» Je ne suis pas un fouteur de merde »

Le plus célèbre lanceur de palmipèdes de notre championnat en a plus qu’assez des racontars et autres cancans à son propos.  » C’est pas parce que t’es un peu bling-bling que t’es nécessairement difficile à gérer.  »

En pleine interview dans la suite présidentielle du stade de Gand, Habib Habibou pointe le doigt vers la pelouse et lance :  » C’est là que tu juges le mec.  » Traduction : un footballeur doit être jugé en fonction de ce qu’il montre sur le terrain,  » pas sur des on-dit, sur des trucs que celui-là a dit à celui-là qui l’a répété encore à un autre « . Le plus célèbre lanceur de canards de notre foot est cool, souriant, sympa, bardé de tatouages et de crucifix. Mais il ne va pas y échapper, à la question qui tue : pourquoi avoir quitté en janvier un Zulte Waregem qui cartonnait (et cartonne encore) pour un Gand qui était moribond (et est à peine plus tonique aujourd’hui) ? Pour l’argent, et uniquement pour l’argent ? Interview tac au tac.

Gand était le favori de sa poule en play-offs 2, vous avez commencé par des défaites contre Ostende et au Lierse. C’est gênant !

Habib Habibou : Pour moi, ce n’est pas si étonnant. Il faut se mettre à notre place. On fait un très bon parcours entre janvier et la fin de la phase classique, on remonte progressivement, et à un match de la fin, on aperçoit la qualif pour les play-offs 1. Mais ça foire au tout dernier moment. Imagine le coup qu’on prend sur la tête. Il faut revenir à l’entraînement pour préparer des matches qui n’ont plus rien à voir avec les affiches du top 6. En même temps, il y a beaucoup de pression, sur le staff, sur les joueurs. De la nervosité aussi. Alors, perdre contre Ostende et au Lierse, ce n’est plus si surprenant.

C’est chouette, les play-offs 2 ?

Tu rigoles ? C’est la guerre ! C’est plus difficile que les PO1. J’entends encore des gars de Gand avant que ça commence : -Habib, tu vas marquer cinq ou six buts, t’es pas loin de Batshuayi, tu peux finir meilleur buteur. J’étais certain que ça ne serait pas si simple. C’est spécial, comme ambiance. Tu as des équipes qui ne bougent pas. Plein de joueurs restent alignés en défense, ils n’ont pas envie de trop en faire. Et toi, tu essaies de produire quelque chose, de faire du jeu, mais c’est très compliqué. Tu n’as pas d’espaces, c’est difficile de passer, tu reçois des coups, tu t’énerves, tu perds patience. Et dans le pire des cas, l’adversaire a une occasion en contre et il la met dedans. Les play-offs 2, c’est… comment dire ? Ce n’est pas bénéfique. J’entends des joueurs d’autres équipes qui disent des trucs du style : -Allez, ça diminue, bientôt les vacances. Ça veut tout dire sur la passion.

 » On a peur de notre public  »

On a l’impression que le nouveau stade bloque complètement les joueurs depuis le début de la saison. Ça devrait être l’inverse puisque vous êtes les seuls à le connaître.

Tu sais que notre public demande beaucoup ? Et je pense qu’il y a pas mal de joueurs qui gèrent mal cette pression. On gère mieux à l’extérieur. A Waregem, les supporters avaient leurs certitudes quand on jouait à la maison :  » Chez nous, sauf catastrophe, on gagne.  » Et les joueurs pensaient la même chose. Moi, je savais que j’aurais au moins une grosse occasion par match. Ce n’est pas encore le cas à Gand. On doit apprendre deux choses quand on reçoit : produire du jeu et montrer qu’on est les patrons.

Il y a carrément une peur du public ?

Oui. Ça se transforme en peur de mal faire. Je peux comprendre. Si on n’a pas encore marqué après dix minutes, ça commence déjà à gronder. Quelque part, c’est normal : tu veux être un club du top, tu as un stade top, c’est logique d’avoir un public exigeant, critique. Le problème, c’est que ça met une pression que tout le monde ne supporte pas. Ça rend nerveux.

Si on lit les journaux, on a l’impression que le vestiaire n’était pas seulement nerveux. C’était carrément le bordel.

Si on lit les journaux… S’il y en a qui ont envie d’être négatifs à fond, c’est leur problème.

Tu confirmes quand même que ce n’était pas très positif comme ambiance ?

Attends… Tu n’arrives pas à te qualifier pour les play-offs. Après ça, tu es favori en PO2 mais tu perds les deux premiers matches. Ça a été une grosse crise. Normal, non ? Mais l’ambiance n’était pas aussi négative que ce qu’on a écrit.

On a lu que la relation entre Mircea Rednic et le groupe était très mauvaise.

Je peux seulement dire ceci : les résultats ne suivaient pas, donc la direction a tranché en le renvoyant. Est-ce que c’était la bonne solution ? On verra sur le long terme ce que ça va donner. Moi, je vois qu’il a quand même fait du bon boulot. On ne jouait pas très bien avec lui mais on a pris pas mal de points.

Et sa relation avec le groupe, c’était comment ?…

C’est vrai qu’il y avait un peu de tension.

 » Soulier d’ébène, play-offs 1, classement des buteurs : j’ai tout lâché, j’assume  »

Tu signes parce qu’il te veut, il n’est déjà plus là. Ce n’est pas embêtant ?

C’est clair qu’il me voulait. Je n’avais pas trop envie de quitter Zulte Waregem, tout se passait super bien pour moi là-bas. Je marquais, en championnat et en Coupe d’Europe. Puis il y a eu cette offre de Gand. Je pouvais rapporter deux millions à mon club, il ne pouvait pas refuser. Finalement, tout le monde s’y retrouvait.

Rednic avait déjà essayé de t’attirer au Standard.

Oui, il se souvenait même de mon passage au Steaua Bucarest. Il entraînait le Rapid cette saison-là et je lui avais tapé dans l’oeil. Au Steaua, j’avais Mihai Teja comme préparateur physique. L’homme qui a suivi Rednic au Standard. Après mon match avec Zulte Waregem contre eux la saison dernière, ils m’ont demandé si ça m’intéresserait de les rejoindre.

Tu gagnes mieux ta vie aujourd’hui mais au niveau sportif, ça doit être une déception énorme, non ?

Ah… Il faut revenir là-dessus ? Je dois mettre les choses au point. Après notre défaite au Lierse en PO2, un journal flamand a titré que je regrettais d’avoir quitté Zulte Waregem. C’est trop facile. Le journaliste m’a demandé si je regrettais mon transfert, je lui ai répondu que je me posais des questions après un non-match pareil. C’est différent. J’étais énervé. Je viens d’une équipe habituée à dominer et à jouer pour gagner, où je recevais beaucoup de bons ballons. Ce soir-là, au Lierse, je n’ai pratiquement rien reçu. Donc, c’était normal que je ne sois pas content. Le président de Gand est venu me trouver, il voulait savoir pourquoi j’avais parlé comme ça. Je lui ai répondu que j’étais un compétiteur. Je lui ai dit que j’avais gagné sur le plan financier mais qu’au niveau sportif, j’avais l’impression d’avoir perdu beaucoup. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui aurait pu se passer si j’étais resté à Waregem. J’aurais sans doute été nominé pour le Soulier d’Ebène, je jouerais aujourd’hui les play-offs et même le titre, je pourrais peut-être viser la première place au classement des buteurs. Mais bon, j’ai fait un choix, je l’assume. Je ne baisse pas les bras. Si je lâche mes coéquipiers, qui va les rassembler ?

Tu es prêt à devenir le patron de cette équipe qui n’en a pas ?

Ce sont des trucs qui ne se disent pas. D’abord, tu dois faire ton boulot sur le terrain. Il n’y a que ça pour te faire respecter. Si tu parles mais que tu es zéro le week-end d’après, qu’est-ce que tu as encore comme crédibilité ?

 » Gand est un plus grand club que Zulte Waregem  »

A côté du salaire, cite-moi une bonne raison de quitter Zulte Waregem pour Gand…

Il y a ici un projet très intéressant. Le président a beaucoup acheté en janvier, il va encore transférer pendant l’été, ses ambitions sont énormes. Ça ne se voit pas depuis deux ans mais Gand est un plus grand club que Zulte Waregem.

Ivan De Witte dit qu’il préfère deux ans sans play-offs dans un nouveau stade que deux saisons avec play-offs dans un stade dépassé.

Je suis obligé de répondre à ça ? (Il rigole). Avoir un chouette stade mais ne pas jouer des gros matches, ce n’est pas très intéressant. Le haut niveau me préoccupe plus que les installations.

Quand tu vois ton ancienne équipe qui se bat toujours pour le titre à cinq matches de la fin, à quoi tu penses ?

Ça me fait du bien… C’est bon aussi quand Thorgan Hazard me dit que si Zulte Waregem ne m’avait pas vendu et avait conservé Junior Malanda, ils seraient en tête aujourd’hui. Et s’ils sont champions, je serai heureux. Parce que ce titre serait aussi le mien. J’ai mis dix buts pour eux cette saison hein !

Imagine un Gand – Zulte Waregem en barrages pour l’Europe.

La fin du monde…

Tu as ta naturalisation, tu es le deuxième meilleur buteur belge du championnat, il faut un remplaçant à Christian Benteke… donc tu as abordé le sujet du Brésil dans une interview !

On m’a demandé si j’étais intéressé par les Diables. J’aurais dû répondre :  » Non  » ? Mais bon… Romelu Lukaku est un des meilleurs attaquants en Angleterre et Michy Batshuayi est ce qui se fait de mieux en Belgique. Encore ceci : je n’ai plus l’occasion de me mettre en évidence en jouant des matches de PO1.

En plus, Marc Wilmots aime les profils calmes, des gars qui restent plutôt dans leur coin. Tu es un extraverti qui aime se faire remarquer, non ?

Qui me connaît ? C’est trop facile de me décrire sans me côtoyer. Je chambre, je rigole, oui. Sans doute comme un Marouane Fellaini, un Romelu Lukaku ou un Eden Hazard. Mais on voudrait me faire passer pour un fouteur de merde, un gars qui retourne le vestiaire, qui fait des histoires ? Je ne peux pas accepter. Interroge Francky Dury. Lui, il sait qui je suis. Ce n’est pas parce que tu as une belle voiture, parce que tu t’habilles bien, parce que tu es un peu bling bling que tu es difficile à gérer.

Au fait, tu as payé ton garagiste ?

Encore un truc… Je ne sais pas d’où ça vient. Un gars se fait passer pour mon garagiste et tweete que je lui dois 700 euros depuis plus d’un an. Quand je vois ça, je crois que c’est un pote qui me fait une blague. J’ai une voiture du club, je n’ai pas à recevoir de factures de garage ! Mais c’est directement repris par les sites et les journaux. N’importe quoi. Je me répète : si tu veux juger quelqu’un, juge-le sur le terrain.

PAR PIERRE DANVOYE ET FREDERIC VANHEULE – PHOTOS : IMAGEGLOBE / KETELS

 » Les play-offs 2, c’est beaucoup plus difficile que les play-offs 1. C’est carrément la guerre.  »

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