© EMILIEN HOFMAN

« Je peux encore jouer en D1A »

À 28 ans, Mohamed Aoulad a disputé plus de 200 matches pros. Aujourd’hui à la relance à l’AFC Tubize, en D1 Amateur, le Schaerbeekois revient sur les événements qui ont émaillé son étrange parcours, du  » fils de p…  » envoyé à Bayat aux piges du Mondial des clubs.

Mohamed a un peu de retard : son fils aîné avait envie de jouer avec ses amis à la garderie.  » Depuis que mes enfants sont là, ils occupent toutes mes priorités « , sourit le milieu offensif, qui reçoit dans son quartier de toujours, à côté de la gare de Schaerbeek. Depuis février, il porte la vareuse de l’AFC Tubize, en D1 Amateur et découvre donc le troisième échelon national pour la première fois en huit ans de carrière.

 » J’ai mis ma fierté de côté et je me suis dit que si je prétendais être trop bon pour évoluer là, il fallait que je le prouve sur le terrain « , souffle-t-il en sirotant son eau pétillante. Franc, enjoué et ambitieux, Mohamed Aoulad n’a pas changé. Personne ne s’en plaindra.

L’été dernier, tu as quitté la D1B et Roulers après deux matchs en disant qu’il y avait beaucoup de problèmes. Tu peux en dire plus ?

Mohamed Aoulad : On a fait une bonne saison 2018-19, mais la propriétaire ( la Chinoise Xiu Li Hawken, ndlr) en avait apparemment marre de mettre de l’argent sans avoir les résultats qu’elle espérait. Du coup, on n’a pas été payé pendant les quatre derniers mois. À l’intersaison 2019, on était seulement quatre joueurs sous contrat, le tout sans coach. On a fait toute la préparation avec le T2 David Colpaert, puis lors du premier match, j’ai joué milieu défensif. Dans la foulée, les Brésiliens sont arrivés et ont repris le club ( un groupe d’investisseurs brésiliens a effectivement été cité, mais l’achat n’a jamais été officialisé, ndlr), mais c’était pas clair : on ne savait pas à qui parler, qui était le chef, qui payait les salaires, etc.

Lors d’un Wydad-Raja suivi par 100.000 personnes dans les gradins, j’ai senti le sol trembler.  » Mohamed Aoulad

Arnar Gretarson est arrivé entre les deux premiers matchs. Tu as discuté avec lui ?

Aoulad : C’était sa première expérience en tant que coach, c’était une opportunité en or pour lui, donc il n’avait pas vraiment son mot à dire. J’ai demandé à résilier mon contrat. Avec deux enfants, je ne pouvais pas me permettre de jouer gratuitement. La bonne saison que je venais de faire et la petite carrière que j’ai me poussaient à revendiquer mieux que cette situation. J’ai eu des contacts avec des équipes de D1A, dont Waasland-Beveren, de Roumanie, d’Azerbaïdjan… mais uniquement des destinations où je ne me voyais pas emmener mes enfants : mon fils allait vivre sa première année à l’école, je ne voulais pas le perturber. L’étranger n’était pas une option à ce moment-là…

 » À Casablanca, on me reconnaissait à un kilomètre  »

Tu as connu l’étranger l’espace d’une saison avec le Wydad Casablanca en 2017. Qu’est-ce qui t’avait convaincu de faire le pas à ce moment-là ?

Aoulad : J’avais toujours joué en Belgique, je sortais d’une très très bonne saison à l’Union et j’avais signé un pré-contrat avec OHL, mais j’ai reçu une offre de dernière minute du Wydad Casablanca qui me proposait un salaire cinq fois plus élevé. Ça a été primordial dans mon choix… Et puis, sportivement, le Wydad joue tous ses matchs devant 80 000 supporters, lutte pour le titre et participait cette année-là à la Ligue des Champions africaine. À Casablanca, si je sortais dans la rue, on me reconnaissait à un kilomètre. Sur les quatre millions d’habitants, deux tiers supportent le Wydad et les autres le Raja.

Les deux plus grands clubs du Maroc sont issus de la même ville, donc les gens sont fanatiques ! Je me souviens d’un derby où il y avait tellement de supporters – 100 000 – qui sautaient qu’on sentait le sol trembler sur le terrain. Après quelques mois sur place, j’ai également disputé le Mondial des clubs : si on gagnait contre les Mexicains de Pachuca, on affrontait le Real de Zidane au tour suivant ( Grêmio en réalité, ndlr). Wydad a été une sacrée expérience, mais je ne voyais jamais ma femme et mon fils, qui étaient restés en Belgique.

En mai 2018, le site internet Le 360° Sport annonce que le club n’a plus de nouvelles de toi. Tu as vraiment disparu ?

Aoulad : J’ai marqué dix goals puis j’ai eu une déchirure au pied qui m’a écarté des terrains pendant trois mois. Pour être honnête, je n’ai pas été payé pendant cette période-là, le club attendait que je sois fit pour reprendre les paiements. J’ai décidé de rentrer en Belgique et je n’ai plus donné de nouvelles pendant deux semaines. Je voulais clairement mettre un coup de pression sur le président. Finalement, il m’a recontacté, je suis revenu au Maroc et on a réglé la rupture du contrat à l’amiable, avant de se serrer la main.

 » J’ai confiance en moi  »

Cet hiver, après quatre mois sans club, qu’est-ce qui t’a convaincu de rejoindre Tubize en D1 Amateur ?

Aoulad : L’amour du football. Ça a été un choix très très difficile parce que je ne voulais jamais jouer en D1 Amateur de ma vie. Finalement, je suis content d’être là parce que j’ai retrouvé du temps de jeu et mes sensations. Puis, si on se sauve, tout le monde va en sortir gagnant. J’ai confiance en moi, je sais ce que je peux apporter. Aujourd’hui, je suis en D1 Amateur, mais peut-être que demain je serai de retour en D1A.

Tes débuts ont été un peu compliqués…

Aoulad : Très très compliqués ! Lors de mon premier match, contre Visé, au moment de rentrer à la mi-temps, je porte une paire de chaussettes blanches sous mes bas rouges donc je mets du tape rouge dessus pour les cacher. On voit un tout petit morceau de blanc, mais l’arbitre assistant valide et me laisse monter sur le terrain, où l’arbitre principal me demande directement de sortir. Les 21 autres joueurs ont leurs chaussettes blanches jusqu’en haut des chevilles, mais il n’y a que chez moi qu’on va chercher la petite bête. Quand je remonte sur le terrain, j’ai tellement de tape que mes chaussures bleues sont devenues rouges, mais l’arbitre refuse de me laisser jouer tant que je n’ai pas enlevé mes chaussettes. Une fois l’affaire réglée, sur ma première touche de balle, je dribble 3-4 joueurs avant de me faire arrêter fautivement.

Mohamed Aoulad :
Mohamed Aoulad :  » Avec tout ce que j’ai vécu, j’ai des choses à apprendre aux jeunes. « © EMILIEN HOFMAN

Je discute avec un mec de Visé et c’est vrai qu’on ne s’échange pas des mots doux, on a un petit accrochage, mais l’arbitre me met la rouge à moi seul. Sur le coup, je crois que c’est pour mes chaussettes. Je vais vers l’arbitre avec mon capitaine pour avoir une explication, mais il siffle trois coups pour nous faire rentrer aux vestiaires. Là-bas, il annonce qu’il accepte de reprendre le match mais sans moi. À partir du moment où un arbitre siffle les trois coups puis qu’il revient sur sa décision, c’est qu’il n’est pas sûr de lui, parce qu’une interruption, c’est deux coups de sifflet ! C’est la première fois en dix ans que mon nom et ma réputation refont surface. C’est dommage, parce que c’est mon seul carton rouge en 200 matchs pros ( il en avait reçu un autre avec Saint-Trond en 2013 contre… Tubize, ndlr)

 » J’ai connu la galère et j’ai fait des mauvais choix  »

Le caractère reste, quoi que l’on fasse ?

Aoulad : Tous les joueurs ont du caractère. Certains l’expriment à travers un tacle, d’autres en perdant tous leurs ballons, d’autres encore avec leur bouche, etc. Après, il faut savoir se gérer et gérer ses émotions.

Tu as essayé de travailler ça au fur et à mesure des années ?

Aoulad : J’ai fait une erreur sur toute ma vie et elle m’a collé à la peau. Dans le football, on oublie vite… ou jamais ! Avec moi, on n’a jamais oublié ( En décembre 2012, après avoir marqué un but avec Charleroi, Mohamed a adressé un  » fils de p…  » perceptible à la caméra en direction de Mehdi Bayat. Quelques jours plus tard, le club carolo mettait fin à son prêt et le renvoyait à Anderlecht, ndlr). C’est vrai que j’aurais pu aller beaucoup plus loin avec mon talent, mais j’ai fait mon petit bout de chemin, je suis très content de ma carrière et je n’ai pas de regrets. Maintenant, j’aimerais lancer une structure de soutien aux jeunes : je ne suis pas comme certains joueurs qui ont gagné des Coupes du Monde et des Premier League et à qui tout a réussi, moi j’ai connu la galère et j’ai fait des mauvais choix. J’ai donc des choses à apprendre aux jeunes.

Quels sont ces mauvais choix ?

Aoulad : J’aurais dû chercher plus de stabilité.

Par exemple à Westerlo, où tu as disputé une de tes meilleures saisons en 2014-15 (18 matchs, 5 buts) ?

Aoulad : Déjà à Anderlecht. S’il n’y avait pas eu l’incident à Charleroi, je pense que j’aurais terminé l’année là-bas, puis j’aurais joué la saison suivante à Anderlecht.

 » Avec Mehdi, tout est aplani  »

Tu aurais une autre carrière si la caméra n’avait pas filmé ce moment où tu t’adresses à Mehdi Bayat ?

Aoulad : Oui, bien sûr ! Je serais au minimum en D1A et dans un gros club. Au fond de moi, je sais que je peux encore jouer en première division. Je ne vais pas dire que je serais l’un des meilleurs joueurs, mais je ne ferais pas tache… et dans plusieurs équipes ! Mais je n’ai pas de problème avec Mehdi Bayat. Quand je suis revenu à Charleroi avec Westerlo en 2014, j’ai marqué deux buts, j’ai fait un assist et on a gagné 2-3. On s’est fait la bise avant et après le match, on a eu quelques échanges, il a d’ailleurs dit qu’il était content de moi.

On n’a pas dû s’expliquer, le temps avait fait son oeuvre. Si tu ne pardonnes pas à ton prochain, c’est que tu es con. Et puis je pense qu’il a vu que j’avais des qualités, et moi qu’il faisait du bon boulot donc il y a eu un respect mutuel. Le Charleroi actuel fait presque partie du top en Belgique. Le joueur qui m’étonne le plus, c’est Dorian Dessoleil. Quand j’ai joué avec lui à l’époque, je n’aurais jamais dit qu’il deviendrait capitaine du Sporting. Il a eu une vraie progression parce qu’on lui a donné sa chance et aujourd’hui, c’est un clubman.

Tu as conservé une grosse relation avec Yannick Ferrera, même après Charleroi ?

Aoulad : On a toujours eu un très bon feeling depuis nos années chez les jeunes à Anderlecht. Il m’a amené à Charleroi puis à Saint-Trond et il a voulu me transférer dans chaque club où il est passé après, que ce soit au Standard, à Malines et même aujourd’hui en Arabie saoudite. Yannick est un gars honnête qui connaît la mentalité des jeunes. Il est tactiquement surdoué et est vraiment passionné : il connaît tous les joueurs de D1 Amateur. Au Standard, il a fait son job en remportant une Coupe de Belgique en 2016 alors que le club n’avait plus rien gagné depuis bien longtemps, mais après on ne lui a pas laissé le temps. Pourtant, je le verrais bien prendre la relève de Roberto Martinez à la tête de l’équipe nationale.

 » Quand j’accélère, personne ne peut me rattraper  »

Qu’est-ce qui explique que tu aies quitté le centre de formation d’Anderlecht et arrêté le foot à 14 ans pour faire du foot en salle avec tes amis ?

Mohamed Aoulad : Avant, tu avais beau avoir du talent, c’était beaucoup plus compliqué de réussir quand tu t’appelais Mohamed… et pourtant j’étais Belge ! Quand j’ai quitté Anderlecht à 14 ans, j’étais très déçu par ça et j’ai eu envie de me retrouver avec mes amis, dans la rue dans laquelle j’ai grandi. On a créé une équipe de futsal et on a tout explosé sur notre passage en devenant champion du Brabant et de Belgique. Puis, le football m’a manqué, j’ai joué en P2, en junior et en réserve au Brussels et quelques mois plus tard, je signais pro et je rejoignais le noyau A.

Qu’est-ce que le futsal t’apporte en tant que footballeur ?

Aoulad : Le fait de rester tout le temps en mouvement. Puis, je ne suis pas un joueur hyper rapide, mais quand j’accélère, aucun défenseur ne peut me rattraper parce que je pousse la balle au bon moment. C’est moi qui décide d’aller où je veux, pas lui. C’est un truc que l’on apprend au minifoot où les espaces sont tellement petits et le temps très court que tu ne peux pas te tromper : si tu vas à droite, tu dois être sûr d’y aller pour que le mec soit dans le gaz dès les premiers mètres, même s’il est plus rapide que toi. Quand Zidane accélérait, tu avais l’impression qu’il allait très vite, mais c’était un des plus lents : c’est juste qu’il partait au bon moment.

Tu joues encore dans la rue ou en salle ?

Aoulad : Tous les week-ends. Je joue avec des amis et des footballeurs pros comme Benjamin Mokulu, François Kompany ou Hakim Bouhna, un ancien d’Anderlecht. Je préfère la salle, tu as beaucoup plus d’affinités avec la balle qu’en rue, où elle accroche.

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