« Je ne veux pas de pelote basque »

Pierre Bilic

Les Diables Rouges devront y aller à fond lors de leurs deux rendez-vous de juin. Mais pas n’importe comment…

Le bureau est à l’image du personnage : ordonné, sans fioriture, presque dépouillé avec, soigneusement accroché au mur, une affiche de l’EURO 2000. Elle semble s’effacer lentement dans le dos de Robert Waseige. Un an déjà, c’est loin, et il s’agit maintenant de décrocher le visa pour le Japon et la Corée du Sud. Le coach fédéral n’en parle pas trop mais sait que les passeports fileront sous le nez des Diables Rouges s’ils snobent la Lettonie le 2 juin, au Stade Roi Baudouin, puis à St-Marin à peine quatre jours plus tard.

Une récolte de six points permettrait à la Belgique de négocier avec sérénité le grand virage écossais (le 5 septembre à Bruxelles) et le voyage en Croatie, le 6 octobre. Autrement dit, même si c’est encore loin, l’Asie et la phase finale de la Coupe du Monde 2002 sont au centre du débat. Pour obtenir la marque jaune, Robert Waseige devra encore écrire quelques scénarios dignes d’Edgar P. Jacobs en espérant que Marc Wilmots et Emile Mpenza, entre autres, soient dignes de Blake et Mortimer.

L’équipe nationale a des rendez-vous importants mais avez-vous déjà songé à vos vacances?

Robert Waseige : Mon épouse y a pensé. Elle a déniché un nouveau Club Med, à trente kilomètres d’Athènes où il y a tout un espace consacré à ceux qui ont eu des pépins cardiaques. Ma femme adore le soleil, elle sera abondamment servie en Grèce. Moi, je serai soigné aux petits oignons. Tout va évidemment très bien et j’ai repris le cycle normal de mes activités depuis trois semaines.

Il n’y a qu’une seule recommandation : moduler l’intensité, ne pas essayer de faire en une journée ce qu’on peut abattre comme travail, en temps ordinaire, en quarante-huit heures. Il ne faut pas s’estimer plus fort qu’on ne l’est. C’est ce qui m’avait incité, bien sûr, à ne pas me rendre en Tchéquie. Le staff avait bien géré les paramètres de ce déplacement et de ce match amical (1-1) chez un adversaire de qualité, point de réflexion intéressant avant les deux prochains matches à enjeu des Diables Rouges.

La grande leçon de Prague ne concernait-elle pas une conservation parfois hésitante du ballon?

La gestion du temps de jeu résulte d’abord d’une prise de conscience; c’est mental, la tête décide. A n’importe quel moment, on peut créer une action décisive mais il faut dompter le temps, et ses phases ou cycles, de manière plus cool. La Belgique détient de bonnes armes, il y a des complémentarités dans un football qui évolue. Tout le monde doit trouver le juste milieu qui n’est pas le même pour toutes les équipes car les atouts sont différents. Une équipe comme le Bayern Munich intègre les atouts de Giovane Elber, présence, vitesse, sens du but, mais module le tout en fonction de la vie d’un match. On peut être plus défensif ou plus offensif selon les réalités du moment sans perdre ses atouts mais ça demande bien sûr des équilibres intéressants. Nous devons mieux contrôler les phases où le jeu se déroule sans être décisif.

N’est-ce pas difficile quand le principal atout belge sur le plan offensif, Emile Mpenza, est un attaquant de rupture qui a besoin de ballons en profondeur?

On ne peut pas passer à côté de cet atout car la flèche de Schalke nous apporte sa richesse. A Liverpool, Michaël Owen a aussi de la profondeur, comme Giovane Elber au Bayern. Emile fait partie de cette catégorie. Il n’y a pas dix joueurs de ce style en Europe, c’est tout dire. Qui fait encore la différence à très grande vitesse? Henry par moments, Crespo et Chiesa aussi mais on les compte sur les doigts de deux mains. Emile mise sur sa vitesse et quand on met le turbo, le risque de petits déchets techniques est forcément un peu plus élevé que dans le chef de ceux qui ne poussent pas sur le champignon. Or, pour faire la différence, il faut jouer vite et c’est tout le problème. Mpenza peut rater cinq ou six fois mais il signera le but qui fait la différence à sa septième tentative, ce que les autres sont incapables de faire en général. Il pourrait ralentir mais l’effet de surprise ne serait plus le même. Emile est le prototype de l’attaquant moderne. Il n’est pas un superbuteur. Mais le temps lui permettra d’étaler ou de révéler d’autres qualités. Quand il ne saura plus courir aussi vite, et exploser à ce point, il cherchera plus à faire la différence dans le dernier geste. Marc Wilmots est aussi un joueur de rupture par son esprit de décision. Bob Peeters va plus dans le sens de la gestion de jeu mais quand on joue dans la zone de vérité adverse, il se mue en élément de rupture.

Bart Goor et Gert Verheyen cherchent également à éliminer les adversaires et il est normal quand on prend des risques d’avoir plus de pertes de balle. Je l’accepte car quand ça marche, ils nous procurent des espaces et des situations intéressantes. C’est une richesse. Mais il ne faut pas, comme ce fut le cas au début de la deuxième mi-temps à Prague, que cela devienne de la pelote basque. Le ballon revenait trop vite et on avait aussi vécu cela en Ecosse. Les Belges ont également trop galopé derrière le ballon à Glasgow en tout cas pendant certaines périodes du match.

Cela dit, à Prague, il manquait trois pions de base, le tiers de l’équipe. C’est beaucoup quand on vit du collectif, et nous avons procédé à des tests intéressants aves des néophytes comme Simons et Vanderheyden face à une bonne cylindrée du football mondial.

La recherche du bon équilibre ne finit-elle pas parfois par offrir un menu ni chair ni poisson? Le Bayern, à la fin du compte, c’est une équipe de ruptures, de contres, alors que le Real compte onze joueurs de construction : où nous situons-nous entre ces deux pôles?

Votre comparaison entre le Real et le Bayern a du vrai à des degrés divers. Cela dépend des personnalités dominantes de chaque équipe. Où sont les hommes forts? Tout commence par cette simple question. Quand il n’y a pas de leaders, tout le monde prend ses responsabilités, c’est l’addition des atouts individuels sur le plan de la technique qui fait la différence. La vérité, c’est bien de donner un ballon à un de ses joueurs en zone de percussion. Il y a des exceptions. La plus belle fut l’Inter Milan d’Helenio Herrera avec Jaïr, Facchetti et tout au plus deux joueurs de conservation de balle, Corso et Suarez, tous les autres sprintaient vers l’avant. Les Interistes récupéraient toujours le cuir aux environs de leur grand rectangle.

Mais le football de l’Inter n’a-t-il pas été modernisé avec de plus en plus une récupération soignée jusque dans les derniers détails et des contres qui partent de plus en plus vite?

Le décor change, pas le contenu. Les oeuvres de Shakespeare sont les mêmes que quand il les écrivit aux 16e ou 17e siècles mais la mise en scène est différente aujourd’hui.

Les modes vont et viennent et, quelque part, le vieux WM des années 40 et 50 ne se cache-t-il pas, comme le dit souvent Jean Nicolay, sous le 3-4-3 qui émerge de plus en plus?

Oui, je suis très tenté par le 3-4-3 avec la différence que les quatre médians sont placés en largeur, alors qu’ils formaient un carré du temps du WM. Je me demande si le WM a jamais cessé d’être applicable. Ajax a été le précurseur du 3-4-3 mais, en Belgique, on a observé cela avec suffisance. Ce club pouvait jouer de la sorte car ses deux ailiers travaillaient autant que nos médians en pertes de balle tandis que leur milieu central offensif bossait pour deux, courageux défensivement tout en n’oubliant pas de se replacer très vite à côté du centre-avant. Ajax a continué à s’appuyer sur ce système alors que ses joueurs ont changé. A la longue, c’est joli et même agréable mais très désuet, à des années-lumière d’une nouvelle recherche d’efficacité. Les Espagnols réussissent pour le moment la meilleure synthèse entre beauté du jeu et efficacité. J’ai été ébloui par la faculté de réaction d’Alavès, en finale de la Coupe de l’UEFA, alors que je suis un vieux fan de Liverpool.

Les deux finales européennes, c’est toujours la remise des diplômes avant les grandes vacances des footballeurs. Un double rendez-vous avec l’équipe nationale contre la Lettonie et St-Marin, quand tout le monde chante l’école est finie, n’est-ce pas dangereux?

Il y a eu des fêtes un peu partout, dans les vestiaires et les salles de réception, et cela peut être néfaste si on s’adresse à des footballeurs peu responsables. Or, j’affirme avec force que j’ai un groupe intelligent. Le chef de file naturel de cet ensemble, Marc Wilmots, retrouve des renforts importants sur le plan mental et footballistique : Nico Van Kerkhoven et Gert Verheyen. Ils sont guéris juste à temps, ne vont pas peut-être pas prendre part à tout le temps de jeu des deux matches mais ce sont ces hommes fiables et c’est certainement vrai au plan mental.

S’il y avait des courants d’air dans les têtes, ce serait dangereux. J’ai tout fait pour mettre ce groupe dans des conditions de travail positives. Complémentarité et mentalité: je me suis fait un devoir de tenir compte de ces paramètres à l’avance. J’ai cependant retenu un nouveau joueur, Wesley Sonck, parfois un peu imprévisible sur le terrain et peut-être dans la vie de tous les jours, je ne sais pas. Il me fait frissonner. On le suit à la trace, mais très discrètement depuis longtemps. Il a réalisé une bonne fin de championnat à Genk. De plus, il a très bien joué avec les Aspirants en match amical à Sedan. Jamais facile et je connais les Ardennais pour les avoir régulièrement rencontrés avec le Standard ou Charleroi : ils ne font jamais de quartiers. On a eu des blessés et de la castagne à chaque fois. Wesley Sonck a des côtés séduisants (vitesse, audace et recherche de la profondeur) et était à l’aise dans ce duel engagé et costaud. Il a des qualités très proches de celles d’Emile Mpenza, sans être sa doublure.

Le retour de Gert Verheyen résoudra-t-il le problème du médian droit?

En son absence, nous avons appris que nous n’avons pas de solution immédiate dans ce secteur. En vérité, la vraie question peut se poser de façon différente pour remplir cette case : est-ce que j’utilise un ou deux médians défensifs? Dois-je doubler les deux flancs ou un des deux seulement? La réponse dépend souvent des joueurs disponibles. Quand on peut doubler les flancs, l’équipe est plus équilibrée et la force de frappe importante.

Les forces sont mieux étalées et l’harmonie tactique plus nette. Malgré cet équilibre, nous ne sommes pas parvenus à planter un but à la Turquie lors de l’EURO même si la Belgique s’est créé autant d’occasions de buts que contre St-Marin ou presque. Le football n’est donc pas mathématique.

Un an après l’EURO 2000, Eric Van Meir s’est installé dans son rôle de chef d’orchestre de la défense : avez-vous été étonné par les doutes à son égard?

Il méritait sa chance, je la lui ai donnée et ce joueur m’a conforté dans mon impression. Je ne dis pas qu’il en a pour dix ans mais Eric est là et bien là. La presse, surtout dans le nord du pays, avait ses interrogations à son propos mais j’ai l’avantage de bien le connaître car j’ai été son entraîneur à Charleroi. Son transfert au Standard constitue une belle histoire… Sa sérénité extérieure nous fait du bien. Il a été confronté plus jeune à un certain scepticisme avec son gabarit et sa vitesse de course toute relative. Un Glen De Boeck, par contre, a été encensé et puis on lui a cherché des poux. Je n’avais jamais fait une croix sur De Boeck et il nous a bien rendu service à Glasgow avant de réaliser une excellente fin de championnat à Anderlecht. J’ai lu que certains journalistes se font un devoir de citer Olivier Doll. Même s’il a des mérites, je ne peux pas retenir tout le monde.

Pour en revenir à Van Meir, il n’y a pas que son flegme. Il faut retenir la qualité de sa relance rapide et spontanée, tant du gauche que du droit. D’autres le font aussi mais ils doivent changer de pied et cela demande une fraction de seconde. C’est du temps précieux perdu et Eric Van Meir fait cette économie : idéal quand on a des fusées qui appellent bien en profondeur. N’oublions pas son jeu de tête et ses frappes sur les phases arrêtées.

Dans un an, c’est le Japon et la Corée : nous sommes exactement à mi-chemin entre l’EURO 2000 et la World Cup 2002. A-t-on tout à fait digéré le passé, à quel point l’Asie hante-t-elle déjà les esprits?

Je vis au temps présent et j’en suis aux deux chapitres actuels, Lettonie et St-Marin, début juin 2001. C’est assez particulier, en fin de championnat, pour ne penser qu’à cela et ne pas mettre la charrue avant les boeufs. Il y a une modification de paramètres en ce qui concerne la Lettonie. Ce pays a changé de coach et Gary Johnson a cédé sa place.

A Aleksandrs Starkovs…

Il dirigera la Lettonie pour la première fois à Bruxelles, donc un déplacement chez un adversaire qui a gagné 0-4 à Riga. Ils seront motivés et cela va augmenter sensiblement le coefficient de difficultés. Il s’agira d’être bien concentrés sur notre sujet, convaincus avant le match de la difficulté de la tâche qui nous attend. C’est un match à risque sportivement parlant. La Belgique s’était certes imposée largement en Lettonie mais avait eu un pourcentage remarquable de réussite.

Nous avons transformé victorieusement 50% de nos chances de but, ce qui est rare. La Lettonie eut des plages de jeu durant lesquelles elle mit le nez à la fenêtre. Il ne faut pas négliger non plus le fait que quelques joueurs lettons défendent les couleurs de clubs anglais. Je ne veux pas mettre une autre pression dans la balance pour le moment en parlant déjà du Japon. La Belgique ne peut rien gaspiller contre la Lettonie et St-Marin.

Ma seule certitude est que si on laisse filer quelque chose, on perd tout. Cela me ferait penser à la vache qui donne un coup de sabot dans le seau bien rempli de lait… Gagner serait normal et cela nous permettra d’aborder le dernier volet de cette campagne de qualification en pole position. C’est le challenge que nous devons relever en deux matches. Si on le gagne, on abordera les playoffs, c’est ainsi que je qualifie Belgique-Ecosse et le voyage à Zagreb où se déroulera notre dernier match, avec un petit avantage.

Si la Lettonie a des atouts, est-ce le cas de St-Marin balayé 10-1 à Bruxelles?

Ce score les a probablement peinés et ils vont tout faire pour ne pas revivre le même enfer chez eux. Autrement dit, ce pourrait être une rencontre très fermée. Il faudra préparer tout cela avec le soin requis.

Le retour de Marc Wilmots au Standard fait la une de la presse depuis des semaines : qu’en pensez-vous?

Quand le football belge retrouve une vedette, c’est toujours une bonne chose. C’est d’abord un choix personnel et familial et, finalement, pour m’exprimer par une petite boutade, cela concerne Marc et Wilmots. Il a toujours défendu son drapeau avec un engagement total et il a encaissé pas mal de blessures de guerre. Pour le championnat de Belgique, ce serait bien. Et ce serait très intéressant pour le Standard. Pour l’équipe nationale, cela ne change rien. Qu’il joue à Sclessin ou au Japon, on le connaît et on sait ce qu’il peut nous appporter. Il va faire des choix avec la qualité de vie au centre de son débat personnel.

Si Wilmots rentre, en contre-partie, Goor, Dheedene et Vermant partent à l’étranger: est-ce une bonne ou une mauvaise affaire?

S’ils jouent, ce sera intéressant pour eux et ils seront plongés dans des ambiances de concurrence et de progrès. De longs séjours sur le banc seraient forcément moins drôles pour eux et pour nous. Mbo Mpenza doit y penser à Lisbonne : il y a un monde fou au Sporting et il ne joue pas. Dommage car sans être une star, Mbo est un joueur de bonne qualité qui était une alternative intéressante pour Verheyen sur le flanc droit même si ce n’est pas sa place préférée. Dheedene est blindé. On ne lui a jamais facilité les choses. Il a gagné ses galons sur le terrain, à la dure, Goor aussi, lui qui vient de Geel, s’est imposé à Genk avant de faire son trou à Anderlecht. Je ne doute pas du tout de leur volonté, cela va élargir leur éventail, mais un joueur qui part à l’étranger court toujours le risque de se perdre.

La Belgique n’est-elle pas devenue, par la volonté des clubs, qu’une zone d’import-export? Leur souci d’aller chercher des joueurs à l’étranger n’est-il pas plus évident que les politiques de formation?

On n’a pas de centres de formation. Mais nous détenons tout de même une bonne équipe Espoirs.

Oui, mais un peu comme d’habitude, c’est une génération spontanée. A la longue, la source se tarira et il n’y aura plus que de l’import…

Cette équipe Espoirs est en tout cas assez régulière depuis un petit temps. Elle se tire d’affaires, sauf à Prague, et que ce soit parmi eux ou les Aspirants, il y a pas mal de joueurs qui me plaisent et peuvent réussir. L’approvisionnement ne se fait comme en France, c’est évident, mais le football belge continue à vivre, ce qui ne veut pas dire qu’il ne fait pas être plus actif, plus moderne avec le blé qui lève.

Pierre Bilic

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