« Je ne veux plus fuir »

L’ex-golden boy du football belge nous accueille chez lui et se livre en toute sincérité.

Bienvenue chez les Janner. Dans le sud-ouest de l’Angleterre, comté de Devon sis aux Cornouailles et ses belles balades. Bienvenue à Plymouth et ses 250.000 âmes, son port, sa base navale et son club de foot : Plymouth Argyle… le nouveau club d’Emile Mpenza.

L’endroit est atypique car reposant, bien loin de la fièvre du Standard ou de Man City. Le stade de Plymouth, Home Park, est moderne (normes british) mais a tenu à garder les vestiges du passé avec sa tribune principale qui confère à l’endroit une atmosphère chaleureuse. Emile est aujourd’hui loin des structures flamboyantes de City, son avant-dernier port d’attache. A notre arrivée, on le retrouve dans le préfabriqué jouxtant le stade, utilisé comme salle de fitness. On y… soigne sa légère tendinite.

 » C’est clair que de prime abord, le club ne paie pas de mine « , nous lance Romain Larrieu, le gardien français et plus ancien de l’effectif avec huit saisons au compteur.  » On est un peu à l’écart du monde. Le derby le plus proche, c’est face à Bristol, situé à environ 200 km. Vous voyez, on est coupé de la frénésie du foot anglais. Quand je suis arrivé de Montpellier avec quatre autres Français, le club végétait en League Two (quatrième division), on se surnommait les galériens. Aujourd’hui il s’est quand même beaucoup modernisé et professionnalisé.  » Notamment grâce à son manager, Paul Sturrock, légende du club, qui fit monter la Green Army par deux fois.

Sturrock :  » J’ai toujours été fan d’Emile. Du temps où il jouait à Mechelen with hisbrother, j’allais déjà le voir.  » Mouscron, peut-être ?  » Oui, c’est ça. Et encore après, du temps du Hertha Berlin quand j’entraînais Sheffield Wendsday.  » Schalke, non ?  » Ah, oui, c’est juste…  »

Pourquoi avoir signé dans un club de D2 ?

Emile Mpenza : On sent que dans le club, il y a l’envie d’accéder à la Premier League. Les gens y croient, même s’ils ne vont pas le crier haut et fort. Ce club me fait penser un peu à Mouscron : familial, humain, etc. Si, pour l’instant, je ne joue pas, c’est tout à fait logique : l’équipe tourne. Je suis arrivé au moment où le club était dans le rouge mais s’est vite mis à trouver son rythme de croisière. Je ne suis toutefois pas inquiet. Il y a tellement de matches ici – NDLR : 46 en championnat – que j’aurai ma chance, à moi de la saisir.

Tu te donnes combien de temps pour être titulaire ?

Dans un mois, il faudra que je sois dans le onze.

Qu’as-tu fait de fin juin, date de la fin de ton contrat avec Manchester City, à fin août ?

Je me suis préparé avec le kiné Lieven Maesschalk. J’aurais pu trouver une équipe plus tôt. Des clubs grecs s’intéressaient à moi, par exemple. J’aurais pu signer à Fulham. Au Steaua Bucarest également. J’ai préféré ne pas me précipiter. Mon souhait, c’était de rester en Angleterre. A part la bouffe, c’est un jeu et une vie qui me vont à merveille.

A Manchester City, tu as connu des débuts tonitruants mais la suite fut moins rose…

Si Stuart Pierce était resté, je crois que j’y serais toujours. Quoique c’est un club qui change régulièrement de direction… Je n’ai rien à reprocher à Sven-Goran Eriksson : c’est un excellent entraîneur. S’il ne m’alignait plus l’an dernier après ma blessure, c’était normal, l’équipe avait trouvé la bonne carburation.

Aujourd’hui, tu parles bien anglais ?

Oui ça va. C’est comme l’allemand, je l’ai appris comme ça… Par contre le néerlandais, je l’ai un peu zappé. Quand je reviendrai en Belgique, ça reviendra.

Tu comptes revenir ?

Oui. Et si j’en ai la possibilité, ce sera le Standard. Pourquoi pas dans deux ans. Ça reste le club de mon c£ur. J’ai plein d’amis là-bas.

L’an passé, on t’y voyait souvent. Ton regard sur cette équipe ?

Il y a énormément de talents. Comment Anderlecht a pu lâcher Dieumerci Mbokani ? Steven Defour est partout, court sans arrêt et Axel Witsel, c’est la grande classe.

Axel, c’est ton coup de c£ur ?

Oui. Il a un petit quelque chose de Zinedine Zidane. Tout paraît simple avec lui. Il me fait aussi penser à Dimitar Berbatov. T’as l’impression qu’il joue au ralenti, mais c’est impossible de lui prendre la balle. Ce sont des joueurs qui ont un petit truc en plus.

Tu n’avais pas les mêmes facilités. Certains ont critiqué ton manque de technique, d’autres, ton manque de sang-froid devant le but.

Je ne serai jamais un grand technicien. Mais j’ai d’autres qualités. A Schalke, par exemple, le duo avec Ebbe Sand fonctionnait très bien : lui marquait et moi je créais les espaces, multipliant les appels. Je n’aurai jamais de stats impressionnantes, mais j’ai mon utilité.

Tu vas revenir voir le Standard cette saison ?

Je ne crois pas. Je ne compte pas revenir en Belgique avant fin mai.

Même pas pour les fêtes ?

Non. Je devrais les passer ici avec ma s£ur.

 » J’aurais peut-être dû lever le pied « 

Comment vois-tu ton avenir ?

Je compte jouer encore sept ans. Pourquoi pas terminer à Courtrai ? Aujourd’hui, j’ai une hygiène de vie stricte que je n’avais pas à 18 ans. Je fais attention à bien me reposer, c’est devenu automatique. Plus jeune, je ne me serais sans doute pas entraîné individuellement comme je l’ai fait cet été, par exemple. Je reste persuadé qu’en maintenant cette ligne de conduite, je retrouverai les sommets, la Premier League.

Tu as été trop loin par moments ?

A une certaine époque, j’aurais peut-être dû lever le pied. Quand j’étais à Schalke, je revenais sur Liège sans arrêt, c’était à chaque fois deux heures de route. J’aurais dû éviter. Mais j’avais des difficultés avec la mentalité allemande. L’anglaise est totalement différente : on vous parle plus, on vient vers vous.

Et ça compte car tu restes très timide.

Ça ne changera jamais. Je me lâche qu’avec trois, quatre personnes.

Ton frère est plus expansif.

Oui. Quand tout va bien. Mais dès qu’il a un problème (je parle de foot), il se ferme. Alors que c’est à ce moment là qu’il devrait aller vers son coach, donner son avis. Aujourd’hui en Grèce, s’il lui arrive les mêmes problèmes qu’avec Anderlecht, il ne va pas se rebeller.

Tu as l’impression d’avoir évolué ?

J’ai changé. Quand tu es jeune, tu n’as pas envie de rester en place. Prenez Anthony Vanden Borre, on parle de lui comme d’une tête brûlée. C’est juste inhérent à la jeunesse. On a souvent répété que je n’étais pas assez pro. Si c’était le cas, comment aurais-je pu jouer dans autant de grands clubs ? Je ne traînais pas en soirée les veilles de matches ! Le faire est une faute grave et personne ne m’a sanctionné pour un tel comportement.

Les presses belge et allemande ne t’ont pourtant pas loupé.

La presse dévoilait ma vie privée et pas mes performances sportives. On peut critiquer mes prestations, c’est tout à fait normal. Ce n’est pas ça que les médias relataient, mais bien les à-côtés.

Quel fut l’élément déclencheur ?

La sur-médiatisation a commencé quand je suis sorti avec Joke Van de Velde, l’ex-Miss Belgique, durant l’Euro 2000. A partir de là, tout s’est enchaîné et ça ne s’est jamais arrêté. La presse avait peut-être aussi besoin d’un people parmi les sportifs… Un pendant belge de Beckham. Jeune, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi on s’intéressait tant à ma personne. Avec le recul, oui. Dans certaines situations, j’aurais peut-être dû réagir différemment, ne pas fuir comme je l’ai fait parfois. Discuter, réagir à certains écrits, commentaires qui me déplaisaient. En m’enfermant, j’ai laissé la possibilité à la presse d’écrire n’importe quoi sur moi… D’un autre côté, j’ai l’impression qu’on ne m’aurait pas écouté. La presse était heureuse de tenir son bad boy. Qui a d’ailleurs pris ma place en Belgique ( ilrit) ?

Qu’elle ait épinglé tes accidents de la route, tes conduites en état d’ivresse, ça t’a touché ?

Bien sûr. On en a fait toute une montagne alors que ce sont des événements qui peuvent arriver à pas mal de monde. Il y a quand même plus important que ces faits divers sans intérêt.

 » J’ai gardé le numéro de ma mère dans mon répertoire « 

Tu as perdu ta mère en avril dernier. Comment l’as-tu vécu et comment le vis-tu aujourd’hui ?

Ça a été le moment le plus douloureux de ma vie. D’autant que je ne m’y attendais pas du tout. Je la croyais incapable de partir de cette façon, d’une crise cardiaque. Aujourd’hui je me dis qu’elle n’a pas souffert, c’est déjà ça…

Tu penses souvent à elle ?

Oui. Parfois, il m’arrive de prendre mon téléphone pour l’appeler, comme je le faisais quasi tous les jours, et voilà… Son numéro, je ne l’ai pas enlevé de mon répertoire, je ne le ferai jamais.

Qu’est-ce que cela a changé avec les autres membres de ta famille ?

Ça nous a rapprochés. Aujourd’hui, on se téléphone plus régulièrement et nos conversations durent plus longtemps. Pour mon père, je sens que c’est très difficile de passer le cap. 40 ans de vie commune, ça ne s’efface pas comme ça.

Avec qui es-tu le plus en contact ?

Avec ma s£ur. Je ne sais pas vous dire pourquoi. Peut-être qu’elle a, d’une certaine manière, remplacé ma mère. C’est quelqu’un qui me rassure.

En tant que cadet de la famille, ta mère te couvait beaucoup, non ?

Elle venait toujours me voir à l’étranger, restait pendant plusieurs semaines. Elle voulait à tout prix me faire à manger, me préparer les bons petits plats africains.

Tu ne t’en prépares jamais ?

Non. Moi, c’est de temps en temps des salades, des omelettes, des pâtes ; des trucs de footballeurs quoi.

On a dit que tu voulais aller pour la première fois au Congo voir le reste de ta famille.

Oui, c’était après la mort de ma mère. Je n’y ai pas été finalement pour différentes raisons. Mais je vais y aller dans le but d’ouvrir avec mon frère une école de foot et lui donner le nom de ma mère.

Tu as un fils de quatre ans, Lenny. Tu arrives à le voir malgré le fait que tu joues à l’étranger ?

C’est difficile à cause de mon divorce. Le jugement concernant sa garde complique la situation. Je suis obligé d’envoyer une lettre à la justice une semaine à l’avance pour voir mon fils. Mais dans mon métier, c’est quasi impossible de connaître ses congés. J’aurais voulu qu’on s’arrange à l’amiable avec mon ex-femme mais c’était impossible. Elle n’a pas eu l’argent lors du divorce et elle prend sa revanche en m’éloignant de Lenny.

 » Le Qatar ? J’avais besoin de changer d’air « 

Tu es parti au Qatar à seulement 27 ans, alors que la destination est plus connue pour les retraites de footballeurs européens, c’était une erreur ?

Non, c’était une bonne expérience.

Mais le but premier n’était pas sportif…

Je joue toujours pour l’argent… J’ai peut-être reçu beaucoup plus au Qatar, mais la donne est la même aujourd’hui. C’est mon métier.

Tu aurais pu assurer tes arrières plus tard qu’à 27 ans.

Oui, mais j’avais besoin de changer d’air, quitter certaines personnes. Je venais aussi de divorcer, je vivais une période compliquée.

Tu as des regrets par rapport à ta carrière ?

Oui peut-être. Elle aurait pu être différente si j’avais connu les bonnes personnes aux bons moments. Certains, comme Georges Leekens, Dominique D’Onofrio et Stuart Pierce ont cru en moi. Et ça s’est traduit sur le terrain. Mais j’aurais dû mieux man£uvrer à certains moments. Je suis un fonceur. Je ne me posais pas assez de questions, je ne prenais pas le temps de réfléchir à mes choix de carrière. J’aurais dû être la star du football belge à 23 ans, pas à 18. Les médias en ont trop fait sur ma personne et j’ai commencé à douter en moi, de mes qualités, de beaucoup de choses. Je marche énormément au moral. Quand on répète que je ne suis pas un buteur, ça finit par me trotter en tête quand j’arrive devant le but.

2003-2004 : c’est ta saison la plus aboutie, 21 buts avec le Standard et aucune blessure. Quelle est la recette de Guy Namurois ?

Il sait parfaitement comment je dois travailler : je ne suis pas un marathonien mais un sprinter. Il me prenait individuellement. Après, dans les autres clubs, j’ai répété ses exercices, ses conseils. Je n’ai plus jamais eu de blessure musculaire. C’est déjà ça.

Les autres clubs t’empêchaient de prendre conseil auprès de Namurois et Maesschaelk ?

Ils ont leur propre staff, c’est normal. Dernièrement, j’avais vu Bart Goor chez Lieven, il me disait bien qu’à Anderlecht, on les empêchait d’aller voir ailleurs.

 » Je n’ai jamais été un joueur qui triche « 

Si tu venais à retrouver la forme, tu es prêt à réintégrer les Diables ?

Evidemment ! J’ai eu un dialogue très positif avec René Vandereycken. Quand j’étais à City, je lui ai dit que je préférais ne pas jouer avec les Diables car je voulais soigner mon genou. Il l’a parfaitement compris. Je lui en suis reconnaissant. Je n’ai jamais été un joueur qui triche. Quand j’avais des problèmes physiques, je préférais me soigner…

En privé, c’est quelqu’un de sympa VDE ?

Si on lit la presse et ses déclarations, il n’en donne pas l’impression. Mais quand on le rencontre, on a tout de suite une autre image, plus positive.

Tu viens de dire que tu n’as jamais triché, mais c’est quand même énorme de ne pas honorer 40 sélections chez les Diables pour cause de pépins physiques !

Chez les Diables, il y a le docteur Goossens. Et il n’accepte pas de vous voir refuser une sélection facilement… Il faut toujours une bonne raison.

As-tu suivi les dernières prestations des Diables ?

Oui et on sent qu’il y a un nouvel élan. On avait déjà pu le remarquer avec l’équipe olympique. On voit aujourd’hui qu’il y a du talent. A une époque, on se posait des questions…

Tu es plutôt tombé au mauvais moment.

En 98, j’ai débuté avec des Luc Nilis, Enzo Scifo, Marc Wilmots. Après 2002, on a vraiment senti une cassure : moins de talent, moins de leaders, etc.

 » Après ma carrière, j’irai peut-être voir un psy « 

Jusqu’ici tu as gagné beaucoup d’argent. En as-tu mis de côté ?

J’ai investi dans l’immobilier par l’intermédiaire de mon conseiller financier et ce très jeune, vers 20 ans. D’ailleurs, il faudrait que je pense à le remplacer, il devient un peu vieux ( il rit).

Le jour où tu mettras un terme à ta carrière, seras-tu à l’abri ?

Oui, je crois.

Penses-tu à ce que tu pourrais faire après ta carrière de footballeur ?

C’est dur. Le football prend beaucoup de temps. Après, le remplacer par autre chose, c’est compliqué. Je pense même à aller voir un psy pour m’aider.

Tu y es déjà allé ?

Oui. C’était à l’époque de Schalke quand j’ai commencé à connaître des problèmes avec Rudi Assauer. J’ai appris beaucoup de choses. Il ne faut pas croire que c’est uniquement quand on a un problème qu’il faut y aller. Ça te permet de te remettre en question. J’ai trouvé ça très bénéfique.

Tu as dû être approché par pas mal de gens, des gens du milieu de la nuit. Tu te vois investir là-dedans ?

Non. Jamais. C’est trop de problèmes. Je le sais assez pour avoir côtoyé ce milieu plus jeune.

Des personnes ont essayé de profiter de ton argent ?

Oui, il y en a eu. Maintenant, quand je vais boire un verre, c’est toujours avec les mêmes personnes. Des gens en qui je peux avoir confiance, sur qui je peux compter.

Tu te vois rester dans le foot ?

Oui, pourquoi pas comme scout.

 » Lucien D’Onofrio a su rester simple « 

Tu penses avoir l’£il pour déceler les bons éléments ?

Oui… Je demanderais peut-être conseil à Lucien ( il rit)…

Lucien D’Onofrio est un personnage central de ta carrière. On sent chez toi une admiration pour le personnage.

C’est difficile à expliquer. J’ai toujours eu un bon feeling avec lui. Il est très malin, il analyse vite les situations et, surtout, il a su rester simple. Il met tout le monde dans le même panier : du gars qui a réussi à celui qui vit plus modestement. Il respecte tout le monde.

Sa dernière condamnation, la réputation qu’il traîne, ça ne t’a jamais interpellé ?

Non jamais. Je le vois plutôt comme quelqu’un qui m’a toujours aidé. Et d’ailleurs, plus tard j’aimerais bien apporter à d’autres ce que lui m’a apporté. Lucien, ce n’est pas un second père, c’est différent encore. On a pu se dire des choses très fortes,… ce qui est plus difficile pour un père et un fils.

Dans tes choix de carrière aussi ?

Il m’a toujours aiguillé. Mais il me laissait prendre la décision finale. Si aujourd’hui, j’ai mûri, c’est aussi grâce à lui. Quand je suis revenu au Standard et que j’ai sorti une grosse saison, j’avais envie de rester. En même temps, il me disait qu’il ne me mettrait pas de bâtons dans les roues si un club venait pour moi. Ça a toujours été comme ça au Standard et ce le sera encore.

Sauf que dorénavant, faut sortir les grosses liasses.

Tu parles de Marouane Fellaini ? Mais ça a toujours été comme ça. Tu verras Defour, va aussi partir pour beaucoup. Je vois bien 10, 15 millions. Witsel, ce sera aussi dans ces zones là.

D’Onofrio est tellement fort en affaires ?

J’ai l’impression. Quand vous regardez, il n’y a aucun autre club en Belgique qui touche autant d’argent sur des transferts.

Plymouth, c’est lui ?

Il m’a conseillé d’y aller. Il m’a répété que l’important, à l’heure actuelle, c’était que je joue.

par thomas bricmont- photos : reporters/ gouverneur

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