« Je ne serai jamais un Inzaghi »

L’attaquant anderlechtois n’a inscrit que deux buts en championnat et analyse ce qui ne va pas.

Pour la deuxième fois de la saison, après Charleroi, Ariel Jacobs avait choisi, face au SV Roulers, de titulariser Tom De Sutter au côté de Romelu Lukaku. Et ce coup-ci encore, l’entreprise fut couronnée de succès, car après le 2-0 forgé contre les Zèbres, les Sportingmen se sont imposés 3-1 devant les faibles Flandriens. Et, ce qui ne gâte rien, les deux s’entendirent comme des larrons en foire. A cette nuance près que Lukaku aura profité de l’occasion pour parapher son 8e but alors que le compteur de son compère est resté bloqué aux deux unités du match au Club Bruges lors de la 10e journée.

Tom De Sutter : Il ne m’a manqué qu’un but pour que mon match face à Roulers soit complètement réussi. A deux reprises, j’ai échoué de peu face à Jurgen Sierens mais je me suis montré souvent inspiré lors des combinaisons. Si Mbark Boussoufa ne s’était pas fait exclure dès l’heure de jeu, il n’est pas interdit de penser que j’aurais été récompensé de mes efforts sous la forme d’un but. Mais à 10 contre 11, je comprends que l’entraîneur m’ait sacrifié au profit de Jonathan Legear. S’il ne fallait conserver qu’un homme en pointe, il était normal que son choix se porte sur Rom plutôt que moi, qui avais beaucoup travaillé entre les lignes.

Il n’empêche que, depuis le début de la saison, vous êtes souvent remplacé. Tour à tour, vous avez dû vous effacer pour Kanu, Matias Suarez et Lukaku. Comment l’expliquez-vous ?

Jusqu’au déplacement à Zulte Waregem (4e journée), j’avais toujours fait partie du onze de base : je combinais à qui mieux-mieux avec mes partenaires et je marquais aussi. Pour preuve, mon doublé face à Sivasspor, au Parc Astrid. Au cours des premières rencontres du championnat, je me suis démené pour mes coéquipiers mais sans concrétiser. Et les buts, c’est ce qu’on réclame d’un avant. À force d’aider les autres à marquer, ils ont fini par me dépasser. Il y eut tout d’abord Matias Suarez puis Romelù Lukaku, qui a scoré dès son entrée au jeu au Gaverbeek. Moi, cette efficacité m’a boudé. J’avais l’impression d’avoir retrouvé mes sensations après mes deux goals au Club, mais je n’ai pas su persévérer sur cette voie. J’ai été trop versatile durant ce premier tour.

Pourtant, d’une campagne à l’autre, le système n’a pas fondamentalement changé : Anderlecht évolue toujours le plus souvent en 4-3-3, comme lors du deuxième tour auquel vous aviez brillamment participé en 2008-09 ?

Sur le papier, peut-être. Mais je vois quand même une différence. Mes 9 buts, la saison passée, étaient invariablement la résultante d’un même type d’action : soit le ballon m’était transmis dans l’axe et je concluais le mouvement, comme à l’occasion de notre victoire par 4-2, à domicile, contre le Standard, soit j’héritais d’un centre aérien au cordeau que je propulsais dans les filets adverses d’un coup de tête. Il en était allé ainsi à Westerlo, notamment. Cette fois, les passes dans l’axe se font plus rares. Et je relève aussi un peu plus de déchet dans le jeu aérien. Au lieu de piquer un heading en direction du but, il arrive fréquemment que je doive contrôler le ballon dans les airs ou tenter de le dévier vers un partenaire. Mais il n’est pas toujours évident de garder la maîtrise du cuir quand on est entouré de deux défenseurs ;… en championnat ainsi que sur la scène internationale contre la Hongrie. C’est bizarre, mais les actions sur lesquelles je pouvais me distinguer la saison passée semblent se refuser à moi cette année.

 » Lukaku et moi sommes parfaitement complémentaires « 

Dick Advocaat vous avait titularisé contre les Magyars, avec l’espoir de vous voir planter l’un ou l’autre but. Vous n’y êtes pas arrivé, contrairement à Wesley Sonck face au Qatar. C’est frustrant ?

Je ne suis pas mécontent de mon match contre les Hongrois, même s’il a manqué la touche finale. J’ai conclu une action dans le filet latéral. Wes, de son côté, a été plus chanceux. Si j’avais eu droit au même service, qui sait si je n’aurais pas pu le transformer en goal également.

Au jeu des comparaisons, Mbark Boussoufa prétendait, voici quelques mois, que vous étiez meilleur dans les combinaisons que Nicolas Frutos, mais que celui-ci vous était supérieur au plan de la finition. L’histoire ne se répète-t-elle pas avec Romelu Lukaku ?

Libre à chacun d’avoir son avis. Ce que j’ai remarqué, c’est que Rom et moi pouvons parfaitement fonctionner ensemble. Nous l’avons d’ailleurs démontré contre Charleroi et, à présent, face à Roulers. Les deux fois, je me suis beaucoup dépensé et c’est lui qui a scoré.

Le 4-4-2 ne vous convient-il pas mieux que le 4-3-3 ?

Chaque schéma a ses avantages et ses inconvénients. Nous avons déjà opéré en 4-2-3-1 aussi ou en 4-5-1. Dans ce cas, l’attaquant le plus avancé endosse une grande part de responsabilité. Car il doit jouer de manière précise pour que les hommes du milieu profitent de ses passes.

Anderlecht a également joué en 4-4-1-1 cette saison avec Matias Suarez en décrochage derrière vous.

C’était le cas à Courtrai et au Cercle Bruges et nous l’avions chaque fois emporté. En fait, tous les systèmes sont bons dès que ses composantes sont en verve. En fonction des matches et des degrés de forme des différents joueurs, il faut parfois apporter des retouches. Car il n’y a pas moyen d’être au top constamment. Chacun a connu des fléchissements, qu’il s’agisse de l’Argentin, de Kanu voire de Mbark Boussoufa. Ou de moi-même. Parfois, j’ai difficilement récupéré.

La plupart des joueurs se reposent à l’entre-saison mais vous avez escaladé les cols pyrénéens ! Etait-ce une bonne idée ?

Ce qui importe d’une campagne à l’autre, c’est de décompresser. A fortiori après les play-offs qui nous avaient marqués. Certains ont besoin de repos pour faire le vide. Moi, je voulais m’aérer en faisant du vélo. N’oublions pas qu’avant d’aboutir à Anderlecht, j’avais été sur la touche durant près d’un semestre, suite à une opération des ligaments croisés et ma condition physique ne s’était pas révélée suffisante pour boucler la saison. Je voulais l’améliorer. C’est vrai que j’ai gravi le Col du Soulor, l’Aubisque et que j’ai fait aussi l’ascension jusqu’à Luz Ardiden. Mais ces efforts ne m’ont pas marqué outre mesure. Au contraire, je suis revenu avec un moral du tonnerre.

 » Je ne me sens pas dans la peau d’un troisième homme « 

Pendant la période de préparation, vous vous êtes même astreint à des séances de course supplémentaires en compagnie de Marcin Wasilewski et Jan Polak. Pourquoi ?

Nous avions peu de temps pour être fin prêts. Il était difficile, dans cet intervalle, de retrouver un fond qui abaisse le pouls et rende résistant à la fatigue. C’est pour cette raison que nous avons effectué tous les trois un programme plus corsé. Personnellement, je n’ai pas la constitution des marathoniens qui, comme certains de mes coéquipiers, ne produisent d’acide lactique qu’au-delà des 16 km/h. J’atteins ce seuil plus vite. Je progresse mais je viens de loin, ne l’oublions pas. Il y a trois ans, j’évoluais encore à Torhout, en D3. A présent, je joue parfois trois matches par semaine pour le plus grand club belge. Quand nous nous sommes qualifiés contre Sivasspor, j’ai compris que j’abordais une année très riche en leçons. Vu les impératifs européens, jusqu’au mois de décembre au moins, et la réforme du championnat, j’ai pleinement mesuré à ce moment que le Sporting allait au-devant d’une saison très éprouvante et qu’il me faudrait gérer à la fois physiquement et mentalement un nombre impressionnant de matches.

Au moment de la reprise, vous étiez le n°1 des avants, vu la blessure de Frutos et la jeunesse de Lukaku. Si l’Argentin était à 100 % de ses moyens aujourd’hui, tout porte à croire que vous seriez n°3 car à chacune de ses apparitions, il frappe fort, malgré tout. C’était le cas contre Sivasspor et, face au CS Verviers, en coupe de Belgique, il avait marqué deux minutes à peine après son entrée au jeu.

Je ne me sens pas dans la peau d’un troisième homme. Chacun de nous a ses mérites. A Genk, je me suis donné corps et âme pendant 70 minutes, avant de céder le relais à Rom. S’il a marqué le deuxième but qui nous mettait à l’abri en fin de partie, c’est peut-être grâce au travail de sape que j’avais effectué.

Votre compteur personnel affichait 16 buts la saison passée. Un de plus et vous auriez été sacré meilleur réalisateur de la D1. Cette année, en championnat, il est provisoirement bloqué à deux goals de raccroc. Comment vivez-vous ce manque de productivité alors que Lukaku, lui, en est déjà à 8 réalisations ?

Tant que nous gagnons, peu m’importe qui marque. Voir d’autres inscrire des buts ne me gêne pas. Mais si nous ne gagnons pas, je serai toujours davantage exposé aux critiques qu’un autre. Je l’ai vérifié contre Lyon.

En équipe nationale, il y a toujours un poste à pourvoir également au centre de l’attaque. Ici aussi, Emile Mpenza et Wesley Sonck ont eu la chance de marquer sous l’ère Advocaat. Vous êtes toujours en quête de votre premier but en sélection.

Je ne m’en fais pas. Il m’avait fallu du temps aussi pour trouver la carburation à Anderlecht. Tôt ou tard, je trouverai l’ouverture aussi en sélection.

 » Je dois être moins tendre mais c’est contre ma nature « 

Votre coéquipier Thomas Chatelle a prétendu naguère qu’il était peut-être trop gentil pour le plus haut niveau. Le même constat n’est-il pas d’application pour vous ?

Ce n’est pas impossible. L’entraîneur-adjoint, Besnik Hasi, me dit parfois que je dois être moins tendre.  » Een smeerlapke « , une petite crapule, c’est un peu ça qu’il attend de moi. Mais c’est difficile car ce comportement ne correspond pas à ma nature. Je n’ai jamais eu maille à partir avec qui que ce soit sur le terrain. Je préfère être apprécié de tous.

Votre manager, Didier Frenay, estime pour sa part que vous devez devenir plus rusé et plus égoïste.

D’accord, mais c’est un processus. Quand je vois un partenaire démarqué devant le but, il faut que je lui cède le ballon, c’est plus fort que moi. Si j’étais plus égoïste, j’augmenterais probablement mon capital-buts de cinq unités chaque année. Mais sur ce plan-là, je ne serai jamais un Pippo Inzaghi.

par bruno govers et christian vandenabeele

« Je progresse mais je viens de loin. Il y a trois ans, j’évoluais encore à Torhout, en D3. »

« Tant que nous gagnons, peu m’importe qui marque.

(Tom De Sutter) »

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