« Je préfère vivre seul que mal entouré »

Voyage surréaliste en Azerbaïdjan, nouveau port d’attache de l’attaquant, aux bords de la mer Caspienne.

Les confins de l’Europe. Rendez-vous en terre inconnue, en compagnie d’un hôte prestigieux… Tel pourrait s’intituler notre reportage à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, aux bords de la mer Caspienne pour rencontrer Emile Mpenza, qui a pris tout le monde à contre-pied en signant au Neftchi, après une saison où il avait pourtant rebondi (21 buts en Suisse).

Huit heures de vol, une lettre d’invitation en poche car on n’entre pas dans ce pays comme on veut. Sauf si on est dépêché par une des nombreuses compagnies pétrolières qui ont commencé à pulluler dans les années 90 lorsqu’on réactiva les gisements de pétrole de la mer Caspienne. Vingt minutes d’attente au guichet passeport, une heure à celui des visas. Le boom économique des dernières années a occulté la nature du régime politique en place mais l’Azerbaïdjan demeure une dictature. Un pays tenu d’une main de fer par le président Ilham Aliev qui a succédé à son père, Heydar, à sa mort et qui a modifié la constitution afin de briguer un troisième mandat (il est déjà prévu qu’il fasse de même pour son quatrième).

A Bakou, on voit des policiers partout. Interdiction de photographier les bâtiments officiels et même les ambassades qui ont envahi les demeures classées du centre-ville. Interdiction de photographier le métro, vestige au charme suranné des années soviétiques. Et comme cette interdiction contraste très fortement avec l’accueil des habitants, on ne sait jamais si les invitations sont réelles ou feintes, juste pour mieux surveiller le journaliste étranger…

Le premier jour, on débarque au siège du club. Le Neftchi se niche au bout d’une rue à peine macadamisée, au milieu des oléoducs qui traversent toute la ville. Direction un terrain d’entraînement, coincé entre un chantier de construction et une petite usine.  » On ne s’entraîne pas toujours ici mais il a plu ce week-end et il faut le temps que notre terrain d’entraînement se solidifie « , nous explique Tural Piriyev, team-manager de cette équipe, cinq fois championne d’Azerbaïdjan (un record) depuis la création du championnat national en 1994.

 » Quand je suis arrivé, on m’a fait lire un livre sur l’histoire du club. Vous savez que le Neftchi jouait tous ses matches devant 40.000 personnes lors de la période soviétique ? », nous dit Mpenza. A l’époque, le championnat soviétique ne pouvait accueillir qu’un seul club des régions autonomes. Le Neftchi fut pratiquement le seul club à représenter l’Azerbaïdjan et constituait un motif de fierté et de patriotisme pour tout le pays. Depuis l’indépendance, la donne a un peu changé. Le Neftchi a réussi à garder une certaine mainmise mais a dû partager les lauriers avec d’autres cercles. Le club de Bakou reste le plus riche d’Azerbaïdjan mais cela fait désormais cinq ans qu’il n’a plus ramené de titre.  » On a donc perdu une partie de nos supporters « , ajoute Piriyev.

Et c’est pour cela qu’Emile a été acheté. Pour renouer avec un lustre perdu.  » On a viré 17 footballeurs pour recréer une équipe « , explique le vice-président Tahir Suleymanov.  » On a pris un risque. On a sélectionné des joueurs au Brésil ; on a transféré deux internationaux macédoniens. Il nous manquait un attaquant de grand calibre. Pour persuader Emile Mpenza, les conditions financières ne posaient pas problème. Par contre, il a fallu lui montrer des garanties sportives, lui prouver que notre football se développait. « 

Le lendemain, Emile vient nous chercher à notre hôtel avec son chauffeur à temps plein pour nous conduire dans la vieille ville, dernier vestige classé patrimoine mondial de l’Unesco au sein d’une cité gagnée par la fièvre de l’immobilier. Quelques photos puis direction un centre commercial tout neuf avec vue sur la mer Caspienne.

Vous avez surpris tout le monde en signant à Bakou alors que vous restiez sur une très bonne saison à Sion…

Emile Mpenza : C’est un choix personnel. Je savais que je n’allais pas dans un grand championnat mais le président de Bakou, Arif Asadov, s’est déplacé en Autriche en faisant 11 h de voiture pour me voir. Je me suis dit que j’avais donc beaucoup d’importance à ses yeux et que s’il avait fait ce geste-là, ce n’était pas pour rien. Il avait vraiment envie de m’avoir et que je fasse découvrir ce pays et son football à ceux qui ne le connaissent pas. Que je serve d’ambassadeur en quelque sorte.

Vous avez dû réfléchir avant de vous lancer dans une telle aventure ?

Je ne connaissais pas l’Azerbaïdjan. Je suis venu voir et cela m’a plu. A 32 ans, j’ai déjà connu beaucoup de choses dans ma carrière. Je n’ai pas réfléchi à ce que la presse allait dire car même quand j’ai fait de bons choix, il y a toujours eu des critiques qui ressurgissaient.

En signant à Bakou, vous enterrez votre carrière internationale ?

Je suis quand même en fin de carrière. La plus belle chose qui me reste, c’est de pouvoir profiter de ce métier et de voir le sourire des gens à qui j’apporte encore du plaisir. Malgré l’âge que j’ai, je donne encore du plaisir. En Europe, je n’aurais pas pu compter sur cet aspect-là.

 » J’aurais pu aller à l’Ajax mais j’avais déjà donné ma parole au Neftchi « 

Votre choix repose quand même en grande partie sur l’argent, non ?

Si j’avais reçu le même salaire qu’en Suisse, je ne serais sans doute pas venu à Neftchi mais je ne serais pas resté non plus à Sion. Tout le monde travaille pour l’argent. Certains choix m’ont peut-être aidé à bien gagner ma vie. Mais, à Sion, je n’y suis pas allé pour l’argent. Or, j’ai réalisé une bonne saison. Davantage que l’argent, c’est le contact avec les gens qui me décide à choisir ou pas une destination.

Le Neftchi vous a offert trois ans de contrat. Est-ce votre meilleur contrat ?

A vous de deviner ! Neftchi m’a offert un plan de carrière. Je n’avais pas envie de toujours prendre mes valises et aller à gauche et à droite.

Pourtant, c’est ce que vous faites maintenant depuis quelques années : vous changez de club chaque saison…

C’est pour cette raison que j’ai voulu un contrat de trois ans. Je souhaitais m’installer ici et aider le club sur le long terme. Mais je ne compte pas m’arrêter à 35 ans, au terme de mon contrat. Je suis toujours bien physiquement et je me conserve bien. Tant que le plaisir demeure, je pourrai jouer.

Pourquoi avoir quitté Sion où on vous sentait apaisé ?

Bakou est un peu différent. Dans les stades, c’est plus chaud et agressif que ce que j’ai connu en Suisse mais après ce qui s’est passé en fin de saison avec les dirigeants, je me suis dit qu’il fallait que j’aille ailleurs. Je voyais comment le président Christian Constantin se comportait avec les joueurs et comment il leur manquait de respect. Je me suis dit qu’il fallait mieux tourner la page et ne pas rentrer en conflit avec ce genre de personnage.

Mais avec 21 buts dans le championnat suisse, il y avait certainement d’autres opportunités que l’Azerbaïdjan ?

Je n’ai pas eu énormément d’offres. J’ai juste reçu celle de l’Ajax mais elle est tombée au moment où je menais des pourparlers avec Neftchi. Or, je n’ai qu’une parole ( NDLR : le vice-président du Neftchi Bakou, Tahir Suleymanov, confirma qu’Emile Mpenza a fait preuve d’une grande correction en respectant sa parole). En restant honnête avec les gens, vous sortez gagnant.

Ne rêviez-vous pas d’une dernière pige dans un grand championnat ?

J’étais content de ma saison en Suisse mais les opportunités ne sont pas venues. Cependant, je reste satisfait car à Sion, j’ai pu jouer une saison entière sans être blessé. Et 21 buts dans le championnat de Suisse, ce n’est pas si facile !

A quel niveau situez-vous le championnat azéri ?

Neftchi veut devenir le club le mieux organisé du pays. Les dirigeants essaient d’avoir des infrastructures dignes de celles des clubs européens. Mais quand on sort de Bakou, on voit des terrains indignes et des infrastructures un peu dé-suètes. Il faut s’y adapter. Il n’y a que trois, quatre bonnes équipes. Pour le reste, c’est tout le monde derrière et à nous de nous arracher pour les battre. Je pense toutefois que Neftchi pourrait rivaliser avec Anderlecht ou le Standard.

Les clubs de Bakou sont-ils différents des clubs de régions éloignées ?

Oui. Dès qu’on quitte Bakou, c’est un peu l’aventure.

 » Ils roulent comme des fous. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai demandé un chauffeur « 

Qu’est ce qui vous a frappé en arrivant à Bakou ?

La gentillesse des gens. Certains n’ont pas la chance de connaître le luxe et la facilité mais avec le peu qu’ils ont, ils vous donnent beaucoup. Mon chauffeur s’occupe de moi comme si je faisais partie de sa famille. Il m’emmène partout. Le matin, je sors de chez moi, il est là et le soir, il est encore là. J’ai parfois l’impression qu’il dort au pied de l’immeuble. Bakou est une ville qui vit à 100 à l’heure. Quand vous voyez la circulation, vous vous rendez compte que cela vient de tous les côtés. En plus, ils roulent comme des fous. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai demandé un chauffeur. Je ne voulais pas conduire et risquer de blesser quelqu’un. Dans la vie de tous les jours, les Azéris n’arrêtent pas de bouger.

Est-ce que le pays répondait aux images que vous vous en faisiez ?

Non. Le temps m’a surpris. Je m’attendais aux rigueurs de l’hiver russe. Psychologiquement, je m’attendais à devoir sortir les pulls et les grosses vestes. Quand je suis arrivé, c’était très dur. Je ne pensais pas devoir affronter une chaleur aussi intense ( NDLR : au mois d’août, il faisait 38° quand il est arrivé. La semaine passée, il faisait 26°). Un peu comme au Qatar. Cela m’a étonné et finalement, cela me plaît énormément.

Est-ce que vous vous sentez coupé du monde ?

Non. Quand on sort la journée, on a l’impression d’être dans n’importe quelle ville européenne. Je me sens dans une bulle, protégé par les gens qui vivent ici.

Avec ce transfert, vous renforcez votre image de solitaire…

C’est vrai. Je suis quelqu’un de fort casanier. J’aime rester chez moi des heures, dans ma petite bulle. C’est sans doute pour cette raison que mes choix m’ont guidé à partir à l’aventure, en solitaire. Je me sens mieux seul que mal entouré.

Cela fait longtemps que vous avez quitté la Belgique. De loin, comment voyez-vous le football belge ?

Sur le plan international, il y a encore du boulot. Anderlecht a tout renversé sur son passage en Belgique mais quand il doit se qualifier pour les poules de la Ligue des Champions, il n’est plus là. Et cela a naturellement des répercussions en équipe nationale.

Cela fait maintenant deux ans que vous dites que vous retournerez un jour au Standard. Pourtant le temps passe…

Comme je ne me vois pas terminer ma carrière à 35 ans, on ne sait jamais. Regardez Giggs ! A 38 ans, il a encore ses jambes de 20 ans.

Vous ne sentez pas le poids des ans ?

Quand je me lève le matin, un peu.

Après une nuit de sortie ?

Non, après une nuit de sortie, il me faut 15 jours pour récupérer ( Il rit). Mais ce n’est pas parce que j’ai un peu de mal le matin que je me dis que je suis fini.

par stéphane vande velde- photos: reporters/ eric herchaft

« Psychologique-ment, je m’atten-dais à devoir sortir les pulls et les grosses vestes. »

« Mon chauffeur m’emmène partout. Le matin, je sors de chez moi et il est là et le soir, il est toujours là. »

« Je pense que Neftchi pourrait rivaliser avec Anderlecht ou le Standard. »

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