» Je pense à l’équipe nationale « 

Pierre Bilic

L’icône du meilleur club formateur de D1 a longuement rencontré l’équipe des -17 ans de son Sporting.

A 22 ans, Grégory Dufer prend de plus en plus de place dans le monde du football belge. Malgré son jeune âge, le Carolo a récemment passé le cap des 120 matches de championnat de D1.

Petit à petit, il a pris le relais de Philippe Albert et Daniel Van Buyten qui, avec des moyens différents, s’envolèrent de Charleroi avant de s’élever vers des sommets européens. Greg est le porte-drapeau de la politique des jeunes de Charleroi récemment mise à l’honneur par l’Union Belge. Charleroi a été élu meilleur club formateur de D1. Un titre qui passe inaperçu en Belgique, contrairement à la légitime fierté que cela génère en France.

La formation a toujours été un des bons filons des Zèbres qui plongent profondément leurs racines à travers tout leur terroir. Mais ce souci avait été mis entre parenthèses, comme ailleurs, quand les clubs de l’élite s’engagèrent surtout dans des recrutements sur les marchés étrangers. Le succès n’a pas toujours couronné ces dépenses et cela a incité certains clubs à regarder à nouveau autour d’eux.

Une réussite cache toujours une aventure intéressante avec ses hauts et ses bas, ses joies et ses peines, ses objectifs atteints ou pas, ses rêves, son travail au quotidien, la pression à gérer, etc. Ce sont des thèmes que les û17 ans de Charleroi ont abordés avec l’étoile plus que montante de leur club. Polis, attentifs, tous habillés d’un training de ville aux couleurs de leur club, ils ont visiblement apprécié ce long moment passé avec une star qu’ils rêvent de rejoindre en équipe Première.

Greg, dont la maturité est de plus en plus évidente, n’a pas hésité à leur offrir son expérience, ses conseils, sa foi :  » Il ne faut jamais oublier la discipline. Sans elle, on n’y arrive pas « . Plus tard, il ajoutera :  » Ce fut un plaisir, et même un honneur, de rencontrer ces jeunes de mon club « . Leurs questions furent souvent très perspicaces…

Il faut se battre

A 16 ou 17 ans, comme nous, que connaissais-tu du monde professionnel ?

Grégory Dufer : Pas grand-chose mais je rêvais de le découvrir et d’y faire mon chemin. J’avais fait une croix sur mes études. Avec le recul, je constate que ce choix était risqué car tout est fragile dans ce milieu. Dès lors, il est plus prudent de terminer ses humanités tout en exprimant ses ambitions sportives. C’est parfaitement possible mais cela demande, évidemment, de gros efforts personnels et beaucoup de travail. J’ai choisi un autre chemin en sachant qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Certains ont percé en même temps que moi en D1 mais ne sont plus là. La plus grosse erreur à éviter est de croire qu’on est arrivé. Tout commence à 17 ans ou quand on arrive dans le vestiaire de l’équipe Première. Celui qui n’avance plus, via le travail et la remise en question, recule, souvent très vite. Il faut se battre. C’est dur car, en D1, le hobby devient un métier.

Pourtant, et c’est essentiel, le plaisir reste au centre du débat et doit être plus important que l’argent et, forcément, l’obligation de gagner sa vie. La masse de travail est très importante. Je le devinais mais, là, je le vis au quotidien. Je ne savais évidemment pas que le stress et les responsabilités étaient aussi importants. A 18 ans, je me suis affirmé dans un club qui luttait pour sa survie. Quatre ans plus tard, c’est toujours le cas. Cela génère un stress que les jeunes ne mesurent pas. Quand un club est en crise ou ne trouve pas de solutions, il se tourne souvent vers ses jeunes. Il faut qu’ils saisissent alors leur chance. C’est ce que j’ai fait quand Raymond Mommens m’a intégré au noyau de l’équipe fanion. J’ai été très bien reçu dans le vestiaire. Philippe Albert, par exemple, m’a pris sous son aile et m’a prodigué de bons conseils. Il serait intéressant qu’on lance aussi des promesses dans des périodes moins stressantes. Je sais que c’est désormais un des grands soucis de Charleroi. Didier Beugnies et son staff préparent beaucoup d’espoirs. C’est bien. Didier Beugnies a connu la D1, sait la définir, la présenter aux jeunes qui, grâce à ses conseils, ne débarqueront pas dans l’inconnu.

Est-il plus facile de se faire une place au soleil à Charleroi que dans un grand club ? Luigi Pieroni aurait-il percé aussi facilement au Standard qu’à Mouscron ?

Charleroi mériterait un intérêt médiatique plus important au niveau national. La remarque vaut aussi pour St-Trond, La Louvière, Westerlo ou d’autres qualifiés, à tort, de petits clubs. Il faut un miracle pour qu’un gars de chez nous soit retenu en équipe nationale. Et ce n’est pas une question de résultats. Quand Charleroi a disputé la finale de la Coupe de Belgique face au Standard en 1993, cela n’avait pas suffi pour séduire le coach fédéral. Or, des joueurs comme Olivier Suray, Roch Gérard, Dante Brogno ou Rudy Moury, pour ne citer qu’eux, cassaient la baraque et auraient mérité, comme Eric Van Meir, d’avoir leur chance. Philippe Albert a connu cette joie mais sa carrière a pris une autre dimension quand il s’est envolé vers Malines. Daniel Van Buyten vit la même chose. Personne ne pensait à lui quand il évoluait chez nous. La pression est très forte au top. Mais l’est-elle moins dans un club qui lutte pour survivre ? Je me pose la question.

Luigi Pieroni mérite d’être à la une de l’actualité sportive. Même si le Standard exige beaucoup de rendement, je crois qu’il y aurait percé aussi. En plus de son choix sportif, il a tenu compte d’un paramètre financier. Luigi Pieroni voulait gagner plus de 1.000 euros par mois comme on le lui proposait au Standard. C’est son droit. Moi, j’avais infiniment moins à mes débuts à Charleroi. A Mouscron, il s’est bien positionné lors des blessures de Mbo Mpenza et de Marcin Zewlakow. Luigi Pieroni a alors marqué des buts comme à la parade. Des jeunes réussissent aussi dans les clubs huppés. Je citerai d’abord Vincent Kompany à Anderlecht puis Jonathan Waklasiak au Standard, Kevin et Vandenbergh à Genk. Où que ce soit, il faut bien gérer sa carrière, la mener avec calme, tout faire pour être un bon pro : se reposer, travailler, ne jamais être en retard, respecter ses équipiers.

Le football m’a tout apporté : un métier, la renommée, de l’argent pour payer une maison à mes parents, le bonheur de rencontrer des tas de joueurs de cultures différentes. Je suis un privilégié mais cela se mérite. J’ai aussi eu mes plages de doutes. Quand j’étais Cadet, j’ai failli tout laisser tomber car je ne m’entendais pas bien avec un entraîneur.

Beaucoup de requins

Faut-il éviter certains agents tournant autour des joueurs ? Avez-vous bien fait de ne pas répondre à l’appel de Lorient ? Quel est votre championnat étranger préféré ?

Il y a beaucoup de requins dans la mare du football. J’en ai connu. J’ai fait le tri. Un ami me conseille. J’ai écarté les autres. Ils ne songent qu’à des transferts afin de gagner de l’argent sur le dos des joueurs. Le plan de carrière des footballeurs concernés ne les intéresse pas du tout. Mon nom avait été cité à Nantes. Là, cela me branchait car c’est un grand club avec une tradition, un style de jeu, l’habitude de travailler avec des jeunes qui vont loin. Il n’y eut hélas pas de suite. Mais, par contre, le contact avec Lorient, où j’ai même passé des tests, ne m’intéressait pas. Lorient joue en D2 et je risquais de m’y enterrer. Je suis un fan du football anglais. J’ai passé des tests positifs à Sunderland et à Middlesbrough mais, au bout du compte, il était préférable que je rode encore un peu mes armes à Charleroi. Jonathan Blondel est parti trop jeune en Angleterre. S’il avait patienté un peu, je suis sûr que cet excellent joueur aurait réussi à Tottenham. Bruges a réalisé une bonne affaire en le faisant revenir en Belgique. Je suis un fan de Manchester United et de Ruud van Nistelrooy, un attaquant doté de la super classe. L’Angleterre, c’est le paradis du football avec des stades pleins à craquer : j’aimerais y jouer un jour…

Avant l’Angleterre, ne conviendrait-il pas de faire un petit crochet par Anderlecht, Bruges, Genk ou le Standard ?

Ce serait en effet une étape intéressante mais, pour le moment, je ne songe qu’à une chose : le maintien de Charleroi en D1. Ce combat figure au centre de mes préoccupations. Après on verra. Il est important de prendre part à la Ligue des Champions. C’est un formidable laboratoire. Vincent Kompany y a vécu des moments qui valent de l’or. Et il en a tout de suite exploité les bénéfices dans le cadre du championnat de Belgique. Il a puisé de la confiance et du culot en Ligue des Champions. Contre le Bayern Munich, Anderlecht a été réduit à dix et a joué en zone à trois en défense. Ce fut très intéressant pour Vincent Kom- pany qui a franchi plusieurs paliers en un match. Non, je n’aurais pas peur de me retrouver surle banc à Anderlecht ou dans un autre grand club. Je suis un battant. Je ferais tout pour arracher ma place et la garder, c’est certain. Je déteste perdre, même à l’entraînement.

Aimé Anthuenis songe à vous pour l’équipe nationaleà moyen terme mais… éventuellement pour le poste de back droit : qu’en pensez-vous ?

Il m’est arrivé de dépanner à l’arrière droit. Mais c’était ponctuel. Je suis avant tout un joueur offensif. Dès lors, je préfère être posté plus en avant, près de la ligne d’attaque, dans l’axe ou sur l’aile. Au centre, on touche plus le ballon. Al’extérieur, on manie moins le cuiret il s’agit de ne pas rater les occasions de le faire. Je pense évidemment à l’équipe nationale, que ce soit pour maintenant ou plus tard. J’accepterais toutes les missions qu’Aimé Anthuenis pourrait me confier. Je n’aimerais pas terminer ma carrière sans avoir pris part à au moins une grande phase finale avec les Diables Rouges.

Vous souvenez-vous de votre premier match en D1 ? Etes-vous stressé avant une rencontre et avez-vous besoin de beaucoup de renseignements sur vos adversaires ? La presse est-elle omniprésente à Charleroi ? Que pensez-vous du public carolo ?

Mes grands débuts, c’était à Harelbeke, le 12 janvier 2000. Pas dans un stade à faire rêver et ce fut 4-1 pour les Flandriens. Je suis normalement stressé avant une rencontre mais cela ne m’empêche pas de dormir la veille. J’aime bien avoir des renseignements sur mon opposant direct mais sans me bourrer le crâne. Il n’y pas d’arrière contre qui je n’aime pas spécialement jouer. Par contre, je déteste certaines équipes qui ne songent qu’à boucher leur but. Le Cercle Bruges est un spécialiste en la matière. Attendre, tuer le rythme, dégager sans cesse dans la tribune avant de tenter un ou deux contres. Je n’aime pas ce football. Charleroi joue mieux contre ceux qui participent au spectacle. La presse ne me dérange pas. Elle ne me déstabilise guère. Je ne dois pas lire, regarder ou écouter pour savoir si j’ai bien joué ou pas. Les cotations ne m’intéressent pas. Si l’entraîneur est content, cela me suffit. Le public de Charleroi est très chaud et il m’avait pris en grippe à un moment. Mais, maintenant, cela va bien, pas de problèmes. Sur le terrain, on l’entend, mais je ne tends pas trop l’oreille car on n’a pas le temps…

Pas un joueur superstitieux

L’arrivée de Victor Ikpeba est-elle décisive dans la lutte pour le maintien ?

Tout à fait. Charleroi ne peut pas descendre. Victor Ikpeba nous apporte sa classe, son vécu, son métier, son calme. Tout va mieux et il le fallait pour redresser la barre. J’espère que nous aurons en plus le zeste de chance qui nous a échappé durant le premier tour : combien de matches n’avons-nous pas perdus dans les dernières secondes ? Il y a assez de talents chez nous pour sortir de la zone dangereuse. Je ne suis pas un joueur superstitieux mais il y a des phrases que je ne prononce jamais. Quand on me dit qu’il faut garder le zéro, je suis sûr que ce ne sera pas le cas.

Que vous ont apporté vos différents coaches en D1 ?

Beaucoup. J’ai à peine connu Luka Peruzovic mais on a bossé très dur avec lui. Physiquement, nous étions au point. Raymond Mommens m’a lancé et confirmé en D1. C’était important pour moi. Nous avons finalement terminé la saison avec Manu Ferrera aux commandes. Tous ces changements bouleversent les jeunes : c’est beaucoup pour une saison car les joueurs sont chaque fois remis sur le gril alors qu’ils ont besoin de calme. Manu Ferrera ne comptait pas trop sur moi. J’ai eu des problèmes avec lui mais sur le plan tactique, c’était le plus fort. J’ai beaucoup apprécié Etienne Delangre. Ses méthodes étaient positives. Le dialogue était intéressant. Mais le noyau était trop étroit. Il avait besoin de renforts mais ne les a pas obtenus. Dante Brogno a pu enrichir son groupe et a réussi à sauver Charleroi. Cette saison fut placée sous le signe de la malchance avant la reprise en mains par Robert Waseige. L’ancien coach fédéral, c’est le top, mon meilleur coach. Ce n’est pas un hasard si je réalise la saison la plus en vue de ma carrière. Sa préparation mentale des hommes et des matches est remarquable. Robert Waseige est à la fois un coach et un sophrologue. Alors que les autres clubs luttant pour leur survie en D1 ont transféré en masse, il a préféré trouvé le chaînonmanquant (Victor Ikpeba) et faire confiance aux jeunes. Son apport dans notre combat est considérable.

Pierre Bilic

 » Je suis un FAN DE MANCHESTER et de Ruud van Nistelrooy « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire