« Je ne veux pas JOUER AU CHEF »

Le capitaine de Sclessin analyse les points chauds de son club mais parle aussi de son ami Ibra, du plan de Luciano, et de bien d’autres choses encore…

Le propriétaire du brassard des Rouches est un footballeur à l’ancienne et ce n’est pas péjoratif. Jelle Van Damme a le caractère et le mental des Flandriens d’antan qui ne craignaient pas de prendre le vent en pleine poire. Les grands braquets, la bravoure, les échappées où il faut dépenser sa dernière goutte de sueur pour y arriver, c’est son truc. Et ce lutteur invétéré a été servi depuis qu’il porte la livrée des Rouches. Toujours à fond la caisse, Capitaine Van Damme s’est accordé le luxe de la lenteur pour répondre à nos questions.

Quand allez-vous écrire vos Mémoires comme Zlatan Ibrahimovic et Andy Vander Meyden, vos anciens équipiers et amis de l’Ajax Amsterdam ?

Jelle Van Damme : Même si je suis fier de mon parcours et que j’apprécie avoir joué et bossé avec de grands joueurs, cela n’entre pas dans mes intentions. Il y a probablement un aspect financier dans de telles démarches et je me pose des questions. Je suppose qu’il faut avoir vécu pas mal de choses, de situations difficiles, de hauts et de bas, avant de coucher tout cela sur papier. Andy Vander Meyden était un gars spécial et j’ai découvert l’un ou l’autre passage de son livre dans la presse. J’ai acheté le bouquin de Zlatan que je lis pour le moment. Il a un bien plus gros vécu que Vander Meyden et a joué un peu partout : Malmö, Ajax, Juventus Inter, Barcelone, Milan, PSG, équipe nationale suédoise. J’ai joué avec Ibra à Amsterdam et je redécouvre des chouettes moments vécus ensemble. C’est un gars à part qui, à notre époque à l’Ajax, pouvait fort bien se promener un jour avec vous chez Ikea avant d’être indifférent le lendemain dans le vestiaire. J’ignore si c’était voulu ou pas.

Ibra est-il le meilleur joueur que vous ayez côtoyé depuis le début de votre carrière ?

C’est un génie bourré de classe. Un jour, je l’ai vu passer toute la défense de NAC Breda avant de laisser Davy Schollen, alors gardien du club de Breda, complètement pantois. Un truc de fou comme son fameux rétro en équipe nationale. Il frise les deux mètres et les 100 kg : malgré cela, il tente le geste impossible et le réussit. La chance doit être au rendez-vous mais cet exploit s’explique surtout par un talent hors du commun. Je n’oublie pas non plus Wesley Sneijder (ex-Real Madrid, Inter) que j’ai aussi côtoyé à l’Ajax. Son palmarès est énorme et je retiens sa facilité des deux pieds, ce qui lui permet de jouer sans réfléchir. Il est le footballeur parfait.

Ne nourrissez-vous pas de regrets en songeant à tous leurs succès à l’étranger ?

Non, pas du tout. Je suis content de mes choix et je ne suis pas du style à avoir des regrets plus tard. À Amsterdam, j’ai été barré à un moment donné par Maxwell. Je n’ai pas de problème à admette qu’il était plus fort que moi. A l’époque d’Aimé Anthuenis, je devais avoir ma place dans mon club pour rester en équipe nationale. Comme je ne jouais qu’occasionnellement, j’en ai parlé à Louis Van Gaal. Il était alors question d’un départ de Maxwell vers l’Italie. Mais n’ayant pas de certitudes, j’ai signé à Southampton en 2004. Le Brésilien est encore resté à l’Ajax avant d’être transféré à l’Inter deux ans plus tard.

Le plan de Lucien D’Onofrio

En 2011, votre retour en Belgique a fait couler beaucoup d’encre et a opposé les trois grands : quelle est votre lecture de cet épisode ?

J’ai peut-être signé la meilleure saison de ma carrière en 2009-10 à Anderlecht. J’ai eu des offres de Premier League et c’était le bon moment après tout ce que j’avais appris et acquis comme vécu à l’Ajax, Southampton, Brême et Anderlecht. Mais ce que j’ai découvert à Wolverhampton ne me convenait pas : lutte pour le maintien, un jeu pas du tout comparable à ce que j’avais connu au stade Constant Vanden Stock, etc. Je n’étais pas heureux dans ce club que j’avais préféré à West Bromwich Albion et Sunderland. Je voulais simplement rentrer en Belgique. Et cela a donné lieu à toute une affaire, pas mal de blabla. On a même mêlé ma femme à tout ça.

Anderlecht avait envisagé une location avant que Luciano D’Onofrio ne prenne la main, n’est-ce pas ?

Oui, exact. Anderlecht a choisi d’attendre. C’est alors que Lucien m’a contacté. Nous avons trouvé un terrain d’entente, le tout ayant été finalisé chez l’agent de joueurs Paul Stefani, en présence de Lucien, Pierre François et Nico Vaesen, mon manager. Lucien avait un plan : expliquer et faire comprendre à Wolverhampton qu’il n’ y avait qu’un seul club belge sur ma piste, le Standard. Le but était de diminuer le prix du transfert de trois à deux millions d’euros. Le Club Bruges ignorait tout du Standard et de mon accord avec Lucien. Le manager brugeois de l’époque, Luc Devroe, contacta les Anglais. Wolverhampton trouva un accord avec Bruges pour 2,5 millions d’euros. J’en ai parlé à Lucien qui m’a dit : – Pas de problème, si tu optes pour Bruges, je déchire notre accord. Même si j’étais charmé par l’intérêt d’un club comme Bruges, j’ai opté pour Sclessin. Je l’ai dit aux Anglais ; Lucien est venu, a payé trois millions et j’ai échappé à Bruges. Bruges réalisa un mauvais résultat ce week-end-là contre Saint-Trond et quelqu’un déclara par après : – Nous réaliserons un top transfert lundi. Or, je suis passé au Standard. A partir de là, certains à Bruges ont expliqué que ma femme avait choisi et patati et patata…

En 2010-11, vous êtes passé à deux doigts du doublé…

En effet mais, avant cela, il y a eu des hauts et des bas avec une qualification sur le fil pour les PO1. Tout s’est mis en place avec un succès probant à Anderlecht. Cette équipe avait tout : esprit collectif, métier, taille, talent, etc. Le titre s’est joué à Genk dans les conditions que tout le monde connaît et un remarquable Thibaut Courtois dans la cage du Racing. Des PO1 comme ceux-là, on ne les revivra plus jamais, je crois. Sur cette lancée, malgré la perte du titre, j’étais certain de remporter la coupe : Westerlo n’était pas armé pour résister à un tel Standard. Ce succès a marqué la fin d’une époque, celle de Lucien D’Onofrio. Il ne reste plus quelques joueurs de ce temps-là : Poco, Goreux, Ciman, Kanu, moi…

La saison 2011-12 fut pourtant intéressante, non ?

Tout à fait, avec des… ups and downs. Il y a eu une bonne campagne européenne, c’est sûr. Il nous a manqué du réalisme en PO1, où tout nous avait souri la saison précédente. On a échoué face aux favoris en ratant pas mal d’occasions. Puis, nous avons perdu Tchité, blessé comme Cyriac, et Batshuayi, suspendu. Il ne nous restait plus qu’un attaquant : c’est intenable avec le rythme des matches en PO1. Le problème était trop important, sans espoir. José Riga est différent de Dominique D’Onofrio et son T2, Sergio Conceiçao. Riga était un gentleman mais certainement pas un gars trop brave. Peut-être trop bon pour tout le monde, ce qui est différent. Un coach doit trancher, que cela plaise ou pas.

Souffrance mentale

Pourquoi le règne de Ron Jans fut-il d’aussi courte durée ?

Personne ne s’attendait à cela en début de saison, surtout après une aussi bonne campagne de préparation. L’équipe respirait la confiance avant d’être surprise à l’occasion de son premier match de championnat, chez nous, contre Zulte Waregem. Honnêtement, cela nous a ébranlés. L’attaque a eu des problèmes de finition puis la défense a eu des hésitations chaque fois exploitées par l’adversaire. L’équipe était parfois mal placée ou tout le monde n’effectuait pas bien son travail défensif. J’ai flanché moi aussi et la critique est forcément sévère quand un grand club se retrouve à la 12e place du classement général. La confiance s’est effritée. Je me souviens d’un match que nous aurions pu gagner au Beerschot, ce qui nous aurait offert la 2e place. Cela s’est mal terminé pour nous et l’équipe en a beaucoup souffert mentalement..

Vous amusiez-vous au centre de la défense ?

Honnêtement, cela ne me déplaisait pas. Ron Jans n’avait pas d’autres choix. Ce recul au coeur de la défense s’est peut-être produit un peu tôt dans ma carrière, je ne sais pas. En tout cas, même s’il y a eu des erreurs dans cet axe, sur les ailes et sur les deuxièmes ballons, je me sentais bien avec Laurent Ciman et nous avons aussi livré de bons matches. Pour moi, c’était parfois frustrant car j’adore mettre le nez à la fenêtre, être offensif, secouer le cocotier, surtout quand cela va mal. Je suis revenu dans la ligne médiane en Coupe de Belgique, à Mouscron-Péruwelz. Je suis un joueur collectif. Si Rednic me demande de jouer au back droit, j’accepte. Je me suis parfois demandé si cette attitude ne nuisait pas à ma carrière. Je suis ainsi fait et je ne changerai pas. Ma meilleure place se situe peut-être à l’arrière gauche si je peux monter. Il faut des couvertures et si je joue bien avec Pocognoli, un back offensif, ou dans le temps avec Deschacht et Boussoufa à Anderlecht, c’est parce que cela  » cliquait  » entre nous : il y avait des complémentarités tant dans le travail offensif que défensif.

Est-ce que cela vous fait mal quand on dit que l’effectif du Standard actuel manque singulièrement de talent ?

Non. C’est un club du top et cela va comme ça quand les résultats ne suivent pas. Cette équipe est jeune. Elle manque d’expérience. Elle en aura dans deux ou trois ans mais on en a besoin maintenant. Les soucis d’Ogunjimi et de Biton ont forcément joué un rôle. L’attaque a besoin d’éléments de métier. Les problèmes dans ce secteur expliquaient les soucis de Jans. Je suis persuadé que Marvin va retrouver son niveau. Imoh et Michy sont bourrés de talent mais trop jeunes pour porter à deux le poids de notre attaque jusqu’en fin de saison. Ils ont parfois besoin de repos, doivent être protéges contre eux-mêmes, ménagés pour ne pas être brûlés. Imoh adore les espaces, Michy sait décrocher, éliminer un homme : ils sont complémentaires.

Vous avez publiquement pris la défense de Jans avec trois équipiers. C’est rare qu’un effectif conteste ainsi la décision d’une direction de mettre fin au contrat d’un coach : avez-vous des regrets ?

Non, mais je ne le referais pas ainsi. C’était purement émotionnel, cela venait du coeur. Notre intention n’était pas de critiquer le club, de mettre la pression sur la direction. Le moment d’exprimer notre estime pour Jans a été mal choisi. Il fallait un peu attendre et, dans un autre climat, le message n’aurait pas été interprété de cette façon-là. Ron était un grand homme, un top vraiment.

Un grand homme ou un grand coach ?

Les deux : une bonne personne et un bon entraîneur.

Rednic multiplie les entraînements tactiques

Pourquoi a-t-il échoué alors ?

Je le répète : il a fait ses preuves comme coach aux Pays-Bas. Ici, je crois qu’ il a manqué de chance. Le jeu est plus cynique en Belgique. Jan voulait être offensif, se souciait de bien écarter le jeu. Les adversaires attendent, plongent dans les espaces et, au fil des problèmes, les doutes sont venus. A un moment, il n’y a plus eu de bloc, donc d’équipe sachant que faire. Rednic a tout de suite multiplié les entraînements tactiques pour bien fixer nos points de repère, attaquer et défendre en bloc, garder le zéro derrière. Rednic est plus extraverti, expressif que Jans. Tout se joue dans la tête. Sur le plan physique, on ne travaille pas plus qu’avant. Cela changera peut-être durant le stage de janvier, on verra. On raconte parfois que les coaches néerlandais ne se soucient pas beaucoup de la condition physique. C’est totalement faux : ils travaillent avec ballon, même en avant-saison. Je l’ai vu jadis à l’Ajax et nous étions prêts, je vous l’assure.

Vous avez revu Jans ?

Non.

Et Benjamin De Ceuninck ?

Oui, on a rigolé : j’y ai été un peu fort mais le foot, c’est de l’émotion. Et cela doit rester de l’émotion.

Quel est vote objectif pour le moment ?

Cet effectif progresse et doit s’installer confortablement dans le Top 6 avant les fêtes de fin d’année. Nous y arriverons.

Votre président parle parfois du titre…

Il faut être réaliste : nous manquons d’expérience. Il ne reste rien de l’équipe d’il y a deux ans. Le Standard doit décrocher sa place en PO1 avant de songer à autre chose. Pour le moment, on ne doit pas regarder plus loin. Mais je reste ambitieux : je suis venu au Standard pour gagner des prix, compléter mon palmarès. A 29 ans, j’ai encore cinq ou six ans pour y arriver. Il y a des frustrations et quand le public d’un tel club se fâche, c’est qu’il y a des raisons d’en arriver là. Cette colère ne s’est pas tournée contre nous, sauf pendant la venue du Cercle de Bruges chez nous. Là, je n’ai pas compris que nos supporters applaudissent l’adversaire quand il a marqué.

Dur, dur à vivre…

Personne n’est gagnant dans une telle histoire. Dans le vestiaire, j’ai vu des joueurs désorientés, ne comprenant pas ce qui se passait. Moi, j’ai du métier et j’ai pris les choses avec un peu de recul. En début de saison, Bulot s’est bloqué quand le public l’a sifflé. Il est jeune, vient de Caen, est international Espoirs, a du talent et ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Nous en avons parlé. Je discute avec tout le monde, certainement avec Ezekiel qui doit être guidé. Il faut relativiser. Je sais d’où je viens et tout ce que j’ai fait pour avancer dans ce métier : c’est ça… le vécu. Il faut regarder devant soi, pas dans le rétro.

Toujours heureux au Standard ?

Oui, très heureux, à 100 %. Je suis fier de jouer à Sclessin. Le public apprécie mon engagement, mon tempérament, mon travail, mon style, mes capacités. Plus tard, après ma carrière je reviendrai au Standard. A Anderlecht, ce sera plus difficile je crois.

Y a-t-il un deuxième Jelle au Standard ?

Oui, je songe à Poco, Laurent, Kanu, William et Buyens qui abat un gros travail chez nous et doit s’exprimer un peu plus. Je suis parfois très direct avec mes équipiers sur le terrain mais ils doivent l’être tout autant à mon égard après une mauvaise intervention : c’est même indispensable. Je ne veux pas jouer au chef du Standard : ce n’est pas dans mon caractère. J’adore mon job. Je râle après chaque défaite mais je laisse mes problèmes au stade, je ne les emporte pas à la maison. Des joueurs ne dorment pas deux nuits après un mauvais résultat. Moi, dans la voiture, je, pense à ma femme, et au petit Van Damme qui dort.

PAR PIERRE BILIC-PHOTOS : IMAGEGLOBE/ LAMBORAY

 » Ron Jans est une bonne personne et un bon entraîneur.  »

 » Le foot, c’est de l’émotion et doit rester de l’émotion.  »

 » Je râle après chaque défaite mais je laisse mes problèmes au stade.  »

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