueur ou comme entraîneur. J’ai la chance de travailler dans un club dont la philosophie m’autorise à faire des erreurs. Le Sporting n’a pas l’obligation de se qualifier cette saison ou l’année prochaine pour une coupe d’Europe. Reprendre une équipe qui ne connaît aucun problème, n’importe quel ancien joueur est capable de le faire. Ici, le défi n’était pas simple et j’aurai d’autant plus de mérite si ça marche. Je m’investis comme entraîneur et comme dirigeant. Dans mes deux rôles, mon ambition est identique: faire grandir le club.

Le président, le manager, l’entraîneur et l’adjoint du Sporting n’ont aucune expérience de la D1 dans leurs rôles actuels. C’est un gros handicap, non?

Nous avons eu le mérite de nous impliquer dans un club en difficulté. On ne va quand même pas nous le reprocher? Le Sporting a déjà réussi une progression fantastique par rapport à l’année dernière. Pour moi, cette saison a été une réussite totale. On a malheureusement beaucoup plus amplifié nos problèmes que tout ce qui a bien marché.

Pierre Danvoye

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