» Je ne viens pas de D2 mais du Brussels « 

Calme et doté d’humour, le grand Serbe de 23 ans ne craint pas les défis qui l’attendent chez les Mauves.

« Mais non, je n’ai pas peur…  » : la confiance règne sur les hauteurs. Et ce n’est pas la première fois de sa vie que le double mètre Dalibor Veselinovic prend de l’altitude. Il déroule ses longues jambes sous une table d’un de ses restaurants préférés, le By Garden’s 2000 à Grand-Bigard. Le nouvel Anderlechtois sirote un jus d’orange. Sa force tranquille impressionne. Fin 2010, cette tour a été prise d’assaut par Anderlecht, le Club Bruges et le Standard. Les Flandriens auraient cassé leur tirelire pour s’offrir l’ancien buteur de Johan Vermeersch. Les Rouches se lancèrent aussi dans la bagarre. Ce ne sont pas les chiffres mais bien le discours sportif qui, dans son esprit, fit rapidement pencher la balance en faveur des Mauves .

Herman Van Holsbeek a été plus fin, plus rapide et plus rusé que Luc Devroe et Luciano D’Onofrio. Six mois avant que Romelu Lukaku s’en aille vers le top européen, le manager du stade Constant Vanden Stock prépare la relève. Son puncheur noir lui rapportera entre 23 et 25 millions d’euros, de quoi effacer en riant les petites ardoises de ces dernières saisons, soit une dizaine de millions. Et pour 100 fois moins que ce montant qui fait tourner les têtes, HVH a peut-être mis la main sur un géant qui pourrait rendre des services et valoir, plus tard, son poids de pièces d’or.

On cherche parfois au bout du monde ce qu’on peut trouver à deux pas de chez soi. Depuis longtemps, entre deux disputes de voisinage, Anderlecht a parfois fait ses courses à Molenbeek : Nico de Bree, Benny Nielsen, MortenOlsen, Johan Walem, Cheikhou Kouyate, etc. Les Mauves n’ont jamais eu à se plaindre de ces bonnes affaires. Veselinovic s’inscrira-t-il dans cette lignée ? Il y a quelques mois déjà que le champion de Belgique en titre le suivait. A la fin du championnat 2009-2010 de D2, des entraîneurs de cette série ( Michel Wintacq, DannyOst, Alex Czernatynski, Raphaël Quaranta, Geert Broeckaert) affirmèrent sans hésiter que  » le grand du Brussels pouvait facilement s’imposer au top du football belge « . Broeckaert le compara même à… Nikola Zigic. Osé, évidemment. S’il imite ce joueur-là, Anderlecht n’aura pas dépensé 250.000 euros pour rien. Plus prudent, mais convaincu par ses atouts, Quaranta voyait en lui un nouvel Aad Koudijzer, cet interminable attaquant hollandais qui durant les années 70 et 80 fit les beaux jours de Waregem et de Gand.

Mais comment était-il arrivé dans le trou noir de la D1 belge ?  » Le Brussels a été ma rampe de lancement « , dit-il.  » Je n’ignorais pas ce que je faisais en signant pour ce club en été 2009. Après avoir passé un an sans me montrer à Lens, j’avais besoin de temps de jeu. Je l’ai trouvé au Brussels où j’ai pu mettre en pratique ce que j’avais déjà appris tout en m’adaptant aux spécificités du football d’ici. Je savais que mon séjour y serait limité dans le temps. Une saison, un championnat et demi tout au plus. Quand j’ai repris l’été dernier, je me suis dit : -Tu entames la saison la plus importante de ta carrière. Il faut confirmer et, si c’est le cas, il y aura des offres en décembre. C’est ce qui est arrivé et je le dois en partie au Brussels où tout le monde a été chouette avec moi. Je m’y suis tout de suite senti très bien. C’est important, je ne l’oublierai jamais. Il y a quelques années, j’ai participé à Renaix à un tournoi international des U19 avec ce qui était la Serbie-Monténégro. Nous avons réussi un bon match nul contre la Belgique (1-1) : j’ai marqué un but et Sébastien Pocognoli a réussi celui des Belges. J’y avais signé deux goals en trois matches.  »

Fils de Zadar et de Novi Sad

Les agents de joueurs ont alors perdu sa trace dans les Balkans. Sa vie a forcément été marquée par l’histoire sulfureuse de cette région. Il est né à Zadar, en Croatie, où il a passé sa prime enfance. Le conflit qui ensanglanta l’ex-Yougoslavie éloigna alors cette famille serbe de la côte dalmate :  » Je ne me souviens pas trop de ces années sombres. Une chose est sûre : les miens ont tout perdu. « 

Comme des centaines de milliers de réfugiés de ces contrées, ils ont fui et tout recommencé ailleurs. Dalibor avait six ans. Un de ses grands-pères possédait une maison à Novi Sad, dans le nord de la Serbie, près de la frontière hongroise.  » Cette ville est magnifique et on peut y admirer les plus belles filles du monde « , avoue-t-il. Plus élégantes que celles qui défilent langoureusement le long du Knez Mihajlova à Belgrade ou sur la riva à Split ?  » Mais il n’y a même pas photo « , ajoute-t-il dans un grand éclat de rire.

A Novi Sad, il pratique plusieurs sports : football, natation, basket.  » A 14 ans, j’ai grandi de 18 cm en trois mois « , se souvient-il.  » Le dos a un peu trinqué et même si le basket m’intéresse, je me suis vite destiné au football. Cela a toujours été ma passion. Les héros de ma jeunesse sont des footballeurs. Ce sport m’a finalement tout donné. « 

Il débute dans le petit club régional de Kabel. A 16 ans, on le retrouve sous les couleurs du prestigieux Vojvodina Novi Sad. Avec ses camarades, il décroche le titre national serbe des Scolaires. Un pas dans la bonne direction. Veselinovic revient alors à Kabel, y joue en équipe première à 17 ans. Sa précocité intéresse les scouts de l’OFK Belgrade, un vieux club réputé pour la qualité de son travail avec les jeunes. L’adolescent y signe son premier contrat pro et le travail avec des coaches comme Ratko Dostanic ou Ljubko Petrovic (vainqueur de la Ligue de Champions en 1991 en tant que coach de l’Etoile Rouge contre l’OM de Raymond Goethals) lui fait du bien.

Veselinovic joue en D1 et devient international Espoirs avec une ribambelle de jeunes talents de l’OFK : Aleksandar Kolarov (actuellement à Manchester City), Stefan Babovic (ex-Nantes, Feyenoord et de retour au Partizan de Belgrade) et Slobodan Rajkovic (Vitesse Arnhem).  » Il y avait parfois huit joueurs de l’OFK dans cette équipe nationale « , souligne-t-il.

En 2008, à 21 ans, l’heure des choix sonne. L’offre de nouveau contrat de l’OFK ne lui convient pas trop. Il est cité au Legia Varsovie, à Napredak Krusevac (club de D1 serbe) mais aussi à l’Etoile Rouge et au Partizan Belgrade.  » Il nous intéressait « , signale Zvonko Varga, coach de Teleoptik, le club satellite où le Partizan rode ses meilleurs jeunes avant de le lancer au top.  » Veselinovic était déjà un solide pivot offensif. Sa taille aurait pu nous être utile dans le trafic aérien mais quand on a voulu le contacter, il avait déjà accepté l’offre de Lens. Il me rappelle évidemment Zigic. Dalibor est plus proche de ce type de joueur que d’un monstre comme Lukaku.  »

Les jeunes de son pays terminent souvent leur post-formation à l’étranger où le niveau est plus élevé que chez eux et Veselinovic n’avait plus le temps d’attendre le bon vouloir du Partizan ou de l’Etoile Rouge. En 2008-09, Lens se bat en L2.  » Moi, cela ne me dérangeait pas du tout « , précise Veselinovic.  » J’y avais signé un contrat de deux ans. C’était ma première expérience à l’étranger et je n’ignorais pas que les différences entre la France et la Serbie étaient importantes. Même si cela n’a pas rigolé pour moi, j’ai beaucoup appris et je me suis mis à niveau tant physiquement que techniquement. Lens faisait la course en tête en D2 : la montée était impérative. Le coach, Jean-Guy Wallemme, avait le choix en pointe avec Aruna Dindane, Abdoulrazak Boukari, KevinMonnet-Paquet et Sébastien Roudet. J’étais habitué à être servi pour mon jeu de tête et Lens jouait surtout au sol. Wallemme ne comptait pas trop sur moi. A la longue, c’est dur à vivre mais cela m’a permis de réfléchir, de bien bosser. Je savais que j’avais les aptitudes nécessaires. C’était une question de temps, de patience, de chance à saisir à Lens ou ailleurs. J’ai adoré l’ambiance du nord de la France. A Bollaert, c’est tout simplement magnifique, cet amour des couleurs. J’y ai appris le français et j’ai admiré deux vedettes : Dindane et Vedran Runje. Aruna est revenu après une blessure et sa classe sautait aux yeux. Runje est un battant comme il y en a peu et il m’a beaucoup aidé. Ce gars-là ne lâche jamais rien. Si Lens est remonté en fin 2008-2009, cela s’explique en grande partie par Runje.  »

L’ancien gardien de but du Standard a lui aussi gardé un excellent souvenir de Veselinovic :  » Bonne mentalité, c’est certain. Gros travailleur, toujours à l’écoute. C’est évidemment un pivot redoutable de la tête. Chaque balle haute peut se retrouver dans les filets du gardien de but. Il sait aussi garder le ballon en attendant des renforts. Comme son univers était bouché à Lens, il a bien fait de partir et de tenter sa chance en Belgique. C’est une preuve de caractère. Sa réussite est formidable. Dalibor a été la chercher aux forceps en D2 où il a dû faire la bagarre. Son transfert à Anderlecht ne m’étonne pas. Ce n’est pas tombé du ciel il l’a mérité. A mon avis, il a un potentiel qui étonnera. « 

Heureux au Brussels

Fin 2009, le Germinal Beerschot lui propose un test qu’il réussit en marquant un but contre Genk en match amical. Lens hésite avant de le garder et de l’utiliser quatre fois en fin de saison. Cela ne change pas l’analyse de Veselinovic qui préfère changer car il n’a pas d’atomes crochus avec Wallemme. L’offre du Brussels lui convient :  » Même si ce n’était que la D2, mon choix s’est avéré judicieux. J’ai pu me relancer sans trop de pression. J’étais heureux au Brussels. Et j’ai eu la chance de bosser avec un coach qui connaît bien le football français : Christophe Dessy. Il savait comment j’avais travaillé en France et, quelque part, nous avons pu continuer sur cette lancée. J’étais chargé de manifester ma présence devant le gardien de but adverse. Je m’entendais bien avec Jean-Paul Lutula. A deux, il y avait de la variation en pointe. Son départ vers la Chine a créé un problème. L’effectif n’était pas abondant et je me suis retrouvé avec des jeunes sans expérience. Ce n’était pas facile à vivre mais cela ne m’a jamais dérangé.  »

A cette époque, Jean-Paul Colonval, le conseiller sportif de Vermeersch, affirme :  » Personne en D2 ou en D1 n’a un meilleur jeu de tête offensif, ou même défensif, que lui. Il a sa taille, un bon timing mais aussi une détente étonnante.  »

Veselinovic a confirmé cette saison avec un nouveau coach, Chris Van Puyvelde ( » Il a bien réorganisé l’équipe, ce qui m’a permis d’avancer « ), et c’est ce qui expliqua tout le remue-ménage autour de ce célibataire qui habite à deux pas du stade Edmond Machtens. Mais il y a tout un monde de différence entre la D2 et la D1. Le grand Veselinovic saura-t-il franchir cet écart, passer d’un football d’abord très rude et engagé à un jeu infiniment plus technique ?

 » Je n’arrive pas de D2, je viens du Brussels « , dit-il en souriant. Une petite phrase désarçonnante qu’il prolonge :  » Je ne me suis jamais considéré comme un attaquant de D2. En un peu plus de deux ans et demi, j’ai progressé à l’OFK Belgrade, à Lens et au Brussels. C’est cela qui compte et on verra demain si cette base est suffisante. Moi, je pense que oui et je suis cool, mais je ne veux pas me mettre une pression inutile. « 

Avant de partir en stage, Veselinovic a eu l’occasion de serrer la pince de Kouyate, de Nemanja Rnic, de Jonathan Legear, de Romelu Lukaku, etc. Veselinovic sait forcément qu’on le comparera à Lukaku :  » Cela ne me perturbe pas car cela ne s’impose pas. Romelu est un phénomène, tout le monde le sait. Mais chaque joueur est unique en son genre. Romelu est sidérant de présence et de puissance. En D2, cela frotte et j’ai eu droit à des marquages musclés. Cela ne me dérangeait pas, j’aime bien aller au charbon. On m’a comparé aussi à Jan Koller et à Zigic. Je ne peux pas empêcher les gens de le faire. Moi, en tout cas, je suis Dalibor Veselinovic, uniquement Dalibor Veselinovic. Je suis là pour rendre service. Je me réjouis de jouer avec Lukaku, Tom DeSutter, Mbark Boussoufa, Legear et Lucas Biglia. Pour moi, ce sera du bonheur. Vous savez, je peux me positionner seul en pointe, à côté d’un autre attaquant ou même en décrochage. Je suis au service du coach…  »

Dalibor est le troisième Veselinovic du football belge. Avant lui, un arrière gauche, Aleksandar Veselinovic joua quelques matches au RWDM en 1996-1997. Plus loin, en 1964-1965, Todor Veselinovic renforça l’Union Saint-Gilloise avec qui il rencontra d’ailleurs la Juventus en Coupe des Villes de Foires.  » Il n’y a aucun lien de parenté entre eux et moi « , précise la tour mauve. On notera quand même que le Veselinovic du Parc Duden fut un grand attaquant (finaliste des Jeux Olympiques de Melbourne en 1956), évolua à Vojvodina Novi Sad (comme Dalibor) et coacha l’équipe nationale de son pays, etc.

PAR PIERRE BILIC

 » Je me réjouis de jouer avec Lukaku, De Sutter, Boussoufa, Legear… « 

 » Une bonne mentalité, un gros travailleur, il a un potentiel qui étonnera.  » (Verdan Runje)

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